Il était... Tôt. Très tôt. Ou peut-être très tard ? Il n'était pas tout à fait sûr. À vrai dire, il s'en foutait complètement. La casquette vissée sur le crâne, il s'essuie le front du bras. Il est plein de poussière de bois, de poussière tout court, peut-être un peu de terre mais surtout pas mal d'égratignures. En retirant les gros gants de protection et les frappant l'un contre l'autre, il jette un oeil à son coude. Un bon gros bleu est en train de s'y former. Oui, bosser avec des gants et des lunettes mais pas de manches longues était une idée plutôt moyenne. Plutôt très stupide, même. En tout cas le soleil se couchait -ou se levait, aucune idée-, et lui, il essuie les mains sur son cul. Quoi ? Son pantalon, son problème.Un sourire lui répond. Le vieux, il ne lui a jamais demandé son nom. Il l'appelle papy, le vieux se surnomme papy lui-même par habitude, et ils s'en sortent très bien. Étalant plus qu'il n'essuie une grosse trace sur sa joue, le petit brun soupire avant de s'étirer vers le haut, faisant craquer son dos. Quelle idée, aussi, de bosser avec des vieilles caisses de transport et des palettes en bois ? 'Paraît que ça fait le charme de son magasin, ouais, mais merde. C'est plein d'échardes, c'est lourd et ça prend une place monstre. Le vieux plante son regard bleu glace dans ses émeraudes et Luth peut voir sa moustache frémir d'amusement.« On », ouais. Car même si normalement y'a que le vieux, le corbeau croise parfois un gérant. Et ça a commencé connement, cette histoire, tiens. Comme d'habitude, il s'était fait arrêter par un p'tit vieux dans la rue pour aider à décharger un camion. Ce qu'il n'avait pas percuté, c'est qu'il était mort, le vieux. Mort et enterré depuis des années. Mais ça ne l'a pas empêché de continuer de venir trois fois par semaine, quand les camions déchargent. Après quelques jours à bosser là, il avait fini par comprendre que le magasin du vieux avait fermé, qu'il ne rouvrirait plus, et qu'il aidait de parfaits inconnus -et bien vivants, eux !-. Il est entré dans le paysage des habitués et riverains, et les travailleurs n'ont jamais vraiment cherché à l'arrêter. Jamais il ne s'attend à ce qu'on l'arrête en lui proposant un café, non. Il se contente d'aller voir le vieux, de sourire, et de se sentir gêné une fois un sac bien réel de nourriture posé dans ses bras.Le vieux, c'était visiblement un ancien commerçant bien connu. S'il avait voulu, il l'aurait eu, son nom. Mais ça n'intéresse pas Luth. Les gars qui travaillent toujours ici ont fini par se rendre compte qu'il les aidait, mais ils n'ont rien dit. Maintenant, quand il arrive le matin -ou le soir, aucune idée-, ils lui sourient, lui tapent sur l'épaule et le décoiffent. C'est lui le plus jeune, même s'il n'est plus au stade de sucer son pouce. C'est lui le plus jeune et ils se sont habitués à l'entendre et le voir parler tout seul, se disant qu'il doit être en communication holographique.

Traîner avec papy lui colle toujours une migraine d'enfer. C'est ça, à vrai dire, qui l'a un peu mis sur la piste dès le second jour. Ça et le sourire un peu triste du vieux quand il lui avait dit au revoir au bout d'une semaine. Comme s'il allait pas revenir ! Tsss. C'est d'ailleurs au terme de cette première semaine que papy a insisté pour qu'il récupère du pain et des invendus un peu limites niveau date limite de consommation. Pas la peine de chercher à lui filer une paye en crédits, entre un mort et un fugitif ça va forcément poser un certain nombre de problèmes d'ordre... Technique ? Ouais, un peu.

Ce soir -il sait que c'est le soir, les couleurs sont toujours très chaudes mais ça commence à tirer sur le bleu sombre-, il a particulièrement mal au crâne. Un sac serré dans les bras, il est bien occupé à dévorer une pomme. Lentement, sans traîner ni presser le pas, il rejoint les quartiers de merde, il rejoint entre-deux, où toute une tribu de gosses l'attend de pied ferme. Enfin, de gosses... Dire que la moitié est majeure, déjà. Un peu perplexe, le brun se frotte la nuque avant de sauter sur un muret. Il s'amuse bien, même de trucs aussi idiots. Après tout, il a besoin de se maintenir en forme, au cas... Au cas où y'aurait un souci. Dire que le vieux avait tour à tour rencontré chacun de ses gamins. Aah... Ce salaud lui donnait vraiment beaucoup de provisions à chaque fois. Sans y penser, le brun termine sa pomme, en jette le trognon sur un passant à l'air patibulaire et part faire le funambule sur les toits des maisons coquettes. Faut bien s'occuper... Et ne pas glisser en bas, surtout.

Tout devait bien se passer. À vrai dire, c'était une mission de routine. Bennett et elle devaient simplement faire une petite ronde dans le quartier et revenir. Luth était toujours prêt à accueillir tout ce qui traîne dans la rue chez lui, alors ils l'aidaient parfois à chercher. Mais là... Comment ils en étaient arrivés là ? Disons que les rues ne sont pas toutes fréquentables...? Ils se sont vite retrouvés acculés, même après une petite séance de parkour. Visiblement, ils avaient marché dans un piège bien rodé, qui ne leur était sûrement pas destiné, mais tant qu'à faire. Des bleus sur les bras, la blonde court le plus vite possible chercher son grand frère. Elle sait parfaitement où il est, il fait exactement le même trajet tous les jours où il part "travailler". Et grand bien lui fasse, sinon elle aurait fini par désespérer.Il n'a pas le temps de réagir, protester ou même penser à ce qui a pu se passer. La blonde l'attrape par le poignet et se met à courir, bousculant les passants, ne lâchant prise sur son aîné que lorsqu'elle est certaine que l'un des corbeaux la suit. Luth ne ralentit pas, mais ne plus être entravé l'aide à garder le corbeau sous les yeux. Il lui montre la voie car elle leur montre la voie, c'est surtout ça.

