Varig ne se retourna pas vers Elena, concentré sur les deux soldats entourant le contrôleur. Il progressait avec aisance malgré le nombre de civils qui se pressait sur le quai. Cette façon de se fondre dans la foule tout en surveillant les forces de l'ordre était si habituelle pour lui qu'elle en était presque devenue inconsciente.
Sentant l'impatience monter il commença un exercice mental pour se calmer.
1, 2, 3, 4. Inspirer.
Il avançait avec fluidité, sans se presser. Il était anonyme, sûr que rien ne le discernait d'un autre.
Sous le manteau noir qu'il portait sur son bras, sa main gantée avait saisit le bâton électrique de Hills. Son pouce s'était placé sur la goupille, prêt à faire jaillir l'arme hors de son étui.
1, 2, 3, 4. Expirer.
Une foule si ordinaire et pourtant si différente. Si impossible.
Les visages se confondaient tels des masques ternes et sans vie. Était-ce réel?
Et de toute façon, cela changeait-il quelque chose?
1, 2, 3, 4. Inspirer.
Un bref instant, Varig s'arrêta et ferma les yeux.
Plongé dans le noir. Le temps semblait s'étirer, se suspendre. Chaque battement de cœur s'étirait sans fin, comme un rond dans l'eau tracé par une pierre qui se distendrait à l'infini.
Puis ses yeux bleus s'ouvrirent à nouveau.
1, 2, 3, 4. Expirer.
Le monde était redevenu bruyant, coloré, le temps s'était remis à filer au rythme impitoyable des horloges numériques. Les questions s'étaient tues, pour un moment au moins.
Il était à nouveau calme, prêt à agir.
Ses traits restèrent détendus lorsqu'il se remit en marche et sortit de la foule puis s'approcha du premier soldat. Ne pas le regarder en face. Sourire sans surjouer... Jusqu'à ce qu'il soit assez près.
Insensiblement, ses muscles se tendirent.
Le premier militaire avait tourné légèrement la tête pour le suivre des yeux, plus curieux qu'hostile. Repéré. Il changea sa trajectoire, marchant droit sur le contrôleur.
-Monsieur... commença l'Eraser en levant la main pour le dissuader d'avancer encore.
Il ne termina jamais sa phrase. Une fois suffisamment proche de lui, Varig était passé à l'attaque.
D'un geste foudroyant il projeta le manteau sur la tête du soldat le plus éloigné pour l'aveugler. Simultanément il pivota sur son flanc alors que la matraque télescopique s'ouvrait en vrombissant et asséna un coup sec dans les côtes de son second adversaire, qui portait la main à son pistolet en se tournant vers lui.
L'agent sentit le choc du métal contre l'os et vit la grimace de douleur du soldat alors que la décharge électrique traversait son torse.
Sans temps mort, Varig pivota pour expédier un direct au visage du premier milicien, encore empêtré dans son manteau et surpris par la soudaineté de l'attaque.
L'impact propulsa le soldat en arrière et il s'effondra au milieu de la foule tandis que son collègue lâchait un rugissement de douleur en claquant des dents.
À nouveau l'agent pivota sur ses appuis pour revenir sur son deuxième adversaire, plié en deux sous le choc de l'attaque. Le bâton télescopique s'abattit à nouveau, presque avec douceur, précis. Quand le métal toucha la gorge du soldat, le cri s'arrêta net. Ce dernier laissa seulement échapper un grognement quand le courant électrique se propagea directement dans sa moelle épinière, puis il s'effondra.
Varig jeta un regard à droite puis à gauche tout en repliant la matraque télescopique. L'engagement n'avait pas duré cinq secondes et les deux Erasers étaient hors de combat.
Les civils n'avaient pas encore eu le temps de comprendre ce qui se passait mais avaient commencé à reculer. Le contrôleur regardait autour de lui, plus éberlué qu'affolé.
Dans quelques secondes les hurlements retentiraient et le reste des soldats allait réagir. Pas le temps de penser.
Sans que l'homme au gilet fluo ait put fuir, l'agent avança vers lui d'un pas décidé, tout en remettant la matraque électrique dans sa poche. L'employé voulut reculer, mais buta contre le mur. Ses yeux croisèrent le regard glacial braqué sur lui, le paralysant aussi sûrement qu'une décharge d'énergie. Il protégea sa tête avec sa tablette et se laissa tomber sur les fesses, comme s'il se préparait à un tabassage en règle.
La main gantée de Varig jaillit avec vivacité, lui arrachant son maigre bouclier de fortune.
-Pitié, couina-t-il.
Sans répondre, l'agent se détourna de sa victime et fit disparaître l'appareil dans sa veste tout en marchant vers le militaire paralysé qui gisait par terre.
