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A qui profite vraiment la science ? [PV Esteban Rothgrüber] [Terminé]
wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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14.05.16 11:33
Un pied dans son champ de vision. Puis un autre. C’est ça. Encore. Mettre un pied devant l’autre, à nouveau, sans jamais s’arrêter. Voilà ce sur quoi chaque fibre de son être était concentrée. Le temps lui était compté. Il ne savait pas de combien il en disposait mais il ne devait pas s’arrêter. Mettre le plus de distance possible entre lui et ce malade. Qu’importe l’irrégularité du sol sous ses pieds. Il y avait toujours un mur pour se retenir de tomber. Car oui, le garçon manqua de se retrouver le nez dans la poussière à plusieurs reprises. Les ténèbres voilaient tout, trompeuses. Sa main gauche ne perdait jamais le contact avec le mur qu’elle caressait lentement, progressant à sa surface au même rythme que son propriétaire arpentait les tunnels abandonnés du métro. Sans prévenir, celui changea de matière. De la pierre usée, les doigts rencontrèrent une surface arrondie, lisse et froide. Sulkan eut un hurlement de terreur, bondissant en arrière. Les nerfs toujours à vif, il tendit de nouveau une main tremblante pour tâter la surface de la barre de fer. Il était trop nerveux, ce n’était pas bon ! Tout en essayant de contrôler les battements de son cœur, affolé de plus belle, le russe leva les yeux. Là, perdu dans les ténèbres, il finit par distinguer un petit point lumineux. Faible certes mais suffisamment pour deviner la proximité d’une sortie. Cette échelle murale en était la preuve. Mais aurait-il cependant la force de monter tout en haut ? Qui sait ce qui l’attendait à l’extérieur ? Et si la milice avait sécurisé le périmètre depuis longtemps ?

« Merde… »

A trop se poser des questions dont il ignorait les réponses, Sulkan savait qu’il perdait du temps. Sa priorité était de sortir du métro, de retrouver l’air frais de l’extérieur. Ensuite, il aviserait selon sa position et les options qui s’offriraient à lui le moment venu. Le russe inspira profondément et saisit les barres métalliques avec résolution. Il ne voulait pas mourir. Il ne voulait pas retomber nez-à-nez avec ce type. Et pour ça, il fallait avancer. Toujours avancer. Même vers l’inconnu. Le garçon se fit violence pour chasser toute pensée parasite de son esprit. Depuis combien de temps montait-il ? Etait-ce encore loin ? A quelle hauteur se trouvait-il ? Pourrait-il mourir s’il tombait maintenant ? L’absence d’une nouvelle barre à saisir fournit au moins une réponse à la seconde de ces questions. Prudemment, Sulkan tâta au-dessus de sa tête, jusqu’à sentir les contours d’un levier à tirer, chose qu’il fit dans la seconde. La trappe se souleva et malgré l’absence de lumières vives à l’extérieur – la nuit était tombée entre temps – le russe fut paradoxalement ébloui momentanément en retrouvant le ciel. Les ténèbres souterraines étaient beaucoup trop denses en comparaison de cette ville sans cesse éclairée, même après le coucher du soleil. Les lampadaires figés aux alentours n’avaient beau diffuser que de la lumière artificielle, les yeux du garçon durent se réhabituer à toutes ces lueurs. Il se traîna misérablement hors du métro, grimaçant sous l’effet de la douleur qui tiraillait son bassin et son épaule. Chaque mouvement nécessitant ces deux zones étaient un supplice. Ajouté à ça le cliquetis des menottes, qui résonnaient comme un vacarme assourdissant aux oreilles du russe. Chacune des notes lui tordaient l’estomac, avec la crainte d’attirer l’attention de quelqu’un. Mais non, la rue demeurait silencieuse et immobile, figée comme un décor en carton. Sulkan observa prudemment les alentours. Il ne reconnaissait pas spécialement l’endroit, ayant à la fois perdu le compte du nombre d’heures écoulées, que la distance parcourue lorsqu’il se trouvait sous terre. Quand même bien il n’aurait pas pu parcourir Madison d’un bout à l’autre, pas dans son état actuel, peut-être s’était-il fortement éloigné de son point de départ. A première vue, il se trouvait toujours dans l’Entre-Deux, ce qui le rassura autant que ça l’inquiéta. Le russe demeurait un habitué des lieux, il ne redoutait pas de s’y perdre. Sauf que bien connaître l’endroit, supposait aussi connaître ses dangers. A une heure pareille, les trafiquants et dealers en tout genre devaient être de sortie. Ce ne serait pas bon pour lui de tomber sur eux. Déjà qu’en temps normal, le garçon préférait se méfier de leurs méthodes, alors menottés et épuisé aussi bien mentalement que physiquement comme il l’était, il ferait une proie facile pour un commerce illégal. Avant d’espérer entrer en contact avec qui ce soit pour obtenir de l’aide, il lui fallait trouver un moment de se débarrasser des menottes, retrouver sa liberté de mouvements qui lui faisait cruellement défaut. Entreprendre quoique ce soit d’autre pour le moment, était dangereux.

