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.Le goût des cendres sur la langue. [Chaze]
lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



25.07.16 12:19
Il aurait dû revenir il y a longtemps.
Des excuses, des prétextes, il en avait pourtant à la pelle, mais aucun ne l’avait jamais satisfait ; ce n’était qu’un ramassis de motifs tous plus grotesques les uns que les autres, de vaines tentatives de disculpation pour mieux se voiler la face, pour mieux se cacher à quel point il était lâche et mesquin. Parce que les raisons de sa fuite et de ce temps disparu ne tenaient qu’en un mot unique – la peur. Quatre misérables lettres pour une syllabe qui l’est tout autant. Il avait eu peur avant, pendant, après. Il avait eu peur et il était parti, avait eu peur et n’était pas rentré depuis. Au fur et à mesure du calendrier s’étaient amoncelées les justifications, de sorte qu’il se retrouvait aujourd’hui avec un sac gros comme le monde, un bagage en toile de jute qu’il se traînait à l’instar d’un prisonnier tirant son barda de voyou après son échappée laide, bourré d’abjects sentiments qui ne manqueraient pas de lui sauter au visage dès qu’il tenterait de les exprimer. Il avait peur. C’était d’une simplicité aussi terrible que stupide. Et devant cette porte qu’il avait ouverte pour la dernière fois des mois en arrière, il ne pouvait nier son anxiété quant à ce qui l’attendait de l’autre côté. Pour peu qu’il y ait quelqu’un.
La date et l’heure avaient été choisies avec précaution. Un samedi pour esquiver les jours ouvrés, dix-huit heures pour éviter les horaires de grasse matinée, les déjeuners à l’extérieur, les courses d’après-midi ou les dîners tardifs. S’il restait une chance pour que Chaze fût chez lui, c’était à cette heure – et encore, il n’était sûr de rien, comptait sur le hasard pour bien tomber, en dépit du fait qu’il tomberait mal de toute manière, quoi qu’il arrivât, parce qu’il s’était maudit tout seul en prenant la fuite et qu’il n’y avait qu’un miracle pour que le scientifique acceptât de lui adresser la parole plutôt que de lui claquer le battant au nez. Néanmoins, le garçon conservait son intention première, celle qu’il aurait dû réaliser jadis ou, mieux, celle qu’il n’aurait jamais dû provoquer. Il détestait cette sensation. Courber l’échine, reconnaître son tort haut et fort, demander pardon sans être certain de l‘obtenir. De surcroît parce que le principal intéressé était quelqu’un qu’il estimait, quelqu’un qu’il regrettait, et qu’il était évident qu’il n’aurait pas dû se comporter ainsi envers lui. En plus de se montrer pleutre, il avait agi comme un connard.

Rien n’indiquait pourtant que le grand brun lui en voulait. Certes, il n’avait pas essayé de le joindre durant tout ce temps – à moins que l’Ancien n’ait décidé de ne pas répondre à cause de ces mêmes angoisses ? – et le calendrier avait perdu ses feuilles dans l’absence réciproque. Ce silence radio signifiait donc peut-être quelque chose qu’Enoch ne parvenait pas à comprendre mais, à défaut de saisir de quoi il résultait, il s’imaginait le pire. Enfin, pas tout à fait. Le pire aurait plutôt été d’apprendre le décès de son sauveur, survenu probablement des semaines en amont dans l’ignorance la plus totale, et de se pointer aujourd’hui devant un appartement mis sous scellé, vide de vie, glacé, nettoyé de ses parfums de nicotine et de riz cuit. À cette pensée, il sentit un reflux désagréable remonter son œsophage et il prit quelques secondes pour dissiper ce relent bilieux avant de tendre le bras en direction de la paroi. Tout à la fois, le gamin espérait que le scientifique fût là et pas là, à domicile et en vadrouille, libre et occupé. Dans un cas, il s’apprêtait à passer un mauvais quart d’heure ; dans l’autre, son malaise continuerait d’exister, voire de s’accroître face à ce nouvel échec de volonté. Sa main retomba sans force avant même de signaler sa présence, et il tourna les talons.
Une minute encore. Un instant de calme, adossé au mur mitoyen. Juste de quoi trier ses pensées, jeter les parasites et n’en garder que les essentielles. Reléguer au placard les mots dangereux, les élans égoïstes, les reproches inappropriés et les lamentations superficielles. Il pressentait que le mutisme entre eux symbolisait la perte de quelque chose qu’il n’avait guère cru posséder, qu’il était trop tard pour effacer ses erreurs et que ses excuses s’étaleraient avec violence sur un terrain en dents de scie, un parterre d’asphalte acéré. Il avait envie de s’enfuir. S’enfuir pour des raisons différentes de la dernière fois, ne pas regarder en arrière et faire comme si. Comme si Chaze ne lui avait jamais sauvé la vie à plusieurs reprises, comme s’il ne lui avait jamais prêté son foyer à un moment critique, comme s’ils n’avaient jamais partagé ces moments honteux puis chaleureux que le fantôme, à la faveur d’une insomnie coriace, se remémorait parfois avec un trouble certain. Il aurait aimé ne pas l’avoir connu. Que leur destin restât démêlé, divisé en deux fils distincts qui pas une fois ne s’étaient croisés, et ne pas ressentir après coup cet ineffable remords à la pensée de s’être évadé trop vite, de la plus médiocre façon qu’il soit. Oui, il aurait aimé. Mais davantage aurait-il aimé le revoir.

La minute s’était écoulée. Allez, encore une. Non. Il devait le faire. Assez de tergiversations, assez d’éternelles reculades. Il ne voyait que le verre à moitié-vide, alors pourquoi ne pas renverser la donne cette fois-ci ? Pourquoi ne pas croire que le grand brun l’accueillerait avec son rare sourire apaisant ; pourquoi ne pas songer que, d’accord, il le sermonnerait cinq minutes, mais le ferait ensuite rentrer pour qu’ils discutent politique et sciences en commandant une pizza ; pourquoi ne pas espérer que tout se passe bien ? Une fois n’est pas coutume.
Ses phalanges cognèrent trois fois à la porte.
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Chaze Ross
Chaze Ross
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31.07.16 7:20
Le quotidien avait repris ses droits. Enfin, ce que l’on pouvait appeler quotidien lequel consistait à alterner entre le statut de scientifique respecté qui œuvre pour le bien de la population en apparence et le résistant ayant pour seule identité un pseudonyme dont l’objectif est de redonner un peu de justice en ce monde corrompu. Dans le fond, Chaze savait qu’il ne pouvait pas vraiment se plaindre de sa situation actuelle. Premièrement, il avait choisi cette existence d’agent double. Secondement, cela faisait plusieurs semaines qu’on n’avait pas fait appel à ses services pour ôter une puce ou deux dans l’illégalité. Résultat des courses ? Le brun avait mis toute son énergie dans son travail, désireux de se tenir au courant des dernières innovations en matière de puce électronique, des modèles dont la conception et l’implant lui étaient confiés en grande partie. Parfois, le scientifique se demandait ce qu’il adviendrait de ces Evolves épris de liberté quand il ne serait plus de ce monde. Oh ça oui, la science faisait des miracles, on ne pouvait pas le nier. Si le brun le désirait, peut-être pourrait-il rallonger sa propre existence de quelques décennies. Et dans quel but au juste ? Pourrir celle des aides-soignantes dans la maison de retraite au sein de laquelle il échouerait au bout du compte ? Non, à ses yeux, cela n’avait pas le moindre intérêt. L’être humain n’était pas fait pour vivre éternellement. C’était ce qui rendait sa vie plus précieuse encore, une chose à chérir. De même qu’il se savait constamment sur la sellette, Chaze n’avait pas l’espoir de bénéficier d’une vie longue et paisible. Ça, c’était bien pour les lâches et les passifs. Certainement ce qu’il n’était pas lui-même.

En réalité, le véritable problème se posait pour les générations futures des résistants à ce gouvernement corrompu et aveugle. Si jusqu’à présent, Leons et sa troupe avaient eu de la chance de pouvoir compter sur lui et ses compétences dans le domaine des puces, comment la petite bande parviendrait-elle à s’organiser sans lui ? Qu’on se le dise, le scientifique n’avait pas la prétention de se croire indispensable. Bien au contraire, il était le premier à penser que nul ne l’est véritablement. A ses yeux, les relations se font et se défont. Ainsi va la vie. Fin du chapitre. Il n’est jamais trop tard pour écrire une nouvelle page. Il faut simplement s’en donner les moyens. Néanmoins, le brun leur offrait son aide et ses connaissances dans un domaine qui ne cessait de s’améliorer justement pour palier à l’efficacité des individus comme lui qui s’amusaient à ôter les puces des Evolves. Le paradoxe était assez saisissant quand on y réfléchissait bien. Parviendraient-ils à trouver quelqu’un capable de les aider dans ce but ? Quelqu’un de confiance, qui ne serait pas disposé à les vendre contre un poste plus élevé au sein du département technologique ? L’enjeu était de taille. Les risques aussi. En fin de comptes, c’était déprimant de ressasser ce genre de choses. Chaze n’avait pas les réponses à ses interrogations. Seul l’avenir pourrait le renseigner à ce sujet. Or, il ne serait plus de ce monde pour le voir de ses propres yeux. Quelle ironie.

Toc. Toc. Toc.

Le son timide contre sa porte d’entrée résonna longtemps dans l’air saturé de l’appartement. Allongé de tout son long sur le canapé, le brun détacha son regard fixe du plafond pour se replonger dans la réalité, s’arrachant à ses pensées, toutes plus noires les unes que les autres. Achever son raisonnement intérieur sur le constat de sa propre mort à venir avait de quoi assombrir son humeur, à ne pas en douter. Qui pouvait bien frapper à sa porte ? Un samedi en fin d’après-midi ? Une voisine un peu trop envahissante ? Des prétendus sauveurs de l’Humanité en déroute jasant sur le compte des Evolves qu’il valait mieux éliminer sans plus tarder selon eux ? Le scientifique grimaça. Son appartement était dans un bordel monstre, sans dessus-dessous, triste constat de l’accaparement qu’il voulait à son travail. Seul son salaire lui permettait de se payer un bout de terrain de cette superficie là et il trouvait encore le moyen de le remplir de paperasses volantes, de dossiers entassés et sacs poubelles pleins à craquer. Pas vraiment le genre d’endroit dans lequel il accepterait de recevoir quelqu’un. Le tout sans distinction de sexe.

« Y’a personne ! »

La stupidité de sa remarque lui apparat à l’instant même où les mots s’alignaient hors de sa bouche. Qui allait croire un truc pareil après avoir entendu l’occupant des lieux s’exprimer de lui-même ? Cela ressemblait affreusement à une réplique d’un gag de mauvais goût, le genre à amuser les gamins jusqu’en primaire. Chaze soupira en se passant une main dans les cheveux.