Les premiers cris commencèrent à fuser. Les civils se bousculèrent pour s'éloigner, plongeant la station dans le chaos. Sonné par le coup de poing qu'il avait reçu en pleine machoire, le deuxième Eraser lâcha une plainte assourdie et porta les mains à son visage encore recouvert par le manteau désormais bi-centenaire.
Varig ne s'en soucia pas. L'homme n'était pas plus en état de se battre que son collègue électrocuté.
Concentré, l'agent retourna rapidement l'Eraser inconscient et décrocha une des grenades éblouissante de son gilet. Il utilisa la main du militaire pour armer l'engin et se redressa d'un bond avant de se mettre à courir vers la sortie. Cinq secondes avant détonation.
Les soldats postés au sommet de l'escalier avaient dégainé des pistolets, et deux d'entre eux, un homme et une femme, descendaient les marches quatre à quatre. Dans quelques secondes, il serait acculé.
Varig replongea dans la foule au pas de charge, bousculant sans ménagement les civils sur son passage. Dans l'escalier, un des soldats s'arrêta pour l'aligner, mais hésita à tirer, incertain sur l'identité du ou des fauteurs de trouble. Trop de civils. Il n'était pas sûr de qui il devait viser.
Prit d'une subite inspiration, le milicien mit son ordinateur de poignet devant sa bouche.
-TOUT LE MONDE A TERRE! Hurla sa voix amplifiée par le mégaphone intégré.
Il leva à nouveau son arme, certain de pouvoir faire mouche si les dizaines de boucliers humains de sa cibles sortaient de sa ligne de mire durant deux ou trois secondes. Malheureusement pour lui il n'eu pas ce délai.
Tous les Erasers fixaient la direction de la menace quand Varig lança la grenade. Il s'était baissé dès que le cri avait fusé en se protégeant les yeux du bras.
L'engin éclata presque instantanément dans un vrombissement furieux. L'agent se redressa dès que le flash de lumière cessa et repris son avance au milieu des civils terrorisés. Nombre d'entre eux avaient étés aveuglés, comme les soldats, et la bousculade prenait des proportions dantesques.
Dans l'escalier, la femme Eraser continua sa course, emportée par son élan. Désorientée, elle rata une marche et tomba lourdement en bas. Ses collègues tentaient de protéger leurs yeux, mais trop tard. Le quai était resté figé dans une photographie brûlante sur leur rétine pour plusieurs secondes encore.
Varig se prit à espérer qu'Elena ne soit pas blessée sans avoir le temps de s'en assurer. Continuer d'avancer, s'était tout ce sur quoi il devait se concentrer. Le timing était trop serré pour se permettre de perdre un seul instant.
Émergeant de la foule au pas de course, il se précipita vers l'escalier en s'arrêtant une seconde pour expédier un coup de pied dans les côtes de la femme soldat tombée dans les marches, qui tentait de se relever. L'impact lui arracha une plainte étranglée et elle fut brutalement plaquée contre le mur, se recroquevillant en position défensive, prête à encaisser. L'agent ne s'en soucia pas, continuant sa route. Elle était neutralisée.
Hors de question de risquer une décharge dans le dos par sensiblerie. Toute personne portant une arme sur sa route était un danger à éliminer au plus vite. Tant pis pour la chevalerie.
Sans perdre plus de temps, il se précipita sur l'Eraser au mégaphone qui se tenait au milieu de l'escalier. Ce dernier tentait maladroitement de braquer son arme, aveuglé et désorienté.
Varig passa au dessus de lui en le bousculant, l'envoyant brutalement contre la rambarde. Le soldat trébucha mais se raccrocha de toute ses forces à la barrière pour ne pas tomber avant de lever son pistolet, tirant au jugé vers le sommet de l'escalier. L'agent se baissa dès la première décharge, sortant de la ligne de tir, mais les deux Erasers au dessus de lui étaient toujours aveuglés par le flash. Frappés de plein fouet et presque à bout portant par les faisceaux d'énergie, ces derniers s'effondrèrent aussitôt.
Leur collègue tirait sans rien y voir, mais il avait bien faillit atteindre sa cible.
A moitié couché dans les marches, Varig le désarma d'un coup de pied avant de bondir sur lui. Il saisit l'Eraser par les épaules et le frappa d'un puissant coup de genoux au ventre. L'autre failli tomber, mais l'agent le retint en passant son bras sous son menton avant de le faire pivoter sèchement le tenant contre lui dans une clé solide.
Bien lui en prit. Venu de l'autre bout de la station, un premier tir frappa de plein fouet son "bouclier humain" en plein coeur tandis qu'un deuxième raflait sa tempe, hérissant ses cheveux d'électricité statique. Il sentit le soldat se raidir une seconde sous l'effet de la décharge, puis se relâcher totalement, comme une marionnette à laquelle on aurait coupé les fils. L'agent le sentait respirer.