Mettre un pied devant l’autre, encore une fois. Seulement, il bénéficiait d’une brise légère pour le motiver dans sa lente progression à présent. Sulkan ne savait pas trop ce qu’il espérait. Découvrir une lame électromagnétique abandonnée dans une poubelle ? Ce genre d’arme serait parfait pour trancher le métal des menottes sauf que seuls les miliciens en étaient équipés. Aucune chance de tomber dessus. Alors quoi ? Un bon samaritain, près à lui venir en aide ? Ce serait trop demander dans l’Entre-Deux. La zone n’était pas particulièrement connue pour l’altruisme de ses résidants… En désespoir de cause, le russe quitta ce qu’on avait du mal à qualifier de route principale sur laquelle il se trouvait pour s’enfoncer dans les petites ruelles adjacentes. L’odeur qui en émanait annonçait d’elle-même que l’objet de ses convoitises ne devait plus être bien loin. Dans la faible lumière d’un lampadaire clignotant, Sulkan entreprit de fouiller dans les poubelles, à la recherche du moindre objet tranchant ou tordu qui pourrait l’aider à se défaire de ses entraves métalliques. Dans son désespoir, il n’eut pas à tomber sur des déchets organiques, simplement des boites en tout genre, probablement abandonnées ici après l’installation d’un marché clandestin temporaire à cet endroit précis. Le garçon ne se posa pas davantage de questions et ses doigts effleurèrent une barre semblable à celles qui lui avaient permis de sortir du dédale souterrain. Le russe s’empressa d’extirper la barre en fer, tordue et rouillée qui gisait là. Ce n’était pas le meilleur outil qu’il espérait dénicher mais le seul dont il bénéficiait à l’heure actuelle. Tâchant de se motiver comme il le pouvait, Sulkan s’éloigna autant que possible des poubelles et colla prudemment son dos contre l’un des murs de la ruelle, avant de se laisser glisser au sol, fourbu. La barre de fer coincée entre ses genoux, il lutta pendant de longues minutes, agitant ses entraves dans tous les sens dans l’espoir de les voir céder, d’une manière ou d’une autre. Mais il ne réussit simplement qu’à les abîmer un peu plus, la barre de fer n’aident en rien, car pas assez adaptée pour ce travail minutieux. Une fourchette dans le même état aurait obtenu de meilleurs résultats. D’un geste furieux, le russe balança la barre de fer contre le mur en face de lui, ce qui n’eut pas le mérite d’atténuer sa frustration grandissante, au contraire, seulement de réveiller un peu plus la douleur à son épaule au travers de ce lancer, perdu d’avance.