« Non mais quel con… »

Puisqu’à l’évidence, son visiteur n’abandonnerait pas de sitôt après avoir eu la preuve de sa présence en ces lieux, le scientifique se résolut à se lever. S’il voulait chasser l’opportun et envisager la possibilité de descendre ses poubelles, lesquelles attendaient depuis un certain temps sur place, alors il devrait faire l’effort de se traîner jusqu’à la porte d’entrée, l’entrouvrir et chasser l’inconnu avec plus ou moins de tact. Comprenez par-là que s’il s’agissait malheureusement de la seconde option qui lui était venu à l’esprit concernant cette révision des témoins de Jéhovah, Chaze ne se priverait pas pour leur claquer la porte au nez, non sans leur avoir dit le fond de ses pensées à leur sujet. Dire qu’il ne prit même pas la peine de jeter un œil à sa tenue, histoire de s’assurer qu’il était présentable, y compris un samedi en fin d’après-midi. Personne ne s’attendait à ce qu’il apparaisse en costume cravate, bien rasé et le regard pétillant mais tout de même… Se dévoiler en caleçon et le T-shirt du dimanche, celui qu’on se réserve pour pallier aux tâches de cafés et de beurre après une grasse matinée plus que méritée, n’était pas franchement ce qu’on pouvait appeler, s’habiller « cool ».

Par chance, le brun portait un pantalon noir tout à fait présentable, rappelant vaguement un jogging de par son confort et son élasticité, de même qu’un simple T-shirt blanc suffisamment ample pour être lui aussi confortable. L’intéressé n’avait pas souvenir de s’être changé en rentrant la veille. Il s’agissait probablement de ce qu’il avait enfilé, à moitié comateux, avant d’aller dormir. Une nouvelle version du pyjama à la Chaze en quelques sortes. Et comme il avait eu la flemme de se racheter un nouveau rasoir électrique en début de semaine, après que le sien l’ait lâché en dépit de cinq années de bons et loyaux services, le brun n’apparaissait pas rasé. Pour ce que ça lui faisait… La porte s’ouvrit et à sa grande surprise, ce ne fut pas sa voisine de palier ou même deux personnages excentriques qui l’attendaient… L’espace d’une fraction de secondes, le scientifique bugua littéralement sur le visage qui lui faisait face, essayant vainement de comprendre la raison de sa présence devant sa porte alors que les souvenirs se multipliaient à l’intérieur de son crâne, rassemblés en un seul nom : Enoch. Le gosse paumé refaisait surface. Ce petit con avait l’audace de revenir, comme si de rien n’était ! Ah, elle était belle la sécurité de l’immeuble tiens ! Avec ces yeux de chien battu, toutes les mémés du rez-de-chaussée avaient dû retrouver leurs vingt ans et se battre pour avoir le privilège de lui ouvrir la porte sécurisée…

« Ah. Ravi de voir que tu es toujours en vie. »

C’était bien Enoch. Avec sa tignasse qui le confondait avec un grand père, la foule d’émotions qui perlaient au fond de ses yeux, les lèvres tremblantes d’hésitation, l’expression incertaine quand bien même déterminée… Déterminée à quoi au juste ? Lui confirmer que tout allait bien, qu’il n’avait plus cette saloperie en lui, qu’il allait reprendre sa vie d’avant et que c’étaient des adieux qu’il venait lui faire, non des retrouvailles ? Ses tripes avaient fait un sacré looping en reconnaissant ce visage entre mille. Pourtant, au fur et à mesure qu’il essayait de trouver une raison à sa réapparition, le brun se forçait à garder les pieds sur Terre. Inutile de se faire des films. Par sa fuite, le gosse avait été très clair sur ses intentions.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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01.08.16 17:49
À peine eut-il fait résonner dans le couloir les trois coups de l’Esprit, sans se douter une seule seconde de la connotation voodoo de son acte, qu’Enoch se mordit la lèvre. N’ayant rien apporté avec lui pour faire passer la pilule, il se montrait une nouvelle fois tête en l’air – ce qui n’était pas si surprenant pour quelqu’un connaissant ses habitudes intellectuelles – voire réfractaire aux règles du savoir-vivre, ces mêmes règles qu’il avait envoyées bouler en quittant précipitamment l’appartement devant lequel il se trouvait, en juin dernier. Alors que son poing s’attardait sur le battant, il revoyait les circonstances de sa fuite, puisqu’il serait indécent de la nommer autrement, et ces quelques jours comme une parenthèse refermée dont la courbure de droite tendait cependant à s’effriter.
Malgré son état d’alors, il ne se souvenait pas de ces moments avec amertume ou désagrément. Certes, il avait dû inspecter son corps sous toutes les coutures pour se rendre compte que sa condition tenait à une plaie infime dans le creux du coude, là où la seringue s’était enfoncée pour lui prélever un peu de sang et lui injecter en retour, sous couvert d’un vaccin préventif contre l’épidémie qui sévissait à l’époque, une dose non-négligeable d’un sérum dont il ignorait le moindre composant. Certes, il avait dû supporter les aléas de ce nouveau statut, les éclaboussures bariolées qui s’étalaient parfois au sol dans son sillage ; les taches de boue sur son reflet et qu’il essayait de frotter avant de constater qu’elles ne disparaissaient que s’il n’y faisait plus attention ; les textures bizarres de son propre épiderme, telles des marques de lupus éphémère ; les maux de têtes ; les réveils en sursaut ; la Voix tapie dans son encéphale comme en sa tanière vaseuse. Heureusement, Chaze s’absentait aussi souvent que longtemps, appelé çà et là pour du travail ainsi que, peut-être, de menus services soumis à la discrétion des uns et des autres. Enoch demeurait alors seul dans la maison en essayant de faire le moindre de bruit possible pour que les voisins ne se mettent pas à jaser, esquivant les fenêtres derrière lesquelles on risquerait de l’apercevoir, choisissant avec soin les horaires où les travailleurs travaillaient et où les commères pionçaient afin d’aller vider les poubelles sans que personne ne le remarque. Une véritable filature à l’envers. Pendant plusieurs jours, il connut l’instinct d’un animal.

D’un animal et d’un domestique. Pas que cela le gênât, d’ailleurs, car il estimait que c’était là une rétribution bien maigre par rapport à la générosité de son hôte ; nettoyer, laver, repasser, cuisiner, rien de dégradant dans ces quelques tâches quotidiennes, loin, très loin des considérations de survie qui l’avaient préoccupé trois semaines auparavant. Pour un peu, il aurait cru pouvoir rester. Que cette brève colocation pouvait durer encore, s’étendre au mois d’après, au trimestre éventuellement ; il n’aurait eu qu’à retourner au travail une fois ses gènes revenus à la normale et rembourser le grand brun au fur et à mesure grâce à son salaire, l’aidant de façon spontanée pour les courses et les corvées qui, visiblement, n’étaient pas son fort – dur, dur, la vie de héros. Oui, il avait cru. Mais avec un soin acharné, Elle s’était chargée de le lui faire oublier. De transformer un souhait en délire, de briser son vœu avec l’aisance d’une brique sur une pantoufle de verre. Elle avait excellé à s’emparer de ses espoirs pour en broyer la lumière entre ses crocs et, dès que Chaze franchissait la porte pour se rendre au boulot, elle se ruait sur les meubles, caracolait dans la chambre, barbotait dans la salle de bain et rongeait la cuisine en grognant, ravie de mépriser le petit Poucet dans tous ses déplacements, de l’insulter et de le faire tourner en bourrique tandis qu’il essayait désespérément de manger ses céréales en paix. Et comme si cela ne suffisait pas, elle s’amusait à investir ses rêves sous la forme d’une énorme couleuvre, ce qui avait pour effet direct d’en modifier l’atmosphère au profit de cauchemars sans fin, l’abandonnant exténué au petit jour, la nuque glacée, le visage trempé, les membres transis. Une chance qu’il ne dormît pas dans la même pièce que le locataire principal, se satisfaisant du canapé en guise de couchage, auquel cas il se serait agrippé à cette masse de chair comme à une gigantesque peluche.
De l’histoire ancienne, tout cela.

La première réplique qui fusa de l’autre côté de la paroi aurait pu le faire sourire si elle ne l’avait pas secoué encore davantage. Non qu’il trouva drôle ce mensonge pour le moins inattendu – est-ce que l’occupant comptait vraiment là-dessus pour se débarrasser des créanciers ou autres colporteurs ? –, mais entendre la voix du brun après tant de temps fut plus plaisant qu’il ne l’aurait imaginé, même s’il eut le réflexe de bondir en arrière au lieu de se rapprocher. Trois respirations plus tard et le verrou sautait dans ses gonds, dévoilant la haute silhouette du maître des lieux. L’espace d’un instant, Enoch ne le reconnut pas. Il entrouvrit la bouche, sur le point de s’excuser pour s’être trompé de palier ou quelque chose du genre, mais il suffit d’un battement de cils pour recomposer ce visage tout aussi surpris, lequel se referma bien vite, trop vite peut-être, sur un salut aux accents sévères.
Évidemment qu’il était en vie... Il n’aurait pas dû ? Avouons en sa défaveur que c’était plutôt mal parti. Qu’il avançait avec un handicap de taille, le type même qui ne laisse pas une seule chance dans la jungle équatoriale, et que s’il avait survécu jusqu’à présent il le devait à une chance monstre et non à ses réelles capacités. Détail qu’il n’ignorait pas. Là, dehors, il se montrait d’une vulnérabilité sans nom face aux dangers ; agressions quotidiennes, accidents subits, virus par dizaines... À n’importe quel moment, il était susceptible d’encaisser une attaque humaine, matérielle ou organique, et de ne pas s’en relever. Depuis son plus jeune âge, il en avait conscience – il s’était juste contenté de cette évidence. Savoir qu’il n’était pas le seul à avoir remarqué cette faiblesse, et l’entendre prononcer à voix haute à la place d’un bonjour, le mit cependant mal à l’aise ; était-ce la seule impression qu’il avait laissée, en plus de l’image d’un misérable lâche ? Ou alors il se fourvoyait sur l’interprétation de ces mots, et Chaze n’y voyait qu’un reproche compte tenu du fait qu’il n’avait pas reçu de nouvelles depuis la dernière fois. Une possibilité plus rassurante, mais qui n’empêcha pas le gamin de fuir son regard, penaud, les doigts crochés devant lui sur l’ourlet de sa veste.