Bonne nouvelle, les armes de la police du futur étaient non létales. Au moins une dans la journée.
Traînant son bouclier improvisé, Varig acheva de monter les marches à reculons et s'abrita derrière le parapet du pont, sous une pluie de tirs. Avec rapidité il étendit l'Eraser en prenant garde de ne pas faire cogner sa tête contre le sol alors qu'un tir d'énergie venait s'écraser contre la rambarde juste au dessus de lui.
Malgré la pression, ses gestes restaient précis et sa concentration était plus affûtée que jamais. D'un geste rapide il récupéra les deux grenades aveuglantes du soldat.
Ces Erasers tiraient bien. Très, très bien. L'avoir manqué de si peu à plus de trente mètres avec une arme de poing était un exploit. S'il sortait à découvert, il était sûr qu'il ne tiendrait pas dix secondes sous ce feu de barrage.
Légèrement essoufflé, l'agent ouvrit ensuite la fermeture de sa veste et sortit la tablette volée au contrôleur à peine une demi-minute plus tôt. Il avait entre quinze et trente secondes avant que les militaires ne puisse se frayer un passage à travers la foule de citoyens effrayés, et il comptait bien les utiliser pour se tirer du pétrin.
Il analysa rapidement l'affichage sur l'écran tactile.
Comme il l'avait supposé, l'outil servait à contrôler le trafic, les signaux mais aussi et surtout la rame de métro. Il suffisait de trouver les bons boutons...
Heureusement l'employé était resté sur le programme de commande du métro.
D'un geste il activa l'ouverture des portes de la rame et entendit avec satisfaction le ronronnement des moteurs électriques.
Ouverture des portes pour l'embarquement signala docilement l'appareil.
Prit d'une subite inspiration, il saisit le poignet de l'Eraser inconscient.
-QUE TOUT LE MONDE SE METTE A L'ABRI DANS LE METRO! tonna sa voix amplifiée.
Satisfait du vacarme que l'annonce avait déclenché, il sourit, carnassier. Les Erasers seraient empêtrés dans les gens tentant de monter dans les rames, et Elena devrait pouvoir profiter du chaos pour embarquer. Avec un peu de chance.
-Ne montez pas! Je répète ne montez pas dans cette rame! ordonna bien inutilement le contrôleur paniqué, qui avait toujours son propre micro mais peinait à se faire entendre.
L'agent compta mentalement jusqu'à 10 puis enclencha la fermeture des portes, avant d'autoriser le départ de la rame. Ce devait être assez pour qu'Elena ait embarqué. Il ne pouvait pas lui donner plus de temps de toute façon. Et au fond, il ignorait si elle était plus en sécurité avec lui. Mais elle était la seule à pouvoir lui donner des réponses, et il n'avait pas le temps de trouver un meilleur plan.
Utilisant le poignet qu'il tenait toujours, l'agent arma les deux grenades aveuglantes et les envoya rouler dans l'escalier. Cinq secondes à nouveau. Il s'éloigna ensuite de l'escalier, courbé en deux, longeant le parapet, sa seule couverture contre les pistolets futuristes. Il tournait ainsi le dos à la seule sortie.
Les grenades explosèrent bien, mais cette fois la plupart des Erasers s'étaient équipé de lunettes anti-éblouissantes ou se protégèrent du flash.
Au même moment, d'autres soldats débouchèrent depuis la surface, l'arme au poing.
Varig décida qu'il était plus que tant de partir.
-Halte! Aboya l'un des arrivants en levant son arme.
Dopé par l'adrénaline, l'agent l'ignora, se redressa et bondit par dessus le parapet sans hésiter, se laissant tomber sur le toit du métro qui défilait lentement en dessous du pont, accélérait petit à petit. Il atterrit avec rudesse sur le métal qui couina de protestation et faillit perdre l'équilibre. Varig se sentit partir à la renverse et se stabilisa de justesse, couché sur le dos.
Les soldats sur le quai ou sur le pont auraient put l'abattre facilement, mais personne ne tira. Les ordres étaient de le prendre vivant, et les Erasers ne voulaient pas courir le risque qu'il tombe et soit happé sous la rame avant d'être électrocuté par les rails. De toute façon leur fuyard était toujours pris au piège dans le métro.
Quelques secondes plus tard, la rame s'engouffra dans le tunnel et ils le perdirent de vue.
-Bordel, commenta un des Erasers qui observait le chaos laissé dans le sillage de l'agent depuis le pont.
C'est qui ce type?Les lumières du plafonds défilaient de plus en plus vite au dessus de l'agent couché sur le toit de métal.
Varig était loin d'être tiré d'affaire. Le métro prenait rapidement de la vitesse, et il risquait à tout moment de glisser. La lumière des spots conjuguée au vacarme du vent ne l'aidaient pas beaucoup. Son premier réflexe aurait plutôt été de s'accrocher en priant pour atteindre rapidement le prochain arrêt. Malheureusement le prochain quai risquait de bientôt grouiller d'Erasers nerveux. Et armés.