« Fais chier. Fais chier. FAIS CHIER ! »

Pourquoi ? Pourquoi même libre, il se retrouvait piégé d’une manière ou d’une autre ? Pourquoi après avoir tant souffert, il n’était pas en sécurité quelque part ? Un frisson parcourut sa peau nue. Il avait froid à présent. Alors même qu’il bouillonnait de l’intérieur. Sulkan serra les dents, réprimant les larmes de désespoir qui perlaient au coin de ses yeux. Même loin de ce type, l’autre trouvait encore le moyen de lui pourrir l’existence. De lui rappeler la sienne. Que jamais, il ne serait en sécurité tant que l’un et l’autre fouleraient ensemble cette maudite Terre. Ce malade avait réussi son coup : le marquer dans sa chair mais aussi dans son esprit. Comment s’était possible d’en arriver là ? Jouer les petits délinquants en piratant ci et là des systèmes informatiques lui paraissait bien insignifiant en comparaison de ce qui lui arrivait. Traitement injustifié. Parce qu’il serait devenu l’un de ces monstres ? Non… Ce ne pouvait pas seulement être pour ça… Ce type… Phear… Il n’avait pas besoin d’une raison, serait-elle suffisante, pour torturer… Sa colère fondit doucement, peu à peu remplacée par la résignation. S’il devait passer le restant de ses jours à fuir ce malade… Le russe porta les menottes au niveau de ses yeux, laissant courir un regard vide dessus. Il les voyait sans les voir. Il en avait assez. Il avait survécu. C’était bien assez. S’il pouvait mourir libre, ce serait le pied. Plus que de survivre en tant que cobaye, pucé, traqué comme une bête dont on redoute le moindre écart. Pourquoi diable avait-il foutu les pieds à Madison déjà ? Le cliquetis des menottes lui parvint de loin, très loin. Ses bras, lourds, étaient retombés par terre. Au travers d’un soupir, le russe ferma les yeux, attendant un reflux de détermination qui ne viendrait peut-être jamais. Ce qui n’était probablement pas plus mal dans le fond.
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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22.06.16 12:11
« À demain ! », « Bonne soirée ! », « T'es de garde ce soir ? Je croyais que t'avais tes mômes... ». Dans une des salles communes du Centre, les yeux fermés et les poumons accueillants avec extase les doux effluves d'un café noir, Esteban prenait l'une de ses rares pauses. Qui plus est, avec les Autres. Perdu dans ses dossiers et ses cadavres neufs, il ne lui restait qu'une de ses sucettes à la cerise. C'est donc naturellement qu'il s'était rabattu sur la caféine et ses nombreuses vertus, ne prêtant pas attention à la baffe qu'il mettait à son maigre stock de grains moulus. Vint un temps où, cafetière vide, il fut contraint de sortir de son antre réfrigérée pour aller dans l'une des salles les plus proches de son labo. Les yeux de ses collègues se posaient sur lui, surpris de le voir parmi leur petite communauté de scientifiques reconnus par Madison. Ce n'était pas souvent, pour ne pas dire rare, que le légiste les honoraient de sa présence. Il sentait ces regards intrigués et les ignorait avec sa nonchalance habituelle. Ce n'est pas qu'il n'aimait pas ses collègues, c'est juste qu'il se passait volontiers de leurs discussions niaiseuses : l'enfant qui venait de naître, un patient qui se croit tout permis, la dernière engueulade avec le conjoint... Oui, il s'en passait vraiment très bien. Comme eux se passaient agréablement de sa présence. Il n'était pas rare qu'ils médisaient sur lui. Y avait qu'à tendre l'oreille pour entendre les chuchotements et les regards fuyants. Engloutissant son nectar cul-sec, il se leva lentement en prenant soin de faire racler les pieds métalliques de sa chaise sur le sol. Ce petit instant d'angoisse chez le personnel médical était ravissant et, satisfait, il reprit la direction de la morgue.