« Oui, c’est..., commença-t-il avant de comprendre qu’il risquait de s’enterrer sur cette voie-là. L’angoisse menaçait de nouveau de lui couper la chique et de le laisser muet face à son interlocuteur alors même qu’il venait de prendre son courage à deux mains pour toquer. Il ne pouvait s’arrêter ainsi, perdre le monologue qu’il avait potassé en prévision de ce jour, et pourtant il découvrait que ses phrases s’étaient déjà éparpillées dans sa cervelle, qu’il n’en restait plus que des bribes, des lambeaux, des morceaux aux accents égarés, avec ce thème diffus, seul rescapé de son anxiété : s’excuser. Ce qui, relâché d’une voix trop forte pour être sereine, trop rapide pour être confiante, et par une tête courbée vers le sol, donna peu ou prou cet effet-là :
« Jemesuiscomportécommeledernierdesabrutis.
Cen’étaitvraimentpasmonintentionmaisj’avaistrophontepourt’enparleret...plusletempspassaitplusc’étaitdifficile... Tudoismedétestermaintenant. Jeregrette. Jetedemandepardon ! »
Ah. Il ne savait que trop bien pourquoi il détestait s’excuser. C’était encore plus douloureux que le remords.
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Chaze Ross
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23.08.16 23:42
Oui c’est… Bien malgré lui, tout l’être du scientifique demeura pendu aux lèvres de son interlocuteur revenu d’entre les morts, tel le souvenir charnel d’un passé qu’il croyait enterré à jamais. C’est… Quoi ? De quoi voulait-il parler ce gosse ? Quelle raison abracarembresque, sonnant de près ou de loin comme une excuse, allait-il lui fournir pour justifier cette disparition ou plutôt, cette fuite en avant sans un mot d’adieu ? Comment expliquer ce silence radio de plusieurs mois ? Chaze ne pouvait prétendre qu’ils aient été proches un jour, autre qu’au sens physique du terme bien entendu. Ils n’étaient pas collègues, pas amis, encore moins formant un couple, quand bien même le mariage pour tous et les relations homosexuelles aient été plus ou moins bien acceptés par la population de Madison. Bien qu’ils aient partagé et vécu dans le même appartement, leur relation n’avait pas évolué. Enoch avait eu besoin d’un toit et d’une attention toute particulière – pour ne pas dire, d’un garde du corps – et le brun s’était naturellement dévoué pour cette mission. Dans le fond, il l’aimait bien ce gosse. Sinon, il n’aurait pas frôlé la mort à plusieurs reprises pour lui venir en aide. Chaze était bien des choses mais certainement pas un masochiste ! Quoique… Alors pourquoi pleurer une femme de ménage ? A bien y réfléchir, le gamin avait toutes les raisons du monde pour foutre le camp, exploité comme il était, même si le scientifique lui répétait sans cesse de ne pas toucher à ses affaires. Un drôle de petit couple vu de l’extérieur. Et puis, plus rien. Le néant. Le vide. Le silence. Passée la stupeur et cette douleur dans la poitrine sans qu’il n’en comprenne véritablement la raison, le brun s’était fait une raison. Laquelle venait de voler en éclats avec la présence d’Enoch de l’autre côté de la porte. Avec le recul, faire la sourde oreille l’aurait tourmenté plus que jamais.

Le léger mouvement de son interlocuteur le ramena au moment présent. Il lui faisait quoi ? Une imitation – bien réussie cela dit – de la poule picorant ses grains ? Le silence persistait toujours entre eux, si bien que Chaze fronça les sourcils. Le gosse était bloqué ? Ou avait bugué ? Il n’allait quand même pas rester ainsi pendant des heures sur son palier si ? Le scientifique n’avait rien contre l’envie de lui refermer la porte au nez – un peu de salaud attitude n’avait jamais tué personne à ce qu’il sache – mais un tel personnage devant sa porte allait finir par faire jaser les voisins. En particulier les voisines, qui ne tarderaient pas à s’enquérir de la raison de la présence d’Enoch, sa relation avec le grand brun qui vivait là et s’il aimait les cookies. Encore indécis sur la marche à suivre et s’il avait l’intention de tirer un trait sur cette séparation dont la raison lui échappait encore, le scientifique n’avait pas envie que le gosse devienne une bête de foire. Il avait déjà donné de ce côté-là. Et alors qu’il ouvrait la bouche pour lui demander de poursuivre ou bien de rebrousser chemin le cas échéant, la tirade franchit brusquement les lèvres d’Enoch. Telle une mitraillette, ce dernier débitait un nombre inimaginable de mots à la seconde – sans rire – et à une vitesse frôlant le record du monde.

Trop surpris pour songer à l’interrompre, le brun dut prendre sur lui pour ne pas bondir en arrière. Il ne s’était pas attendu à ce que le gamin lâche une bombe de la sorte. Et quelle bombe ! Surtout à une vitesse pareille. La pression était retombée d’un coup ou quoi ? Il faisait presque peur… Un silence gêné suivi la longue tirade ininterrompue d’Enoch. Quoi répondre à ça ? Le brun avait bien discerné quelques mots dans la mêlée, avant de comprendre le sens global du message que son interlocuteur cherchait à faire passer. Autant il s’était attendu à entendre des excuses sortir de la bouche du gosse, autant s’y retrouver confronté était une autre histoire. A force d’imaginer et d’essayer d’anticiper ce que l’autre voudrait bien lui avouer à demi-mots, Chaze en avait oublié la réponse, toute aussi importance, peut-être même plus. Enoch attendait désespérément une réponse de sa part, un son ou même une main sur l’épaule. N’importe quoi qui puisse lui faire comprendre que oui, il pouvait à présent relever la tête. Cette nuque découverte et tremblante en était la preuve vivante.

« Je n’ai pas compris. »

Les mots claquèrent brutalement dans le silence, ramenant avec eux, une réalité bien cruelle. La surprise se mêlait à l’amertume, la satisfaction à la colère. La rancune elle, était tenace. Pendant les minutes qui suivirent, le scientifique prit un malin plaisir à faire répéter le gamin, jusqu’à ce que lui-même en perde ses mots, ignorant ses yeux de biche. Une humiliation qui saurait sustenter la frustration d’avoir été celui que l’on laisse derrière. Oui. Enoch allait devoir répéter, répéter jusqu’à ce que chaque mot se détache clairement dans l’air et que le sens apparaisse plus net que jamais aux oreilles du brun. Et quand, finalement, ce dernier fut rassasié, il passa une main dans ses cheveux, soupirant. C’était tellement petit de sa part ce qu’il venait de faire. S’amuser au dépend des sentiments d’Enoch. Pour un peu, les rôles auraient pu s’inverser et il se serait bientôt retrouvé à lui faire des excuses à son tour, en grand bêta qu’il était et resterait.

« Et donc… Pourquoi t’es revenu ? T’as fait tout ce chemin juste pour t’excuser ? Après tous ces mois sans nouvelles ? »

Oui, d’une certaine façon, cela lui paraissait presque étrange. Unbelievable comme diraient certaines par ici. Le malaise n’était pas complètement dissipé. Tenace vous disiez ?
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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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27.08.16 18:35
Sincèrement, qui avait inventé le principe des excuses ? Qui avait été assez susceptible une fois pour les exiger auprès d'un quidam et infliger ainsi, à lui et à tous ses semblables, cette insupportable sensation de gorge au bord des larmes, ce tord-boyaux amer en guise de repentance dont Enoch faisait à cet instant les frais ? Le front bas, les phalanges grippées sur son vêtement, le garçon entendait son cœur battre de honte à ses tempes, l'humiliation peser plus durement sur ses épaules au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient sans qu'il ne reçût de réponse, satisfaite ou non-remboursée, de la part de son interlocuteur, et il craignait de plus en plus en fort et avec de plus en plus d'appréhension que cette dernière ne serait pas à la hauteur de ses attentes. Même si ce ne serait là que juste rétribution pour sa couardise. De quel égoïsme avait-il fait preuve durant ces derniers mois, en s'imaginant qu'il pourrait s'en sortir sans affronter sa propre lâcheté, sans qu'on la la renvoie en pleine figure, à l'instar d'une gifle longtemps réprimée ? Il se savait prêt. Prêt à encaisser le sermon que Chaze jugerait approprié. Encore eût-il fallu qu'il le prononçât et, sur ce point, sur la question du mutisme, le fantôme ne s'était en revanche pas du tout préparé. Lui qui venait de débiter à toute vitesse, comme seuls le font ceux qui souhaitent se décharger d'un coup de leurs remords sans savoir s'y prendre correctement, il n'avait pas prévu le moyen de retomber sur ses pattes si jamais le scientifique décidait, par jeu ou dépit, de lui claquer la porte au nez sans répliquer. Affligé, il n'aurait eu qu'à rebrousser chemin en se morfondant sur sa bêtise avant d'ouvrir ses entrailles aux fourmis cannibales de ses regrets. Bien fait pour lui.

Heureusement, ou peut-être malheureusement au regard de ce qui s'ensuivit, le grand brun s'était montré clément ; il lui octroya une phrase, rien qu'une seule, plus affûtée qu'une lame, qui alla fendre la poitrine du gamin et l'obliger à relever la tête, aussi surpris que penaud. Il n'avait pas compris. Merde. Il s'était donc si mal exprimé que cela ? D'un point de vue intérieur, il avait pourtant laissé échapper tout ce qu'il fallait, tous les mots dont il avait eu besoin pour faire passer le message. Alors pourquoi cela ne suffisait-il pas ? N'avait-il donc pas été clair et concis ? Oh, eh bien, il n'avait pas été des plus clairs, non, mais con, si. Et il lui fallut répéter. Répéter cette horrible tirade dont il était l'auteur sans talent, d'abord en éludant les passages les plus méprisables – nul n'apprécie de devoir articuler sur sa propre déchéance – puis, contraint et forcé, à reprendre l'ensemble pour en sectionner les mots, en tronçonner les sentences, morceau par morceau, syllabe après syllabe. À chaque phonème, il lui semblait que sa langue s'engourdissait un peu plus, que son larynx se contractait davantage et que, au fur et à mesure de ce laborieux poème, il ne déclarait plus rien qui ait du sens. Les mots eux-mêmes, je suis désolé, suis désolé, désolé, paraissaient s'enfoncer dans un marasme insignifiant, devenir pâte grumeleuse dans son gosier, l'asphyxiant petit à petit. Pardon, qu'il disait, pardon d'avoir fui, pardon d'avoir été lâche, pardon de ne pas t'avoir donné de nouvelles. Et il le pensait réellement. Pardon d'être un idiot, pardon d'être parti sans prévenir, pardon de n'avoir pas laissé d'adresse. Il ne dit pas tout cependant, conservant pour un meilleur moment tout ce qu'il tenait à dire et qui se prêtait mal à cette effusion d'excuses, quand bien même ce qu'il avait sur le cœur en contenait d'autres. Mais dans l'immédiat, il doutait être en mesure d'énoncer autre chose que cette atroce litanie.

