HRP:

La matinée avait pourtant bien commencé, pour une fois. Elle s'était levée aux aurores, parfaitement requinquée après une longue nuit de sommeil qu'elle n'avait pas eu depuis de nombreuses semaines. Rien n'avançait pour résoudre la gigantesque panne qui touchait la ville mais, après presque deux mois, elle avait finit par se faire à cette routine. Elle ne comptait plus ses heures mais au moins, elle ne s'ennuyait pas, bien qu'elle broyait souvent du noir. Aujourd'hui, elle avait envie de relativiser. Elle avait l'énergie pour. C'était donc avec le sourire qu'elle débuta sa patrouille, qui débutait par la surveillance de points de ravitaillements. Une tâche des plus anodine et qui aurait normalement dû se passer sans accro. Sauf que rien ne se passait normalement à Madison.

Les esprits s’échauffaient alors que l'homme chargé du rationnement annonçait que la livraison n'avait pas pu se faire. De loin, Lexus voyait la foule s'amasser autour de lui, véritable nuée noire qui grossissait à vue d’œil. Le chef de son unité décida d'intervenir et les cinq Erasers se frayèrent donc un chemin parmi ces civils pour tenter d'apaiser la situation. Sauf que rien ne fut apaisé. Les questions fusaient de toute part et les citoyens réclamaient des réponses. Toujours des pourquoi et des comment. Ils ne pouvaient décemment pas se faire entendre au milieu de tout se brouhaha. Trop occupée à gérer ceux qu'elle avait sur le dos, l'ancienne blonde ne fit pas attention à ses coéquipiers. Elle aurait dû, vraiment. Des bleus, à peine formés, qui ne savaient même pas tenir correctement une arme. On en voyait de plus en plus en ce moment, la milice cherchait à gonfler ses rangs pour gérer au mieux cette situation catastrophique. Son avis ? Ça n'allait rien régler du tout, au contraire. Et la preuve était donnée en même temps que le coup de feu.

La foule sursauta d'un seul homme alors que la jeune femme portait son regard sur l'endroit d'où venait le tir. Son cœur rata un battement lorsqu'elle découvrit la scène. Pendant quelques secondes, elle ne sut pas comment réagir. Elle resta immobile, les yeux grands ouverts sous le choc, regardant le sang qui commençait à tacher le vêtement de la victime. Une femme. Une simple femme qui voulait juste de quoi survivre. Un homme s'était alors approché d'elle, tendant un mouchoir pour essuyer ses larmes avant de se tourner vers eux. Ses mots résonnèrent dans l'esprit de l'Eraser et, comme si elle revenait soudainement à la réalité, elle se mit en mouvement.

« - Ecartez-vous lâcha-t-elle d'un ton sec. J'appelle une ambulance. »

Maintenant ce n'était plus la surprise qui parlait pour elle mais la colère. Il avait fallut que le pire des scénarios arrive. Un Eraser qui tire sur un civil, avec ça les journaux allait se donner à cœur joie. Elle passa alors son bras dans le dos de la victime pour lui éviter une potentielle chute et envoya un message en quelques secondes au service ambulancier. Ensuite, elle se tourna vers la fautive, qui tremblait encore sous le choc.

« - Active cette putain de sécurité sur ton arme ! »

Au moins pour éviter un nouvel accident. Qu'elle n'aggrave pas son cas. C'était exactement dans ce genre de situation qu'elle devait garder son sang froid mais là, c'était plus fort qu'elle. A cause de ces imbéciles qui ne prenaient même pas la peine d'envoyer des agents formés sur le terrain. La situation allait s'envenimer, c'était certain. Elle ne pouvait pas gérer la foule et en même temps s'occuper de la blessée. Elle ne pouvait pas surveiller ses collègues et quiconque oserait faire quelque chose de stupide. Son chef allait sans doute faire quelque chose pour disperser tout ce beau monde, autrement ce ne serait que le début. Dans le doute, sa voix s'éleva.

« - Que tout le monde s'éloigne ! »

Il était trop tard pour espérer sauver la réputation de la milice mais si, au moins, elle pouvait éviter un incident supplémentaire, elle était preneuse. Son attention se reporta ensuite sur la victime. Elle devait agir rapidement si elle ne voulait qu'elle perde trop de sang. Une main dans une de ses nombreuses sacoche, elle en retira un rouleau de bandage qu'elle coupa à l'aide de ses dents et qu'elle utilisa pour exercer de la pression sur la blessure.

Le bandage ne tiendrait pas éternellement, elle allait devoir le changer rapidement. Elle sentait le sang chaud à travers le tissu, l'odeur lui emplissait les narines et elle voyait les yeux en larmes de la victime qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle aurait pu la rassurer, lui parler doucement, lui demander de garder les yeux ouverts mais l'homme ne s'était pas éloigné, comme à sa demande, et s'était agenouillé près de la blessée pour lui apporter un quelconque soutien. Du moment qu'il ne faisait rien pour empirer la situation, elle n'avait pas à lui ordonner de partir. Ils ne devaient pas bouger la femme jusqu'à ce que les secours arrivent. Ils étaient totalement vulnérables, ici, en plein milieu de cette foule qui ne s'était pas éloignée malgré son ordre.

Des voix s'élevaient, les murmures se faisaient plus sûrs et tous véhiculaient la haine envers les Erasers. Elle n'avait pas besoin de tout comprendre pour le savoir. L'air était électrique et ses collègues visiblement dépassés par les événements. A côté d'elle, l'inconnu lui jetait plusieurs coups d’œil nerveux qu'elle ne loupa pas. Néanmoins, elle n'avait pas que ça à faire de réfléchir au pourquoi du comment vu la situation dans laquelle elle se trouvait.