Il commença par se retourner sur le ventre, avant de se redresser sur les coudes. Rampant à moitié, il se mit à progresser prudemment sur le toit. Avec un peu de chance il pourrait entrer dans le wagon par la jonction entre les rames.
Contrairement aux métros du passé, le rail magnétique offrait une progression régulière et coulée, sans cahots. Une vraie chance, sans quoi à la moindre inégalité de la voie, il aurait probablement été éjecté de son perchoir. Et à cette vitesse... Il n'aurait pas donné cher de sa peau.
Le revêtement était glissant. Il ne pouvait pas se lever; il n'y avait pas beaucoup plus d'un mètre entre le toit du wagon et le plafond du tunnel. Le vent dut à la vitesse commençait à fouetter son visage et à s'infiltrer entre ses bras, menaçant de le faire tomber. Une prise ratée, une glissade et... C'était le grand plongeon. Pourtant il continua, concentré, un petit sourire aux lèvres.
Le risque faisait partie du métier, et la grisante sensation procuré par l'adrénaline le poussait à agir plutôt qu'à penser. Il serait toujours temps de réfléchir plus tard. S'il y avait un "plus tard" au "bout du tunnel", se dit-il non sans irone.
La demi-douzaine de mètres qu'il avait à franchir lui parut tout de même interminable, et quand Varig parvint au bout de la rame après quelques secondes de progression, il poussa un grognement de satisfaction. Il passa prudemment la tête dans le vide.
Environ deux mètres plus bas, un petit marchepied faisait la jonction entre les wagons. Il se trouvait sur le toit de l'avant dernière voiture du convoi.
Malgré lui, il sentit son regard se faire happer par la vision de la voie qui défilait à toute vitesse sous le métro, éclairée par intermitence par les lumières fixées aux parois et au plafond du tunnel.
La bouche sèche il se dit soudain que cette plate-forme semblait diablement étroite. Le toit semblait beaucoup plus sûr. Enfin si on oubliait les dizaines de types surarmés qui l'attendraient en souriant à l'arrivée, si le freinage ne l'éjectait pas de son perchoir.
Fataliste, l'agent se résolut à descendre. Il commença par se retourner sur le dos et pivota sur lui même avant de reculer avec lenteur jusqu'à sentir ses jambes pendre dans le vide.
Il se força à calmer sa respiration et compta mentalement.
1, 2, 3, 4... Go.
Varig se laissa tomber en arrière, atterrissant lourdement sur le marchepied. Il agrippa les poignées fixées de part et d'autre de la porte aussitôt qu'elles furent à portée et se plaqua contre la paroi de métal, serrant le métal aussi solidement que si sa vie en dépendait.
Ce qui était d'ailleurs le cas.
Il expira et ferma les yeux quelques secondes, conscient que cette acrobatie ne serait sans doute pas la dernière épreuve de sa cavale.
En équilibre à la limite du marchepied, il jeta un rapide coup d’œil à travers la vitre qui couvrait la moitié des portes séparant chaque wagon.
La rame de queue était totalement vide. Apparemment les soldats avaient réussi à empêcher les civils de monter, à moins que ces derniers n'aient eu trop peur pour bouger.
En revanche dans le wagon dont il venait de descendre, un Eraser avait décidé d'embarquer. L'arme au poing, il fixait nerveusement le plafond en faisant les cent pas. Sans doute avait il entendu le choc lors de l'atterrissage de l'agent.
Varig recula précipitamment à l'abri, juste avant qu'il ne se retourne.
Penser. Se concentrer. Ralentir sa respiration et profiter de la stimulation crée par le danger avant qu'elle ne retombe.
Son attention se déconnecta totalement de son environnement, et il se sentit aussi calme qu'assit dans son fauteuil préféré. Ses yeux bleus fixaient le vide, ses neurones tournant à plein régime, dopés par l'adrénaline.
L'urgence c'était de bloquer le métro, pas l'Eraser. Sans quoi il serait fini dès le prochain arrêt. Pas question d'affronter la milice privé de l'effet de surprise, sa meilleure arme.
Fébrile, l'agent ressortit la tablette du contrôleur et ralluma l'écran en le touchant du bout de son doigt ganté. Pour le moment personne ne lui avait retiré l'accès au réseau du métro. Il devait agir tant que c'était encore le cas.
Il navigua rapidement dans les menus et après quelques secondes de tâtonnement il trouva ce qu'il cherchait.
Êtes vous sûr de vouloir annuler tous les arrêts jusqu'au Terminus?
demanda l'outil avec une neutralité toute numérique.
Varig valida sans hésiter. Aussitôt une autre fenêtre apparut.