Néanmoins, alors qu'il aurait pu échapper à ce supplice, couper court à cette torture verbale, il s'y pliait jusqu'au bout car il sentait, confusément, qu'il y avait derrière la rancœur de Chaze l'expression de toute l'inquiétude qu'il avait dû éprouver à l'époque, en découvrant son appartement vide et son domestique de fortune évaporé. Ce qui sonnait comme une vengeance méritée, aux yeux d'Enoch qui évitait de croiser ceux du grand brun, sous-tendait peut-être une affection dont il avait cru ne pas être digne. En effet, si son aîné s'était foutu de lui sur toute sa ligne, se désintéressant complètement de ce qu'il aurait pu devenir, alors sans doute n'aurait-il pas mal pris cette disparition. Ç'aurait été du pareil au même pour lui. Et cette interprétation de sa colère, légitime et insoupçonnée, contribua au fait que le cadet ne trouva rien à redire à cet étouffant traitement. C'est à peine s'il ne lui était pas reconnaissant de se soucier encore de lui après tout ce temps.
Puis la flagellation cessa, permettant aux questions sérieuses de revenir dans la conversation. Aux questions en forme de lance, plantées dans la cervelle de l'Ancien, suintantes d'une tension qui peinait à s'écouler par les failles. Il reprit toutefois une voix la plus normale possible afin de lui répondre, ce en dépit de ses prunelles un chouïa brillantes, de sa gorge légèrement râpeuse :
« Oui. Je voulais être sûr de m'être débarrassé de tout ce qui avait trait à ce pouvoir avant de faire quoi que ce soit, et comprendre certaines choses. C'est en partie pour cela que je suis parti, mais cela a pris beaucoup de temps. Plus qu'espéré, en tout cas. Je suis vraiment désolé... »
Et il l'était, une nouvelle fois. Il n'avait jamais souhaité faire du mal à Chaze, même inconsciemment, et si c'était le cas, il ferait tout ce qui se trouvait en son pouvoir pour réparer l'erreur, dût-il insister de nouveau pendant des mois. Dût-il se frapper la tête contre les murs en attendant la rédemption. Mais il manquait toujours une raison à son retour, probablement la plus importante de toutes, la moins désagréable en tout cas, issue de ce qu'il n'avait jamais été capable d'exprimer convenablement du temps où ils se côtoyaient. C'était d'ailleurs là la première et la dernière chose qu'il aurait dû lui avouer, au cas où le temps lui était compté – et tel était le cas. D'autant que c'était beaucoup moins douloureux entre les dents que les excuses.
« Et je tenais aussi à te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Ça ne vaut peut-être pas grand-chose, et j'ignore comment te le prouver, mais tu m'as aidé sans te soucier de qui j'étais ou de ce que tu avais à y perdre. Et pour ça, je te suis et te serai toujours reconnaissant. Je... »
Ah, il en avait un peu marre de dire je quand ce n'étaient pas ses sentiments que l'on avait bafoués, de faire tourner le monde autour de sa personne quand il aurait aimé que le scientifique lui parle de lui-même et lui raconte ce qu'il était devenu jusqu'à présent. Sauf qu'il avait encore une ultime révélation à faire, trois fois rien, une broutille qui lui tenait cependant à cœur. Sûrement que, dans un sursaut de détermination, dans un regain de volonté, il ne lui restait plus que cela à dire avant de se taire à jamais, un sourire timide, maladroit quoique sincère, sur les lèvres :
« …suis content de te revoir. »
Et c'était bien pur égoïsme.
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Chaze Ross
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31.08.16 19:15
Une partie de lui tentait en vain de refouler un début d’amertume lorsque le premier mot franchit les lèvres du gosse. Oui. Ainsi, s’il était réapparu après ces longs mois d’absence, c’était pour s’excuser, uniquement ? Le brun ne put s’empêcher de réprimer un rire jaune, presque mauvais et surtout nerveux, de s’élever dans l’air qui les enveloppait paresseusement. Ce fut bref, l’hilarité n’était pas là. La joie aussi faisait cruellement défaut à ses retrouvailles improvisées. Ce n’était pas bon. A ce rythme, le gamin allait, dans le meilleur des cas, se prendre la porte au nez, dans le pire, et bien, une gueulante de sa part ? Au risque d’alarmer tous les voisins de palier sur son quotidien qui était loin d’être monotone et terne de son point de vue strictement personnel. Et puis Enoch, qui n’avait pas l’air de se rendre compte de la situation, en rajoutait une couche. En plus de s’être barré sans un mot d’explication, voilà que le gosse lui assurait tranquillement que ce silence radio était nécessaire. Mieux, il avait probablement trouvé de l’aide ailleurs, pourquoi donc prendre la peine de le recontacter, lui ?

« Ah… Tant mieux si tu as pu te débrouiller. Je n’étais pas si utile que ça en fin de comptes. »

Bien sûr que non. Il était de loin le plus utile de tous les paumés vers qui le gamin avait pu se tourner pendant ces longues semaines d’absence. Certes, il n’était pas spécialisé dans l’étude des Evolves à la base – sa carte de service en attestait – mais il avait accès à de nombreuses informations, possédait un appartement qui, à défaut d’être modeste, offrait une cachette de choix et… Pourquoi il remuait le couteau dans la plaie déjà ? Ah oui, Enoch. Là, en face de lui. Pour combien de temps ? Non, ce serait vraiment mesquin de sa part de lui poser une question pareille. Bien que l’envie demeurait présente, elle. Comme bien ancrée dans sa conscience. Oh et maintenant il était désolé ? Quoi répondre à ça ? Nier ? Approuver ? L’enfoncer ? Non, ça il l’avait déjà fait. Try again. A court d’idées, Chaze décidé d’ignorer l’énième tentative de la part de son interlocuteur. Le silence était parfois bien plus explicite que les mots eux-mêmes. Il n’était pas disposé à lui pardonner quoique ce soit, ne serait-ce que tirer un trait sur ces mois laissés sans signe de vie. Là, tout de suite, il en était incapable. La colère et l’amertume gardaient leur place dans son cœur. La suite en revanche, lui fit arquer un sourcil. C’était un peu tard pour flatter son égo…

« Pas besoin. Ce que j’ai fait pour toi, je l’aurais fait pour n’importe qui d’autre. »

Et c’était l’une des multiples raisons qui justifiaient son espérance de vie plus que réduite comparée à celles de ses pairs. Pas plus tard que quelques dizaines de minutes en arrière, le brun s’en faisait encore la réflexion, désabusé et résigné. Avec le temps, il avait appris à accepter cette facette de lui-même, laquelle le faisait certainement passer pour plus humain que la moitié de ses collègues de travail réunis. Une fierté comme les autres en somme. Pourquoi cracher dessus ? L’être humain se savait malléable – il suffisait de regarder Enoch pour en avoir un bon exemple – mais certains traits de caractère ne pouvaient changer, pas même avec le temps. Quoi ? Pensant que son interlocuteur n’irait pas au bout de sa prochaine tirade suite à la sienne, Chaze cligna des yeux en entendant le dénouement de celle-ci. Content ? De le revoir ? Et il devait l’interpréter comme ce genre de réflexion ?! Ce foutu gosse était capable de le faire sauter du coq à l’âne s’il existait une comparaison valable pour les émotions qui s’agitaient à l’intérieur de son être tout entier. Tour à tour glacial et brûlant, le scientifique ne savait plus quelle attitude adopter envers Enoch. Finalement, lui claquer la porte au nez, geste incarnant à merveille la fuite lâche, lui paraissait plus que jamais comme une optique des plus tentantes. Et il avait ce sourire tellement adorable sur les lèvres…

« Moi aussi. »

Et merde. Cela lui avait échappé. Sa conscience ne cessait de l’abreuver copieusement tour à tour de synonymes de lâche puis de faible et vice versa alors que le brun rassemblait son courage ainsi que sa volonté pour reprendre.

« T’étais pas obligé de te déplacer pour ça. Un mail aurait suffi. Tu connaissais mon nom, tu aurais pu me trouver dans une banque de données ou je ne sais quoi. »

Bon début mais ce n’était pas suffisamment. Il fallait une raison, ne serait-ce que pour lui claquer la porte au nez. Vraiment pathétique. Mais comme expliqué plus haut, on ne pouvait pas se refaire !

« Je ne peux pas te faire entrer. »

Avec ça, s’il ne comprenait ce maudit mioche ! Le scientifique se rendit compte trop tard à quel point ses propos pouvaient être ambiguës. Certes, il avait trouvé une bonne parade pour éviter d’avoir à avouer – une énième fois dans son existence – à quel point son appartement, peu importait sa superficie réelle, finissait toujours par se muer en une véritable décharge. Les joies d’un célibataire sans aucun doute. Enfin, plus un privilège qu’autre chose du point de vue du principal intéressé. Cependant, si Enoch ne devinait pas la véritable raison dissimulée derrière cette annonce mise en avant, il pouvait s’imaginer bien des choses. A commencer par le fait que le grand brun ne vivait plus seul, que l’apparition d’un gamin tel que lui pourrait sembler bizarre aux yeux de la personne qui partageait désormais sa vie, à commencer par les souvenirs charnels qu’ils garderaient réciproquement… En soi, toute cette hypothèse était fausse. Chaze n’y accordait pas beaucoup d’importance. Non, ce qui le travaillait, c’était le fait que son interlocuteur s’imagine ne plus être du tout désirable entre ces murs. Là-dessus, le scientifique lui-même n’arrivait pas à trancher. Ce qui l’empêchait à la fois de couper court à cette situation gênante pour eux deux ou au contraire, de la prolonger à l’intérieur. Dans sa chère décharge.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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07.09.16 13:25
Oh, il se sentait comme dans un de ces pré-scènes des ménages à deux sous cinquante, pas tout à fait au moment fatidique où il ne serait plus en mesure de reculer sans chuter au fond d’un abyme dérisoire, mais déjà sur la tangente, à l’endroit précis où il prenait conscience qu’il s’enfonçait de plus en plus en dépit du bon sens, qu’il se frappait avec un marteau en mousse jusqu’à s’enterrer dans un trou de taupe, et les yeux sombres que Chaze dardait sur lui avaient l’éloquence des morts lentes et silencieuses. Il détestait se chercher des excuses, c’était un fait ; il détestait davantage qu’elles fussent infructueuses, superficielles ou pire, accablantes. Et c’était le cas actuellement, du moins en avait-il la confuse impression. Il avait beau faire preuve de sincérité, vouloir cesser les mensonges et exposer avec clarté et franchise les tenants et les aboutissants de sa présence, tout ce qu’il pouvait dire lui semblait prêt à se retourner contre lui en un battement de cils avant de lui exploser entre les dents. L’honnêteté dont il veillait à grand mal à faire preuve – parce que, à l’évidence, il lui était bien plus facile de mentir ou d’omettre les choses que de les saisir à bras-le-corps – s’insinuait alors amèrement sur sa langue, l’enveloppant de ce goût de cendres qui lui mettait le cœur au bord des lèvres.
Il ne souhaitait pas que le scientifique le prît de cette manière. Qu’il se considérât comme un outil, un instrument utilitaire dont le gamin n’avait aujourd’hui plus l’intérêt. Pourquoi serait-il revenu vers lui, sinon ? Pourquoi aurait-il bravé ses propres craintes si le grand brun n’avait été qu’un quidam sans importance ? De fait, pourquoi ? Parce que c’était bien la question primordiale ; qu’est-ce qui justifiait sa présence ici après tant de mois ? Que représentait l’aîné pour que son cadet, au prix de son confort émotionnel, décidât de retourner sur ces lieux qui lui rappelleraient jusqu’à la fin son courage de pleutre et sa droiture d’imposteur ? Il ne savait pas, ou plus – n’avait jamais su. Il ne parvenait pas à définir ce qui le reliait à Chaze, hormis cette inébranlable quoique trop secrète gratitude. Et il se serait bien gardé de lui demander des éclaircissements.

