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.Une histoire d'ombres. [Libre/Event blackout]
lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



03.12.17 22:41
Déjà cinq jours depuis l'extinction totale des feux de Madison, et aucune amélioration en vue. Aucune, à l'exception de ces nombreuses initiatives encore tâtonnantes de la part des petits commerçants de ce quartier-ci de la cité, réunis dans d'anciennes halles réaménagées en quelques jours en un vaste dépotoir aux airs de vide-grenier. Plutôt que de rester chez eux à consommer inexorablement leurs réserves ou à piller les supérettes en quête de boîtes de conserve et autres denrées aux dates de péremption lointaines, ils sont plusieurs à s'être rassemblés suite à l'obscurcissement afin de proposer, autant que faire ce peut, un semblant d'ordre et de solidarité dans une ville qui vient peut-être de les perdre définitivement. Mais si l'intention est sage et les volontés solides, elles se heurtent toutes à la réalité des faits ; en l'absence d'électricité à l'heure de l'électronique-roi, on manque de tout. L'endroit n'est pas géré par des membres de Sociis, bien qu'il en revêt l'apparence. En guise de trio organisateur, on compte M. Canfailla, boucher de son État ravagé par la perte de son étal – l'œuvre de toute sa vie, jure-t-il avec son accent d'Italien du sud –, Mme Myeong, directrice de l'école voisine et présidente d'une association qui aide à l'insertion des immigrés, et M. Hawke, qui s'est retrouvé là un peu par hasard mais dont les talents de gestionnaire et le sens de la diplomatie en font un collaborateur plus qu'appréciable. Par conséquent, l'ensemble de la famille Hawke s'était joint à l'entreprise et tous, dans un climat tendu, craintif et néanmoins fraternel, mettaient main à la pâte pour préserver ce qui était sauf ou sauver ce qui pouvait encore l'être.

Enoch, lui, n'est pas aussi optimiste. Son épaule lui fait mal – malgré les trois mois écoulés depuis son accident, il ne s'est guère habitué à la sensation et s'imagine toujours quelquefois, moins souvent qu'auparavant, certes, qu'il subsiste des chairs là où il n'y a plus que de la résine, qu'il capte ses nerfs là où ils ont été sectionnés, qu'il éprouve chaud, froid, caresse et douleur là où ne persiste qu'une indifférence inorganique. Les parents de Nolan tentent de le ménager, arguant qu'il n'a pas à soulever de lourdes charges ni à se surmener, cependant il se refuse à s'asseoir comme ce vieillard rouillé sur son banc et qui ne cesse de maugréer envers cette situation qui n'ira pourtant pas en s'arrangeant. Il essaie de se rendre utile du moins qu'il peut, car s'il n'agit pas ce sera pire – non pas pour lui, mais pour ceux qui l'entourent et qui ne peuvent, en dépit de leur détermination, être à la fois au four et au moulin. Les Erasers ont livré des caisses de nourriture qu'il transvase avec l'aide d'autres adultes depuis des remorques de vélos – il sourirait presque d'apercevoir ces militaires privés de véhicules, si les circonstances n'étaient pas aussi dramatiques – jusqu'aux comptoirs où elles seront redistribuées aux citoyens en échange de tickets de rationnement. Ici, il n'y a que peu d'Evolves, et surtout pas d'illégaux ni de hors-la-loi. Sous le contrôle des autorités, le pâté de maisons offre un havre exigu que la délinquance des bas-quartiers n'atteint pas. Une parenthèse aux allures paisibles et ordonnées, qui met l'Ancien plus mal à l'aise qu'il ne le devrait.

C'est vrai : il devrait se montrer reconnaissant envers ceux qui assurent la sécurité du lieu autant que son bon fonctionnement, il devrait témoigner sa gratitude envers ces samaritains en uniforme, inquiets et conciliants à l'égard de ces pauvres habitants privés du confort moderne puisque projetés en deux heures à l'âge de pierre – d'ailleurs, on ne se moque plus de ses prétendus archaïsmes, sinon pour lui glisser de temps à autre que lui, au moins, ne doit pas être trop dépaysé. Rien de tout cela ne le fait rire. Car le scrupule et la peur le rongent quand il songe à ceux qu'il connaît et qu'il ne parvient plus à joindre en raison des communications supprimées ; lui qui a la chance d'avoir été accueilli par une famille aimante, qu'en est-il de Shane et d'Alice, de Ruben et de Richard, de Jesse ? Qu'en est-il de Lou, sa Lou qui lui manque et pour laquelle il prie en parfait athée pour qu'elle soit saine et sauve quelque part ? Toute la journée, il voit des gens qui laissent des mots pour leurs proches, quémandant des nouvelles à qui serait en mesure de leur en donner avec un désespoir qui confine parfois à l'hystérie. Tous les jours, il parle à des personnes qui ont tout perdu en un claquement de doigts – et ceux-là, il les comprend mieux que quiconque, pour s'être trouvé dans ce cas quelques semaines en amont. Il n'a rien, plus rien que cette poignée de mètres carré de solidarité, ces cageots de soupes lyophilisées qu'il entasse sur d'autres cageots de soupes lyophilisées, ces bidons d'eau potable rapportés du lac dans lesquels chacun y puise de sa tasse, ces fringues qu'il porte depuis trop longtemps maintenant tachées de poussière aux plis crasseux. Ses cheveux tombent devant ses yeux, sales, il faudrait qu'il les lave – il faudrait qu'il se lave tout court – ce soir, s'il reste assez d'eau au fond du baquet et si personne n'a mangé le savon par excès de faim.

La distribution vespérale s'est achevée, les cartons sont vides, l'endroit déserté à l'exception d'une ou deux âmes que la pénombre n'effraie pas. Dès que la noirceur pointe ses rais à travers les vitres des halles, tout le monde se disperse et retourne chez soi ou dans des lieux plus hospitaliers ; même s'il n'y a pas grand-chose à voler une fois le rationnement opéré, il ne fait pas bon de traîner le soir dans ces rues mal éclairées. Une lanterne à la main, Enoch s'empare d'un pichet qu'il va remplir dans un tonneau – ne distingue pas sa couleur et c'est tant mieux – avant de s'asseoir sur une pierre dans un coin. Les Hawke sont rentrés, respect du couvre-feu oblige pour la sécurité des petites dernières, Jean et Amber ; il a fait exprès de s'attarder pour ne pas qu'ils l'attendent, parce qu'il ne voulait pas utiliser leur eau chez eux. Elle est devenue trop rare et leur famille est déjà trop nombreuse pour ajouter un corps de plus dans la douche, d'autant qu'il sait comment ils fonctionnent à présent que les robinets sont coupés : un bain froid – le même – pour tout le monde. Tous les deux jours. À choisir entre ça et l'eau stagnante d'un bidon, il préfère encore le bidon. Et à la lueur de la bougie, ça aurait presque son charme. De toute façon, il ne supporte plus de se voir depuis qu'il a perdu un morceau : l'obscurité aura ce seul avantage d'estomper tous ses traits.
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Allen Brooks
Allen Brooks
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21.01.18 20:35
L’école avait décidé d’un congé exceptionnel, histoire de permettre aux enfants de rester auprès de leurs parents. L’un dans l’autre, ce n’était pas une mauvaise chose – ses parents avaient décidés de venir en aide à ceux en ayant le plus besoin, organisant des collectes et des distributions, lui laissant le champ totalement libre quant à ses activités diurnes. Techniquement, il n’était pas censé sortir de la maison familiale ; mais en même temps, qui irait vérifier qu’il s’y trouvait bien ? Il s’était donc glissé à l’extérieur, bien décidé à profiter de l’occasion pour étendre un peu son univers actuel. En tant qu’adulte, il aurait probablement été nécessaire de participer à l’un ou l’autre des évènements organisés par des particuliers. En tant qu’enfant… Il avait la liberté d’aller où il le désirait : dans le chaos ambiant, personne ne lui porterait une quelconque attention. Il avait bien tenté de convaincre sa petite voisine de le suivre, mais elle avait refusé, préférant rester en un endroit où elle ne risquait pas de blesser quelqu’un avec son pouvoir incontrôlable. Il n’avait pas insisté – elle risquait de s’énerver et se mettre à pleurer et ça allait encore faire des histoires. Il avait soigneusement décidé de sa destination, prenant en compte les endroits où il risquait de tomber sur des connaissances de ses parents adoptifs – ou pire, sur ses parents eux-mêmes.

Ils avaient passés quatre jours à mettre la maison en ordre, vérifier ce qui devait être consommé immédiatement et ce qui pouvait être conservé, ce genre de chose. Il avait été plutôt surpris : son nouveau père avait l’air tellement à côté de ses pompes qu’il ne s’attendait pas à ce qu’il ait un esprit aussi pratique dans ce genre de situation. C’était lui qui avait suggéré de participer à une des distributions organisées par Sociis : de ce qu’Allen en avait déduit, c’était une excellente manière de se rapprocher du cœur du mouvement afin de pouvoir l’intégrer en douceur plus tard. Ce n’était pas un mauvais mouvement : des gens qui croyaient aussi honnêtement qu’il était possible de vivre en harmonie avec les evolves seraient certainement à leur place aux côtés de quelqu’un tel qu’Anderson. Il l’avait aperçue une fois, avant son accident, pendant l’un de ses stages. Une jolie femme à l’esprit aussi droit que sa morale. Quelqu’un d’intéressant en somme. C’était pour cela qu’il avait choisi de se rendre à une distribution organisée par les erasers : il ne risquait absolument pas de croiser ses parents. Il ne voulait pas les inquiéter inutilement – c’était une pensée étrange, de les considérer désormais comme des « parents » et non plus comme des « inconnus ». A l’inverse de son véritable père – un « inconnu » désormais. Il n’avait pas envie de s’appesantir dessus. C’était dérangeant et il n’avait pas envie qu’une quelconque pensée parasite diminue son ressentiment envers lui.

La capuche rabattue sur sa tête, il marchait prudemment le long de la route, évitant de croiser le regard des quelques personnes qui circulaient à pied ; il avait rapidement compris que croiser le regard d’une personne adulte était le moyen le plus direct pour se faire repérer. Même si la plupart des gens vivaient très bien avec l’idée de ne pas admettre qu’un gosse seul se trouvait là, il y en avait toujours un prêt à jouer le bon samaritain et lui venir en aide. Il était totalement concentré sur son trajet, à tel point qu’il entendit au dernier moment le groupe de gamins chahutant et riant. Incapable de réagir à temps, l’un des plus grands lui rentra dedans, le faisant tomber dans l’une des flaques de boue qui parsemait le bas-côté. Le temps qu’il se relève ils étaient déjà loin, trottinant pour éviter toute confrontation avec le gamin renversé. Soupirant, Allen se redressa et tenta de chasser la boue de ses affaires, ne faisant que l’étaler un peu plus – c’était raté pour la partie « sortir et rentrer sans que personne ne s’en rende compte ». Se décidant finalement à reprendre son chemin, il finit par arriver à un rassemblement composé majoritairement d’adultes. Se renfonçant dans son sweat, il s’installa discrètement dans un coin, notant dans sa mémoire tout ce qui se passait ; les interactions, les disputes qui naissaient et se calmaient presque aussitôt, tempérées par un homme semblant faire partie des organisateurs.

L’après-midi passa de cette manière, le garçon restant silencieux dans son coin, la tête pleine d’interrogations – il n’avait jamais vraiment eu le loisir de se mêler aux évènements de la ville, préférant passer son temps dans le laboratoire de son père. Même dans une situation pareille, il était presque certain que son géniteur était toujours dans son laboratoire, pouvant continuer à travailler grâce à l’un des rares générateurs protégés de la ville. C’était un peu une découverte pour lui – la manière dont les gens interagissaient entre eux ; ces gens qui tentaient juste de vivre sans faire de découverte qui changerait la face du monde, ces gens qui avaient des métiers banals tels que boucher, banquier, instituteur ou vendeur. Si comment vivaient les autres était une question qui ne lui avait jamais paru d’un quelconque intérêt autrement, ce n’était plus tout à fait le cas désormais. C’était une certaine forme de curiosité – une curiosité presque scientifique, à vrai dire. Finalement, le soir fini par tomber sans même qu’il ne s’en rendre vraiment compte. L’endroit était désormais quasiment désert – la plupart des gens étaient parti, les caisses étaient vides. Il allait devoir reprendre le chemin vers chez lui et avait l’impression d’avoir finalement perdu sa journée à courir après quelque chose qu’il n’arrivait pas à saisir.

Désabusé, il commença à frotter la boue séchée sur ses vêtements, la faisant tomber tant bien que mal sur le sol – avec un peu de chance, il pourrait raconter qu’il était juste tombé dans l’herbe à l’arrière du domicile… Comme si quelqu’un allait croire ça. Il s’étira un peu, glissant ses mains dans les poches et commençant à se déplacer vers là d’où il venait, revoyant mentalement les quelques détails qu’il avait pu voir. Rien de particulièrement intéressant au final et pendant qu’il perd son temps, le soir tombe, de plus en plus vite : après tout, tous les lampadaires sont éteints et la lueur de la ville n’illumine plus le ciel comme avant. Il leva la tête, contemplant les points lumineux qui se dessinaient sur le ciel. C’était effrayant, en un sens : à ne jamais les voir, il avait presque oublié qu’elles étaient là. Effrayant et enivrant, peut-être ? Il secoua la tête, fit un pas en avant et rata le trou dans le sol, s’écroulant pour la seconde fois de la journée. Sa tête cogna assez durement et il ne lui fallut que quelques secondes pour sortir les mains de ses poches et constater qu’il saignait du nez. Pencher la tête en avant, se redresser et avancer maladroitement… Il lui semblait qu’il restait des tonneaux dans un coin ; il s’y dirigea, espérant y trouver un peu d’eau pour essuyer son visage ensanglanté.

S’approchant du coin en question, il s’immobilisa en voyant une lumière y briller – une bougie à priori. Il fit un pas, encore un autre. Craignait-il quelque chose ? Probablement pas. Il s’arrêta une fois à la lisière de la lumière, assuré d’être visible, oubliant un peu qu’il avait du sang un peu partout sur le visage, les mains et son sweat, tentant maladroitement de tenir sa manche contre son nez pour limiter les dégâts.

« Je pourrais avoir de l’eau ? S’il vous plait. »
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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30.01.18 13:26
Un instant il reste là, hagard, à fixer du regard le broc où clapotent les quelques décilitres qu'il lui faudra se verser avec parcimonie sur le sommet du crâne ; compter, à non-vue d'œil, combien il devra garder pour se rincer, sans utiliser le fond du fond qu'occupe un fin limon – toute l'opération serait à recommencer, sinon. Sa lanterne à la main, son pichet dans l'autre, la pensée lui effleure l'esprit qu'il est précisément en train de reproduire la sortie de nuit d'un serf médiéval, à ceci près qu'il ne s'apprête pas à se badigeonner les cheveux avec le contenu d'un pot de chambre, mais bel et bien avec de l'eau aussi propre qu'il tente de se l'imaginer. En vérité il préférerait la boire, parce que son gosier sec se rappelle à lui en même temps que l'effroi s'insinue le long de son échine qu'il entreprend de dénuder. Prudent. Précautionneux à l'excès. Il lui semble s'exposer plus que de coutume, en dépit de l'obscurité protectrice, et cette vulnérabilité nouvelle, exacerbée, n'est pas pour lui plaire. Cependant, ayant posé à ses pieds la bougie et le liquide, il n'a pas l'occasion de se débarrasser de son vêtement qu'un bruit retint son souffle autant que son attention : là, s'approchant de lui, tout près. Tapotis de pas légers sur le béton des rues. Et la petite voix à moitié étouffée qui se fraye un chemin jusqu'à ses tympans, à travers l'épaisseur d'une manche.
Son acuité visuelle ne se borne toutefois qu'à distinguer, dans le halo bas de la lampe, une mince silhouette qui atteint à peine son torse. Un enfant – si la tonalité de la question ne suffisait pas pour lui donner un âge. Un enfant crotté, des traces de boue plein les habits, des taches brunâtres çà et là sur ses fringues et sa figure, qu'un reflet de lanterne colore de pourpre sombre. L'espace d'une seconde, Enoch ne songe qu'à déguerpir sans poser la moindre question ; il a eu son quota de rencontres malchanceuses et la perspective d'en affronter une supplémentaire, dans ce contexte apocalyptique, ne lui sied guère. Certes, il n'écartait pas cette possibilité, car en dépit de la présence de patrouilles miliciennes aux alentours il n'a pas besoin de se mentir sur le fait qu'il est incapable d'assurer sa propre et totale sécurité. Il est seul, de nuit, de nu presque, et pour peu que ce garçon sanguinolent veuille le racketter et lui dérober son eau par la force, il n'est pas certain que l'affaire puisse se terminer en sa faveur. Le môme n'a pourtant pas le faciès d'un délinquant – outre son apparence abîmée, il a plutôt l'air d'être perdu, à moins que ce ne soit justement son aspect débraillé qui confère cette impression. Dans tous les cas, l'Ancien revient aussitôt à une attitude plus ordinaire, troquant la tentative d'une fuite immédiate contre un relent d'inquiétude somme toute prévisible, même de la part d'un fantôme trop sérieux et détaché du monde. Ses traits naguère troublés se plissent un chouïa entre ses sourcils, tandis qu'il s'accroupit devant le gamin, ses doigts agrippant la lanterne afin de la lever auprès de son visage juvénile ; l'éclat l'éblouit, mais il a le mérite de le renseigner sur l'état – rassurant, à première vue – du petit brun.
« Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Quelqu'un t'a attaqué ? »
Pareille interrogation aurait peut-être paru saugrenue dans d'autres circonstances. La sérénité du quartier, la jeunesse du mioche, la présence de garde-fous non loin s'imposaient comme des arguments contre une telle éventualité ; or, le black-out a transformé n'importe quel havre paisible en une zone de danger potentiel, aussi est-ce la première justification plausible qui saute à la gueule du fantôme. Ça, et le fait qu'il ait l'habitude d'envisager le pire avant n'importe quoi d'autre. Si l'enfant a en effet subi une agression ou de quelconques représailles, il existe des risques que ses bourreaux traînent encore dans les parages – et ça, ce n'est bon pour aucun des deux. Ce qui n'a néanmoins pas l'air d'être le cas, à en juger par la tranquillité du cadet : si l'attaque était récente, il devrait de surcroît être en pleurs. Sauf qu'à cela, Enoch n'y réfléchit qu'après coup.  