Êtes vous vraiment sûr de vouloir faire ça?
insista l'ordinateur.
L'agent leva les yeux au ciel. Apparemment les développeurs de futur n'avaient pas perdu leurs manies de vouloir tout confirmer. Au cas où...
Il confirma à nouveau. Une fois sa commande exécutée, il se remit à pianoter sur la tablette jusqu'à afficher une carte sommaire de la ligne. Il pouvait ainsi suivre la progression de son métro.
Les Erasers allaient probablement vite s'apercevoir de sa petite intrusion. A leur place il organiserait un comité d'accueil une ou deux stations avant le terminus, pour l'empêcher d'atteindre son objectif tout en ayant le temps de rameuter des renforts. Donc il devait descendre du train avant.
Facile en théorie. Seulement en pratique, la rame devait avoisiner les 150 kilomètres/heure...
Pendant qu'il réfléchissait, le métro traversa une première station, ralentissant à peine. L'agent se tassa contre la paroi argentée du métro, imaginant les Erasers sur le quai en train de crier des ordres dans des radios et de courir en tout sens. Il avait eu chaud, mais ce n'était qu'un sursis de gagné.
La rame replongea bien vite dans la sécurité relative du tunnel. Personne ne les suivraient là dedans.
L'agent risqua un nouveau coup d’œil à l'intérieur de la rame. Le militaire continuait de faire les cent pas, l'arme au poing, parlant avec un invisible interlocuteur.
Prit d'une subite inspiration il profita que le soldat avait le dos tourné pour actionner le gros interrupteur qui semblait commander la porte du wagon de queue. Celle-ci coulissa en douceur presque sans bruit. L'agent sortit ensuite la tablette volée au contrôleur et la jeta au milieu de l'allée, bien visible, avant de se remettre à couvert avant que l'Eraser ne se retourne.
Varig resta immobile, attendant sa réaction.
1, 2, 3, 4, 5. Attendre. Ne pas bouger. 8, 9, 10, 11. Sans doute avait il remarqué le changement à travers la vitre. Peut être flairait-il le piège... 18, 19, 20. Allait-il venir et...?
Le chuintement d'une porte rententit, à peine discernable dans le vacarme du vent causé par la vitesse.
Presque aussitôt le pistolet de l'Eraser apparut à quelques centimètres de la tête de Varig. Le militaire avait mordu à son appât.
L'agent n'attendait que cela pour passer à l'attaque. Il attrapa le poignet du soldat d'une main et l'arme de l'autre, l'arrachant brutalement à son propriétaire. Une décharge de laser tirée par réflexe alla se prendre dans le wagon de queue tandis que l'agent jetait l'arme hors du train, disparaissant aussitôt dans le tunnel.
Dans le même mouvement Varig s'engouffra dans la rame, frappant son adversaire avec le coude.
L'attaque visait le plexus, mais l'Eraser bougea au dernier moment et le coup vint seulement frapper son épaule. L'homme se dégagea d'une brusque torsion de poignet et recula rapidement jusqu'au milieu de la rame avant que Varig ne puisse le frapper à nouveau, portant la main à sa matraque électrique. Il voulait se mettre hors de portée pour pouvoir déployer son arme, et son adversaire ne chercha pas à l'en empêcher.
L'agent avança d'un pas et actionna la fermeture de la porte sans lâcher l'Eraser des yeux. Le fracas du vent se tut, remplacé par le ronronnement léger du moteur électrique de la rame.
Les deux adversaires restèrent immobiles quelques secondes, s'évaluant du regard. Le soldat était un jeune homme brun, plutôt costaud sans être pour autant un colosse. Varig lui avait infligé un bon coup à l'épaule, douloureux sans doute mais pas assez pour le ralentir. Dommage, s'il avait atteint son plexus, l'homme serait déjà à terre.
Vu la garde qu'il avait adopté, c'était un combattant bien entraîné. Un adversaire dangereux, souple sur ses appuis et qui ne se contentait pas d'appliquer une position apprise mais jamais appliquée.
Contrairement à ceux qu'il avait "affronté" jusqu'à présent Varig ne disposerait pas de l'effet de surprise.
Ce fut l'Eraser qui parla le premier.
-Au nom de la milice de Madison, vous êtes en état d'arrestation. Rendez vous sans opposer de résistance, et ça se terminera sans violence.Pour toute réponse Varig se mit à son tour en position de combat. L'autre dégaina sa matraque électrique qui se déploya dans un vrombissement.
-Dernière chance, anonça le soldat, l'air déterminé.
Avec un petit sourire, l'agent dégaina le batôn de combat qu'il s'était approprié. Même arme. A la loyale...
-Rendez vous sans opposer de résistance et ça se terminera sans violence singea-t-il, sacrifiant à la vieille tradition de plaisanter pendant les combats.
