Les fouilles corporelles. Encore et toujours, elles rythmaient les entrées, aussi bien des badauds venus en simples spectateurs que les combattants eux-mêmes. Il ne fallait pas que le combat revêtisse des allures étranges à la limite de tricherie. C’était tout bonnement inconvenable et sévèrement puni dans le même temps. Aussi Sulkan ne chercha pas à protester lorsque deux mains bourrus passèrent en revue sa fine silhouette, fouillant ses nombreuses poches avant de voir son teaser, fidèle compagnon de route, lui être confisqué. Précaution bien inutile à ses yeux puisque au grand jamais, il ne s’essayerait à le lancer à l’un des combattants dans le but d’équilibrer les forces. Le garçon y tenait trop pour le perdre de cette façon. Comme à son habitude, il se fraya un chemin jusqu’à la rambarde à la plus éloignée de là où se tenait le propriétaire des lieux. Le sourire de ce type ne lui plaisait pas du tout et il préférait s’en tenir éloigné. Pur instinct de survie sans aucun doute. Le premier combat ne tarda pas à démarrer. Les cris des spectateurs couvraient presque les hurlements de rage ou de douleur des adversaires. Un grand panneau lumineux affichait les scores ainsi que les paris, lesquels n’avaient de cesse de varier en fonction de la tournure de l’affrontement. Rien n’était gagné d’avance. Un simple grain de sable pouvait tout foutre en l’air et vous ruiner par la même occasion. Une petite machine volante passait entre les badauds hurlants à qui mieux, enregistrant les paris au passage. Sulkan se laissa tenter, misant une petite somme sur l’un des adversaires. Pour faire court, il avait la philosophie de stopper net les paris dès qu’il en perdait un. Observer les autres lui avait permis de comprendre une chose : un homme à l’orgueil blessé mettait bien plus d’argent en jeu qu’il n’était capable de payer… Et courrait à sa perte la plupart du temps, pensant sans cesse être en mesure de se refaire alors qu’il s’enfonçait un peu plus à chaque pari. Et Monsieur M comme on le surnommait ici, n’aimait pas trop les perdants incapables de payer. Généralement, ils disparaissaient de l’arène, entraînés par deux hommes de main musclés puis on ne les revoyait jamais. Nul n’avait le courage de s’intéresser à leur sort, de peur de finir de la même manière.
Manque de pot pour lui, l’adversaire de l’homme sur qui il avait parié ne tarda pas à retourner la situation à son avantage. Pire, il remporta la victoire quelques minutes plus tard. Le garçon jura, alors qu’il vit son compte être débité dans la foulée. A croire que les combattants eux-mêmes agissaient en fonction des paris qu’on leur prêtait, de sorte à faire perdre le plus d’argent possible aux parieurs enjoués par l’appât du gain. Alors quoi ? Puisqu’il n’allait pas parier de nouveau, devait-il rentrer aussitôt ? Il n’en avait pas tellement l’envie, aussi se décida-t-il à demeurer sur place, en tant que simple spectateur cette fois. Bien entendu, c’était moins excitant à admirer car l’issue du combat ne vous importait plus réellement sans paris à la clé. Mais au moins, ça occupait quand on avait rien de mieux à faire de ses journées ! Sulkan restait obstinément dans son coin, jusqu’à avoir la désagréable sensation d’être épié. Tournant la tête dans toutes les directions, d’abord discrètement puis de manière plus franche que d’habitude, il ne parvenait pas à trouver l’origine de cette gêne. Encore un qui trouvait sa chevelure tape-à-l’œil et qui n’avait pas les couilles de venir lui faire part de son opinion en face ? Le garçon sentit l’irritation l’envahir et il serra plus fort la rambarde devant lui. Connard. Journée de merde. Il eut bientôt la sensation de perdre son temps sur place et se leva d’un coup, alors que le troisième combat touchait à sa fin. Il se moquait éperdument de son issue, aussi passa-t-il devant des parieurs un peu trop enthousiasmes – ou sur les nerfs au choix – pour manquer ne serait-ce qu’une seconde du combat qui se déroulait sous leurs yeux. Il essuya les commentaires cinglants, répliquant par un doigt bien droit, ponctué de quelques insultes au passage. Rien de tel pour être discret mais passons. Mécontent de sa journée, il rumina sur le chemin qui le menait à la porte d’entrée, songeant déjà à ce qu’il pourrait faire une fois qu’on lui aurait rendu son teaser. Pris dans ses pensées, il ne fit pas attention aux deux armoires à glace qui s’avançaient dans sa direction. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Sulkan fut empoigné par les deux bras et soulevé de terre, aussitôt entraîné dans la direction opposée à celle qu’il empruntait jusqu’alors.
« Putain mais lâchez moi ! J’ai rien fait ! C’est l’autre connard qui a commencé ! »
Sérieusement ? On allait lui faire tout un foin pour avoir gêné un aimable partenaire de pari lors de son petit plaisir journalier autre que la masturbation devant un film X ? Le garçon sentit son humeur s’assombrir encore plus si toutefois c’était possible. A tous les coups, il allait devoir s’expliquer, se faire rabrouer un bon coup puis payer un dédommagement au maître des lieux. Bref, des emmerdes en perspective. Pourtant, quelque chose clochait. Les deux gorilles ne le conduisaient pas là où il s’était imaginé terminer son petit voyage sous escorte. Ils se dirigeaient plutôt vers… L’arène ?
« Oh minute ! J’suis pas inscrit sur la liste des participants à vos combats ! Mais vous allez m’écouter à la fin ?! »
Peine perdue. Aucun des deux hommes ne lui prêtait la moindre attention et il fut jeté sans ménagement dans l’arène. La poussière emplit son nez, se déversant aussitôt dans ses poumons alors qu’il en respirait une grande quantité, le nez toujours collé au sol. Il se passait quoi là ? Il avait la désagréable impression de se retrouver dans la cage aux lions, un peu comme dans ces films retraçant la période où l’Empire Romain était synonyme de puissance inégalée. Son seul réconfort était de se rappeler qu’il n’y aurait pas de fauves pour le dévorer vivant ici-bas. Mais peut-être quelque chose de bien pire… Sous les exclamations du public, Sulkan se releva lentement. Il pensait toujours à une erreur pourtant, difficile de le confondre avec un autre étant donné sa coloration. Quoique justement, cet avantage pouvait très facilement se retourner contre lui si la personne qui aurait dû se retrouver à sa place était aussi excentrique que lui… A moins qu'on ait délibérément payé les deux gorilles pour le jeter dans la fosse ? Chassant ces pensées qui ne mèneraient à rien, il détailla son nouvel environnement. C’était oppressant de se savoir au centre de l’attention générale, avec tous ces visages rieurs braqués sur vous, afin de vous voir tomber. L’humiliation. Il ne tolérerait pas ça ! Motivé par la perspective d’un dédommagement une fois qu’il serait en mesure de pouvoir s’expliquer convenablement au sujet de cette méprise, le garçon se dirigea d’un pas déterminé vers l’une des grilles qui ornaient la paroi intérieure de l’arène. De l’autre côté, se trouvait l’espace réservé aux combattants qui se préparaient à fouler la poussière. Dans son cas, il désirait plutôt l’inverse. Agrippant les grilles à deux mains, Sulkan se mit à tirer, grogner, hurler, sans succès. Personne ne venait le faire sortir et des rires gras lui parvenaient du public. Il serra les dents, fout de rage, alors qu’une boule venait se former dans son estomac. Comment diable en était-il arrivé là ? Pourquoi lui ? Il n’avait pas la moindre chance !