Déjà il glisse ses doigts dans sa poche de jeans à la recherche d'un mouchoir, qu'il trempe ensuite dans l'eau avant de le tendre vers le museau du garçon avec un geste lent, pas des plus confiants en raison de la proximité d'un étranger, mais dans l'affaire c'est lui l'adulte, si bien que son instinct responsable prend le pas sur ses appréhensions relationnelles.
« Tu me laisserais regarder ? » questionne-t-il, guettant la reddition enfantine qui l'autoriserait à dégager ce bras pour nettoyer ces barbouillages d'hémoglobine. La blessure a beau être anodine, et le ruisseau de sang fort mince comparé à ce qui lui a été donné de voir après qu'il fut propulsé contre les échafaudages, en humer les effluves métalliques suffit à initier une nausée qu'il réprime en se concentrant sur sa tâche. « Ce n'est qu'un saignement de nez, ce n'est pas grave. Mets ça dans ta narine – il lui présente un bout encore blanc du mouchoir –, assieds-toi et penche la tête en arrière. Il faut juste attendre que cela passe. » Joignant le mouvement à la parole, il lui désigne la pierre sur laquelle il s'était appuyé moins d'une minute auparavant. Ce n'est pas le fauteuil le plus confortable du monde – tant pis, c'est déjà beaucoup. Tout est devenu beaucoup, depuis quelque temps, se fait-il la réflexion avant d'ajouter, à l'attention du gamin :
« Ce n'est pas une heure pour traîner dehors. Où sont tes parents ? »
Si seulement il en a. Mais cette horrible songerie disparaît aussitôt de son esprit quand il se rend compte qu'il n'est pas vraiment en position d'énoncer ne serait-ce qu'une réprimande. Il n'y a pas de quoi donner l'exemple.
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Allen Brooks
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30.01.18 23:20
S’il avait été un peu plus malin, il aurait certainement songé à observer qui se tenait près de la lumière avant de faire connaître sa présence – mais il avait encore du mal à s’habituer à n’avoir à nouveau que dix ans physiquement. La situation actuelle ne lui sauta aux yeux qu’au moment où l’homme qui se tenait près du tonneau s’avança vers lui, s’agenouillant devant lui en lui adressant la parole. Ils avaient désormais presque la même taille et le plus petit n’avait pas à lever les yeux pour pouvoir voir son visage, ce dont il lui était plus ou moins reconnaissant – c’était quelque chose qui l’avait profondément troublé, au début : ne plus pouvoir regarder les gens directement les yeux. Il avait la désagréable impression d’être regardé de haut – ce qui, en un sens, n’était pas faux. Au moins, le visage de l’autre était désormais clairement distinguable : des traits fins, des yeux et des cheveux clairs et surtout, l’air un peu troublé, un peu méfiant, comme s’il s’attendait à ce qu’il lui saute au visage à tout instant. Puis le trouble disparu, les traits se froissant un peu pour adopter une mine vaguement préoccupé, comme le serait n’importe qui face à la souffrance d’un inconnu. La lumière l’éblouit un instant et il plissa les yeux, appuyant toujours sa manche contre son nez ensanglanté, sentant l’humidité du sang à travers le tissu. Pour toute réponse à la question de l’adulte, l’enfant secoua légèrement la tête, entrouvrant la bouche.

« Je suis tombé. »

Ça paraissait probablement ridicule, mais c’était vrai – après tout, il n’avait absolument aucune raison de mentir. L’allure du type ne lui inspirait pas le besoin de mentir, ce qui n’était pas une bonne idée non plus : se fier aux apparences n’était en général pas recommandé, surtout quand on était un gosse ayant affaire à un inconnu. Pourtant, il ne dit rien de plus, attendant stoïquement que l’adulte prenne une décision – à savoir l’aider, lui laisser l’accès à l’eau ou le chasser sans ménagement. Il se dandina un instant sur place, notant que son genou était légèrement douloureux. Pendant ce temps, l’adulte avait glissé sa main dans sa poche, en sortant un mouchoir en tissu qu’il trempa dans le fond d’eau, l’approchant du visage d’Allen qui se crispa un peu, pas forcément à l’aise avec l’idée que quelqu’un lui tripote le visage. Pourtant, les gestes lents et mesurés de l’autre lui firent baisser légèrement sa manche, lui laissant accès à sa bouille ensanglantée : il agissait avec prudence, comme un animal sauvage se laissant approcher, prêt à ruer dans les brancards pour s’enfuir.

Le tissu humide fut apposé contre sa peau et doucement bougé, nettoyant le sang et la boue mélangés. Le garçon se laissa faire en silence, examinant les traits de son soigneur improvisé pendant ce temps ; le teint un peu terne, les cheveux raidis par quelques jours de crasse, les yeux légèrement cernés. Tout en lui criait qu’il n’avait pas une vraie nuit de sommeil ni même une vraie douche depuis un bon moment, comme pas mal de monde ces derniers temps. Lui-même se considérait comme privilégié, étant donné que son père avait pris les choses en main comme un véritable expert : s’ils n’avaient pas de quoi se laver correctement, ils avaient au moins le minimum nécessaire pour une hygiène correcte, ils avaient de quoi sustenter la faim et leur domicile faisait partie d’un des quartiers les plus calmes, notamment grâce à une communauté soudée. Perdu dans ses pensées, il ne réalisa pas tout de suite que l’adulte avait fini d’essuyer son visage, lui tendant un coin presque propre du mouchoir tout en lui suggérant de le mettre dans sa narine, de s’asseoir et de pencher la tête en arrière. L’enfant obéit docilement, s’asseyant sur la pierre tout en corrigeant l’autre.

« Non. Il faut la pencher en avant. Sinon, le sang coule dans la gorge. »

Il fixait le sol, la tête légèrement penchée sur le côté tandis qu’il maintenant le tissu dans son nez. Il tressaillit en entendant la question de l’adulte : ses parents… Il poussa un long soupir, réalisant que la nuit était tombée et qu’ils étaient probablement rentrés de leur distribution. Ils devaient certainement avoir rameuté même les voisins pour le chercher. C’était… Il souffla : il fallait qu’il rentre, sinon ils n’en dormiraient pas de la nuit et risquaient de restreindre ses futures sorties. Pire, il ne pourrait probablement plus rester seul au domicile, ce qui risquait de compliquer sa vie future. Le gamin se releva d’un coup, chancelant un peu du mouvement trop brusque. Si la situation avait été différente, il n’aurait pas été aussi pressé de rentrer : il avait encore du mal à considérer l’endroit comme sa maison et les adultes qui y vivaient comme ses parents. Il n’arriverait probablement jamais à les voir autrement que des espèces de colocataires qui le laissait vivre gratuitement, même si c’était dénigrer la manière dont ils l’avaient traité jusque-là. Il aurait été leur réel fils qu’ils n’auraient pas agi autrement – c’était aussi ce qui rendait les choses aussi étranges.

« Ils me cherchent probablement. Je dois rentrer. »

Il fit un pas, regarda autour de lui en constatant que non seulement il n’y voyait rien, mais qu’en plus, il ne savait plus trop par où il devait rentrer. Timidement cette fois il chercha le regard de l’adulte. Lui devait savoir, après tout. Lui-même n’avait jamais eu un sens de l’orientation plus performant que ça ; sachant qu’en plus il n’avait pas vraiment fait attention à la direction qu’il avait prise pour venir par ici, il avait peu de chance de réussir à s’en sortir tout seul.

« C’est quelle direction déjà, Hudson Hill ? »

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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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06.02.18 23:49
Avant même d'obtenir la moindre réponse sur quoi que ce fût, Enoch se sentait déjà démuni face à l'enfant. Sans conteste parce qu'il n'avait pas l'habitude d'avoir affaire à cette tranche-là de la population – le groupe de Pen ne comptait pas ; ils étaient tous adolescents à l'exception de Faustine, à qui il n'avait de toute façon jamais vraiment parlé –, parce qu'il n'avait pas non plus eu la sensation de subir en temps voulu cette période si fragile, d'en traverser les affres d'innocence et les écueils insouciants, d'en connaître le tracé hésitant et cependant fondateur – comme s'il était né, avait grandi et était devenu adulte sans guère éprouver une once d'envie pour les jeux de ballon, les dessins animés, les peluches. À plusieurs reprises, on lui avait fait la réflexion qu'il ne savait pas s'amuser, qu'il était vieux avant l'âge, et on lui avait demandé s'il pourrait ne serait-ce qu'une fois se montrer immature. Puéril. Il avait été incapable de répondre autre chose que cela ne m'intéresse pas, alors on lui avait ri au nez avec un air navré. L'histoire en était restée là. Lui avait continué à mûrir, insensible à l'idée de n'avoir jamais été un de ces bourgeons bêta, égoïste, capricieux et impotent. Ce qui ne l'empêchait pas de le devenir, à certains moments et pour des raisons un tantinet stupides. Toutefois, l'explication la plus évidente à sa situation présente, c'est-à-dire au malaise qui l'avait envahi face à ce gamin sorti des ténèbres avec la bouille sanguinolente et les pupilles sèches, provenait précisément de ce que ce gosse semblait s'être arraché à quelque violence obscure et que l'Ancien, dans toute sa vulnérabilité, ignorait comment réagir, comment se préparer à l'éventualité d'une attaque, comment protéger le môme de ce qu'il ne réussissait pas même à concevoir. Qu'il fût juste « tombé » ne rassura pas autant que souhaité l'esprit d'Enoch, qui persista dans sa paranoïa silencieuse ; l'attitude du mioche, trop impassible selon ses critères d'analyse, ne lui disait rien qui vaille, mais il préférait se taire plutôt que de risquer de lui jeter la pierre qu'il aurait mieux fallu garder en cas de réelle agression. Après tout, tant mieux s'il n'avait pas à gérer un chiard pleurnicheur ou un délinquant juvénile en puissance. Le sang-froid et le pragmatisme avec lesquels le petit brun prenait son état, aussi surprenant pussent-ils être, seraient toujours moins pénibles à appréhender qu'une crise de larmes.

En dépit du contraste entre son apparence enfantine et la modération de ses propos ainsi que de son comportement, le petiot ne présentait aucune différence d'avec un quelconque autre pré-pubère ; le Disparu finit donc par songer qu'il se montait la tête d'une broutille et qu'il n'avait rien à craindre d'une telle créature, a fortiori lorsqu'elle répliqua en se redressant qu'il était temps pour elle de rentrer à cause de l'inquiétude de ses géniteurs. Ou de ce qu'Enoch considéra comme de l'inquiétude, par défaut, alors qu'il s'étonnait en sourdine du ton employé – monocorde. Il fit d'ailleurs mine de s'écarter à l'instant où le cadet esquissait un départ, mais il constata aussitôt qu'il était futile d'espérer que cela se produisît réellement ; la nuit les recouvrait, eux et le monde, de sorte qu'il aurait été inconscient, voire suicidaire, de se lancer seul sur des sentiers inconnus et dévorés de pénombre.
Hudson Hill.
Bien qu'il n'y eût jamais mis les pieds que par hasard, il connaissait ce quartier. Sur une carte de la ville, direction nord-ouest, trois quarts d'heure de marche environ pour un adulte, pas de route longiligne mais une myriade d'angles et de venelles habitées pour s'y rendre, jusqu'à atteindre les belles avenues de cette périphérie bourgeoise, à l'écart des heurts bruyants du centre-ville. Si c'était là qu'habitait le gamin, il avait de la chance. Il ne s'agissait certes pas de la banlieue la plus nantie de Madison, néanmoins les familles sages y trouvaient un calme et un voisinage parmi les plus accueillants de la Cité ; là-bas, à l'évidence, rater le ramassage scolaire ou trébucher sur le trottoir consistait l'unique menace du quotidien.
« Par là », annonça Enoch en pointant sa droite – son cerveau exposait une carte sur laquelle il lisait les indications en direct, après avoir redessiné le trajet de mémoire. « Mais tu t'es beaucoup éloigné, c'est à trois kilomètres. » Durant les premiers mois qui avaient suivi sa chute dans cette nouvelle époque, il avait pris soin d'arpenter chaque parcelle de la Ville afin d'en dresser le dallage topographique nécessaire à ses escapades ; si la Madison du futur avait conservé certaines de ses anciennes propriétés, telles que l'organisation en cercles concentriques ou des institutions culturelles centenaires, la géométrie de ses rues ne correspondait plus à ce que l'Ancien possédait à l'esprit. Il lui avait donc fallu réapprendre sa propre ville. Exercice compliqué, fastidieux, qui lui avait pourtant offert une indéniable félicité le temps de sa réalisation. Maintenant, il se sentait un peu plus appartenir à ce monde – sans ignorer qu'il ne le considérerait jamais vraiment comme le sien.

Il aurait pu s'arrêter là. Indiquer la direction, récupérer la lanterne, s'en retourner à ses occupations hygiéniques. Il aurait pu, car il ne devait absolument rien à ce gosse anonyme, et encore moins la responsabilité de le conduire auprès de ses proches, ou au minimum dans un lieu sûr. Il n'était ni un honnête milicien ni un gentil commerçant. Il était sale, fatigué, amer et triste, tout le contraire de ce que l'on aurait attendu de lui s'il avait décidé d'escorter le môme. Et par-dessus tout, les enfants lui causaient un incommensurable inconfort. Ce qui expliqua peut-être pourquoi il s'entendit déclarer :
« Je t'accompagne. Ce n'est pas prudent d'y aller seul, à cette heure ; tu n'as même pas de lampe. » Il se pencha pour ramasser la sienne, qui vivotait doucement. « Et je crois que je connais mieux le chemin que toi. » Un constat qui le dérangeait un soupçon, sans qu'il parvienne à le justifier. En revanche, il étouffa l'espoir opportuniste qui venait de germer dans son crâne dès qu'il imagina les parents, trop heureux de retrouver leur rejeton égaré, lui proposer un bain et un repas chauds en guise de remerciement. Il refusait d'agir par intérêt, par vénalité. D'autant que, s'il avait refusé de rentrer avec les Hawke pour économiser leur eau, ce n'était pas pour gâcher celle d'une autre fratrie.
Alors, était-ce par pure bonté ?
Ou par culpabilité ?
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eraser
Lexus Shepard

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Lexus Shepard
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01.03.18 23:03
Lexus n'avait pas eu le temps de souffler ces derniers jours. La situation à Madison était tendue, extrêmement tendue. Avec cette panne générale, les evolves ne pouvaient être plus localiser, laissant ainsi les plus dangereux d'entre eux se promener gaiement dans la ville. Évidemment, les Erasers avaient commencé à s'organiser. Le QG possédant un générateur indépendant, ils avaient pu se réapprovisionner en bracelets et en armes fonctionnels avant d'être déployés dans toute la ville afin d'assurer la sécurité. L'ancienne blonde avait donc passé ces cinq derniers jours à traverser la cité de long en large pour diverses missions. Arrestations d'evolves, maintiens de l'ordre, ravitaillement, le travail ne manquait pas. Elle n'avait quasiment pas dormit et la fatigue commençait à se faire ressentir. D'ailleurs, elle ne rentrait même plus au domaine familial, où se trouvait sa sœur, son père et Bahamut. Si elle devait se reposer, elle préférait le silence de son appartement.

La seule personne proche qu'elle avait vu depuis l'incident était sa mère. La jeune Eraser s'étaient rendue à l'hôpital afin de s'assurer qu'elle allait bien, une peur soudaine s'étant emparée d'elle. Sans doute devenait-elle parano mais elle préférait veiller à la sécurité de sa génitrice plutôt que l'inverse. En y repensant, elle n'avait pas croisé Cassandra ce jour là et cela faisait un moment qu'elles n'avaient pas passé des minutes en tête à tête. Leurs seules interactions de ces derniers jours se résumaient à de courtes conversations sur l'état de sa mère. Rien de plus. La jeune femme n'avait pas la tête à se détendre, bien que cela lui ferait le plus grand bien. L'accident de sa mère l'avait secoué plus que de raison, s'ajoutant aux événements  précédents. Elle n'avait pas de temps à perdre, trop de boulot sur les bras et des criminels qui étaient toujours tapis dans l'ombre.