Quelque chose, quelque part dans les tréfonds de son subconscient, l’attristait néanmoins. Quelque chose qu’il reconnaissait ne pas mériter, un truc fou, plus idiot encore que lui, mais qu’il avait cru déceler dans ce « moi aussi » qui lui aurait empourpré les joues s’il n’avait pas eu, au même moment, le réflexe de détourner le regard avec gêne. Le scientifique avait beau arguer qu’il aurait agi ainsi avec quiconque se serait trouvé dans une situation similaire, Enoch espérait que ce fût un camouflage, un tour de passe-passe pour lui dissimuler qu’il n’était pas comme les autres. Il aurait aimé. Aimé être différent, même dans le mauvais sens – être plus faible, plus vulnérable, n’importe quel défaut exacerbé qui aurait expliqué la gentillesse de Chaze à son égard. Et non la bonté naturelle de celui-ci en guise de motif. Oui, il aurait aimé être vu autrement que comme un n’importe qui. Sauf qu’il n’en était pas digne. Surtout après sa fuite.
« Non, un mail est trop impersonnel. Cela n’aurait fait qu’aggraver mes actes, et puis je ne voulais pas que tu te dises ''Il ne prend même pas la peine de venir me voir, c’est que je ne dois pas valoir grand-chose pour lui'' ou un truc du genre, parce que ce n’est pas du tout ça. »
Nerveusement, il se mit à frotter son avant-bras. Ah, c’était facile de désigner les choses par la négative, de déclarer que la vérité n’était pas le mensonge ou l’inverse, mais dès qu’il lui fallait mettre un nom sur ce ça, le rat se hâtait de quitter le navire en loucedé. Pitoyable. De toute façon, il n’aurait même pas pu embarquer à bord du moindre rafiot, puisque le capitaine lui refusa l’accès à sa cabine – ne serait-ce qu’à la coupée – d’une voix ferme. La formulation était étrange, comme si l’interdiction provenait d’une raison extérieure, indépendante de sa volonté, et non de lui ; cependant il n’en fallut pas davantage pour que le fantôme commençât à bâtir quelques prétextes possibles, outre qu’il n’était pas le bienvenu tout court. Pourtant, la seule explication plausible – il recevait déjà quelqu’un – ne trouva guère d’écho dans sa tenue vestimentaire, pour le moins décontractée, si ce n’est négligée, et qui témoignait de sa solitude. Donc le gosse n’était vraiment plus le bienvenu. Ses doigts se crispèrent sur son habit. Il ne songea même pas à jeter un coup d’œil à l’intérieur pour étayer sa théorie.
« On peut peut-être sortir, alors ? » lança-t-il avec timidité. Monsieur réponse à tout. En réalité, il n’en menait pas large. « Enfin si ça t’embête aujourd’hui, ça peut être plus tard. Je suis libre quand tu veux. »
Exact, sortir dehors, dans la rue, dans le danger du grand monde, risquer de se faire poursuivre par des flics, des fanatiques, des aliens, esquiver des pots de fleurs et des pare-chocs, zigzaguer entre une gerbe de balles et des signalétiques fluorescentes, se planquer contre des façades crasseuses et sublimes, courir pour rien ou pour sa vie, sur des braises ardentes et des débris de verre. Tant de souvenirs. Pour la chaleur desquels il tentait de se racheter avec maladresse et espoir.
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Chaze Ross
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10.09.16 11:29
Contrairement à ce qu’il aurait pensé, ce ne fut pas un silence lourd de sens et pesant qui suivit ses propos. Le gosse semblait avoir réponse à tout ce qui, dans le fond, était irritant. Chaze se savait suffisamment comme ça sur la défensive, à la limite, sur le fil du rasoir en terme de rationalité vis-à-vis de ce petit bout d’homme maladroit et sincère, pour que ce dernier en rajoute, détruisant le moindre de ses arguments visant à lui faire tourner les talons. Ce qu’il pouvait se détester parfois ! Pourquoi diable se compromettre davantage à chacune des secondes qui s’écoulaient paresseusement quand il lui suffisait de claquer la porte au nez d’Enoch ? Un geste simple dont le grand brun était néanmoins incapable, là, tout de suite dans l’immédiat. Non ? Impersonnel ? Comment prouver le contraire alors que dans son for intérieur, le scientifique pensait exactement la même ? A ce stade de la conversation, il ne faisait que tendre le bâton pour mieux se faire battre en suite. Son petit côté masochiste très probablement. Cependant, l’heure n’était pas à la plaisanterie ! La fin de la tirade du gamin avait réveillé un sursaut d’égo, un peu de cette fierté mal placée qui n’était pourtant pas sa marque de fabrique.

« Bien sûr que non je ne- » commença-t-il avant de s’interrompre.

L’indignation avait soudain laissé la place à un cruel constat. L’amertume avait étouffé la moindre des protestations brusquement soutirées à son être tout entier. Enoch avait vu juste, une nouvelle fois. C’était définitivement comme cela qu’il aurait interprété un message de la sorte. C’en était effrayant de voir à quel point le gosse le connaissait bien. A moins que ce ne soit une généralité ? Qui aimait recevoir un vulgaire mail impersonnel pour des contenus importants aux yeux des deux correspondants ou ne serait-ce qu’à ceux du destinataire ? Personne, assurément. Bon et après ? Le brun lui avait déjà sorti, à grand peine certes, qu’il ne pourrait pas le recevoir chez lui. Alors Enoch allait laisser tomber ? Le scientifique se retint de soupirer quand la proposition de prendre l’air tomba, aussi innocente en apparence que le minois timide de son interlocuteur. Comment avait-il pu penser que les choses en resteraient ainsi ? Il ne pouvait pas nier l’acharnement et la volonté qui émanaient du garçon. Une attitude qui lui faisait presque regretter la sienne. Tout comme il gardait dans un coin de sa tête que les choses auraient été plus faciles si la tête blanche s’était contenté de s’excuser en face, s’assurant par la même occasion que Chaze allait bien, avant de simplement tourner les talons, chacun retournant à sa vie monotone ou rythmée selon le point de vue pris sur la chose.

« D’accord, d’accord… T’as gagné. Attends ici deux minutes. Et si la grand-mère d’en face sort pour te parler, tu fais comme si tu étais sourd muet. »

Connaissant la personne, ils ne mettraient jamais un pied hors de l’immeuble s’ils entamaient la moindre conversation avec elle, même banale. Le brun referma la porte derrière lui, avisant d’un œil ennuyé le désordre qui régnait sur place avant de se résoudre à se changer. Cette sortie lui permettrait au moins de sortir deux ou trois sacs poubelle, l’air de rien. En effet, quand il réapparut dans les deux minutes réglementaires, changé et propre sur lui, Chaze tenait deux sacs poubelle à bras de corps. Il ignora le regard surpris que le gamin posa sur lui. Il avait beau être célibataire, le fait d’entasser les fameux sacs en question le contraignait souvent à en sortir plusieurs à la fois. Heureusement, il put s’en débarrasser rapidement, à peine sortis de l’immeuble puisque le local à poubelles n’était pas très loin.

« Et tu veux aller où comme ça ? Pas dans un bar gay au moins ? »