« - Je ne sais pas répondit-elle ensuite, précipitamment. L'hôpital n'est pas très loin. Qu'importe le temps que cela prendra, il faudra rester près d'elle. »

Ce n'était pourtant pas ce qui l'inquiétait le plus. La foule s'agitait, prête à faire n'importe quoi. Un individu pourrait très bien profiter de la situation pour se jeter sur un Eraser et lui prendre son arme. Ou le frapper, déclenchant ainsi une bagarre, et cela ne ferait que signer le début des ennuis. Ce scénario lui faisait peur, vraiment, et ils n'étaient absolument pas prêts pour y faire face. Elle ne pourrait quasiment rien faire d'autre, sa priorité s'étant jetée sur la victime. Sa main baignait à présent dans le sang, le bandage ne pouvait en absorber plus.

« - Exercez de la pression sur le bandage pendant que j'en prends un autre intima-t-elle au brun. »

Sans lui laisser le choix, elle attrapa sa main et la remplaça par la sienne, au cas où il aurait hésité. Elle refouilla rapidement sa sacoche pour reprendre un bout de bandage et le remplacer par l'ancien, avec lequel elle se remit à appuyer sur la blessure. Elle imaginait très bien à quel point cela pouvait être douloureux, cet éclat dans ses yeux ne lui était pas inconnu. Néanmoins, elle devait faire face si elle ne voulait pas sombrer. Elle ne pouvait pas sombrer.

A peine avait-elle terminé son discours que son supérieur lui ordonna de retourner s'occuper de la blessée sur le champ. Lexus serra les dents et se retint de se retourner pour lui lancer un regard noir. Depuis tout à l'heure il ne faisait absolument rien pour calmer la situation et voilà qu'elle se faisait engueuler alors qu'elle tentait de prendre les choses en main ? N'importe quoi. Néanmoins, elle préféra garder tout ça pour elle, ne souhaitant pas envenimer la situation. La pire des choses serait de mettre le désordre entre leurs rangs. Leurs jeunes recrues avaient besoin de voir un peu de stabilité et également un soutien moral, pas l'inverse. Son supérieur réclama ensuite un retour à l'ordre, qui ne fit qu'attiser la colère de l'assemblée. Heureusement pour eux, les jeunes recrues s'étaient finalement ressaisies et formaient à présent un périmètre de sécurité autour de la blessée, lui évitant ainsi un danger potentiel. Mais cela suffirait-il ? Non, bien sûr que non, et elle en eut la confirmation lorsqu'un homme au regard brûlant se détacha des rangs pour lui faire face et lui cracher toute sa haine à la figure.

Lexus n'était pas connue pour son sang-froid. Elle en avait, un peu, et il était facile de le briser. Un peu de tension, de colère et d'injustice, et le tour était joué. Elle s'emportait facilement, laissant ses émotions parler pour elle, et c'était ces moments là qu'elle regrettaient le plus. Aujourd'hui ne ferait pas exception à la règle et peu importe sa bonne volonté à garder la tête froide, tout venait de partir en morceaux. C'en était trop.

« - On essaye de vous protéger bordel, c'est si difficile à comprendre pour vous ?! cracha-t-elle avec colère. Une femme est blessée et vous, tout ce que vous voulez faire, c'est empirer la situation ? Mais ouvrez les yeux, merde ! Ses poings se serraient au fur et à mesure de ses paroles, elle pouvait sentir le sang présent sur ses paumes glisser entre ses doigts sous la pression. Elle dut faire un effort surhumain pour ne pas attraper l'homme par le col ou pire, le cogner. Une grande inspiration pour tenter de retrouver son calme alors que ses bras tremblaient sous la pression. Mon devoir est de vous protéger quoiqu'il en coûte reprit-elle d'une voix dure mais légèrement plus calme. C'est notre devoir à tous alors laissez-nous l'accomplir. »

Oui, elle venait de dépasser les bornes. Elle avait franchi la ligne pour de bon cette fois-ci et elle savait pertinemment quelles en seraient les conséquences. Sauf que là, tout de suite, elle s'en fichait royalement, trop concentrée sur la tempête qui tourbillonnait en elle. Tout partait en vrille. D'abord Alex, ensuite Shane, sa mère, les émeutes et maintenant ça. Elle était totalement perdue au milieu de tout ça et ne pouvait décemment plus penser clairement. Tout ce qu'elle savait était qu'elle en avait assez de la réputation que se collait les Erasers depuis quelque temps déjà. Ils faisaient tout pour redresser la ville dans un contexte aussi difficile et voilà comment ils étaient remerciés. Bien sûr, elle n'avait pas oublié la balle, toujours logée dans la chaire de la jeune femme, et savait que c'était une erreur monumentale de leur part. Mais ça ne justifiait pas ça. Du moins c'était ce dont elle essayait de se convaincre.

Dans tous les cas, elle savait qu'elle venait d'aggraver grandement la situation. Son impulsivité lui avait toujours causé des ennuis et en voilà une nouvelle preuve. La foule allait sans aucun doute redoubler de férocité face à ses paroles, nullement attendrie par son désir de les protéger, qui avait été tellement stupide à évoquer vu la situation, et derrière elle son supérieur scellerait son sort. Qu'est-ce qu'elle s'était dit ce matin ? Que ça allait être une bonne journée ? Quelle blague.