Voilà pourquoi elle se trouvait dans un quartier tranquille de la périphérie de la ville, où les petits commerces étaient rois. Elle était chargée de surveiller les alentours pour aujourd'hui mais il ne se passait rien dans cette zone éloignée des problèmes. Elle pouvait même entendre le chant des oiseaux, qui commençait à se tarir en même temps que le soleil descendait vers l'horizon. Cette situation lui déplaisait. Bien que sa présence ici était essentielle, elle avait l'impression de servir uniquement pour le décor. Elle serait bien plus utile à l'Entre-Deux et dans le centre ville, où toute l'action se déroulait, mais non, ses supérieurs en avaient décidé autrement. Pourtant, elle était loin d'être inefficace et pour une fois, elle suivait les instructions à la lettre. Ce sentiment d'inutilité ne faisait pas bon ménage avec son état psychologique actuel.

Lâchant un soupir, elle s'arrêta pour passer ses doigts sur ses paupières fatiguées. Elle avait hâte que la panne soit réparée et que la situation revienne à la normale. Enfin, autant que cela puisse l'être à Madison. Ils n'avaient reçu aucune information concernant les raisons de cette panne, c'était le silence radio. A croire qu'ils cherchaient à étouffer quelque chose. Beaucoup accusaient Searsmont, une sorte de secte aux yeux de l'Eraser ayant visiblement pour but de faire des evolves des êtres suprêmes ou ce genre de conneries. Elle n'avait eu aucune confirmation, son avis se limitait à de simples spéculations. De son côté, elle ne préférait pas faire de conclusions hâtives mais quand bien même, cette situation l'intriguait. Ça n'annonçait rien de bon.

Mollement, elle reprit sa marche, ennuyée et fatiguée au possible. Elle ne ferait pas long feu si jamais des casseurs surgissaient de nulle part ou même des evolves dangereux. Il fallait qu'elle se ressaisisse si elle ne voulait pas être mise à pied. Et qu'elle se repose par la même occasion. Arrivera-t-elle au moins à trouver le sommeil ? Les chances étaient minces.

Quelques minutes et la nuit était déjà tombée, plus rien n'était là pour la contrer. Lexus activa la lampe torche accrochée à sa veste, au niveau de sa poitrine, pour éclairer son chemin. Dans quelques heures elle prendrait la route du retour pour se rendre à la caserne et y faire son rapport. Elle n'avait jamais autant marché en moins d'une semaine. L'absence de véhicule était un véritable problème pour l'efficacité de la milice. Elle était lente, affreusement lente mais ce qui était rassurant c'était que tout le monde l'était. Les différents camps étaient sur un pied d'égalité, plus ou moins.

A moitié dans un état de somnolence, elle remarqua une faible lueur après avoir emprunté un tournant, un peu plus loin dans cette nouvelle ruelle. Rien ne laissait imaginer un quelconque danger mais elle préféra rester prudente et sortie son arme de service, qu'elle saisit à deux mains, prête à la pointer sur de potentiels fauteurs de trouble. Elle avança doucement, s'assurant de faire du bruit pour que l'on remarque sa présence mais pas trop afin d'éviter un sentiment de panique. Elle commençait à distinguer deux formes bien humaines. Peut-être qu'ils étaient perdus ?

« - Bonsoir ? lança-t-elle sans lâcher son arme. Vous avez besoin d'aide ? »

Et elle continuait d'avancer jusqu'à ce qu'elle puisse identifier à qui elle avait affaire. Ses iris se portèrent d'abord sur sur le petit garçon, notamment à cause de son saignement de nez qui ne semblait pas être trop grave. Vu son état, il était simplement tombé et il n'avait aucune blessure visible. Et à côté de lui se tenait un garçon plus âgé, adulte, que Lexus reconnu immédiatement. En même temps, très peu de personne ressemblait à Enoch, sa chevelure presque blanche était assez caractéristique, et elle ne pouvait se tromper en connaissant l'aboutissement de leur rencontre. Elle aurait pu trouver ce tableau étrange. Un gamin le nez en sang et un adulte au visage fatigué penché sur lui, l'être humain ayant ce réflexe de voir le mal un peu partout, mais pour le coup, cela ne l'inquiéta pas. Elle était plutôt étonnée de revoir Enoch, qu'elle ne pensait jamais recroiser. Elle n'avait pas pu retrouver Shane et n'avait pas non plus réussit à obtenir de solides informations sur son ami. Le souvenir de leur journée passée à trois remonta rapidement, rien pour améliorer son humeur.

Des questions lui brûlaient les lèvres mais ce n'était sans doute pas le lieu ni le moment idéal pour parler de ça.

« - Salut Enoch, contente de te voir en un seul morceau. »

Ça manquait de tact, très clairement, mais c'était tout bêtement ce qu'elle pensait. Elle était heureuse de le voir sain et sauf.

« - Il est tard, vous ne devriez pas traîner dehors à cette heure enchaîna-t-elle rapidement et son regard se posa de nouveau sur le petit garçon. »

Elle avait l'impression de réprimander deux enfants mais elle avait raison : il n'était pas sage de se promener dehors une fois la nuit tombée, en particulier depuis les récents évènements. Encore plus pour un enfant. Il avait quoi, dans les dix ans ? Même si Enoch était avec lui, ça ne garantissait en rien leur sécurité à tous les deux.

« - Je vais vous raccompagner. »

Elle ne pouvait décemment pas les laisser vagabonder dans l'obscurité.
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evolve
Allen Brooks
Allen Brooks
evolve



08.03.18 22:23
Il ne ressentait qu’un vague sentiment de gêne à l’idée d’être perdu ; après tout, il avait grandi dans un appartement du centre-ville. Les maisons bien ordonnées et leurs jardins tondus au millimètre prêt étaient un concept tout à fait nouveau pour lui – et pas tellement séduisant, s’il devait l’avouer. Ils étaient éloignés de tout : la bibliothèque se trouvait presque à l’autre du monde à ses yeux, le trajet pour aller à l’école était une torture et il supportait de moins en moins les jardins et leurs arroseurs automatiques. Le seul avantage dans l’histoire, c’était que ses parents adoptifs aimaient lire – au moins, il avait accès à pas mal d’ouvrages pour sustenter son irrépressible besoin d’apprendre. Au début, ils avaient tenté de le faire sortir jouer avec les autres enfants du quartier, mais l’indifférence qu’il avait clairement affichée à leur encontre avait rapidement refroidi les ardeurs des mioches. La seule pour laquelle il avait affiché un quelconque intérêt avait résolument décidé de ne plus lui parler, surtout depuis qu’il lui avait émis l’hypothèse qu’elle pourrait apprendre à maîtriser son pouvoir…

Il misait actuellement sur le fait que l’homme savait précisément là où il était et là où il allait ; avec de la chance, il pourrait lui fournir des indications assez précises pour qu’il puisse se repérer. Resterait ensuite à savoir comment s’y rendre ; il n’était pas forcément des plus prudents de se balader seul dans un quartier inconnu, surtout maintenant que la nuit était tombée. La lune avait beau diffuser une lueur rendant plus ou moins visibles les environs, il suffisait qu’elle soit couverte pour que la seule source de lumière actuelle ne disparaisse. En toute honnêteté, il ne s’attendait pas à ce que l’homme lui annonce qu’il allait l’accompagner : sa compagnie semblait ne pas lui plaire plus que ça et il avait l’air d’avoir envie de se retrouver n’importe où plutôt qu’ici. L’enfant haussa les épaules, retirant le mouchoir de son nez pour vérifier que le saignement s’était bien arrêté.

Ils avaient commencé à avancer, marchant dans un silence absolu ; l’enfant ne voyait pas vraiment l’intérêt d’essayer d’engager la conversation avec l’adulte et se contentait donc de le suivre vu qu’il avait l’air de savoir où il allait. Le suivre aveuglément n’était probablement pas une bonne idée : il entendait presque son père adoptif lui réciter le chapitre concernant le « n’accepte pas de bonbons d’un inconnu et ne le suit pas s’il te le propose ». Après tout, dans l’état actuel des choses, ce n’était pas comme s’il avait le choix : c’était soit suivre un inconnu en espérant que celui-ci le ramène chez lui, soit tenter de rentrer seul et finir avec certitude absolument n’importe où sauf l’endroit où il voulait aller.

Il se frotta les yeux avec sa manche, retenant difficilement un bâillement – ça faisait quelques années qu’il était dans ce corps, mais il ne parvenait toujours pas à se faire à son rythme biologique. Dissociés, son esprit restait celui d’un adulte ayant besoin de relativement peu de sommeil tandis que son corps réclamait inlassablement son dû, coupant court à toute tentative d’allongement de son couvre-feu. Pas étonnant donc que la fatigue ne commence à se faire sentir. De fait, il n’était plus tellement sur ses gardes, suivant sans trop réfléchir l’homme aux cheveux clairs jusqu’à ce qu’ils se fassent interrompre. Il n’avait pas vu la jeune femme qui se dressait désormais devant eux ; plutôt grande, ses cheveux prenaient des éclats d’un rose soutenu à la lumière faiblarde qui les guidait. Le brun la dévisagea en silence, prenant note de son accoutrement et de son équipement ; probablement une eraser, ou tout du moins quelqu’un travaillant pour les services de police de la ville.

Il n’aimait pas trop les croiser – après tout, il avait croisé certains d’entre eux plusieurs années auparavant et s’il était peu probable qu’ils se souviennent de lui au vu du peu d’interaction qu’il existait entre les laboratoires et les erasers, c’était une situation qu’il préférait éviter. Il se rapprocha donc légèrement de l’homme – Enoch – s’il avait bien compris, comme s’il cherchait à se dissimuler derrière lui – ou s’en servir comme d’un bouclier provisoire. Le gamin ne dit rien, préférant chercher le regard de l’homme adulte pour examiner sa réaction. La logique aurait voulu qu’il se dirige vers la femme, dépositaire évidente de la sécurité publique, mais il n’avait pas les moyens de savoir dans quelle mesure il pouvait se fier à cette femme qui venait de décider de les raccompagner. La réaction de l’homme lui apprendrait probablement tout ce dont il aurait besoin de savoir. Ou tout du moins, s’il pouvait la suivre sans trop de conséquences.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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20.04.18 22:17
La perspective de passer la prochaine heure en compagnie de ce petiot à l'évidence doté de la capacité émotionnelle d'une huître n'était pas pour réjouir Enoch – encore qu'il aurait pu tomber sur un bavard, un chieur de la prime espèce, le genre à poser des questions stupides sur tout et sur rien, à lui tirer la manche en permanence et à critiquer la moindre de ses paroles ou actions. Dans son malheur, si ce n'est dans sa bêtise de proposer son aide alors qu'il ne l'aurait en temps normal guère accordée, il avait eu de la chance. D'autant qu'ils n'étaient plus vraiment dans ce que l'on pouvait appeler des temps normaux, à n'importe quelle échelle ; du moins pour lui plus que pour les autres, décalage temporel oblige. Ces nombreuses réticences n'empêchèrent cependant pas le Disparu d'enclencher la marche, le gamin sur les talons, et de lui jeter à intervalles réguliers des coups d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer qu'il le suivait bien. La lanterne levée en proue, ils cheminèrent ainsi quelques instants avant que le plus âgé du duo ne discerne, à l'orée de son ouïe, des bruits qu'il eut tôt fait de considérer comme suspects. Certes, tout, absolument tout était suspect. Ils auraient croisé un chat, un oiseau, un papier sale qu'il avait marqué un arrêt comme s'il s'agissait d'un danger potentiel. Or, ni chat, ni oiseau, ni papier sale ne provoquait d'ordinaire ce type de sons caractéristiques de la marche humaine ; sa méfiance grimpa aussitôt d'un cran, bien qu'il n'en affichât rien ni ne parût ne serait-ce que s'immobiliser.
Ce n'est qu'à la voix qu'il pila net. Certain de l'avoir déjà entendue dans un passé pas si lointain. Un timbre aux accents déterminés quoique doux, robuste sans être austère, un ton militaire, féminin. Et lorsqu'il redressa la tête en direction de l'apparition, il accusa un infime recul en apercevant l'éclat d'une arme pointée vers eux. Les avait-elle reconnus ? Ou préférerait-elle tirer avant et réfléchir ensuite ? Non, ce irresponsabilité n'était dans ses méthodes, quand bien même les circonstances actuelles avaient pu modifier bien des comportements – et pas toujours dans le bon sens. Sur son visage mal éclairé, Enoch fut bientôt capable de lire le mélange de surprise, de soulagement et d'une sorte d'embarras qui glissa. Et de se reprendre aux salutations qu'elle lui adressa, sans réussir à les lui retourner. Derrière sa rétine avaient érupté les images de leur première rencontre, précipitées avec douleur par cette allusion qui se voulait peut-être amicale – le voir en un seul morceau –, mais qui le ramena plusieurs semaines en arrière, à l'époque où il émergeait à peine de son trop long sommeil. Parce que non, il n'était pas en un seul morceau. Il lui en manquait un, justement, un qui continuait de le faire souffrir, un à cause duquel il avait perdu toit et emploi, un qui se rappelait à lui chaque seconde et qu'il était désormais condamné à ne pouvoir oublier toutes les fois où il ôterait ses vêtements, un artificiel, un inorganique, un mort. Grâce auquel il était cependant toujours en vie.

Pétrifié par ce film en pointillés de ses souvenirs, l'Ancien laissa filer les habituels échanges de politesse, la mine soudain amère, prompt à lâcher une pique sur le fait qu'il était assez grand pour s'occuper de lui tout seul et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rappelle que les environs étaient potentiellement dangereux. Ou qu'il constituait une cible facile, bien qu'inintéressante à souhait. Sauf qu'à l'instant où cette remarque affleura à son esprit, il sentit le mioche se rapprocher de lui, l'air de chercher à se protéger – de qui, de quoi ? –, aussi se remémora-t-il qu'il n'était tout à coup plus la victime qu'on pût considérer comme la plus idéale du moment. Mais qu'il aurait été des plus incorrect de balancer le môme sous le giron de l'Eraser et de partir s'en laver les mains ailleurs. Quand bien même il l'aurait désiré. Il avait offert sa présence ; ce n'était pas pour la reprendre dès qu'un individu aux meilleures qualifications pointait le bout de son nez. Après tout, ce gamin était sans doute le seul depuis des semaines à lui avoir fait sentir qu'il pouvait encore être utile à quelque chose, à quelqu'un, qu'il représentait encore aux yeux de certains non pas un boulet mais un soutien, un allié, à peine un repère et pourtant – c'était déjà plus qu'il n'espérait de la part d'un être humain.
« Ne t'en fais pas, lâcha-t-il alors à l'adresse de son cadet, tout en désignant d'un signe de tête la jeune femme, elle est de la milice. » Il ignorait si cette information possédait le moindre potentiel de réconfort, ou si au contraire elle n'allait pas affoler davantage l'enfant, ni si le terme était très approprié. Lui avait pris l'habitude de l'utiliser à son époque, puisque ce qu'on appelait « Eraser » n'était qu'un corps militaire indéfini aux accents de mercenariat plus que de gendarmerie, et c'était resté. S'il se trompait, songeait-il, elle le corrigerait. Ces gens-là devaient être à cheval sur le protocole.

« Le couvre-feu est passé, oui. Mais il s'est perdu : Hudson Hill, c'est là qu'il habite. Ses parents doivent se faire un sang d'encre, sans pouvoir le joindre... »
Essayait-il d'attirer la pitié de la milicienne sur ce petit bout d'homme au col taché de sang ou bien de justifier sa propre présence dehors à cette heure indue, évitant d'une manière ou d'une autre une remontrance dont il se serait bien passé ? Il ne sut lui-même dans quel camp se situait son intention, sinon que tout ce qui pouvait le faire oublier au regard du monde entier lui était profitable ; il avait un peu honte d'être vu ainsi, dans un état si déplorable, surtout par quelqu'un qui l'avait connu encore entier et sauf. Et il se devinait incapable de supporter la compassion de quiconque, tant il se sentait minable. Néanmoins, tout confiant dans les capacités de Lex à se charger de les accompagner jusqu'à bon port, Enoch se garda bien de s'approcher d'elle. L'obscurité mise à mal par la lumière de la lanterne lui assurait certes une relative invisibilité, c'est surtout qu'inconsciemment, le malaise l'étreignait – elle avait été là lors de l'incident, mais elle n'avait rien pu empêcher. Oh, il ne lui en voulait pas de cela, et son impuissance ne tenait guère à sa volonté, loin de là – il était même certain qu'elle aurait tout fait pour le sauver si elle en avait été capable –, sauf que voilà, elle n'en avait pas été capable, et cette démonstration de ses limites rappelait au Disparu qu'il ne devait pas se fier à elle. Non qu'il se méfia : il reconnaissait juste le champ de ses capacités et leurs frontières. Trop lui demander, à commencer par les protéger en toutes circonstances, ne lui voudrait qu'une désillusion à la hauteur de ses expectatives. Et il ne souhaitait pas rajouter à son moral aujourd'hui souterrain ce genre de déception.
« Tu patrouillais dans les environs ? Pourquoi es-tu seule ? » Bonne question, laquelle titillait sa curiosité – et peut-être son agacement. Faites ce que je dis, pas ce que je fais, typiquement. « Est-ce que tu sais si la situation va bientôt s'améliorer ? » Une note d'espoir dans cet océan de ténèbres. Il n'y croyait pas vraiment, de toute façon, et une triste vérité lui serait toujours préférable à un mensonge édulcoré ; cependant il comptait sur elle pour tenir compte de la présence d'un enfant à leurs côtés, et donc jouer la carte de l'optimisme. Car il n'en avait même plus assez pour lui-même.
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evolve
Allen Brooks
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30.05.18 21:38
Il n’y avait qu’un imperceptible frémissement dans l‘attitude de l’adulte ; une méfiance qui semblait plus naturelle que provoquée, le genre de méfiance qu’on ressent face à l’inconnu qui ne l’est pas vraiment. L’enfant se détendit, sa tête s’abaissant mollement tandis qu’il observait la jeune femme aux cheveux roses, écoutant d’une oreille distraite la discussion qui s’ensuivit. L’homme – Enoch – ne semblait pas vouloir se délester de son paquetage humain au profit de la première inconnue, forçant le respect de l’adulte qui mourrait à petit feu à l’intérieur – dans une autre vie, lui-même l’aurait fait. D’ailleurs, il était même probablement qu’il n’aurait même pas commencé la corvée de ramener le gamin chez lui. Il aurait certainement trouvé quelqu’un d’autre pour le faire, espérant juste retrouver la sécurité et le silence de son laboratoire.