Lorsqu'ils débarquent, c'est perplexe que les yeux verts scrutent la scène. Pas de Bennett... Juste un imbécile qui se tient le nez et quelques autres idiots qui semblent regarder dans une ruelle. La blonde lui confirme que c'est bien eux qui leur sont tombés dessus.Son regard se durcit légèrement. Il n'aime pas ce sobriquet, il ne lui attire que des ennuis. Et s'il sourit en prononçant son ordre, Sky ne s'y trompe pas. Elle sait très bien ce qui va résulter de la demande du brun. Le corbeau s'élance à pleine vitesse sur le premier homme venu et lui crève les yeux d'un coup de serre bien huilé. Ils ont l'habitude de travailler en tandem, la jeune femme se tient à l'écart. Elle cherche désespérément où l'espèce d'idiot a bien pu filer. Peut-être simplement par la ruelle qu'ils fixaient du regard comme des bêtas ? Vu l'état de Ben, il ne doit pas être loin. Elle serre à peine les dents en entendant un cri rauque. Aniki doit avoir décidé de les éliminer un par un. Il n'est pas très fort, mais il n'est pas stupide et il est quasiment impossible à attraper. S'engouffrant dans la petite rue, elle n'a cure d'être discrète puisque quelqu'un couvre ses arrières.Les mains en porte-voix lorsqu'elle l'appelle, elle se contente d'avancer. Deux doigts compressant sa tempe gauche, elle cherche un peu partout jusqu'à tomber littéralement sur Ben, et... Un mec plutôt bizarre. Sa tête ne lui dit rien. Celle de Ben, par contre... Il est salement amoché, marche à peine, mais a toujours cet insupportable sourire sur la face. Sourire qui se tord dès qu'il pose le pied.Le petit brun essuie tranquillement les traces de sang de ses joues avec le col de son t-shirt, pas perturbé pour deux sous. Corbeau à l'épaule, il sourit aux trois personnes présentes, puis ancre son regard dans celui de l'inconnu. Il est en train de tenir son gamin, là, de le forcer à marcher et de l'amener loin. Comment dire qu'il est suspect ?Mais sa tête lui dit un truc... Vraiment.Devant le regard incrédule du châtain-roux à moitié mort, il commence à se demander s'il s'est pas trompé, si son vis-à-vis est bien vivant...

La question d'Ezekiel fait hausser les sourcils de Sky. Quelle idée bizarre. Ben, lui, se marre -mais pas trop, ça secoue sa jambe-, tandis qu'il laisse la blonde le soutenir pour libérer le combattant de son poids. Ce faisant, elle coule un regard vers le plus vieux, histoire qu'il infirme ou confirme ce dont ils se doutent tous les deux.L'une des plus âgés n'a rien contre la violence, surtout lorsqu'elle n'est pas gratuite. Mais c'est vrai qu'elle a du mal à se dire qu'un gars avec une bouille charmante comme son aniki tue sans sourciller lorsque la situation l'impose.Il jette un oeil au pas mort, puis à ses deux protégés. Il ferait mieux de les raccompagner lui-même, mais ils restent aptes à se défendre avec ou sans lui. Dans le doute, cependant, il siffle plutôt fort, puis croise les bras. Et il attend. Il peut attendre longtemps, les glands qui gisent pas très loin à côté ne risquent pas d'aller loin sans globes oculaires. Une fois Ulaan arrivé, il le câline quelques secondes avant de le poser sur l'épaule de la blonde. Là, il est sûr qu'ils seront en sécurité, ou du moins bien assez pour rejoindre le nid.

Une fois les deux éloignés, il se détache du mur avant de se passer la main sur la nuque. La gêne est présente, là, c'est rare qu'il se plante à ce point...Ça arrive même aux meilleurs ! Tss. Mais tout de même, il est gêné. Khan observe Ezekiel avec insistance, se dit que son maître s'entoure de drôle de gens, mais reste tranquille. Histoire de dissiper son trouble, il finit par sourire en coin.Il ira avec ou sans lui. Il en a marre qu'on lui donne des "du Corbeau" pour chercher à l'agacer. À force, ils ont fini par le trouver.

La curiosité n'est pas un vilain défaut lorsqu'on est entouré d'amis. Et si Luth ne va pour l'instant pas jusqu'à considérer Ezekiel comme l'un de ses amis, il n'en est pas loin. Alors il réfléchit quelques courtes secondes avant de se rendre à l'évidence. Il n'est sûr de rien.Emboîtant le pas de son compagnon, il a une petite moue en voyant le massacre. C'est vrai qu'il était un peu en colère... À peine. Avec un air perdu, le brun glisse les mains dans les poches. Qu'est-ce qu'il voulait faire, déjà ?Ah, oui, c'est vrai ! Il s'approche et donne un petit coup de pied dans la tempe du plus proche. Le voir paniquer m'amuse pas du tout Luth, mais il veut le stresser assez pour qu'il parle.Il retire sa jambe avant que l'espèce d'inconscient ne tente d'écraser son poing dessus, seulement pour rencontrer le mur.Le corbeau ne se considère pas comme quelqu'un de cruel. Il ne ressent pas de joie quand il écrase les doigts du petit malfrat contre le sol, telle une grosse araignée. Puis il regarde Ezekiel en faisant la moue. Il est bien plus doué avec les fantômes que les humains, en fait.