Il avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin. Peut-être – après tout, on entendait relativement peu parler d'evolve doté de suffisamment de culot – ou d'inconscience, à ce niveau là, ça se valait probablement – pour inviter un eraser à dîner. Mais il n'avait pas pu s'en empêcher – un amalgame de l'envie de le provoquer et celle de se foutre de sa gueule, le tout servi avec cette réplique d'une mièvrerie affligeante. « Vos yeux brillent comme des saphirs », sérieusement, où il avait été la pêcher celle-là ? Au moins, ça lui ferait quelque chose à raconter à ce scientifique, la prochaine fois. Quoiqu'il restait encore la question de : comment poser ça clairement ? Comment expliquer ces rares et courts instants où il se sentait parfaitement détaché et vide, et ceux où il subissait un mélange de sentiments qui ne lui appartenaient pas tous ? Ce serait probablement le meilleur moyen de finir à nouveau sous sédatifs. Il allait le garder pour lui, plutôt. Il ne lui faisait pas confiance. Ce type avait beau avoir l'air parfaitement réglo, il n'était pas assez stupide pour se foutre seul dans la merde – pas encore une fois.
Le brun soupire, secouant sa crinière sombre en s'accoudant à la table. Il se sentait stupide – parfaitement stupide. Pourquoi diable l'avait-il invité à dîner ? C'était sorti de sa bouche avant qu'il ne puisse le contrôler, emporté dans le feu du moment. Il esquissa un sourire, allongeant ses bras sur la table vide et posant sa joue à même le bois verni. Bon, l'avoir fait été une stupidité en soit, mais laisser paraître à quel point ça le déstabilisait serait une ânerie en plus. Il s'était fourré plus d'une fois dans des situations compliquées, ce n'était pas aujourd'hui que ça allait commencé. Il soupira – où était passé le Matthias calme et sûr de lui qu'il était autrefois ? Depuis que son pouvoir s'était totalement éveillé, depuis qu'il avait commencé à s'en servir à petites doses... L'impression lancinante que quelque chose lui était arraché ne cessait de le tarauder. Comme si on lui avait donné un cadeau sans l'avertir des contre-parties qu'il devrait subir.
Ses yeux glissèrent sur la jolie brune à la table à côté et il esquissa un sourire moqueur. Oui, c'était à peu près ça. Calme une minute, empli de fureur la suivante : c'était exactement ça. Il avait hérité du seul foutu pouvoir donnant l'impression d'avoir continuellement ses règles. Ça, il pourrait le dire à ce scientifique blond. Il voyait déjà ses joues s'enflammer. Ce serait une séance à mourir de rire, il en était certain.
Le brun bailla, ne se souciant pas un instant de mettre sa main sur sa bouche. Puis lentement, il se redressa, contemplant le mur en face d'un air pensif. Il s'était débrouillé pour transmettre l'heure et le lieu à ce foutu eraser. Viendra, viendra pas ?
Il esquissa un sourire. Il viendra. Ce type puait la fierté et la suffisance. Impossible qu'il décline son invitation. Surtout si ça lui donnait l'occasion de torturer un peu plus ce pauvre petit evolve qu'il était.

Chemise unie ou à rayures ? Le soldat les passait tour à tour devant son torse, hésitant. Oh et ses cheveux qui ressemblaient à rien... Il avait beau les aplatir, rien n'y faisait, ils levaient les bras vers le ciel en attente d'une bénédiction. Jurant tout seul, s'agitant sans raison, le blond paniquait stupidement. Ce n'était pas un rencard. Juste un diner avec un ex-détenu et evolve qui plus est. Vraiment aucune raison de stresser comme ça !
Et pourtant, malgré ces belles paroles, il ne savait toujours pas quelle chemise enfiler. Un coup d'œil sur sa montre lui arracha une grimace. Dans exactement six minutes, il devait se tenir assis en face de ce brun affreusement attirant, tout en sachant qu'il était encore en boxer dans sa chambre et habitait à - au moins - dix bonnes minutes  - en marchant vite -.

"Génial. Juste génial."

Balançant tout ce qu'il tenait, cintres, chemises, brosses, l'invité se saisit du premier tee-shirt blanc et jean qui lui passaient sous la main. Il n'aurait pas l'air de trop en faire comme ça. Parfait. Sautant dans ses chaussures, il tenta du mieux qu'il put de rattraper son retard sans pour autant paraitre essoufflé à son arrivée. Un juste milieu délicat à trouver et une longue expiration fut tout de même nécessaire avant d'entrer dans le resto.