Outre le fait qu’il ne compte pas l’abandonner en compagnie d’une inconnue – quoi que lui-même ne soit pas autre chose qu’un inconnu – il n’avait pas pu s’empêcher de noter ce terme incongru : « milice ». Personne ou presque ne nommait les erasers de cette manière ; le terme eraser était tombé dans le domaine du public, devenant d’un ordinaire qui aurait fait pâlir une poubelle. Il rangea l’information dans un coin de sa tête, gardant difficilement son attention sur la conversation qui se déroulait à moins de deux mètres de lui ; la fatigue et l’agacement se mêlaient vaguement, le rendant incapable de se focaliser correctement. C’était dans ce genre de cas qu’il prenait pleinement conscience de l’âge de ce corps qu’il ne connaissait pas vraiment, prenant de plein fouet toutes les limites physiques et humaines qu’on lui imposait – c’était éreintant, c’était ennuyant. Vraiment, il n’avait qu’une envie – rejoindre au plus tôt le domicile de ses parents adoptifs, écouter d’une oreille distraite le sermon auquel il aurait droit et se coucher pour passer à la journée suivante.

Ils avaient recommencé à avancer, l’enfant laissant les deux « adultes » dans leur conversation, ne parvenant définitivement plus à y faire attention – il avait vaguement pris conscience qu’ils se connaissaient – d’ailleurs, l’expression qui s’était affiché sur le visage de l’homme quand il l’avait reconnu l’avait intrigué. Un mélange de soulagement et d’angoisse, quelque chose de plus profond, aussi, comme un mal être et un dégoût – de soi ? d’elle ? – qu’on avait tenté de faire disparaître à la hâte. C’était intriguant. Il aurait aimé se pencher sur ce cas – sur ces gens, bien différent de ceux qu’il avait pu croiser jusqu’ici. Cette nouvelle vie d’enfant était pleine de choses abstraites qu’il ne parvenait pas à saisir totalement – après tout, il avait rarement eu autant de monde autour de lui. C’était autant de sujet de curiosité qui n’attendaient que ça : qu’il se penche dessus pour comprendre comment… Comment tout fonctionnait. Oui, c’était ça – comment les autres fonctionnaient, en définitive. Un sujet d’étude sur lequel il n’avait pas eu le temps – ni l’envie – de se pencher dans une autre vie.

Ses pensées dérivaient lentement tandis qu’ils avançaient, l’enfant de plus en plus à la traîne – il avait l’impression que ses jambes pesaient des tonnes et pourtant, dès qu’il prenait appui sur l’une d’entre elle, elle devenait aussi fragile que du coton. Son attention étaient entièrement focaliser sur le fait d’avancer, mettre un pied devant l’autre, qu’importait la direction. Ce qui explique très certainement pourquoi il ne se rendit pas compte qu’il dérivait de son chemin, mordant tout d’abord légèrement sur l’herbe qui poussait le long de la route, puis marchant franchement dedans. Et après l’herbe, eh bien… Venait le fossé. Il y plongea quasiment tête baissée, faisant un roulé boulé en couinant presque quand le ciel devint sol et inversement. Puis le monde se stabilisa et il se retrouva allongé au sol, les yeux paresseusement fixés sur le ciel et un mal de chien à l’arrière du crâne.

… C’était définitivement une mauvaise journée. Ou. Une mauvaise nuit ? Il ricana presque, vaincu par la fatigue.
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eraser
Lexus Shepard

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Lexus Shepard
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01.07.18 15:58

Une histoire d'ombres


avec Allen & Enoch

Lexus observa Enoch se baisser pour rassurer le gamin, qui ne semblait pas voir sa présence comme un élément positif. Évidemment, elle s'en retrouvait vexée, mais ce n'était pas le seul à réagir de cette façon. Bon nombre de personnes ne plaçaient plus sa confiance dans les Erasers et bon nombre de rumeurs circulaient sur eux. Rien pour faire briller leur image. Alors voilà, elle commençait à prendre l'habitude, bien que cela ne l'empêchait nullement d'être rebutée par ce genre de réaction, au point de vouloir en faire toute une histoire, mais ce n'était qu'un enfant après tout. Son avis n'était pas encore forgé. Elle reporta son attention sur le second, tout en notant mentalement son utilisation du terme « milice », oublié depuis quelques années. A présent, très peu de personnes utilisaient encore cette désignation pour pointer la force armée de Madison, mais elle n'allait pas le relever. Elle aussi utilisait ce terme, de temps en temps. Jamais devant ses supérieurs par contre, ils étaient assez pointilleux là-dessus.

Hudson Hill ? A pied cela faisait tout de même une trotte pour un enfant de son âge. Même pour un adulte en fait. Comment avait-il pu s'éloigner autant de chez lui ? Pour se perdre, il fallait déjà avoir fait un bon bout de chemin, à moins qu'il ne connaisse absolument pas les alentours de sa demeure. Ce qui serait un comble pour un gamin mais tout était possible. Quoi qu'il en soit, elle préféra se méfier de son regard innocent et de son histoire.  Elle savait pertinemment de quoi était capable de les gosses de Madison. Ainsi, elle se contenta de hocher la tête aux dires du fantôme, et reprit la marche en leur compagnie. D'un pas lent, selon elle, afin que le plus jeune puisse suivre la cadence.

C'était étrange de retrouver Enoch après tout ce qui s'était passé, au point d'installer un certain malaise entre eux. Ou alors elle se faisait des idées, mais de son côté, la tension était belle et bien présente. Elle ne savait pas trop à quoi cela pouvait être dû. Sans doute ses remords liés à son incapacité à retrouver Shane ou même à n'avoir pas pu les protéger le jour de l'incident. Elle n'aurait jamais pu, n'aurait pas non plus pu l'anticiper, pourtant ça ne l'empêchait pas de se dire qu'elle aurait pu faire quelque chose. Elle espérait toujours pouvoir agir.

Le silence s'installa alors que les trois continuaient au milieu des rues sombres et accueillantes, aux allures de film d'horreur. Heureusement, la torche de l'Eraser ainsi que la lampe leur prodiguait assez de lumière pour voir correctement devant eux. Enoch finit par briser le silence, s’interrogeant sur sa présence ici et sur l'avancée de la situation. Lexus aurait bien voulu lui faire part d'informations, de vraies informations, mais elle n'était pas plus avancée que lui. Ceux en haut de l'échelle se réservaient bien de les mettre au courant de ce qui se passait au sien de la métropole, ayant sans aucun doute des choses à cacher. Après, ils demandaient au peuple de leur faire confiance, quelle blague. Donc, comme tout le monde, elle ne pouvait que spéculer.

« - On m'a assigné à ce secteur, et j'ai demandé à patrouiller seule avoua-t-elle. »

Parce qu'elle ne se sentait pas de supporter un coéquipier mais ça, elle se réserva bien de lui dire. Lorsqu'elle était de mauvaise humeur, comme maintenant, lui coller un coéquipier ne pouvait qu'envenimer les choses. Gentil ou non, là n'était pas le problème. Le problème était le fait qu'elle aurait été obligée de faire semblant, cacher sa fatigue et surtout, de devoir faire la conversation. Les Erasers étaient très bavards en ce moment, ne cessaient de parler de la situation actuelle, alors que l'ancienne blonde voulait juste faire son boulot sans que personne ne vienne lui casser les pieds avec trente mille questions. C'était un peu ce que faisait Enoch en ce moment même mais, après ce qu'ils avaient vécu, elle ne pouvait pas s'énerver contre lui, seulement sur elle-même.

« - Concernant les événements récents, on n'en sait pas plus que vous continua-t-elle. Nos supérieurs nous remballent à chaque question alors plus personne n'en posent. On essaye de limiter la casse et tout ce que je peux vous dire c'est que c'est loin d'être gagné. »

A quoi bon tenter de les rassurer en leur racontant des bobards ? La voilà, la réalité : ils étaient dans la merde. Son regard glissa vers le plus petit, qui marchait à leurs côtés. Sans doute aurait-elle mieux fait de se taire, ou alors d'enjoliver la situation, histoire de préserver son âme d'enfant, mais sincèrement, elle-même ni croyait plus, en l'optimisme. Quelques semaines auparavant, ça lui aurait parut fou de penser d'un telle façon, et pourtant, c'était bien ce qui arrivait. A croire qu'elle avait radicalement changé.

Le calme retomba, seulement entrecoupé par leurs bruits de pas. La jeune femme se concentra sur leur trajet, tentant d'être aussi alerte que possible. Ce quartier était réputé pour être tranquille mais à présent, les criminels pouvaient se terrer n'importe où. Et à côté de ça, elle devait se battre pour garder ses paupières ouvertes. Ça lui apprendra à se surmener.

Sa marche sa stoppa net lorsqu'elle entendit un bruit derrière elle, comme si quelque chose, ou quelqu'un, venait de tomber, suivit d'un couinement. Elle se retourna immédiatement et remarqua que le gamin avait disparu. Un peu plus loin, il y avait de l'herbe accompagné par ce qui semblait être un creux. Elle combla rapidement les quelques mètres qui l'en séparaient et se pencha en avant pour voir le garçon au fond du fossé, allongé sur le dos et visiblement las de cette soirée. Heureusement, le trou n'était pas bien profond, pas de quoi le coincé là-dedans en tout cas, mais suffisant pour rendre sa chute douloureuse. En d'autres circonstances, elle se serait montrée conciliante mais là, avec son état qui se dégradait d'heure en heure, elle n'en avait pas la place. Ainsi, elle poussa un profond soupir ennuyé avant de prendre la parole.

« - Tu pourrais regarder où tu marches lâcha-t-elle. Son ton était cassant et dévoilait parfaitement son agacement. »

Elle savait que réagir de cette façon n'arrangerait en rien la situation, sauf que c'était plus fort qu'elle. Elle s'approcha tout de même de lui afin de l'aider à se relever, quoiqu'un peu brutalement.

« - Si tu es fatigué, je peux te porter sur mon dos. »

Si cela pouvait éviter de les faire s'arrêter une nouvelle fois parce qu'il se sera pris les pieds dans elle-ne-sait-trop-quoi, elle était prête à le faire. Et puis il ne semblait pas bien lourd. Après ce qu'elle venait de lui dire, elle se doutait qu'il accepterait, mais des excuses ne lui venaient même pas à l'esprit.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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06.07.18 14:19
Au fond de lui, Enoch ne s’attendait pas à ce que Lexus lui fournît les réponses qu’il escomptait, ni même qu’elle fût sincère envers lui. Il avait l’habitude qu’on lui dissimulât les choses, qu’on lui empêchât d’accéder à la vérité – soit qu’elle fût inacceptable selon des valeurs toutes subjectives, soit qu’elle fût prétendument, voire véritablement, trop dangereuse pour lui – et qu’elle qu’en fût la raison il accueillait toujours cette réalité avec une frustration de petit garçon à qui l’on refuse de parler comme à une grande personne. Parfois, on lui taisait ce qu’il voulait entendre, ou ne voulait pas entendre, parce qu’il existait un risque réel à l’encontre de sa santé, physique ou mentale peu importe. Et il comprenait parce qu’il se savait faible, fragile ; il se savait médiocre et misérable, tantôt chewing-gum collé à la semelle d’un soldat, tantôt fouilleur de merde dans les bas-quartiers. Mais être le dispensait-il de prétendre être ? Le fantôme se prépara donc à ce que, une nouvelle fois, on le prit pour un gamin de dix ans dans le corps d’un adulte de vingt-trois – sans guère se douter que l’enfant à ses côtés représentait malgré lui l’inverse de cet état –, aussi fut-il étonné d’entendre la sécheresse dans la voix de Lexus, sécheresse toute honnête et qu’il encaissa avec un soulagement presque bizarre. Qu’elle lui parle mal, il ne lui en tiendrait pas rigueur dès lors que c’était là le signe de son intégrité. Qu’elle ne le prenne ni pour un idiot ni pour un attardé, il ne saurait que s’en montrer reconnaissant. Et ce, même si la vérité était telle : un bon gros chaos des familles, le bronx, la chienlit dans les rues pour une durée indéterminée, CDI de désordre avec taxes locales de fumier avec tacite reconduction des embrouilles. Le nœud qu’il avait à l’estomac était déjà si serré qu’il ne se sentit pas gagner en tension.

Par chance, l’Eraser n’était pas de ces supérieurs qui s’imaginent que pour préserver l’ordre, il faut virer le désordre sous le tapis. En soi, la stratégie n’est pas mauvaise, pas davantage que son intention : si seule l’harmonie est visible, c’est que la disharmonie ne doit pas exister. Néanmoins, cette technique n’est valable que pour les incurieux, les stupides gobeurs d’encarts publicitaires et les naïfs ; pour les râleurs, les militants, les insatisfaits – et si Enoch n’appartenait pas aux deux premières catégories, il avait souscrit un abonnement ad aeternam à la troisième – ce n’était qu’un écran de fumée, un cache-misère bouffé par les mites. Cependant, le garçon ne put que hausser les épaules en écoutant ces informations qui ne l’avançait pas le moins du monde. Tout du moins était-il un peu moins amer à l’idée qu’il ne fût pas le seul dérouté, surtout venant d’une personne dont le métier était directement rattaché à la situation.

Sous le faisceau de la lampe torche que soutenait avec difficulté la lanterne qu’il tendait devant lui, laquelle se révélait peu utile en comparaison de sa jumelle technologique, la rue était quasiment aussi glauque que si elle était restée plongée dans une totale obscurité. C’était comme si, attirée par le triste halo de lumière, la moindre trace de vie se transformait soudain en un prédateur potentiel ; la moindre phalène donnait l’impression de vouloir vous sauter au visage à la manière d’un vampire miniature, la moindre chauve-souris dont le vol irrégulier traversait la périphérie du faisceau prenait l’allure d’un bombardement silencieux, le moindre papier gras trimballé par un souffle d’air se métamorphosait en dernier avertissement avant mise à exécution d’une tuerie de masse. Sur le qui-vive, et cependant trop amorphe pour être capable de réagir en cas d’attaque, Enoch maintenait le cap, à peine en retrait par rapport à la milicienne, mais il ne constata l’absence du môme qu’à l’instant où, réprimant un sursaut, il entendit un bruit de heurt mou quelque part autour de lui, accompagné d’une plainte aiguë et aussi terrifiante que chou. Son sang glacé se cristallisa un quart de seconde, puis il emboîta le pas à Lexus qui, elle, s’était précipitée. Découvrir le petiot sans trop d’égratignures au fond d’un fossé, avec sur son visage éclairé de biais l’expression d’une fatigue certaine, rassura aussitôt l’Ancien, toutefois il se crispa brusquement face aux commentaires de l’Eraser comme s’il en fût lui-même le destinataire. Question de ton ou de mots ? Peu importe : c’était aussi froid et dénué de bienveillance qu’une assiette de brocolis servie à la cantine du collège. Sans réfléchir, le Disparu s’entendit trancher net en retour :
« Il est juste tombé. Ce n’est pas en lui parlant ainsi qu’il fera plus attention. » Et sa voix était tellement rêche, tellement hargneuse dans sa ponctuation qu’il s’en trouva démuni, incapable de ravaler les reproches qui venaient buter derrière ses dents jusqu’à s’accumuler dans ses poings serrés. Et il s’en voulait sans être en mesure de réprimer le fiel qui s’écoulait goutte à goutte sur sa langue.