L'autre sourit malgré lui. LA confrontation était inévitable, et il comptait bien l'emporter... Tout comme son adversaire.
Du pouce Varig fit sauter la goupille pour activer sa matraque électrique...
... Mais au lieu de se déployer, l'arme émit un pitoyable petit crachotement suivit d'un bip d'agonie.
Le sourire de Varig s'effaça et il baissa les yeux sur l'engin. L'indicateur de puissance affichait un symbole bien reconnaissable qui clignotait doucement.
-Batterie à plat, lâcha l'Eraser d'un ton étrangement compatissant.
Ces saletés ne vous préviennent jamais avant de tomber en rade. La poisse, pas vrai?Agacé, Varig jeta l'arme désormais inutile et se remit en garde. Les deux hommes restèrent à se fixer pendant quelques secondes sans bouger.
La lumière bleuté des néons éclairait l'intérieur du wagon, et de larges fenêtres laissait entrevoir le tunnel qui défilait à toute vitesse.
Soudain la rame pénétra dans une station.
Ce fut le signal de l'attaque. Les deux combattants traversèrent le wagon au pas de charge, fonçant à la rencontre l'un de l'autre.
Dès que Varig fut à portée, l'Eraser frappa un coup circulaire avec son bâton. Il avait plus d'allonge mais une fraction de seconde de retard. Son adversaire se baissa avec vivacité, évitant la matraque qui finit sa course contre une des poignées métallique fixée au mur, produisant un tintement sourd et des étincelles électriques. Sous l'impact, le métal se plia.
Le soldat avança d'un pas et arma son bras, tandis que Varig se redressait.
Grâce à son expérience, il avait anticipé l'attaque suivante. Un coup de haut en bas, rapide pour le forcer à reculer et garder un maximum de distance, pour profiter de son allonge.
L'agent avança à sa rencontre et bloqua l'attaque en levant le bras gauche tout en attrapant le poignet de l'Eraser de sa main droite, stoppant la matraque à une dizaine de centimètres de sa tête. Il poussa, faisant reculer l'arme qu'il tenta de diriger vers son adversaire.
Ce dernier vint soutenir son bras avec sa main libre, poussant à son tour. Du bout du doigt, il augmenta la puissance de la décharge au maximum. Tant pis si ce type crachait de la suie pendant une semaine en se réveillant.
Durant quelques instants, l'Eraser regagna du terrain, avant que l'arme ne s'immobilise pour de bon entre eux, incertaine. Les deux hommes mettaient toute leur force dans l'effort, et la volonté de vaincre se lisait dans leurs yeux.
La lutte dura plusieurs secondes jusqu'à ce que l'agent sente que le soldat faiblissait. Son bras tenait bon, mais son poignet cédait peu à peu. La matraque se mit doucement à pencher vers lui...
L'Eraser grimaça et mit fin à la menace en expédiant un coup de pied circulaire dans les côtes de son adversaire, le repoussant brutalement en arrière. Il n'avait pas put mettre toute sa puissance dans sa frappe, mais l'impact fit douloureusement grogner l'agent, qui se remit pourtant en garde.
Le soldat revint aussitôt à l'assaut, tentant la même frappe verticale. Cette fois Varig dévia l'attaque sur le côté en attrapant son poignet armé, expédiant violement sa main contre un des sièges du wagon. Simultanément il frappa l'Eraser de deux coups de poing rapides en plein visage.
Sonné, ce dernier lâcha sa matraque mais eu le reflexe de venir se coller contre son adversaire pour l'empêcher de frapper à nouveau, le repoussant légérement en arrière. Il passa son bras gauche sous celui de son adversaire et appuya sa main sur son dos pour le forcer à se baisser en avant, dégageant ainsi sa main droite. Il ferma le poing et frappa violement l'agent dans les côtes.
Ce dernier lâcha une plainte étouffée sous l'impact mais réussit à faire passer sa main sur la gorge de l'Eraser avant qu'il ne frappe à nouveau. Il plaça aussi son pied derrière le sien.
D'un seul mouvement, il poussa brusquement sur le menton pour déséquilibrer son adversaire tout en fauchant son pied. Ce dernier tomba en arrière, atterrissant rudement sur le sol de la rame. Il tenta de se redresser mais l'agent lui expédia un coup de pied dans le ventre qui lui coupa le souffle.
Le soldat lâcha un grognement de douleur et resta quelques secondes immobile, sonné.
Sans lui laisser le temps de se récupérer, Varig ramassa sa matraque électrique et appliqua le métal au milieu de son torse, déchaînant près de 50 000 volts directement dans son plexus solaire.
Tous les muscles du soldat se tendirent tandis que le courant le traversait de part en part. L'agent continua quelques secondes puis recula, haletant.