Oui, c’était dit sur le ton de la plaisanterie et même si c’étaient là, les intentions d’Enoch, le scientifique savait qu’il ne dirait pas non. Il était assez ouvert d’esprit pour ne pas rechigner à mettre les pieds dans ce genre d’endroit, comme certains de ses pairs masculins. Et puis, avec ce qui c’était passé dans cette chambre d’hôtel, difficile pour lui de faire autrement, hormis en se voilant la face. Il fallait qu’il arrête de penser à ce qui était arrivé…
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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15.09.16 10:28
Méticuleusement, prudemment et, probablement, inconsciemment, il parvenait à gravir cette falaise devant laquelle il avait tant de fois reculé, par crainte de ce qui l'attendait lors de l'ascension autant que par peur de s'enfoncer plus bas que terre si jamais il venait à chuter. Pour tout outil, il ne possédait guère que sa franchise, instrument à double-tranchant qu'il manipulait avec le plus de soin possible, veillant à tailler la roche sans y décrocher de larges blocs, pas à pas, mot après mot, sans s'y entailler non plus les paumes et la langue. Car il progressait sur un mur raide, friable, qu'en d'autres circonstances il aurait aimé arpenter avec moins de précaution. Mais voilà. En plus de cela, comme s'il cherchait malgré lui à se savonner la planche, il avait proposé à Chaze de se rendre en un lieu approprié à sa condition, où, il n'en avait pas la moindre idée, n'y ayant pas réfléchi, imaginant par avance que le scientifique aurait décliné l'offre pour ne pas endurer plus longtemps cette désagréable présence. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Pourquoi avait-il tenté d'allonger leur entrevue alors qu'elle était en mesure de s'achever dans le calme – et c'était amplement suffisant ? Pourquoi désirait-il prolonger la discussion alors qu'il sentait déjà le malaise s'épaissir à l'approche de l'extérieur, lorsqu'il lui faudrait dénicher un sujet de conversation qui ne s'apparentât de près ou de loin ni à eux ni au reste du monde, parce que tout débat les ramènerait indubitablement vers ces moments passés ensemble ? Et parler de la pluie et du beau temps, non merci. Le gamin n'avait jamais été doué pour les menus commérages.
Pour autant, derrière son apparence guindée, il se retint de lâcher un cri de victoire en entendant le grand brun accepter. Et pour cause, ce n'était rien moins qu'une véritable victoire, une récompense pour son insupportable acharnement, pire qu'une tique dans le cou d'un chien, qui fit éclore un mince sourire sur son visage tandis que Chaze lui filait une recommandation pour la mémé du palier voisin. Sourire qui s'élargit davantage dès la porte refermée, quand bien même cette histoire de grand-mère n'était pas censé le rassurer. Quoi, elle mangeait les gens de moins de vingt-six ans par jalousie à cause des réductions de cinéma ? Elle les kidnappait et les étouffait à coups de choucroutes et de petits fours ? Elle s'en servait pour remplacer les jouets en plastique de son royal caniche André ? Qu'importe. Enoch souriait, presque bêta, les deux mains sur son museau comme pour en masquer la joie, et il aurait joué le plus parfait sourd-muet de la Terre si son aîné ne lui faisait pas faux-bond en honorant sa décision. Par ailleurs, le gamin eut le temps d'expirer en profondeur, se soulageant de la pression dont il s'était chargé en entrant dans l'immeuble, puis en profita pour réajuster ses vêtements avant de voir la porte s'ouvrir sur son ancien partenaire, plus surpris qu'il se fût changé en aussi peu de temps que des deux énormes sacs – des cadavres dépités en morceaux – qu'il tenait au bout des bras. Oh. C'était peut-être là l'explication au fait qu'il ne l'avait pas fait rentrer, en fin de compte. Cependant, loin de le dépiter, cela le faisait rire que cet éternel célibataire n'ait pas changé son habitude d'entasser à foison ses déchets. Déjà quelques mois en arrière, le mioche avait été stupéfait du désordre et des détritus amassés dans certains coins de l'appartement, sans en pondre le moindre reproche ; après tout, s'infliger des nettoyages quotidiens n'était valable que pour les maniaques de la propreté.

Ils descendirent l'un derrière l'autre, l'un avec ses poubelles, l'autre avec son silence, jusqu'à s'engager sur le trottoir. Où courir ? Où ne pas courir ? Le fantôme ne sut que répondre à la première interrogation de son compagnon. Pour la seconde, en revanche, il se contenta de piquer un fard – on eût dit un gamin pris en flagrant délit de chapardage – alors qu'il n'avait même pas envisagé cette possibilité. Il ne connaissait pas de bars gays, de toute façon. Et des bars, encore moins. Enfin. Avouons plutôt qu'il n'y avait jamais mis les pieds, à défaut d'être passé devant au cours de ses déambulations solitaires ; toute ville possédait ses lieux de rencontres, Madison ne faisant pas exception à la règle, et les établissements aux clientèles bien définies s'en cachaient suffisamment peu pour présenter, sur leur parvis comme leur devanture, les couleurs ostentatoires de leur fierté sexuelle.
« Je ne suis pas gay » répliqua-t-il, entre gêne et pudeur, l'esprit en proie à des souvenirs plus évocateurs les uns que les autres, conscient que lui tirer ce genre d'aveu n'était pas le but de la question et qu'il avait répondu bêtement. Mais c'était un peu l'histoire de la poule qui se défend d'être un oiseau sous prétexte qu'elle ne sait voler que sur de courtes distances. S'il était gay, il l'était au moins autant que Chaze lui-même, du moins aurait-il voulu le lui rétorquer avant de comprendre qu'il l'était en vérité deux fois plus, proportionnellement au nombre d'hommes avec lesquels il avait couché. Constat éloquent. Ce n'était pourtant pas le moment de se rappeler ces choses-là, quand bien même il lui était difficile de les étouffer dans les oubliettes de son crâne. À défaut, il pouvait toujours se considérer comme un dinosaure. Dès lors, quand il prit la tête de l'expédition en vue de trouver un endroit où poser leurs séant, ce ne fut que par volonté de dissimuler son trouble au grand brun et de chasser de sa mémoire les réminiscences peu ou prou agréables de ses expériences. Il n'était pas homosexuel. Coucher avec des hommes n'était pas une preuve évidente. Il aurait fallu, ah, bien d'autres choses encore. Surtout que la dernière fois qu'il avait fait entendre ses envies charnelles auprès d'un mâle - et quel mal ! - il avait vomi ses tripes sur le sol poussiéreux d'une ruine des bas quartiers. Cela lui avait suffi, bien qu'il ne fût pas dupe de ses élans ; cela ne vaudrait que jusqu'à la prochaine tentation.

« Je connais un endroit sympa', pas très loin d'ici, reprit-il en direction du scientifique, une fois qu'il fut assuré d'avoir effacé ses rougeurs. À ceux qui la connaissent, ils servent l'alcool distillé par une herboriste de la ville. Elle ne produit pas beaucoup, mais ce sont les meilleures liqueurs auxquelles j'ai pu goûter. »
Amateur d'eau-de-vie, le gamin ? Ce n'est pas comme s'il avait eu de nombreuses occasions de savourer de délicats spiritueux pourtant, et sans doute ses papilles n'étaient pas assez éduquées pour apprécier la bonne chère à sa juste valeur. Néanmoins, lui qui crachait la bière avec une grimace ou ne tenait pas le moindre whiskey, il avait été étonné du plaisir ressenti en absorbant ces substrats de sureaux à la framboise, ces marasquins de mûres et de citrons ou ces lymphes de menthe et mélisse. C'était doux, sucré, assez fort cependant pour que la chaleur se diffuse irrémédiablement dans ses veines sans lui laisser le crâne comme une cloche au lendemain et l'impression d'avoir mâchonné des racines terreuses.
Si Chaze approuvait ce choix, qu'il y fût oublié sous peine de devoir décider lui-même de leur destination, Enoch n'aurait qu'à garder le cap durant deux ou trois rues jusqu'à s'arrêter devant un porche étroit, glisser jusqu'à une cour intérieure aux parois luminescentes et pénétrer dans une salle haute aux piliers translucides, dont le comptoir n'était rien d'autre qu'un aquarium géant, aux sofas étouffés de coussins et aux murs grignotées de meurtrières d'où cascadaient toutes sortes de plantes. L'agencement était tel que, coincé entre les immeubles environnants, il y aussi sombre qu'un crépuscule d'automne ; un système de guirlandes coulant autour des meubles et des cloisons éclairait toutefois suffisamment pour ne pas se cogner aux clients, mais trop peu pour distinguer les petits défauts au coin des yeux. Ce qui, dans un lieu bâti pour que le commun des mortels puisse y draguer en toute tranquillité, était des plus appréciables. Le couple de propriétaires, une ancienne Eraser ayant décidé de tout plaquer et sa copine altermondialiste, veillait au grain. Une chouette planque, en somme.
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Chaze Ross
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16.09.16 15:58
« A la bonne heure. Moi non plus. »

Franchement, n’était-ce pas mieux ainsi ? Remettre les points sur les i dès le départ ? Nier n’avait jamais été son fort mais au moins, à présent, le brun pouvait envisager une sortie des plus normales. Pas de prises de tête, des conversations banales pour ne pas dire ennuyeuses et chacun pourrait rentrer chez soi, l’esprit en paix et la sensation du travail bien fait aux tripes. Les paroles du garçon lui glissèrent dessus. Un endroit sympa’ ? Pas loin en plus ? Que demandait le peuple alors ? La précision apportée au sujet du type de boissons servies lui arracha un sourire.

« Je préfère la bière. Et puis du moment que je peux fumer, tout me va. »

Tout ça pour dire que le scientifique n’était pas opposé du tout à l’idée de se rendre dans ce fameux endroit. D’un hochement de tête, il confirma le choix à Enoch et suivit ce dernier, non sans avoir le réflexe de porter une main à l’arrière de son jeans, pour tâter le contenu de l’une des poches qui s’y trouvaient, pour s’assurer de la présence de son paquet de cigarettes. En matière de dinosaure, Chaze n’était pas en reste. Avec les progrès techniques et technologiques, le nombre de fumeurs dits traditionnels avait diminué de manière drastique. Maintenant, les paquets physiques et leur contenu avaient été peu à peu remplacés par les cigarettes électroniques dans le meilleur des cas, sinon, par des moyens de se soulager du stress disons, moins légaux. Et en cela, l’Entre-Deux regorgeait de lieux et de revendeurs pour trouver ce qui convenait le mieux selon les goûts de chacun. Cependant, force était de reconnaître que l’endroit en question dépassa toutes les attentes du brun. Jamais encore il n’avait mis les pieds dans un bar ressemblant de près ou de loin à ce qu’il découvrit par-dessus l’épaule de la tête blanche qui le précédait. Un sifflement admiratif lui échappa tandis qu’il détaillait davantage les lieux lorsqu’ils y pénétrèrent pour de bon. Qui y crut que le gosse connaissait un endroit pareil ? Certainement pas le scientifique en tout cas ! On leur laissa le choix de la table, si bien que le duo en choisit une, ni trop éloignée du comptoir, ni trop proche des toilettes, la planque parfaite pour reluquer sans être vu, même si en l’occurrence, l’attention du brun était davantage rivée sur l’aquarium géant qui constituait le cœur même de la pièce, à savoir, le comptoir lui-même.

« Tu sais déjà ce que tu vas prendre ? Car j’imagine que tu connais mieux l’endroit que moi, ainsi que ses boissons. Tu dois avoir une préférence, non ? »

Pour sa part, il allait prendre le truc le plus fort qu’ils avaient en stock et Chaze le notifia à la serveuse avec un grand sourire. De toute façon, il distinguait à peine les traits de cette dernière dans la semi-pénombre qui les enveloppait et ce serait très certainement encore pire quand il aurait vidé son verre. Enfin, peu lui importait. Sitôt la commande enregistrée, le brun sortit son totem, pour en tirer sa source de nicotine à l’heure, non pas à la journée. Sans attendre l’autorisation, il s’en alluma une. Et si on devait le laisser choisir entre l’éteindre dans la seconde ou bien sortir avec, le scientifique pencherait en faveur de la seconde option. Autant entamer les conversations d’usage avant de se voir mettre à la porte non ?