« Pas étonnant que vous ne puissiez pas sauver ceux qui sont en danger, si c’est comme cela que vous réagissez. Il s’est peut-être fait mal, et vous, vous le blâmez ? » Les phrases s’échappaient de sa gorge, rauques, courroucées, alors qu’il ne les contrôlait pas ; c’était comme si un autre que lui avait pris possession de son langage et, profitant de ce qu’il n’était plus en état de maîtriser sa propre censure, dégobillait cru tout ce qui pourrissait à l’intérieur de lui, tout ce qu’il avait tu jusqu’ici, la parole de ses nerfs enfin relâchée, claquante, et qui le fouettait durement tout autant qu’elle flagellait les autres. « Restez seule puisque c’est ce que vous avez demandé », ajouta-t-il en s’approchant à son tour du garçonnet, lui prêtant ses bras pour le redresser en douceur, « on se débrouillera nous-mêmes si on ne peut pas compter sur vous. » Une pause, avant de la regarder dans les yeux – et tant pis si les ténèbres leur masquaient la vue : « Vous n’êtes décidément pas faite pour protéger quiconque. »

Il se serait giflé face à une telle méchanceté. La sensation de sa prothèse en train de lui scier l’épaule lui arracha une grimace, bien qu’il ne sût si c’était là une douleur concrète et véridique, l’effet de sa propre violence verbale retourné contre lui ou seulement une illusion physique et psychique. Il l’ignorait. L’unique chose tangible, hormis la peau du mioche sous ses mains et la pelouse sur laquelle il s’était accroupi pour y poser la lanterne, c’était ce poids incommensurable sur le cœur, à lui filer des envies de vomir, et qu’il venait de jeter au visage de Lexus sans aucune parcimonie ni concession.
La réflexion ne lui apparut qu’ensuite, une fois ses mâchoires de nouveau scellées, qu’il avait peut-être, inconsciemment, joué le jeu du Diable : l’objectif n’était pas de couper la lumière de la ville, mais celle, la plus précieuse d’entre toutes, qui logeait dans la poitrine de chaque étranger. La petite étincelle de compassion, la flammèche d’amour. Le minuscule éclat d’espoir. Et à la seconde même où Enoch vit s’éteindre dans un souffle de vent le soleil miniature derrière le verre de la lanterne, il sentit sa trachée s’étrangler dans un sanglot. Peur et rage emmêlées dans son gosier en un nœud râpeux. Il aurait eu un flingue à portée qu’il en aurait sur-le-champ collé le canon contre son palais avant de presser la détente. À défaut, son thorax pourtant intact en accusa l’atroce déflagration.
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Allen Brooks
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08.07.18 21:59
C’était incroyablement frustrant, d’être coincé dans ce corps – ce corps d’enfant qui connaissait des hauts et des bas exténuants, le faisant parfois déborder d’énergie et d’autres fois s’effondrer. C’était visiblement un jour à effondrement aujourd’hui, et en contemplant les étoiles qui brillaient au-dessus de sa tête, il ne pouvait s’empêcher de se demander s’il parviendrait à retrouver son corps d’adulte sans passer par la case croissante naturelle. Il ne savait même pas les dégâts que ses organes avaient pu subir dans tout ça – même s’il avait quelque doute à ce sujet. Pour le moment, ses « parents » estimaient probablement qu’il était beaucoup trop jeune pour pouvoir aborder ce sujet sereinement avec lui. C’était un autre problème, pour un autre temps – en l’état, il ne pouvait rien faire à ce sujet. Son problème actuel, c’était réussir à sortir de ce fossé. Techniquement, il ne pouvait pas tomber plus bas – mais il était toujours possible de retomber au même endroit. Il aimerait éviter l’expérience, si possible.

Il s’apprêtait à faire l’effort monstrueux de se relever quand l’eraser poussa un soupir las, lui lâchant d’un ton cassant et presque amer de faire attention où il marchait. C’était trop pour lui – la fatigue, son impuissance, son agacement. Trop d’émotions en quelques instants, qui se matérialisèrent de la seule manière possible chez un gamin de cet âge ; deux grosses larmes qui coulèrent le long de ses joues, qu’il essuya rageusement. Il avait envie de lui répondre, de répliquer, mais la boule dans sa gorge grossissait et il en était incapable, et sa frustration de réagir comme un enfant n’arrangeait absolument rien. Son salut vient de la part de l’étranger – s’il avait cru que celui-ci serait plus que satisfait d’être débarrassé de lui, il lui prouva le contraire, prenant sa défense face à la femme. Il en profita pour s’asseoir sur le sol, levant les yeux pour apercevoir dans la pénombre une silhouette se pencher vers lui et lui tendre les bras, prononçant les mots qui lui brûlaient les lèvres.

C’était presque un soulagement, que l’homme parle à sa place. Avec automatisme, l’enfant leva les bras vers la silhouette, les sentant s’enrouler autour de lui et l’aider à remonter sur le bord de la tranchée. Il était concentré sur un point bien précis – ne pas retomber – quand l’homme tressaillit entre ses bras d’enfants. Machinalement, presque en un réflexe, l’enfant resserra son étreinte, probablement plus pour être certain qu’on ne le lâche. Il posa une main maladroite à l’arrière du crâne de l’adulte, se maintenant contre lui, vaguement conscient du trouble qui agitait son compagnon d’infortune. Il avait oublié, en un sens – oublié que les adultes aussi avaient le droit d’être affectés par les évènements, et que tous n’avaient pas forcément la chance d’avoir des gens pour prendre soin d’eux et s’assurer qu’ils aient un repas trois fois par jour ou un endroit pour se reposer. Ce qui était comme une évidence pour lui ne l’était pas forcément pour les autres – la situation était désastreuse et dangereuse.

Il recula un peu, attrapa la manche de l’homme, et se redressa péniblement, faisant face à l’eraser avec calme, ses yeux bleus la dévisageant d’une manière presque posée tandis que les mots lui échappaient, presque tranchant, ton incongru dans la bouche d’un gamin de cet âge. « Je peux marcher tout seul, merci ». Il tira un peu sur la manche qu’il tenait, incitant l’homme à se lever pour reprendre le chemin qu’ils avaient entamé. Il l’appréciait de plus en plus – non seulement il utilisait des termes intéressants, mais en plus, il avait pris sa défense face la femme. Bon, il aurait honnêtement préféré être capable de lui rabattre son caquet seul, mais c’était toujours mieux que rien dans ce genre de cas. Il ne voulait pas s’attarder plus que nécessaire par ici – après tout, plus il tardait, plus ses parents… Allaient… Allaient quoi ? S’inquiéter ? Pourtant, il n’était pas exactement leur enfant. Sur le papier, il l’était, mais… Ils seraient en colère. Après tout, il était sorti de la maison alors qu’il n’en avait techniquement le droit. Il poussa un soupir et tourna la tête vers l’homme « Merci », souffla-t-il, avant de regarder à nouveau la femme « J’aimerai rentrer chez moi. On peut repartir ? »

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eraser
Lexus Shepard

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24.07.18 18:52

Une histoire d'ombres


avec Allen & Enoch

Et voilà que le gamin se mettait à pleurer. Plutôt que de se redresser grâce à sa poigne pas très tendre, il resta là, interdit, les yeux rivés sur le ciel sombre et la mine déconfite. Lexus n'avait jamais fait pleurer un gamin jusqu'à aujourd'hui, sauf ceux qui le méritaient au temps où elle était encore sur les bancs de l'école. Une boule de regret lui noua immédiatement l'estomac alors qu'elle restait les bras ballants et le regard sévère devant l'enfant. Néanmoins, cela ne dura pas, puisqu'Enoch se précipita pour intervenir, aussi bien verbalement que physiquement. Son ton aussi se voulait cassant, froid, et une telle intonation de sa part était totalement étrangère à l'Eraser. Et il continua. Il lui déversa toute sa hargne, et tout ce que pouvait faire l'ancienne blonde était de ne pas détacher son regard de sa silhouette frêle.

Le pire était qu'il touchait juste. Il aurait pu lui dire n'importe quoi, comme « Ne t'en prend pas à lui » ou alors « Déverse ta mauvaise humeur sur quelqu'un d'autre », de quoi la remettre en place tout en limitant les dégâts, mais là, il visait parfaitement bien. Il attaquait ses craintes, ses doutes, ses rêves. Il s'en prenait directement à ce qu'elle craignait le plus. Il écrasait sans la moindre once de gêne ou même de remords tout ce pour quoi elle s’était battue ces dernières années. Il crachait sur ses rêves sans retenu. C’était la goutte de trop. Elle se démenait chaque jours, et encore plus depuis cette foutue panne générale, pour que les citoyens ne craignent rien. Elle n’hésitait pas à se mettre en danger pour les protéger et voilà comment elle était remerciée ! Par un type avec qui elle avait seulement passé une après-midi et qui, d’un seul coup, pensait tout connaître sur elle. Oh, bien sûr, il avait deviné ce qui la rongeait, mais peu importe. Il dépassait les bornes et elle en avait assez d’être gentille.

Le pire c’était qu’il se mettait à chouiner, comme le môme. C’était plutôt à elle de pleurer mais non, elle se contentait de l’observer, les poings et la mâchoire serrés, se retenant pour elle-ne-savait qu’elle raison de lui dire d’aller se faire foutre. Oui, elle en avait juste assez. Et qu’est-ce qu’il était lui, à lui parler sur ce ton ? Ce n’était pas lui qui se cassait la tête à longueur de journée pour résoudre tous les problèmes de cette ville à la con. Ce n’était pas lui qui ne trouvait plus le sommeil parce qu’il avait trois milliards de choses qui lui trottaient dans la tête. Ce n’était pas lui qui avait le poids de vies sur ses épaules. Et surtout, ce n’était pas lui qui avait sa mère à l’hôpital, parce qu’il n’avait pas été assez vigilant et qu'il s’en voulait en même temps que de haïr et de vouloir à tout prix retrouver ceux qui avaient osé faire ça. Il ne pouvait rien comprendre et pourtant il l’accusait de tous les maux. En cet instant, elle le détestait et rêvait de lui assener un coup de poing bien mérité, sauf que sa mine déconfite et ses reniflements l’en empêchèrent. Il n’avait aucun droit de lui parler comme ça et pourtant, elle ne pouvait pas répliquer. Peut-être bien qu’il avait raison, dans le fond, et que, trop abattue, elle n’avait pas la force de se défendre. A vrai dire, elle n’en avait aucune idée. Elle était triste et en colère à la fois. Fatiguée de surcroît. C’est alors qu’elle prit la parole d’une voix fébrile, trahissant toutes ses émotions.

« - Très bien, je ne sers à rien. Je vais vous laisser alors, démerdez-vous pour rentrer sain et sauf. Ces derniers mots étaient crachés avec toute la froideur, la haine et le dégoût dont elle pouvait faire preuve. »

Sans perdre de temps, Lexus se détourna et parti à l’opposé de la direction qu’ils avaient prit précédemment. Pour une fois, elle ne se préoccupait nullement des conséquences, elle n'en pouvait plus.

« - Ne venez pas pleurer quand il vous arrivera des emmerdes ajouta-t-elle, sans se retourner et assez fort pour qu’ils puissent l’entendre, comme pour donner tort à tout ce qu’Enoch venait de dire. »

Si cela venait aux oreilles de ses supérieurs, elle se ferait sans aucun doute renvoyée, et elle s’en fichait royalement.

« - Qu’ils aillent tous se faire foutre ! lâcha-t-elle au détour d'une rue, une fois hors de vue des deux qu'elle abandonnait lâchement derrière, en cognant son poing contre le premier mur venu. »
Awful
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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26.08.18 16:01
Face à tant de violence jaillie de ses propres poumons, Enoch appréhendait légèrement la réaction de Lexus. Il l'avait connue amicale, soucieuse, spontanée et parfois prompte à s'agacer, devinait qu'elle pouvait aussi se montrer rude et efficace de par son métier ; un coup de crosse est si vite arrivé pour faire taire un délinquant récalcitrant. En soi, il ne s'était pas comporté à l'instar d'un criminel en puissance, et cela seul était capable de garantir son intégrité physique – encore que, au regard des mentalités exacerbées de chacun durant cette période d'obscurité, il ne fût pas sûr qu'une insulte ne devînt pas un motif suffisant pour passer quelqu'un à tabac. Il avait prononcé ces paroles exprès. Non parce que la mesquinerie était sa nature, par chance, mais parce qu'il n'avait eu que ce biais-là à disposition pour exprimer ses sentiments, et qu'il n'ignorait pas que cela ferait mal. C'était au fond l'unique arme dont il pouvait se vanter, sauf qu'il n'en tirait nulle fierté en cet instant ; il avait frappé de toutes ses forces et il s'en sentait coupable. Libéré, quoique navré.
La pression que le gamin exerça sur sa manche pour l'inciter à repartir fut cependant sans effet sur sa conscience. Il se produisait en ce moment une forme muette de bataille, une sorte de préparation au déchaînement des hostilités à laquelle l'enfant n'était pas convié, à l'inverse plutôt écarté par les deux adultes dont les regards foudroyants, noirs, trahissaient une évidente tension. Qu'ils n'eussent pas souhaité l'inclure dans leur conflit revenait sans doute à le protéger de ce qui ne le concernait pas. À la vérité, Enoch l'avait juste oublié. Toutes ses pensées dirigées vers l'Eraser, il était occupé à chercher les mots pour moduler ses précédents aveux, pour annoncer sa repentance, quand elle le prit de vitesse d'un ton catégorique, d'un ton arctique. Et ce ne fut pas le dérisoire éclat de la lanterne qui aurait pu faire obstacle à la froideur dont elle fit preuve. Il fallut un effort au Disparu pour qu'il ne courbât pas aussitôt l'échine, par honte, par malaise. Était-il le seul à entendre une menace dans ces phrases ? On eut dit qu'elle leur souhaitait lesdites emmerdes, et de s'y noyer la tête la première. Pareille agressivité le secoua d'un long tremblement. Il l'avait bien cherché, après tout, alors si elle s'en prenait à lui, c'était en effet parce qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Un constat qui le désola autant qu'il le contraria, et qui lui fit brutalement ravaler le nœud qui coulissait à l'intérieur de sa gorge.

L'Ancien ne bougea pas d'un iota pour la retenir au fur et à mesure qu'elle s'éloignait. Ce n'était pas son genre de courir après les gens, surtout ceux qu'il avait blessés à dessein, car il était trop lâche pour s'excuser et trop buté pour reconnaître ses torts. Les ténèbres aidant, la silhouette de Lexus se dissipa bien avant qu'elle fût hors de leur portée, et sitôt que la nuit l'engloutit, Enoch trouva enfin la volonté de se tourner vers le mioche qui lui tenait toujours la manche. Il ne sut guère décrypter l'expression que son cadet portait sur le visage – il n'en avait pas particulièrement envie non plus.
« Ouais, on peut repartir », lâcha-t-il sans animosité.
Il ne savait pas trop quoi dire d'autre, ou de plus. Mais ce fut par réflexe qu'il coula sa paume dans sa congénère réduite de moitié, comme si cette façon de s'accrocher leur offrirait davantage de résilience. Puis ils reprirent leur route en direction d'Hudson Hill.

La scène précédente repassait en boucle dans son crâne sans qu'il fût en mesure de mettre sur pause ou d'éjecter la cassette. Parler l'aurait peut-être aidé à faire le point, à mettre les choses à plat, néanmoins il se voyait mal taper la discussion avec un enfant de dix ans et lui demander son avis. S'être dévoilé sous une nuit aussi méprisable n'était déjà pas un bon point et il craignait quelque part – en se surprenant lui-même sur le sujet – que le petiot pût lui balancer une réflexion là-dessus. N'ayant ni le numéro ni l'adresse de Lexus, quand de surcroît la ville était en état d'urgence, les manières de se faire pardonner étaient loin de lui traverser l'esprit. D'abord ramener le môme. Ensuite réfléchir. Ou les deux en même temps, certes. À condition que ce cliquetis à l'orée de son tympan cessa... Le garçon s'interrompit soudain. Agita la lanterne de gauche à droite, fit volte-face.
« Tu entends ? »
Un son métallique et régulier, tel un trousseau de clefs que l'on secoue au rythme de pas lents. Une boucle de ceinture qu'un brut déhanché fait tinter. Et qui disparut dans le silence. Enoch tendit l'oreille, mais il n'y avait plus rien. Il avança un soupçon – le bruit revint. Lexus aurait dû faire prophète, songea-t-il tandis qu'il se retenait d'affoler son petit compagnon en lui communiquant ses pensées. À cette heure de couvre-feu, personne dans les rues sinon eux. Alors pourquoi ce son qui semblaient les suivre ? Un chien errant, peut-être ? Il l'espérait presque – il détestait moins les animaux que les humains.

Il ne fallut pas longtemps avant que le cliquetis ne se juxtaposa à une voix, et cette voix d'éructer un : « Hé, z'aurez pas l'heure ?! » aux relents avinés. La question relevait de la plus grande stupidité vu les circonstances énergétiques, puisque même une antique montre à quartz n'aurait plus fonctionné à l'heure actuelle, sans mauvais jeu de mots. L'aîné se garda toutefois d'en faire la remarque et, serrant plus fort la main du cadet, entreprit d'accélérer ses foulées. Le bruit les imita, confirmant sur-le-champ la théorie selon laquelle ils étaient suivis – et à moins que Lexus fût douée de ventriloquie, il ne s'agissait pas d'elle. Ce type d'approche sentait l'embrouille à plein nez, autant que l'alcool de mauvaise qualité.
« Hé, j'vous cause !! »
Pas moi, répliqua tacitement Enoch sans s'immobiliser malgré le cafard d'effroi qui se mit brusquement à jouer des claquettes sur sa nuque. Pourtant, une seule chose le rassurait encore dans cette situation pas du tout rassurante : ce n'était pas le timbre de Jesse. Ce qui signifiait qu'il existait un pourcentage réel de chance de s'en sentir vivant.
« Tu peux courir ? » interrogea finalement le Disparu dans un murmure à l'adresse de l'enfant. Il appréhendait un soupçon la réponse, mais il préférait autant ne pas tirer sur ses réserves déjà épuisées d'énergie. Quant à le laisser derrière lui et s'enfuir, eh bien, si l'idée fit son bout de chemin, elle fut très vite écrasée par un marteau de morale. « Z'avez pas d'respect, ouais, j'suis dans la galère, moi, j'suis pas un putain d'clebs ! » Voilà précisément pourquoi l'Ancien appréciait davantage les animaux, même les chiens. Cependant, il n'eut pas le temps de souffler qu'il comprit que, même s'il avait envie de prendre ses jambes à son cou, ce n'était plus possible : toute la partie basse de son anatomie était figée, pétrifiée sur place par une force extérieure. Une force surnaturelle. À peine eut-il de quoi penser merde que l'autre derrière émit un bref rire, pas du tout saoul, carrément sérieux pour le coup. Et si Enoch avait eu à la seconde assez de dérision pour ne pas flipper de la tête aux pieds, il se serait dit qu'il faisait un magnifique pigeon.
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Allen Brooks
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23.09.18 16:37
Quelqu’un n’étant pas écrasé par la fatigue aurait pu indiquer aux deux protagonistes masculins que c’était probablement une très mauvaise idée de se séparer de la seule personne capable de se défendre – voire de les défendre. Mais… Les choses étaient ainsi, après tout – la femme aux cheveux rosés disparu dans la nuit après avoir vidé son sac, les laissant seuls dans l’obscurité. Le garçonnet eut un pincement au cœur tandis que les ténèbres se refermaient sur eux, comme si l’atmosphère s’était brusquement épaissie maintenant que la femme n’était plus là pour les repousser. Comme un mauvais pressentiment qui tentait de se frayer un chemin jusqu’à lui, un instinct qui tentait de l’alerter – mais il était têtu, bien trop pour son propre bien. Alors il ne dit rien, sa main serra légèrement celle de l’adulte à ses côtés, le suivant dans l’obscurité qui n’attendait que de les avaler.