Trébuchant plus qu'il ne marchait, l'agent laissa tomber l'arme du soldat et s'accrocha à un des sièges de la rame, une main plaquée sur son flanc droit. Les côtes. Il inspira avec lenteur, les yeux fermés pour chercher les points de douleur avant de relever sa veste et sa chemise pour examiner la zone blessée.
Varig retira un de ses gants et tâta doucement sa cage thoracique, la respiration sifflante. Pas de fracture, mais la peau commençait déjà à virer au violet là où l'Eraser avait frappé. Bel hématome en perspective, peut être une ou deux côtes froissées. Comme s'il avait besoin de ça...
Il remit ses vêtements en place et enfila à nouveau son gant, avant de se masser le poignet en jetant un regard hostile au soldat inconscient.
Solides les flics du futur. Quoi que comparé à ce dernier, Varig s'en tirait plutôt bien.
L'Eraser avait le nez qui saignait et un coup de poing avait fait éclater sa pommette. Il respirait, mais le coup de pied dans le ventre n'avait pas dut l'arranger. La décharge l'avait juste achevé. Dur réveil en perspective.
L'agent lâcha le fauteuil en grimaçant et s'étira. L'adrénaline du combat tenait la douleur à distance, mais ça n'allait pas durer. Il ne devrait pas avoir trop de mal à bouger dans un premier temps. Ensuite il devrait trouver des antalgiques et de la glace pour accélérer la guérison. Et se reposer.
Ce n'était vraiment pas sa première blessure du genre et certainement pas la dernière. A force il finissait par presque en avoir l'habitude.
Maintenant, il était temps de s'échapper. D'abord il devait traîner l'Eraser dans un autre wagon, loin du danger. Il agirait juste après la prochaine station.
Fuir d'un train en marche n'était jamais une partie de plaisir et les Erasers ne lui avaient pas facilité la tâche. Le métro allait trop vite pour espérer sauter en marche, et la tablette refusait d'exécuter ses commandes. Les techniciens avaient fini par la bloquer à distance. Pas d'arrêts avant "qu'ils" ne le décident.
Heureusement. Varig n'avait pas vraiment l'intention de demander leur permission. Une fois l'Eraser à l'abri, il revint sur le marchepied qui séparait le wagon de queue du reste du convoi et se baissa pour observer les systèmes de fixation.
De part et d'autre de la platte-forme, on pouvait voir que les wagons étaient reliés par de grosses griffes en métal, elles-mêmes connectées à un boitier électronique placé au dessus de la porte. Un techno-pirate aurait certainement put le désactiver, avec du temps et les compétences requises. Varig n'avait ni l'un ni l'autre.
Il fit une courte prière puis frappa le boitier de toutes ses forces avec la matraque électrique réglée à pleine puissance. La coque ne résista pas au choc et l'arme se planta purement et simplement à l'intérieur, directement au contact des cables et des circuits, délivrant sa charge.
Le résultat ne se fit pas attendre. De grosses étincelles jaillirent dans un craquement de fin du monde fit bondir l'agent en arrière, dans la rame de queue. Il eu le réflexe de s'accrocher à une des poignées.
Bien lui en prit car les "griffes" se détachèrent brusquement et le wagon se mit à zigzaguer sur son rail magnétique, manquant de projeter son unique passager
"ad patres".
Malheureusement pour l'agent il n'y avait pas de locomotive, chaque wagon ayant sa propre propulsion, un puissant éléctro-aimant. Le module resta donc presque collé à celui qui le précédait, poursuivant sa course sans même ralentir. L'agent grimaça quand un cahot l'envoya contre une des vitres.
De toute évidence son plan d'origine avait du plomb dans l'aile.
-Merde, cette saleté ne s'arrête pas! jura-t-il, conscient que ça ne servait à rien.
Il chercha une solution du regard tout en s'accrochant, et ses yeux rencontrèrent une poignée rouge fixée à la paroi, juste devant lui. L'arrêt d'urgence...
Sans hésiter il traversa le wagon en manquant de s'étaler par terre et fit exploser la petite vitre de protection, ignorant la petite affiche promettant une forte amende à quiconque activerait les freins sans une bonne raison. Il n'était plus à un délit près... Et au fond il avait une très bonne raison de vouloir arrêter ce wagon. En espérant que le juge soit de son avis.
Sans plus attendre il tira sèchement la poignée.
Le wagon freina aussitôt, projetant l'agent contre des sièges auxquels il se raccrocha comme un naufragé à son radeau.
Après quelques secondes de bruyant freinage la rame s'immobilisa pour de bon, et les portes de côté s'ouvrirent auréolées par une lumière rouge.
Grimaçant à cause de la douleur qui émanait de ses côtes et le choc dut au freinage brutal, l'agent se traina jusqu'aux issues du wagon. Il s'accrocha au rebord de la rame et se laissa tomber dehors, atterrissant presque aussitôt sur le sol de ciment du tunnel.