Ses iris bleutés parcoururent rapidement les différentes tables jusqu'à repérer celle du fameux Stockton. Maintenant qu'il était là, Quentin regrettait étrangement d'avoir accepté. Que diraient ses collègues s'il le voyait ? Attirer l'attention sur lui d'une telle façon ne faisait pas partie de ses... habitudes disons. Cependant, croiser le regard du brun réduisit à néant toute possibilité de fuite et glissant ses mains dans ses poches pour dégager un air plus décontracté, le blondinet offrit un léger sourire à Matthias, s'installant face à lui.

"Salut... Désolé, j'suis un peu en retard."

Observant autour d'eux, il constata qu'il s'agissait d'un restaurant plus que banal. La clientèle paraissait normale aussi. Rien qui ne semblait dangereux. Dans une tentative de briser la glace discutable, le blond balança :

"Je m'attendais presque un piège en fait, mais c'est vraiment un dîner. Surprenant."

Il avait beau dire cela, aucune arme ne se cachait sous ses vêtements. Son haut bien trop moulant de toute façon ne le permettrait pas. Remettant bien ses lunettes sur son nez, Quentin observa avec attention l'homme en face de lui. Comme lors de l'interrogatoire, il le dévisageait, le fixait presque sans le réaliser. En même temps, il cherchait un sujet de conversation digne de ce nom. Le "tu as passé une bonne semaine ?" était très certainement à exclure, ainsi que toutes les banalités qui le feraient passer pour un abruti. Après réflexion, il valait mieux laisser l'expert gérer et juste profiter de cette tension qui lui plaisait tant.

Récapitulons. Que faisait-il ici ? Il devrait lever ses fesses de cette fichue chaise et prendre la fuite. Ce serait bien plus agréable, bien plus profitable : se retrouver en tête-à-tête avec un eraser, aussi joli soit son sourire, c'était courir à sa perte. Pire même : s'il lui plaisait suffisamment et qu'ils se retrouvaient au lit – parce qu'il se connaissait, l'animal, et ce n'était pas du tout une possibilité à écarter – comment se démerderait-il ensuite ? Ce type pourrait – et le ferait certainement – se servir de cela pour lui faire du chantage ou tout autre pratique courante parmi cette fichue milice.
Il se prit la tête entre les mains – non, vraiment, c'était quoi cette idée à la con qu'il avait eu en lui proposant ce dîner ? Ces foutues mots qui s'étaient échappés de sa bouche sans sa permission, se posant avec brutalité alors que lui même n'était absolument pas prêt à les entendre ni même à les penser. Ça lui apprendrait à laisser ses yeux glisser plus bas que la réglementaire chemise. Il se redressa brutalement – non, il n'allait pas laisser un foutu eraser au regard sexy lui pourrir la vie. Il trouverait bien un moyen de s'en sortir. Tiens, il refuserait de le revoir après ce dîner : c'était la meilleure idée qu'il avait eu jusque là. Mais ce type serait-il d'accord ? Au pire, il n'aurait pas le choix. Mais était-ce vraiment une bonne idée ?
Et pourquoi avait-il envie de baffer quelqu'un, d'un coup ?
Il fronça les sourcils, son regard dérivant jusqu'à la silhouette du grand blond qui venait d'entrer dans le restaurant. Et tandis que derrière lui retentissait le bruit magistrale d'une claque, il esquissa un sourire, parfaitement inconscient de la personne dont provenait cette intense satisfaction – toujours est-il qu'il sentit le fond de son estomac crépiter tandis qu'il observait le type venir vers lui et s'asseoir en face de lui, se faisant offrir un léger sourire qui tira le coin de ses lèvres malgré lui. Le brun renifla, roulant des yeux en entendant l'autre type parler d'un piège. « S'il y avait un piège, je pense qu'il serait plutôt pour moi, en fait. » Il grommela quelques instants avant de reprendre. « Après tout, je suis seul en tête-à-tête avec un eraser, dans ce qui pourrait sembler être un rendez-vous galant. » Il lui adressa un sourire parfaitement maîtrisé tout en se demandant pourquoi, ô grand pourquoi, les mots sortaient absolument sans contrôle de sa bouche. « Mais on sait tous les deux que ce n'est pas ça. Y'aura plus qu'à l'expliquer aux éventuels témoins. Genre vos collègues. »
Il attrapa son menu, le parcourant rapidement des yeux avant de le reposer – il connaissait la carte par cœur, à force. L'evolve adressa ensuite un sourire charmant à son interlocuteur, croisant les doigts avant de reprendre la parole d'un air dégagé et absolument innocent. « Je suis toujours suspecté d'avoir agressé cette nana, d'ailleurs ? »
Il ne manqua pas de constater à quel point ce mec avait l'air... Bien foutu.
Et c'était mauvais. Dans le genre très mauvais. Il commençait à avoir l'envie de se le faire, maintenant. Histoire de reprendre le contrôle de lui-même, un peu.
Et de se foutre encore plus dans la merde.