S’il avait été plus adulte, moins embrouillé dans des émotions enfantines, probablement aurait-il tenté de retenir la femme. Probablement aurait-il jugé la réaction de l’homme comme démesurée, voire stupide. Mais c’était tellement dur quand l’enfant et l’adulte ne faisaient qu’un… Ses doigts minuscules dans la paume de l’adulte, l’obligation de lever la tête pour le regarder – c’était déjà trop pour lui. Alors il garda le silence, se contentant d’avancer à ses côtés comme un enfant sage. La volte-face soudaine de l’homme – Enoch, s’il se souvenait correctement – le prit par surprise, le faisant vaciller tandis qu’il s’accrochait plus fermement à lui pour ne pas tomber une nouvelle fois. Non, il n’avait rien entendu – mais au contraire de l’homme, lui n’écoutait pas ce qu’il se passait autour de lui, victime de la fatigue.

Alors quand une voix les harangua, il se figea, son corps se crispant imperceptiblement. Il n’aimait pas cette voix – rêche et aux intonations noyées. Une voix qu’on ne voulait pas croiser tard un soir. L’adulte recommença à bouger, s’éloignant de la source du bruit, tirant sans sourciller le gamin qui se mit presque à trottiner à ses côtés, jetant des coups d’œil derrière eux – mélange de curiosité et d’un soupçon de crainte. Puis Enoch lui murmura doucement, lui demandant s’il était capable de courir. Sans répondre, le garçonnet hocha brièvement la tête, accélérant un peu son trottinement malgré la fatigue et la douleur qu’il sentait à travers ses muscles. Et la situation s’inversa – Enoch devenant le poids mort de leur drôle d’équipé.

Mais ils n’avaient pas de chance de lui échapper, pour une simple et bonne raison : la lanterne d’Enoch qui perçait la nuit comme un phare, attirant les créatures qui rôdaient à l’affût d’une proie facile à se mettre sous les crocs. L’enfant fit alors la seule lui venant à l’esprit, arrachant la lanterne de la main de l’adulte et l’éteignant, la laissant tomber au sol. Il tira brutalement sur la main de l’adulte, tentant de le ramener à la réalité, ouvrant la bouche tandis que sa voix claire résonnait à travers la nuit, presque cristalline dans le silence ambiant – tentative de diversion, appel à l’aide ou en quête d’un miracle, le résultat fut le même.

« Rex, ATTAQUE ! »

Il entendit les pas s’immobiliser derrière eux, probablement en attente d’une attaque qui jamais ne viendrait. L’enfant en profita, trainant l’adulte derrière eux, plissant les yeux pour tenter de voir à travers la nuit, se dirigeant au hasard en évitant soigneusement de retomber dans le fossé, tentant juste de mettre le plus de distance possible entre le danger et eux.
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Enoch Livingston

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23.04.20 22:53
Spoiler:

Cela ne dura qu'une fulgurance, juste de quoi emballer son myocarde, et cent-vingt battements plus tard la sensation s'était enfuie avec le cri poussé par le gamin, comme si cet ordre feint avait brisé dans le même temps l'immobilité qui enserrait ses jambes. L'élan brutalement recouvré faillit le faire culbuter en avant, tiré qu'il était par ce petit corps aussi fatigué que le sien, cependant l'Ancien put compter sur la réactivité de ses rotules pour s'éviter une énième monumentale honte. Bientôt, la longueur de ses foulées aidant, il dépassait même le mioche au point que ce fût à son tour de l'entraîner – où ? personne n'en savait rien, eux non plus – et ils ne s'arrêtèrent de courir qu'après la troisième rue franchie. Loin, le plus loin possible de ce gars aux intentions plus que douteuses, qui dut juger qu'un sprint à vingt-trois heures aux trousses de deux erres à l'allure débraillée n'en valait pas la peine. Ni ça, ni le chien invisible qu'on avait appelé en renfort, et dont il ne comprit l'inexistence que trop tard. S'il n'avait pas eu les poumons oppressés de crainte et d'efforts, Enoch en aurait peut-être ri : Rex. Il demeurait des clichés au cuir plus dur qu'un parpaing. C'en aurait été presque drôle, si la situation n'avait pas été aussi tragique.
Une fois qu'ils furent autorisés à ralentir leur course, une fois l'environnement proche redevenu plus sûr – à défaut d'être idéal –, le Fantôme avisa les environs pour définir leur localisation. Et il se rendit très vite compte de leur infortune, la perte de leur lanterne n'étant pas pour améliorer la situation : ils s'étaient sauvés autant qu'ils s'étaient perdus. Comment tomber de Charybde en Scylla, dans de beaux draps, même si au moins ils avaient évité de finir entre les mains d'un coupe-jarret des bas quartiers. Mais pour combien de temps encore ? En tournant le museau à droite ou à gauche, dans les ténèbres, le Petit Poucet était incapable de retrouver son chemin. Il aurait aimé compter sur les étoiles pour capter le Nord, et ainsi remonter le point cardinal jusqu'à obtenir la bonne direction pour Hudson Hill, sauf que les toits des bâtiments alentour entravaient de trop sa vision.

Ne pas s'affoler.

Enfin, lui n'avait guère à s'inquiéter ; il avait pris l'habitude de traîner dehors depuis le black-out, et même avant, aussi la perspective d'être perdu en soi ne constituait pas une peine importante. Il pourrait toujours se glisser sous un porche et y attendre le matin, ou se faufiler derrière les grilles d'un parc pour passer la nuit dans un kiosque. Mais il n'était pas seul dans la barque : le petit noiraud qui lui tenait la main ne ferait pas long feu dans l'obscurité. Ni l'un ni l'autre ne possédait à ce moment la force – physique ou mentale – de marcher des heures durant. Ni l'un ni l'autre ne s'improviserait noctambule. Leur précédente course avait par ailleurs consumé leurs réserves, et s'il avait pu se laisser choir au sol sans grâce aucune, et sans passer pour un phoque dépourvu d'une quelconque dignité, Enoch l'aurait fait. À la place, il usa des restes tièdes de son bon-sens, rassembla les miettes de rationalité que l'épuisement n'avait pas balayées, et lâcha le plus sobrement du monde :
« C'était bien joué, le coup du chien. Maintenant, je ne sais pas où nous sommes. »
Il n'y avait pas une once d'ironie ni de blâme dans son timbre, et sans doute guère de corrélation entre ces deux phrases. Un constat net, brut. Or, puisque tous les riverains avaient docilement respecté le couvre-feu, que les seuls énergumènes encore debout à cette heure indue représentaient potentiellement une menace et que, à en juger par la respiration de son compère juvénile, il leur restait environ deux minutes pour trouver un banc où poser leurs fesses avant de décéder sur place, la liste des solutions s'était étrécie jusqu'à ce qu'il ne subsiste qu'une unique solution :
« Si cela te convient, on va trouver un coin où se poser jusqu'à ce qu'il fasse de nouveau jour. À marcher sans itinéraire, on risque juste de tourner en rond. Ou de recroiser l'autre gus. »

En matière de réconfort, le Disparu n'était pas du genre brillant. Il ne prétendait pas l'être non plus, incapable de s'adapter à l'esprit de tout être en dessous de quinze ans ; c'était un effort trop difficile pour lui, qui ne parvenait pas à régresser d'autant d'années. Il s'adressait donc à l'enfant comme s'il avait eu un adulte pour locuteur, loin de l'infantilisation qu'on aurait pu attendre d'une figure d'autorité expliquant la vie à un pré-pubère. Si cela gênait l'intéressé, il n'aurait qu'à le faire savoir.
Par chance, ils n'eurent pas à vagabonder longtemps avant de découvrir, entre deux allées marchandes, une sorte de renfoncement qui eut par le passé servi de garage ou de quai de déchargement pour l'épicerie mitoyenne. Nulle barrière close n'en bloquait l'accès, nulle présence menaçante n'en interdisait l'occupation ; les alarmes et caméras de surveillance rendues inutiles ne trahiraient pas leur squat, même si par réflexe Enoch se mit à chuchoter dès lors qu'il s'y faufila afin de s'assurer que l'endroit offrait un minimum de confort. D'accord ils étaient à la rue, d'accord ils n'avaient pas de quoi se dépanner d'une chambre d'hôtel, mais ils pouvaient espérer mieux qu'un coin d'asphalte pour tout sommier. L'espace d'une pulsation, il songea néanmoins qu'il ferait peut-être mieux de frapper à la porte des voisins pour les supplier d'offrir le gîte au môme, mais il ne sut définir d'où lui vint sa réticence à agir ainsi. Il devrait demander au concerné ce qu'il souhaitait, après tout.
« Tiens, installe-toi là » indiqua-t-il en tapant à l'aveugle sur ce qu'il identifia comme étant une banquette (un canapé à destination de la décharge ? des fauteuils de voiture ?). « Je vais regarder s'il n'y a pas une couverture dans le coin... » Regarder consistant plutôt, dans le cas présent, à tapoter les parois bras tendus devant lui, peu rassuré à la pensée qu'il pourrait tout à fait décrocher une hache ou un pendu, jusqu'à effleurer une masse de textile – ouf, pas un pendu –, plutôt un manteau, une cape, n'importe quoi qui sentait légèrement le cambouis et la poussière, et que l'usager légitime avait dû suspendre là en attendant de lui trouver une utilité.
Le lendemain, ils apprendraient peut-être qu'il s'agissait d'une peau de bête. Dans l'immédiat, c'était assez large pour couvrir les trois-quarts d'un corps d'enfant et préserver sa chaleur.
« Ce n'est pas la panacée, mais c'est mieux que rien. » Ça ou son propre sweat. Auquel cas ce serait lui, le premier à mourir d'hypothermie.
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Allen Brooks
Allen Brooks
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26.04.20 21:00
Honnêtement… ce n’était pas comme s’il s’attendait vraiment à ce que sa pitoyable tentative d’intimidation digne d’un film du centenaire précédent marche. C’était stupide, mais il en avait marre, il était fatigué et il n’avait qu’une seule envie : rentrer chez ses parents adoptifs, se terrer dans sa chambre et se calfeutrer sous sa couette. Ça avait été une mauvaise idée. Il avait voulu se prouver qu’il était toujours aussi indépendant, sauf qu’il avait oublié pas mal de variables au bout du compte ; que son corps n’était plus le même, qu’il était désormais un amas de cellules prêtes à perdre le nord à tout moment et que le monde lui-même ne tournait plus rond – en témoignait les étoiles brillant dans le ciel nocturne, terrifiantes à leur façon quand on avait l’habitude de voir le ciel se parer de lumières scintillantes dues aux panneaux lumineux.

Bref.

Pendant que lui faisait son numéro – jamais il n’assumerait, d’ailleurs – l’adulte avait réagit de manière plus… Réactive. Le gamin se retrouva traîné dans le sillage du type, et il en avait presque envie de pleurer – après tout, lui qui était déjà éreinté se retrouvait forcé de suivre les foulées trop longues d’Enoch. Il se mit plus ou moins en pilote automatique : ses jambes bougeaient méthodiquement, sa main était agrippée à celle de l’adulte, sa respiration était laborieuse et il avait envie de vomir. Finalement, l’homme ralenti, lâcha des mots qui ne firent pas sens pour l’enfant qui était trop occupé à tâcher de retrouver sa respiration – si tant est qu’il ne mourrait pas avant, et soyons honnête, il avait vraiment l’impression d’être en train de rendre l’âme.

L’adulte ajouta autre chose, que le cerveau du gamin interpréta de manière crue en un « on va dormir dehors et on cherchera demain », et la seule chose qui faisait sens pour lui était qu’il allait probablement être privé d’un truc ou deux quand il remettra les pieds chez ses parents adoptifs. Il avait beau tenter de ne pas s’attacher à eux, c’était plutôt difficile quand ceux-ci le traitaient comme s’il était la chose la plus précieuse dans leur domicile. Ils allaient probablement le tuer.

Le rythme de leur course effrénée s’étant sensiblement ralentie, le gamin marchait désormais aux côtés de l’adulte, ayant l’impression que chacune de ses jambes pesait au minimum une tonne et que le simple mouvement lui demandait d’aller toujours plus loin dans ses réserves d’énergies – ceux qui parlaient de l’énergie faramineuse des gosses de dix ans n’avait visiblement jamais croisé l’un d’entre eux à minuit passé après avoir vagabondé une journée entière. Il ne lui semblait pas s’être déjà retrouvé aussi fatigué dans sa précédente enfance – en même temps, difficilement de se fatiguer quand on passait son temps dans une bibliothèque… Voyons le bon côté des choses : au moins, il avait une seconde chance pour se bâtir un physique moins… Fragile.

Ils finirent par arriver… Quelque part. L’adulte lui indiqua un endroit où s’installer et il obéit sans rechigner, grimpant maladroitement sur ce qui semblait être une banquette – il s’évertuait à ne pas penser à ce qui pouvait se trouver sur le tissu de la banquette, fermant les yeux et retenant une plainte quand ses doigts effleurèrent une tâche collante. Il s’escrima à prendre le moins de place possible dessus, se recroquevillant pour être certain de toucher le moins le tissu douteux. Puis il commença à greloter – après toute cette activité, le calme soudain lui fit remarquer à quel point il pouvait faire froid la nuit. Jusqu’à présent il avait été épargné, profitant du confort d’une maison qui pouvait se permettre de lui fournir deux couettes, voire plus si besoin était. Puis quelque chose lui tomba dessus – l’odeur lui fit plisser le nez, mais le tissu était assez épais, c’était déjà ça. Le gosse ne répondit rien, tendant plutôt la main pour attraper ce qu’il pouvait d’Enoch – une manche, un coin de pull, qu’importe – dans le but avoué de le tirer sur la banquette avec lui. Le plan ? Le faire s’asseoir et s’installer sur lui. Comme ça, ils seraient deux à profiter du tissu ? Que nenni, l’idée, c’était plutôt de ne pas être en contact avec le tissu douteux, mais ça, il n’allait pas le lui avouer.

« Faut se serrer sinon on va avoir froid… »

Il marmotta, la tête dodelinant déjà maintenant qu’il avait le tissu puant sur lui. Il n’avait plus qu’à se pelotonner sur l’adulte et ça serait bon – il mettait peut-être sa vie entre les mains d’un inconnu, mais il n’avait pas d’autre choix. En fait, si, il en avait d’autres – mais il n’avait clairement pas la capacité mentale pour y réfléchir. Il voulait juste…

Dormir.

Le matin viendrait vite. Les regards curieux des gens aussi, ceux passant devant le dépôt, ceux qui se questionneront devant cette étrange silhouette sur cette vieille banquette, ce qui semblait être un tas de chiffes surmonté de deux chevelures, l’une claire et l’autre sombre.