Tous les métros avaient des sorties de secours et celui du futur ne faisait pas exception. L'issue était même indiquée par des paneaux lumineux, vieux mais toujours fonctionnels.
D'autres semblaient avoir infiltré les tunnels; de grands tags s'étendaient sur les mur. Plutôt des signatures que de véritables oeuvres d'art.
Varig ne perdit pas de temps à les observer et se mit en marche avec la lenteur d'un infirme. L'adrénaline était en train de cesser de faire effet, et bien qu'il soit entraîné à gérer le contrecoup c'était toujours un moment physiquement éprouvant.
Il marchait depuis une cinquentaine de mètres quand il se sentir mal. La douleur lui tomba dessus brutalement, sans prévenir. La tête lui tournait et il avait l'impression que les lumières du tunnel devenaient de plus en plus fortes, blessant ses yeux. Il dut se raccrocher au mur et toussa, le coeur au bord des lèvres.
De l'air. Il lui fallait retourner à l'air libre, ou il risquait bien de s'écrouler là.
Avec un sursaut de volonté et l'aide de la paroi de béton en guise de soutien il se remit à avancer. Par moment il était pris de vertiges et tangait comme sous l'assaut d'une vague invisible.
Il marcha ainsi quelques secondes ou quelques minutes, comme dans un cauchemar ou une hallucination. Une seule idée tournait en boucle dans son esprit, pressante, totale: sortir à l'air libre.
Enfin il finit par arriver devant une porte. L'issue n'était fermée que par un simple cadenas. L'agent s'arrêta quelques secondes, respirant avec lenteur. La douleur refluait lentement, mais il se sentait toujours près de perdre connaissance.
Rassemblant ses forces il prit son élan et expédia un coup de pied selon un angle précis. La fermeture ne resista pas et céda dans un fracas de métal qui raisonna dans le tunnel.
La porte pivota sur ses gonds et claqua contre le mur avant de s'immobiliser. Aussitôt l'agent sentit l'air frais s'infiltrer en courant d'air. Il inspira avec reconnaissance et s'avança en se tenant au mur.
La porte donnait sur un couloir éclairé d'une lueur rougeatre. Au bout de celui-ci on voyait une petite salle dans laquelle un peu de poussière en suspension brillait comme de l'or, frappée par les rayons du soleil. Une échelle était fixée au mur. Une promesse de retourner à la surface...
Respirant à plein poumons, l'agent traversa le corridor en trébuchant et se laissa finalement tomber à côté de l'échelle menant à la sortie, épuisé.
Varig resta ainsi un moment, reprenant peu à peu ses esprits. Aussi inexplicablement qu'il était apparut, son malaise était passé, comme chassé par l'air frais et la lumière du dehors.
La retombée d'adrénaline ne suffisait pas à expliquer ces sensations. C'était plutôt comme une réplique de ce qu'il avait ressentit sur la place, en moins puissant. Après avoir traversé deux siècles son corps était forcément perturbé...
Deux siècles.
Varg ferma les yeux et chassa cette pensée avant de se relever doucement en s'aidant de l'échelle. Pas le temps de réfléchir à tout ça. Il était toujours poursuivit, et perdait du temps. Geindre sur son sort ne l'aiderait pas. Il devait bouger.
La douleur irradiant de ses côtes lui arracha une grimace, mais il se sentait beaucoup mieux. Il en profita pour observer son environement.
Il se trouvait dans une sorte de cheminée d'aération. Le soleil pénétrait à travers une grosse grille faisant office de plafond, loin au dessus de lui. L'échelle ne montait qu'à une quinzaine de mètres du sol, jusqu'à une trappe ronde aménagée dans le mur. La sortie...
Sans s'attarder il se mit à grimper rapidement les barreaux de l'échelle. Une fois au sommet il lui suffit d'appuyer sur le gros bouton qui commandait l'ouverture de la trappe blindée. Celle-ci protégeait le métro de toute intrusion mais n'interdisait pas de sortir et elle coulissa dans un chuintement.
Aussitôt les bruits et les odeurs du dehors emplirent l'air. Si réels, si vivants...
Plus que jamais l'agent ressentit le besoin de ressortir à l'air libre. Il allait échapper à ceux qui le traquer, errer dans l'ombre, se cacher. Mais il ne fuirait pas.
Il chercherait des réponses.
Sans un regard en arrière Varig escalada les derniers barreaux et quitta le métro, pour découvrir ce nouveau monde.
Rp Clot
A suivre dans le deuxième chapitre des aventures de Varig Cross:
Nouveau Monde- Spoiler:
J'ai pris grand plaisir à écrire ce rp, et j'espère que vous aurez aussi apprécié votre lecture. Merci à ma partenaire Elena pour ce bon moment d'écriture, que j'espère retrouver pour d'autres aventures un jour prochain!