« Et donc, qu’est-ce que tu deviens ? Un pilier de bar ? Je plaisante. »
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Enoch Livingston

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28.09.16 20:15
Au moins Chaze n'était-il pas du genre à chipoter sur les destinations ou à ne se satisfaire que de ce qu'il aurait déjà expérimenté, par prudence, par souci de sécurité. À la seconde où il répondit par l'affirmative, Enoch glissa toutefois d'une incertitude à l'autre, transposant le sujet de ses doutes depuis l'éventuel refus de son compagnon jusqu'à son appréciation de l'endroit où il s'apprêtait à l'amener. Évidemment que les goûts de ce dernier en matière de bar n'avaient pas été au centre des conversations du temps où ils cohabitaient ; ils avaient dû échanger de plus grandes banalités encore, à tel point que le gamin ne se souvenait qu'à moitié de la teneur de leurs discussions – il n'avait jamais été très doué pour les menus propos, les petites banalités. À ces yeux, il y avait dans ces phrases communes une sorte de désintérêt qu'il ne parvenait pas à cautionner, une indifférence envers son interlocuteur qu'il avait dû mal à supporter, quand bien même cela devenait tôt ou tard un passage obligé dans une relation. Les premières fois, il pouvaient espérer y échapper grâce à l'attrait de l'inédit, aux circonstances spécifiques qui avaient mené à réunir ces deux individualités ; chacun cherchait à apprendre l'autre, à dénicher les particularismes, à creuser les impressions. Mais plus le temps passait, plus les retrouvailles se multipliaient, et plus les trouvailles se faisaient rares, plus il était difficile d'éviter les questions sempiternellement vues. D'un autre côté, il existait dans ces platitudes un charme singulier, un réconfort que l'on ne découvre qu'auprès des personnes avec qui il fait bon respirer, une aura ordinaire au goût rassurant. Surtout lorsqu'on en est passé par quelques traumatismes, par quelques zones de forte turbulence. Aussi le fantôme ne ressentait-il pas cet embarras ennuyé à l'idée de parler de tout et de rien, surtout de rien, avec le scientifique.

Le trajet jusqu'à l'établissement indiqué se fit dans le silence, sans qu'il n'y eût là les traces d'un quelconque malaise. Mieux, Enoch ne s'interdit pas de sourire en entendant le sifflement approbatif de son compère à l'instant où ils passèrent le seuil ; lui-même avait eu une réaction peu ou prou similaire quand il avait découvert l'endroit – merci Dame Sérendipité – et s'il avait toujours plaisir à revenir par ici, c'est qu'il ne se lassait pas de l'atmosphère mystique, bleutée, qui s'échappait de cette tanière insolite. Le moins que l'on pût dire, c'est que ça avait de la gueule. C'était ce genre d'endroits que l'on souhaite garder pour soi, une taverne secrète à la manière d'un jardin spiritueux, ou que l'on ne divulgue qu'à certains proches en guise de surprise nocturne. En l'occurrence, ce n'était pas le cas à l'égard de Chaze, puisqu'il n'était ni l'heure ni l'occasion, mais l'Ancien éprouva une fierté idiote en sachant que son aîné appréciait son choix.
Ils se placèrent légèrement en retrait du passage, contre un mur, à distance respectable du zinc aquatique, sur une banquette où Enoch s'enfonça doucement, plaisamment, le cul coincé entre deux coussins pelucheux ; s'il avait chez lui, il se serait juste avachi, mais il tenait à ne pas être privé de sortie pour cause de mauvais comportement, si bien qu'il demeura sage jusqu'à ce que la serveuse – Codalie, de son prénom – vînt leur noter leurs boissons. Le grand brun décida de commencer fort, chose qui fit sourire la demoiselle, alors que le mioche opta pour une liqueur mandarine-basilic, non sans l'avoir au préalable spécifié à son partenaire qui le lui avait demandé. La carte du bar comportait de nombreux cocktails aux noms exotiques, certains aussi goûteux qu'imprononçables, et la tête blanche s'était un jour jurée qu'elle les testerait tous selon sa to-do-before-I-die liste. Il avait encore de la marge.  

Bientôt, Chaze tira de son paquet sa chère addiction et, entre deux bouffées qu'il se garda heureusement de souffler au visage du garçon, relança le dialogue. Son humour se voulait piquant mais pas blessant, cynique juste ce qu'il faut pour tirer un rictus à ce dernier, qui secoua la tête avant de répliquer sur le même ton :
« Non, par bonheur je n'ai pas assez d'argent pour cela. » Hé oui, dure réalité des alcooliques. Encore devait-il se les payer, ses litres de bière infecte et sa mauvaise vinasse – avec son maigre salaire, c'était perdu d'avance. Ou alors ne lui resterait-il plus grand-chose pour son loyer, l'obligeant à travailler de nuit pour joindre les deux culots de bouteille. Le meilleur sevrage, à l'évidence, trouvait sa source dans la misère. Comme la meilleure addiction, cela étant. « J'ai menti sur les raisons de mon absence pour récupérer mon travail. Le patron m'a cru, mais c'était à un cheveu ; il n'y aura pas de prochaine fois. Du coup, j'ai repris la vie de n'importe quel petit comptable lambda d'une micro-entreprise. » Le constat avait beau paraître amer, Enoch ne s'en plaignait pas, loin de là. Il était même reconnaissant au grand-père Kliff de lui avoir laissé cette seconde chance, et ce boulot, pour tout aussi passionnant qu'il était, ne lui demandait ni une faramineuse responsabilité ni une disponibilité exécrable. Certes, il devrait économiser trois mois pour s'offrir un extra, cependant il se plaçait pile dans la situation pécuniaire des étudiants fauchés, sans devoir assister aux cours à l'université. Situation qui n'avait jamais tué personne.
« Et toi ? Toujours sur deux fronts ? » rajouta-t-il, moins par politesse que par réelle curiosité, usant d'un code subtil pour faire allusion à sa double casquette.
Il savait qu'il avait lui-même omis de nombreux détails, qu'il s'en était restreint au contexte professionnel de son existence, réticent à l'idée de l'élargir au cercle des relations humaines, de se confier sur ses aventures sentimentales – quand bien même cela aurait peut-être été plus croustillant. Mais le sujet le laissait trop frileux, trop instable surtout, et il ne voulait s'y risquer. En revanche, il espérait que Chaze se montrât plus prolixe, quitte à ce que celui-ci exigeât une répartie similaire, parce qu'il était indéniable que sa vie à lui fût beaucoup plus intéressante.
Puis, il y avait ce truc que le mioche devait lui demander, aussi.
Plus tard.
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30.09.16 14:59
La réponse du gamin lui arracha ce qui parut être son premier vrai sourire de la soirée depuis qu’Enoch était venu frapper à sa porte à défaut de trouver la sonnette. Il était vrai que rares avaient été les occasions d’évoquer en détails leurs existences respectives, même lorsqu’ils vivaient sous le même toit. Après tout, si Chaze faisait preuve – inconsciemment ou non – d’un côté extrêmement maternel envers ceux à qui il venait en aide – et le gosse en faisait parti – le brun redoutait que la moindre information partagée conduise l’un ou l’autre des interlocuteurs tout droit chez la milice, si ce n’est pire, dans un endroit qui commençait par la même lettre. Si bien que le quotidien se limitait à des échanges amicaux, rien qui puisse venir trahir une amitié sincère. Tout ça pour dire que le scientifique n’avait jamais su ce que faisait Enoch, en dehors de fuir ses chimères bien entendu. A première vue, il ressemblait à un étudiant tout à fait lambda et absolument rien dans son attitude laissait supposer qu’il travaillait, à temps partiel ou complet, bref, ce qu’il advenait de lui en dehors des murs de l’appartement qui l’avait accueilli en son sein pendant quelques mois.

« Ce n’est pas courant d’entendre quelqu’un se réjouir de manquer d’argent… » fit-il simplement remarquer, ayant parfaitement conscience du ton employé par son interlocuteur.

Un commentaire aussi triste que leur conversation s’annonçait l’être en somme. La suite, à défaut de le faire sourire aussi franchement que la première fois, renseigna Chaze sur le métier qu’exerçait le gamin.

« T’es comptable à ton âge ? C’est bien un truc que je ne voudrais pas faire ça… Comme être huissier tiens… »

Certes, si Enoch lui avait affirmé être comédien ou chargé en communication dans quelque entreprise que ce soit, le brun ne l’aurait pas cru. Trop réservé et effacé pour ça. Alors que comptable… L’image qu’il se faisait de ce métier n’était pas vraiment élogieuse, en dehors du fait de jouer avec les chiffres d’un organisme quelconque. Mais ça prouvait au moins une chose : le gosse en avait plus dans la caboche qu’il ne le laisser penser, pour arriver à enchaîner les emmerdes en seulement quelques heures… Peut-être que si les chiffres l’appréciaient, la chance elle, un peu moins ? Allez savoir. Chaze le félicita poliment pour avoir menti au nez de son patron présumé, le tout sur fond de plaisanterie amère. Le plus important était que son interlocuteur reprenne le cours de sa vie et ça commençait par se remettre au travail. Tirant longuement sur sa cigarette à peine entamée, le scientifique ne s’attendait pas à ce qu’on lui retourne la question. Pour l’avoir trouvé à l’adresse où il l’avait abandonné, Enoch n’avait-il pas la réponse à sa question ? Non, bien sûr que non. Ce n’était pas suffisant pour émettre pareille hypothèse et rien ne valait une réponse formulée par la bouche du principal concerné. Lequel prit toutefois le temps de savourée sa bouffée aux relents de nicotine avant de satisfaire la curiosité du gamin.

« Toujours. Les idiots ne changent pas. »

Si Elena l’avait entendu, elle aurait arqué un sourcil devant cette façon de se désigner, d’abord lui-même puis les autres, eux, ce groupe, incluant ses membres sans aucune distinction. Depuis quand il se permettait de se montrer si amer, voire pessimiste quant à leur façon de faire ? Tous avaient épousé une cause qu’ils savaient justes. Ou alors il lui tardait simplement de tremper ses lèvres dans la bière qu’on lui avait promise d’ici quelques minutes.