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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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28.04.20 23:53
Enfant unique, Enoch n'avait jamais goûté aux affres de la fraternité, pas davantage qu'à ses félicités. Il se jugeait d'ailleurs incapable d'en désirer les mille nuances, tant l'effrayait ce qui s'apparentait à une mission à durée indéterminée, un fardeau plus qu'une vocation, dont il n'aurait sur remplir les exigences dans un sens comme dans l'autre ; grand frère – un jour ou l'autre il aurait lâché malencontreusement son cadet dans les escaliers – ou petit frère – on l'aurait perdu à dessein dans les allées du supermarché. Jamais sans doute n'aurait-il pu convenir à cette fonction si redoutée, qu'il s'agît de rendre les puînés fiers de lui ou de faire la joie de sa fratrie. À coup sûr, il aurait été le vilain petit canard, la cinquième roue du carrosse, l'étranger dans sa propre portée, et il imaginait sans peine ce qu'on aurait pu dire – ou médire – de lui. Mon frère ? On ne se parle pas. Il est tout le temps malade et il ne pense qu'à lire. Ou bien quelque chose de pire, dans le ton de de qui tu parles ? et l'affaire aurait été réglée. Voilà. Il aurait été la risée et la honte. Et s'il ne l'avait pas été, il aurait fini par s'en croire l'instar, parce qu'ainsi fonctionnait son esprit.
Telles étaient les justifications expliquant qu'à cet instant, empêtré de la sorte dans les ennuis jusqu'au cou en compagnie d'un gamin, il avait les plus grandes difficultés à comprendre d'où provenait le sentiment d'empathie qu'il ressentait à l'égard de ce dernier. N'importe quel autre élève de primaire ne l'aurait pas conduit à déployer pareil souci, à s'inquiéter véritablement de sa situation. Une forte-tête l'aurait sans conteste trop agacé pour qu'il daignât lui adresser la parole plus d'une minute ; une capricieuse l'aurait fait rouler ses yeux jusqu'à regarder l'intérieur de son crâne, avant qu'il ne la largue devant un poste de police – même fermé. Mais le petit brun ne nourrissait en lui qu'une étrange et douloureuse affection, encore que ce terme lui parût décousu, incorrect au vu de ce qu'il essayait de définir. Est-ce parce qu'il lui avait pris la main d'une manière si spontanée, si naturelle que le Fantôme ne voyait plus qu'une évidence là où il n'y en existait pas ? Est-ce parce que, depuis les réminiscences égarées dans un recoin de sa mémoire, le petiot lui rappelait l'enfant qu'il avait été, solitaire et fragile ? Ou y avait-il à l'œuvre l'étincelle du désespoir, celle qui fait grossir les cœurs au-delà de leurs frontières, ce dérisoire éclat de détresse qui résonne plus fort dès qu'il croise l'un de ses semblables et amène à voir plus loin que ses propres limites sentimentales ? Enoch se posa la question avec le plus grand sérieux aussitôt qu'il sentit cette légère tension sur son vêtement.
Dans l'obscurité, il se serait cru à l'intérieur d'un terrier, marmotte recroquevillée dans son pelage blanc, tandis qu'une petite souris frigorifiée venait lui piquer les côtes de l'extrémité de son museau, afin qu'il lui fît de la place contre son flanc. Cela le dérangeait. Il avait toujours eu l'habitude de se rouler sur lui-même, de conserver sa chaleur pour son usage personnel, et le contact des autres animaux mettait ses nerfs à vif et son confort à l'agonie. Pourtant. La froideur nocturne – à moins que ce ne fût ce timbre aigu surgit des ombres devant lui – eut raison de son égocentrisme. On ne lui demandait pas d'être à l'aise, mais de protéger un môme de l'hypothermie. On n'exigeait pas de lui le sacrifice de sa vie ni même d'en répondre devant l'Éternel, mais simplement de l'aide, un morceau de compassion en guise de couverture, et quelques heures d'un sommeil trop peu réparateur pour en porter l'appellation.
Sitôt qu'il eut refermé ses bras autour de la boulette brune, l'Ancien sombra.

Peut-être roula-t-il un soupçon au cours de la nuit. Peut-être faillit-il tomber de la banquette tandis qu'il combattait une horde d'aliens dévoreurs de savon et de feux follets dompteurs de chiens, quelque part entre une rivière de boue et un hôpital en ruines. Il oublia ses visions dès que sa conscience reprit le gouvernail. Ne demeura de concret que cette masse tiède autour de laquelle il s'était pelotonné, cette bestiole qui respirait en douceur sous un ersatz de fourrure nauséabonde et qui, éclairée par l'aurore, ressemblait définitivement à un revêtement textile pour remorque. Au moins n'avait-il pas déniché un paillasson.
Il se rendormit en bougonnant à moitié.
Trop tôt. Pas encore assez jour.

Et se réveilla presque dans un sursaut à la pensée que, si ce n'était pas lui qui émergeait de lui-même, c'est une brute de trois fois son poids qui les délogerait manu militari. Or, la perspective de recevoir pour tout petit-déjeuner un pain distribué par ce type de boulanger ne l'enthousiasmait pas tant que ça ; de fait, il s'obligea à se redresser, aussi délicatement que possible pour ne pas gêner l'enfant, puis il s'extirpa de leur cocon confortable et s'étira en silence dans cette espèce de garage entrouvert qu'ils avaient squatté. Grâce à la pénombre bleutée du matin, les meubles, les contours des outils, des objets autour d'eux se révélaient à ses yeux marins. Personne ne les avait remarqués – personne d'ailleurs ne semblait passer devant le préau, l'heure précoce jouant en leur faveur.
Sitôt qu'il sortit sur le trottoir, le parfum chaud et graisseux frappa ses narines. Quelqu'un, dans les maisonnettes alentours, devait faire frire des œufs ou dorer des pancakes, laissant le fumet emplir la rue d'un nuage odorant, atrocement tentateur pour le malheureux dont le ventre gargouillait avec chagrin. Enoch posa une main sur son ventre comme pour en restreindre la rauque litanie. Mais ce ne fut que lorsqu'il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule qu'il sentit vraiment la morsure de l'inquiétude lui entamer les entrailles : sur la banquette qu'il avait délaissée, le gamin respirait toujours avec régularité. Combien de temps pouvait-il l'abandonner ici sans que quiconque ne cherchât à le lui voler ? À quelle distance pouvait-il s'éloigner avant qu'une catastrophe ne se produise, un enlèvement ? Est-ce qu'il était capable de partir en excursion dans les environs sans rappliquer dare-dare trois secondes plus tard, paniqué à l'idée qu'on ait kidnappé l'endormi ? Quand bien même, d'un point de vue rationnel, c'était lui, le coupable de détournement de mineur. Génial. Il n'avait pas envie de songer à cette réalité si tôt dans la journée. Quelle existence de merde.

Tout à ces réflexions, il aperçut de l'autre côté de la route un travailleur quittant son pavillon, l'uniforme un chouia froissé, la mallette scellée au côté. Le black-out ne l'empêchait visiblement pas de se rendre au travail, obligé peut-être de partir plus tôt puisqu'il s'y rendait à pied et non plus en voiture, et ses dents étaient plantées dans une espèce de brioche qui fumait dans l'air blafard. Il claqua la porte d'un coup brusque. Sauf qu'à le regarder s'avancer jusqu'au portillon de sa propriété, prendre conscience de quelque chose, tâter ses poches, piétiner, puis poser la brioche sur la clôture avant de s'en retourner vers l'entrée et la rouvrir pour s'engouffrer en maugréant, Enoch oublia tout à coup toute moralité et toute bienséance. Pas qu'il en possédât déjà beaucoup, cela dit. Il balaya juste le peu qui avait résisté aux derniers mois. S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche, aurait clamé un jour une reine – de quoi transformer un vol en acte royal.
La pire des maladies infectieuses n'aurait peut-être pas arrêté l'Ancien dans son geste. Il rapporta son butin dans son antre, pareil à la pie rejoignant son nid le bec serti d'un bijou d'or, et entreprit de découper l'endroit où le quidam avait enfoncé ses mâchoires. Gâcher ces bouts de nourriture ne lui plaisait pas du tout, et pour une pincée de mie arrachée et lancée derrière lui, son estomac protestait de plus belle. Qu'importe. La nourriture ne lui était pas destinée, sans quoi il n'aurait même pas attendu d'être à l'abri pour l'avaler. Ce n'est qu'après avoir achevé son pinaillage qu'il déposa le trésor joufflu sur un coin de banquette, près de la tête du garçonnet, qu'il s'assit par terre à côté, et qu'il enfonça à regret son visage dans la couverture pour masquer le fumet de la viennoiserie. Sans quoi il n'était pas sûr de pouvoir attendre sans faillir que le plus jeune se réveille.
Une formidable journée en perspective.
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Allen Brooks
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04.05.20 16:56
Il faisait un rêve.
Un rêve plutôt doux, emprunt d’une nostalgie un peu douce amère, le genre de rêve laissant le sentiment diffus d’un souvenir à demi-achevé une fois le matin arrivé. Il était dans un cocon, enserré dans un nuage de coton. Il n’avait ni trop chaud, ni trop froid, et la fermeté de l’étreinte était parfaite. Il aurait voulu ne jamais se réveiller et ne jamais bouger ; il désirait tellement pouvoir rester là, à jamais, sans que rien ne change. Il n’avait besoin de rien d’autre que ça. S’il avait pu mettre des mots sur ce qu’il ressentait - enfin, s’il avait pu tout simplement réfléchir posément sur ce rêve qu’il avait, il aurait probablement estimé que c’était ce qui se rapprochait probablement le plus aux neuf mois qu’il avait passé dans le ventre de sa mère. Mais il n’était pas réveillé - et honnêtement, il n’était pas non plus le genre à vouloir se souvenir de ses rêves et encore moins à tenter de les décortiquer.

Toujours est-il que c’était un bon rêve à défaut d’un beau, et qu’il avait rarement aussi bien dormi, ce qui était plutôt étonnant compte tenu qu’il avait passé la nuit installé contre un inconnu, profitant allègrement de la chaleur humaine qui se dégageait de son corps pour ne pas mourir de froid. L’autre - Enoch - n’avait probablement pas eu trop à se plaindre non plus, après tout, il était bien connu que les enfants étaient de vraies bouillottes ambulantes et le brun ne faisait pas exception : si lui-même avait plutôt froid, son corps de gosse irradiait de chaleur, assurant à l’homme la perspective de ne pas mourir de froid durant la nuit.

La première fois où il ouvrit les yeux, il était seul. Le bout de ciel qu’il apercevait de son oeil entrouvert prenait des teintes bleues et grises, indiquant que la nuit était passée et étonnamment, il y avait survécu. Ensuite… C’était à peu près tout ce qu’il pouvait constater - ça et qu’il était seul désormais, roulé en boule sur un siège douteux, ses doigts serrant le tissu tout autour de lui. Sa paupière retomba, sa tête retournant se loger contre son coude, à la fois pour échapper à l’odeur dérangeante du tissu mais également pour se cacher de la lumière du jour, espérant au fond de lui qu’il s’agissait juste d’un mauvais rêve et qu’il allait se réveiller, pelotonné sous sa couette chez ses parents et qu’il oublierait bien vite cet étrange rêve d’une nuit qu’il avait eu.

Le second réveil fut… Plus rude. Déjà, il avait vraiment froid. Ensuite… Le fait qu’il avait aussi froid ne pouvait signifier qu’une seule chose : il n’avait pas rêvé son escapade de la veille et il avait vraiment passé la nuit à l’extérieur. Le gamin se redressa lentement, étirant prudemment ses jambes devant lui, cachant à demi son visage tandis qu’il baillait. Il n’avait pas si mal dormi, en fin de compte ; il devrait peut être remercier la capacité d’un corps d’enfant à dormir n’importe où, mais en tout cas, il n’avait mal nulle part et il se sentait presque frais, quelque chose qui aurait été complètement impossible à imaginer s’il avait été dans son corps d’adulte : avec la forme physique qu’il avait, dormir sur une banquette aussi pourrie lui aurait assurément ruiné les cervicales. Enfin, il était dans un corps d’enfant, il était réveillé et il allait plutôt bien. Il agita un peu ses jambes, remuant ses orteils dans ses baskets puis baissa les yeux sur l’homme qui s’était assis au sol.

« Bonjour. »

Il avait une voix posée, encore un peu engourdie par le sommeil. Le garçon pencha la tête sur le côté, reniflant un peu puis tournant la tête quand son cerveau enregistra une odeur différente de celle, douteuse, de ce qui leur avait servi de couverture pour la nuit. Son estomac se fit vigoureusement entendre quand il avisa la demi viennoiserie posée à côté de lui, comme une offrande. Puis il regarda à nouveau l’homme : c’était un type bien à priori, s’il se fiait à ses priorités enfantines - à savoir, dormir au chaud, avoir à manger. L’enfant tendit la main vers le gateau, hésitant un instant avant de maladroitement le séparer en deux et tendre la moitié à Enoch, engouffrant vigoureusement la sienne d’une traite. Une fois la tentante moitié entre les mains de l’homme il sauta de la banquette, refusant de se tourner vers elle - il n’avait aucune envie de savoir sur quoi il avait dormi cette nuit.

Il fit quelques pas, trottinant jusqu’à l’entrée de la ruelle pour regarder la rue, essayant de voir s’il savait où il se trouvait - en vain. Il revint ensuite vers l’homme, conscient qu’il avait certainement foutu son avenir en l’air. Il allait probablement être probablement renvoyé à l’orphelinat parce que, soyons honnête, qui pourrait vouloir garder un gamin qui non seulement désobéissait à ses parents, mais qui en plus réussissait à se perdre, semait la seule personne qui normalement devrait lui venir en aide mais en plus passait littéralement la nuit dans les bras d’un inconnu ? Dans le meilleur des cas, il pourrait éventuellement réussir à faire retomber la majorité de la faute sur l’eraser qui lui avait tourné le dos quand il avait eu besoin d’elle ; mais son erreur première avait été de sortir et de penser pouvoir réussir à rentrer rapidement. De manière surprenante… Il s’en voulait - après tout, ses parents adoptifs étaient des gens… Biens. Il n’aurait probablement pas autant de chance dans le futur. Il tourna la tête vers le type pâle, levant vers lui ses grands yeux bleus.

« Tu crois qu’on va trouver quelqu’un qui sait où on est et comment je peux rentrer chez moi ? »

C’en était presque à pleurer d’être aussi… Inutile.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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06.05.20 20:19
S'il avait eu assez faim pour braquer une boulangerie, respirer la pestilence de la couverture lui coupa tout à coup l'appétit au point qu'il en oublia son estomac – à défaut de son nez – jusqu'à ce qu'un mot lui fît relever le museau. Certes, le mouvement des couvertures l'avait alerté que le môme était en train de s'extirper du sommeil, mais il aurait pu s'agir d'un simple geste inconscient, identique à un refus d'obtempérer lorsque l'heure de se lever pour aller à l'école vient arracher le rêveur à son imaginaire. Allen ne semblait pas cependant le genre d'enfant récalcitrant, prompt à faire des chichis ou des caprices pour des futilités ; il y avait dans sa manière d'être, de parler, de bouger, une forme de gravité qu'Enoch n'avait jamais vue chez d'autres gamins de son âge, a fortiori dans de telles circonstances qui n'en appelaient pas à la sagesse et au bon sens, mais plutôt à la panique ou à la résignation. Or, l'Ancien était prêt à parier sa seconde épaule qu'aucun gosse de dix ans ne se serait montré aussi tempéré et indulgent que celui-là, surtout sous l'emprise de la fatigue ou de la faim. C'est bien connu : la marmaille était sans aucun doute la dixième plaie d'Égypte dès qu'elle avait l'estomac vide. Mais lui, non. Il n'avait même pas fait de commentaire là-dessus alors qu'il était évident que son ventre chouinait autant que celui de son aîné. Ne s'était pas mis à taper du pied ou à pleurer en appelant sa mère. N'avait pas jeté son pied dans la rotule du Fantôme avant de s'asseoir par terre et de réclamer qu'on le porte. Non. Il lui avait dit « bonjour » comme s'ils n'avaient pas passé la nuit à la belle étoile, pelotonnés l'un contre l'autre pour ne pas attraper la mort, et si rien n'augurait en effet d'un bon jour, Enoch ne se sentit pas l'âme à le contredire.
« Ah, bonjour... », répondit-il tout en redressant, pas du tout prêt à reprendre son rôle d'adulte responsable et – presque pas – sûr de lui.
Le fait que le petit brun, une fois qu'il se fut avisé de la présence de la brioche, s'appliqua à la rompre en deux selon ce principe que les Italiens appellent copain parce qu'ils partagent le pain ensemble, surprit le jeune homme. Plus que de l'étonnement, c'était d'ailleurs de l'émotion qu'il ressentit et qui le fit hésiter à prendre le morceau tendu, parce qu'il ne s'attendait pas à une telle générosité. Non qu'il imaginait le mioche trop égoïste pour agir de la sorte, mais enfin, ça le mettait mal à l'aise de manger ce qu'il n'avait pas attrapé pour lui, ce sur quoi il avait tiré un trait quelques instants auparavant. Cependant, la vue de la mie alvéolée, d'un jaune crémeux, l'empêcha de refuser totalement. Il remercia son cadet, puis se détourna pour dévorer le joyau moelleux en trop peu de bouchées pour être satisfait. C'était suffisant pour l'instant, songea-t-il néanmoins tandis que son camarade d'infortune revenait vers lui après s'être dégourdi les jambes.

Il y avait quelque chose de mignon dans l'accent inquiet de la voix d'Allen. À sa place et à son âge, n'importe qui aurait été en effet soucieux de retrouver son foyer le plus vite possible, et une nuit déjà aurait paru dramatique. Pour Enoch, une nuit dehors ne changeait guère de son quotidien depuis le début du black-out, aussi n'eut-il pas la sensation de mentir lorsqu'il répondit, d'un ton compatissant :
« Bien sûr, ne t'en fais pas ; tu seras chez toi avant midi, promis. Viens, on va demander aux passants la direction d'Hudson Hill. »
Et il lui tendit sa main, celle qui n'avait pas tripatouillé le gâteau, afin qu'il l'agrippa pour ne pas se séparer, puisqu'il n'aurait probablement pas supporté, en plus des effets dévastateurs sur sa conscience morale, d'être responsable de la perte d'un gosse.


Leur premier essai ne fut toutefois pas probant. La dame vers laquelle ils s'avancèrent, bien mise sous tous les rapports, élégante comme une bourgeoise endimanchée, se hâta de fuir dès qu'elle sentit qu'Enoch désirait s'adresser à elle – parce qu'elle les avait pris pour un duo de nécessiteux tout juste bons à quémander de l'argent ? La présence de l'enfant était censée aider, apitoyer tout au mieux, pas jouer en leur défaveur.
Le deuxième, un moment après, se solda lui aussi par un échec. Non que l'individu en question les envoya promener ou se carapata à vue ; il ignorait juste où se situait le quartier de résidence recherché, et en l'absence d'un GPS ou d'une quelconque aide électronique, il était incapable de se repérer dans la ville. Peut-être même n'aurait-il pas été en mesure de rentrer chez lui si on l'avait parachuté à l'autre bout de Madison. Ce constat fit soupirer d'agacement l'Ancien : « Les gens de cette époque sont vraiment impotents, parfois... » Mais il savait bien que c'était sa frustration qui s'exprimait et non le fond de sa pensée. Il n'en voulait pas à ces habitants d'ignorer le cadastre de leur propre ville ; après tout, on connaît rarement les recoins de son propre quartier, alors un lointain...
La troisième fut leur délivrance. Une femme, la quarantaine ronde et souriante, était occupée à réparer – cogner sur ? – son véhicule de livraison, une sorte de camionnette ouverte dont elle avait rempli la remorque de sacs divers. Après avoir pédalé sur sa batterie mécanique, l'alimentant à la sueur de ses mollets pour assurer une tournée de livraisons dans les environs. Sûrement que la petite bouille d'Allen eut son rôle à jouer dans la bienveillance de la dame et dans son air catastrophé : une semée d'explications plus tard, ils récoltaient le droit de s'installer à l'arrière, par-dessus les matériaux et vivres sèches, elle aidant le brunet à se hisser, puis tous trois partaient en direction de la maison du plus jeune.
Ils ne progressaient pas à vive allure, la conductrice préférant autant économiser la batterie à moindre vitesse que préserver la vie de ses passagers non attachés. Enoch eut donc le loisir de regarder défiler les façades colorées de la périphérie, leurs petits jardins proprets et les magasins qui fleurissaient entre les allées de pelouse, typiques de ce rêve américain qu'il n'avait jamais pu effleurer du doigt. Bien que tous les occupants de ces rues avaient dû s'adapter au black-out, peut-être perdre leur emploi eux aussi ou être sans nouvelles de leurs proches, il les trouvait toujours plus chanceux que lui-même, et il les enviait un peu pour cela. Les bras ballants au-dessus de ses genoux, ratatiné dans un coin de la remorque entre un carton d'aspirateur et une pile de pois chiches crus, il pencha la tête en arrière et laissa le vent chatouiller son front blême.
Toutes les pulsations durant lesquelles il ne souffrait pas, même infimes, étaient bonnes à savourer.
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evolve
Allen Brooks
Allen Brooks
evolve



09.05.20 15:33
Il y avait assurément de quoi être frustré dans sa situation. Fut un temps, il avait été un adulte responsable, qui n’avait pas besoin d’aide pour aller là où il voulait - il avait juste à demander à son téléphone et celui-ci s’occupait de tout, depuis l’itinéraire jusqu’à la réservation du taxi. Mais aujourd’hui… Il était devenu un gosse aux joues joufflues incapable de faire dix mètres seul sans avoir besoin d’aide. Et surtout, il ne pouvait pas demander l’aide de n’importe qui - ses parents adoptifs le lui avait suffisamment répété pour que ça s’inscrive dans un coin de son crâne : il ne devait pas se fier aux étrangers, si un étranger essayait de l’emmener quelque part il devait hurler, etc etc. Ce genre de chose. Qui aurait pu dire qu’être un enfant amenait tellement de règles qu’il devait respecter ? Autant dire que s’ils apprenaient qu’il avait volontairement refusé de suivre une eraser et lui avait préféré un inconnu, il allait passer un sale quart d’heure. Mais après tout… Le gosse coula un regard en coin au type qui l’accompagnait - ils n’étaient pas obligés d’apprendre ce qu’il s’était passé. Et puis, quelque chose lui disait que l’eraser serait dans une plus grosse galère que lui si on apprenait qu’elle avait abandonné deux civils dans une situation dangereuse. Donc il était… Couvert pour le moment ?

L’adulte fini d’avaler son bout de gâteau - qui avait décidément un goût de trop peu - et lui tendit la main, lui adressant une promesse un peu trop en l’air au goût du gosse. Après tout, comment il pouvait être certain qu’ils seraient à Hudson Hill avant la mi-journée ? Pour ce qu’ils en savaient, ils pouvaient tout aussi bien être de l’autre côté de la ville. Enfin - le gamin plissa le nez, attrapant la main de l’adulte - vu qu’apparemment c’était ce qu’on attendait de lui - et commença à marcher à ses côtés, observant d’un air vaguement curieux les gens croisant leur chemin. Des gens qui, à priori, n’avaient surtout pas envie de leur adresser la parole. Rien d’étonnant - même dans la pire des galères, la plupart des gens s'empressent de passer leur chemin quand ils ont le malheur de croiser quelqu’un qui aurait besoin de leur aide. La première personne dont ils s’approchèrent se hâta pour tourner les talons, évitant surtout de croiser leur regard - parce que les regarder, c’est admettre qu’ils sont là. Après un second échec - technologique, cette fois - ils tombèrent sur une bonne âme qui les carra sur son tacot et démarra après quelques brèves explications.

Etonnamment, elle avait eu l’air de savoir de quoi il parlait quand il avait commencé à décrire le quartier où il vivait - comme quoi il existait toujours des gens capable de se repérer sans qu’une voix désincarnée ne leur dise où tourner. Cela faisait probablement d’elle une exception - il n’était pas certain que dans son entourage se trouve quelqu’un capable de se déplacer. On aurait pu croire que se repérer, aurait été dans les cordes de la plupart des gens - mais c’était oublier à quel point chacun était dépendant de ses gadgets. Et honnêtement, même si tout le monde était désormais conscient des faiblesses de ce système, il y avait fort à parier que rien ne changerait - après tout, le confort qui venait avec cette dépendance était quelque chose dont il était difficile de se passer une fois qu’on y était accro. Et ce n’était pas comme si c’était dans ses plans - c’était bien trop de travail que de se souvenir de tout ça.

Le gamin se pencha par dessus les vivres, observant la route se dérouler sous eux - au moins, tout était goudronné dans le coin, un avantage pour éviter les accidents de parcours. C’était sympathique comme balade, mais. Il s’ennuyait. Et il avait faim. Il jeta un oeil à son compagnon d’infortune, puis à la bonne âme qui les avait récupéré - bien trop occupée à conduire pour s’occuper de ce qu’il faisait. Il prit donc sur lui d’aller discrètement farfouiller dans ce qui l’entourait, dans le but avoué de trouver de quoi se sustenter - en vain, tout était trop bien emballé ou indiscernable pour que ce soit raisonnable d’ouvrir un paquet. Le gosse poussa donc un grognement discret, gigotant pour se percher sur une caisse et regarder autour de lui, notant que le paysage ne lui était toujours pas familier - en même temps, ce n’était pas comme s’il sortait souvent du quartier. Il poussa un nouveau soupir, penchant la tête quand ils croisèrent un autre véhicule - le premier depuis un moment. Puis il alla s’écrouler au sol, dramatiquement, non loin de l’adulte, gigotant pour réussir à se faire une place parmi tout le fatras.

C’était horrible. Il ne parvenait pas à tenir en place plus de quelques minutes, recommençant toujours à gigoter ou à fouiller dans les caisses, se hissant pour regarder le ciel puis le sol - bref, un comportement standard d’un gamin standard. Il ne parvenait pas à rester calme et s’il s’écoutait, honnêtement, il était à peu près certain qu’il finirait par hurler et se rouler au sol de frustration. C’était une chose à laquelle il ne parvenait pas à s’habituer - si en tant qu’adulte il trompait son ennui d’une manière ou d’une autre, en tant qu’enfant, c’était limite la fin du monde. C’était comme si son cerveau refusait de le calmer et le poussait à tout essayer pour se distraire. Alors quand la camionnette commença à tousser et à tanguer un peu, ce fut une distraction bienvenue - encore plus quand celle-ci se stoppa totalement entre deux jardins identiques et qu’une fumée noire commença à sortir du capot - c’était parfait. Le gosse se jeta sur ses pieds, se redressant à l’arrière de la camionnette pour tenter de voir par dessus les places conducteurs. Mais il était trop court sur ses jambes pour ça, donc il commença à essayer de se hisser pour voir - puis le capot se releva et il ne vit plus rien du tout, donc il se laissa retomber… pour cette fois-ci essayer de descendre style commando de la plage arrière, dans l’idée de faire le tour du véhicule pour voir quel était cet heureux incident qui le distrayait désormais.

Pendant ce temps, à l’avant du véhicule, la bonne samaritaine secouait la tête d’un air désemparé devant son moteur, éteint et fumant, agitant les mains pour tenter de chasser la fumée et voir comment se présentait la chose - probablement mal, au vu de sa tête. Mais bon, c’était ce qui rendait les voyages si intéressant, n’est-ce-pas ?
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



30.05.20 15:45
Ils roulaient depuis une dizaine de minutes déjà, bon an mal an, l'asphalte avalé par le caoutchouc des roues, et de temps en temps Enoch jetait un coup d'œil à son jeune comparse d'infortune, comme il aurait fait devant un chaton un peu pataud dont la chute maladroite ne saurait tarder. À le regarder s'agiter parmi les sacs et les cartons, consciencieusement, il donnait l'impression de fomenter quelque rapine que son aîné aurait à coup sûr autorisée sans aucun scrupule, faute de mieux à proposer ; pourtant, ce fut bredouille qu'il revint s'installer, ou plutôt se laisser tomber à moitié, tandis que l'Ancien se décalait d'une fesse pour ne pas risquer de le toucher – non par dégoût, mais par inconfort. Dix secondes plus tard, le manège recommençait : Allen se redressait plus vite que s'il avait eu le feu au derrière, allait fourrager dans la cargaison, faisait le tour de la remorque – aussi étroite qu'un cagibi – tandis que le plus grand hésitait entre rouler des yeux d'exaspération ou pouffer face à ces gesticulations futiles de bébé animal.
Qu'est-ce que tu attends pour le balancer par-dessus bord ? grogna-t-elle alors, avachie en travers du toit de la camionnette.
Il leva la tête dans sa direction avant de hausser les épaules ; si elle savait qu'à choisir entre le môme et elle, ce serait sa grosse tête de lionne qu'il écraserait en premier sous un véhicule, elle n'aurait pas mis longtemps pour le mettre au défi de s'exécuter. Ils n'eurent cependant le loisir de se confronter, car de moteur il n'y eut bientôt plus que le cadavre infernal et fumeux, agonisant son haleine noire et charbonneuse dans l'azur limpide. Le gamin bondit tout à coup sur ses pattes – ravi peut-être de cette distraction bienvenue – tandis que son compère se lamentait en silence de cette poisse, toujours elle, cette malchance collée à ses chevilles comme une traînée de casseroles. Ne lui arriverait-il jamais quelque chose de bien, durablement, dans cette existence-là ? Il se gifla en pensée pour s'éviter de retomber dans ces idées noires : un bête accident n'entamerait pas son humeur, d'autant qu'il n'avait pas encore livré le colis à bon port... Plus tard, les atermoiements.

« Vous avez besoin d'aide ? »
Enoch ferma la bouche. C'était bien ces mots-là qu'il avait essayé de prononcer, mais la voix ne lui appartenait pas ; elle provenait d'un homme debout sur le trottoir qui l'avait devancé et s'était approché du camion pour prêter main-forte à la conductrice. Laquelle, habituée de mécanique et à taper sur la carrosserie, insultes à l'appui, l'avait orienté vers la remorque pour qu'il s'assurât que rien n'avait été perdu ou endommagé. Mais le Fantôme, plutôt que de saluer la stratégie d'écartement, vit cet inconnu le dévisager si longtemps qu'il aurait préféré que la dame fût une brèle en bricolage ou trop satisfaite d'avoir un mâle sous le coude pour mettre les mains dans le cambouis à sa place. Ce regard sur lui le gênait terriblement, et d'autant plus lorsqu'il glissa sur le petit brun qui était descendu pour aller regarder le spectacle du capot ouvert. Quelque chose sentait mauvais, qui n'était pourtant pas l'odeur de suie brûlée.
« Je crois qu'elle en a pour un moment... Vous voulez bien descendre, qu'on pousse cette machine sur le côté de la route ? »
Ah, peut-être s'était-il fait des idées, en définitive. Il n'y avait là qu'une simple sollicitation, certes éreintante d'avance, mais à laquelle il ne pouvait se soustraire sans passer ou bien pour un impotent égoïste ou bien pour un fragile inutile – et il se voyait mal admettre ces deux vérités pour échapper à la sentence. Avec son épaule manquante, tracter des charges lourdes lui était devenu impossible, néanmoins se justifier le faisait grincer des dents, car sans exposer la blessure pour preuve, on le considérait d'abord pour un menteur ou un fumiste. Et il avait une sainte horreur de s'expliquer, de même que d'étirer le col de son t-shirt devant des étrangers pour révéler le morceau de résine qui remplaçait maintenant ses chairs. Il était donc coincé. Mais au moins était-il en mesure de montrer sa bonne foi en obéissant, signe qu'il n'était pas en plein caprice de fainéantise. L'inconnu fit même preuve de sollicitude en l'encadrant tandis qu'il descendait, au cas sans doute où il basculerait en arrière ou raterait une marche invisible.

« C'est bien aimable... »
À peine eut-il mis pied à terre que l'homme l'agrippa à deux mains et le plaqua contre le rebord arrière de la remorque, son bras droit tordu dans le dos, le gauche collé au métal pour éviter de s'y éclater l'arcade sourcilière. Sur n'importe qui d'autre, le mouvement aurait été désagréable, quoique presque indolore ; sur lui, c'était comme si on tentait une seconde fois de lui arracher le membre. Il hurla – se surprenant lui-même de la violence de son cri – puis essaya de se dégager par réflexe pour échapper à la souffrance qui lui sciait l'articulation : le peu de force dont il disposait, un soupçon avivée par ses nerfs déchirés, ne lui permit pas de se dérober à l'emprise de l'inconnu. Tout au plus gigota-t-il sans grâce, telle une carpe dont on cherche à trancher les nageoires, et cette défense devint un aveu de culpabilité pour celui qui le maîtrisait, qui renforça la pression dans son dos. Enoch vit blanc une fraction de seconde avant que ses rotules ne cèdent. Il tomba sur un genou, prêt à se recroqueviller de douleur dès qu'on daignerait lui lâcher le bras, mais l'autre dût considérer cela comme du cinéma ou une tentative de fuite par le bas, et s'empara aussitôt de son second poignet pour les entraver d'une seule main. La facilité de l'opération devait le déconcerter un chouïa, puisqu'il était probablement habitué à rencontrer plus de résistance de la part de ceux qu'il attrapait de la sorte, là où celle de l'Ancien était molle et dérisoire. C'est que ce dernier n'avait pas grand-chose à opposer à un gars de deux fois sa largeur et une tête de plus, qui de surcroît avait dû s'engloutir un vrai petit-déjeuner en plus de ses cent pompes quotidiennes. Dans la confusion de souffrance qui faisait scintiller des étoiles sur sa rétine, il entendit :
« ...Oui, Monsieur, c'est au sujet de l'enlèvement d'Allen Brooks. Je viens de retrouver l'enfant et d'appréhender un suspect... Envoyez-moi une brigade pour le ramasser et ramener le petit à ses parents... J'ai les mains prises... à trois cent mètres ? Très bien, je reste en position... »
Malgré son état, Enoch n'eut guère à réfléchir pour comprendre que l'homme n'était pas un badaud ordinaire, mais probablement un milicien en civil – dérangé pendant un jour d'astreinte ? –, l'un des rares domaines privilégiés susceptibles de recevoir l'énergie indispensable au maintien de leur activité, réseaux et matériels, et que cela justifiait ses manières pour le moins rustaudes. En revanche, il s'épouvanta d'être soupçonné d'enlèvement, de quoi lui valoir bien pire que deux ou trois contusions à la sortie du procès. Dans le bienheureux cas où il y avait un procès.
« C-C'est une erreur, gémit-il à travers sa souffrance, je n'ai rien... rien fait...
Mais oui, c'est ce que disent tous les salauds dans ton genre. Tiens-toi tranquille, mes collègues seront là dans un instant et on te rappellera tes droits. »
Le Petit Poucet n'ajouta rien. Des larmes brûlantes avaient commencé à poindre au bord de ses yeux, à l'instar du sang  sur les contours de sa prothèse, à l'endroit où les cicatrices abîmées s'étaient rouvertes. Il ne songea même pas à appeler Allen ou à lui dire de partir – après tout, c'était mieux pour lui d'être rapatrié chez lui par les forces de l'ordre  et non un clochard suspecté de kidnapping – et quand il sentit le fer des menottes s'aimanter autour de ses poignets, contre ses reins, il baissa la tête en guise d'abdication. Au moins on ne lui démettait plus l'épaule.
Hé, chiale pas, la taule c'est sympa, on y sert des repas trois fois par jour !
Il n'y avait bien qu'elle pour ricaner ainsi.
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