« Tu es certain que les effets secondaires se sont estompés ? Que tu ne feras pas une crise en pleine journée ? » demanda-t-il alors, entre deux inspirations de nicotine, comme pour effacer la tournure amère que sa réponse précédente avait laissé planer sur leur conversation.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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27.10.16 17:51
Il est vrai qu’exercer une profession aussi assommante – pour ne pas dire carrément chiante – que l’était celle de comptable pouvait être surprenant de la part d’un jeune garçon dans la pleine fleur de l’âge. C’était sans compter sur le caractère casanier de l’intéressé, sur sa propension à s’attirer les merdes et sur, avouons-le, son décalage perpétuel avec ladite fleur de l’âge qui le faisait ressembler à un vieux dans la peau d’un gosse, à un sage immature à l’intérieur d’un corps malingre, enfantin, voire féminin. Alors Enoch comprenait tout à fait la réaction de Chaze face à cette découverture ; le terme lui-même sonnait faux dans sa bouche, comme s’il fut réservé à quelque élite pourrissante, à ces grabataires aux tronches austères de trader à lunettes. Le même panier que les huissiers, rien que ça. Il l’avouait sans mal : ce n’est pas non plus le métier vers lequel il se serait tourné au premier abord, pas plus qu’au deuxième ni au millième. C’était une situation confortable, voilà tout. Bien plus acceptable que plongeur dans une chaîne de restauration, vendeur dans une boutique de prêt-à-porter ou groom d’un hôtel prestigieux. Cela lui convenait. Mais pour combien de temps ? Il aurait été mensonger que de croire qu’il se satisferait toute sa vie d’un pareil poste, et ce en dépit de la reconnaissance qu’il pouvait ressentir à l’égard de son patron. Le journalisme – à l’aune de la méthode qu’il avait pu pratiquer – lui manquait parfois. Se rendre sur le terrain, mener à bien une investigation, recueillir preuves et témoignages qu’il traduirait ensuite en articles mordants, lui manquait. Sauf qu’à cette époque, personne ne voudrait embaucher un ancien clochard, dépourvu du moindre diplôme, issu d’un monde obsolète et de surcroît incompatible avec les mœurs et la technologie actuelle. C’était couru d’avance.
Le fantôme réprima un léger rire, imaginant le brun en collecteur des impôts ou toute autre activité ingrate, bourrée aux chiffres et aux impératifs. Voilà bien une carrière qui ne lui conviendrait pas si ce n’est, peut-être, la cravate. Cependant, il redevint très vite grave en écoutant le scientifique se dénigrer, et s’empressa de le contredire avec une franchise confinant à l’innocence. Ou l’inverse.
« Tu n’es pas idiot. »
Il le pensait. Et tant pis si ce n’était pas le cas de son interlocuteur ou si celui-ci préférait dissimuler ses problèmes derrière cette basse estime de lui-même. Tant qu’il existait quelqu’un pour affirmer le contraire, c’était bon, non ? Par ce « tu », il occultait certes ce « les » qu’il avait pris pour une généralité et non une désignation du groupe de Chaze au complet – Elena, Raph et... Léon ? s’il se souvenait. Mais l’oubli disparut aussitôt, viré par de nouvelles interrogations, et Enoch poussa un soupir en s’enfonçant davantage dans la marée de coussins.

« Rien de rien depuis fin juin. À croire que rien ne s’est jamais produit. »
Il n’était pas dupe de ce silence, cependant, pareil au calme avant la tempête. Quand bien même il aurait déjà enduré l’orage. Il s’imaginait toujours, durant de sombres insomnies ou plongé aux tréfonds de ses idées noires, qu’Elle lui parlait encore, qu’Elle n’en finissait plus de le dénigrer, jamais lasse de l’insulter ou de lui distiller son venin en intraveineuse. Cela avait beau n’être qu’une illusion, une hallucination auditive, cela n’en restait pas moins éreintant. Effrayant. Mais cela, il ne le dirait pas à Chaze, car il ne souhaitait pas l’inquiéter ; c’était déjà assez que de revenir sur ce sujet – cette honte, presque – alors qu’ils étaient censés passer un moment tranquille. « Je n’ai pas fait de nouvelle prise de sang depuis, mais j’imagine qu’il ne reste plus aucune trace du sérum. Elena avait raison. » Pas qu’il doutât de ses informations, toutefois. Il était certes rassuré de ne plus avoir à se trimbaler une tare pareille, mais de là à se défaire entièrement de cette imperméable paranoïa... Une fois n’est pas coutume, il pourrait noyer son incertitude dans l’alcool.
Alcool qui ne tarda pas à apparaître en la silhouette de deux hauts verres, l’un remplit à ras et couvert d’une mousse aussi scintillante qu’épaisse, l’autre couronné d’une tranche d’agrume et de quelques feuilles de basilic. Codalie les agrémenta même d’un clin d’œil à l’adresse du grand brun tout en déposant la boisson devant lui, et Enoch eut un léger sourire – si elle n’avait pas jeté son dévolu sur la gent féminine, il aurait probablement été son type d’homme – avant de lever délicatement son verre pour en avaler une gorgée. Fraîche, acidulée ce qu’il convient, avec ce lointain arôme d’herbe, à peine sucrée. Un délice. Il remercia la serveuse puis tendit son cocktail à son voisin, l’air de rien. « Tiens, goûte. » Histoire de. Pas sûr que cela lui plaise autant qu’à lui, au regard de leur commande respective, néanmoins tremper les lèvres dans un breuvage inconnu n’avait jamais tué personne – sauf poison. Ce qui n’était pas le cas. Ce fut ce moment que choisit le garçon pour larguer un pavé dans la mare.
« J’ai l’intention de révéler l’affaire au grand jour. Celle-là, et d’autres aussi, car ce n’est sans doute ni la première ni la dernière de ce genre. Je vais recommencer à enquêter. » En un mot comme en cent : je vais me vautrer dans les embrouilles jusqu’au cou, si ce n’est plus haut encore, et tout ce que l’on pourra me dire ne suffirait pas à m’en dissuader.
Un effet du spiritueux, si tôt ?
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Chaze Ross
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31.10.16 15:48
Non content de venir le trouver pour se répandre en excuses sur la pas de sa porte concernant son comportement passé, voici que le gosse prenait sa défense maintenant ? Cette désapprobation sur fond d’amitié dégoulinante de bons sentiments, arracha un sourire amusé au scientifique. Il voyait très bien où voulait en venir Enoch. Cependant, la gentillesse et la naïveté dont faisait souvent preuve son aîné n’arrangeait en rien les affaires de ce dernier, bien au contraire. S’il avait opéré seul pendant toutes ces années, le problème l’embarrasserait moins aujourd’hui, sauf que ses actes concernaient également des tiers. Des actes qui n’étaient pas sans conséquences. D’où sa précédente remarque amère et pour le moins proche de la réalité, qu’elle inclue ou non ses compagnons de mission. Mais tout cela, le gosse ne pouvait pas le comprendre. Et même s’il le pouvait, Chaze n’avait pas tellement l’énergie et la volonté pour se lancer dans de longues explications à ce sujet. L’heure et l’endroit n’étaient pas non plus propices à ce genre de conversation. Tôt ou tard, Enoch comprendrait le sens de ces paroles. Voilà pourquoi le brun laissa couler. La conversation s’orientait déjà sur un tout autre sujet de toute façon. Rien du tout donc ? Pas la moindre petite tentative ou expression artistique de la part de cette saloperie ? Pour une bonne nouvelle, c’en était une, définitivement. Mais tout comme le gamin doutait de cette tranquillité inespérée, le scientifique redoutait une rechute.

« Hmm. A l’occasion, passe la voir pour faire une prise de sang. Je te filerai l’adresse de son cabinet. »

Bien sûr, il aurait pu la contacter en personne et au nom de son interlocuteur afin d’arranger le rendez-vous entre eux. Cependant, la chute était prévisible. Une petite piqure et le gosse serait fixé sur son état. Pourquoi auraient-ils besoin de sa présence tout bonnement inutile ? Un regard lancé au-dessus de l’épaule de son interlocuteur avisa Chaze de l’approche de leur commande. Le clin d’œil de la serveuse ne lui échappa pas mais il ne sut comment l’interpréter, aussi, le brun lui adressa un sourire poli. La vision de sa bière, joliment ambrée, accompagnée de sa mousse, le ravit. Au moins, il ne pouvait pas faire de faux-pas en dégustant celle-ci. Un point de repère fiable en quelques sortes, tant pour son esprit que pour son palet. Rengahardi, le brun s’autorisa même petite folie en la dégustation de la boisson qui avait été déposée en face d’Enoch. La présentation était alléchante certes mais le scientifique n’aurait pas craqué pour autant face au cocktail. Un homme simple aux plaisirs simples, voilà ce qu’il était. Ou essayait d’être en dépit des apparences. Il ne fut pas déçu de cette rencontre digne du troisième type entre le breuvage acidulé au lointain arôme d’herbes et ses lèvres légèrement hésitantes.

« J’ai l’impression de boire un jus à base d’herbe… T’aimes ça toi ? »

La grimace qui accompagnait sa réplique renseigna son interlocuteur sur la possibilité qu’il puisse un jour y goûter de nouveau. Chaze repoussa le verre en direction du gosse pour s’emparer du sien, le portant à ses lèvres sans la moindre appréhension cette fois, même insignifiante et but avidement de longues gorgées du liquide ambré. Erreur de sa part ? Mauvaise anticipation de la part d’Enoch ? Comment savoir ? Quoiqu’il en soit, la révélation du second eut son petit effet sur le premier. Le brun avala de travers, bloqua instinctivement l’écoulement de la bière dans sa gorge pour finir par recracher le tout un peu beaucoup n’importe comment d’ailleurs. Son interlocuteur ne fut pas épargné, le liquide ambré se mêlant au blanc de ses mèches. Pour la discrétion et la tenue, on repasserait.

« Tu va quoi ? » cracha-t-il entre deux tentatives pour reprendre une respiration normale.

Passés les regrets d’avoir baptisé Enoch à la bière – lui qui avait opté pour un cocktail – Chaze se repassa en boucle les quelques mots lâchés presque avec innocence. En vérité, il n’en était rien puisque des deux, le gamin mesurait parfaitement l’ampleur de ses propos. C’était probablement la raison pour laquelle il avait tant tardé avant de se lancer, insistant presque pour sortir prendre un verre avec le brun, comme pour endormir ses soupçons. Alors les excuses n’étaient pas l’unique motif de sa réapparition en fin de comptes ?

« Est-ce que tu mesures seulement les conséquences de ce que tu prévois de faire ? Dans quelle merde on s’est mis jusqu’au coup pour te sauver ? Eviter que l’affaire ne remonte jusqu’à nous ? Que les médias étouffent l’histoire du taré à l’hôpital ? Et tu voudrais tout foutre en l’air ? »

Oh qu’il n’aimait pas ce regard. Enoch avait la témérité de la jeunesse, un besoin de justice comme nul autre ne possédait en ce bas monde. Et pourtant, les deux se retrouvaient pour une fois chacun de l’autre côté de la barrière, à ne pas défendre la même prise de position.

« Si tu envisages sérieusement de mener cette enquête, on te fera taire. D’une manière ou d’une autre. Ce ne sera plus simplement une petite piqûre contenant un putain de sérum inconnu pour en tester les effets sur la populace. Tu piges ça ? On découvrira ton cadavre avec une balle entre les deux yeux, voilà ce que tu récolteras. »
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