Isolé du reste de la société malade et des chercheurs excités, le jeune homme savourait sa tranquillité. Là où d'autres serait en train de geindre ou de tout faire pour partir de ce trou à rat, lui, prenait un plaisir fou dans son travail, ne quittant pour ainsi dire pas ses frigos et ses cadavres. Remettant ses lunettes à la monture noire sur son nez, il se saisit d'un nouveau dossier. La milice avait besoin au plus vite des analyses pour régler une affaire impliquant un evolve « Dangereux pour la société » ; un sourire s'étira sur ses lèvres fines à mesure qu'il s'approchait de ses armoires. Ils en avaient de bonnes expressions dans la milice pour faire comprendre à ceux qu'ils considèraient de « ratons de labo » qu'ils fallait qu'ils se magnent à traiter les dossiers parce qu'ils n'avaient pas que ça à faire. « D 6.... D 6... Mort par... » Il arqua un sourcil, peu sûr de ce qu'il venait de lire. Coinçant le dossier entre ses dents, il ouvrit la porte pour sortir jusqu'aux épaules son patient : jeune, les cheveux courts et un visage serein. « Bonjour Thomas Raven. » Il tira le tiroir en inox, se révélant peu à peu le corps de l'homme qui était à peine moins âgé que lui : à première vue, il n'y avait rien d'extraordinaire. Et c'était bien cela le problème. De nos jours, mourir d'une mort naturelle lorsqu'on a moins de trente ans n'était pas concevable. Les soins, avancés, permettaient de toujours limiter la casse. De plus, la condition physique requise pour les erasers était telle qu'ils n'avaient absolument aucun problème de santé. Alors quoi ? Esteban sourit, ce cas pouvait s'avérer très intéressant. Il installa le corps au milieu de la salle et commença son travail, bien décidé à ne pas partir tant qu'il n'aurait pas résolu l'énigme Thomas Raven. Il inspecta les moindres recoins du cadavre, préleva tous les échantillons nécessaires à des analyses chimiques, avant de se lancer dans la tâche qu'il préférait. Non sans afficher un sourire de plaisir, Esteban fit courir la lame de son scalpel le long de la peau de l'eraser avec la précision qui lui était reconnue. Il ouvrit le corps pour y faire ses petites affaires habituelles, et une fois le tour du propriétaire fait, il le referma, intrigué. L'intérieur de son corps ne présentait aucun défaut, aucune tare, aucun vice. Assit, fixant les yeux fermés du corps, il se triturait les méninges pour songer où tout avait déconné, lâché, pour qu'ils se retrouvent face à face en cette fin de journée. Ce fut le bip d'une de ses machines qui le tira de ses pensées profondes. Il se leva en enlevant ses gants et son tablier, et se dirigea vers l'imprimante qui hoquetait les derniers résultats. Fronçant les sourcils, peu sûr de ce qu'il était en train de lire, il retourna auprès du mort et ré-inspecta l'extérieur du corps. Comment un homme en bonne santé et qui s'entretient pouvait-il montrer un taux aussi élevé de ce qui semblait être une drogue ? Ce n'était pas possible. À moins que... Oui. Seule cette solution était probable. À mesure qu'il rédigeait son rapport, sa déception augmentait. Ça avait été trop simple comme énigme. Les evolves ruinaient le caractère hypothétique et énigmatique de son travail. Une fois terminé, il glissa un exemplaire dans le dossier qu'il déposa dans la case « Fait » et envoya une copie au responsable de l'enquête en cours. « Esteban, tu n'es pas encore parti ? » Une voix douce et familière lui fit lever la tête. Une jeune fille à la queue-de-cheval blonde et bouclée, aux yeux de biches à peine trop maquillés et à une taille de velours venait d'interpeller le seul légiste du Centre. « Ça fait combien de temps que tu n'es pas rentré chez toi ? Va te reposer. » Elle était la seule, dans ce bâtiment, à le traiter comme quelqu'un de normal, sans juger sa misanthropie aiguë, s'en amusant même parfois. « J'allais... Y aller...? » Elle sourit. Le trentenaire n'était pas bon dans les mensonges, et bien que conscient de sa lacune, il avait retenté une nouvelle fois. Elle avait lu à travers lui comme dans un livre. Du moins, ce chapitre était grandement abordable pour elle. « Va te reposer. Tu as une tête affreuse et je présume qu'après 4 jours, tu n'as plus de tes sucreries. N'est-ce pas ? Va te refaire un stock. » Il ne pouvait qu'agréer à ce qu'elle disait. Passer encore un jour sans son goût sucré et chimique de cerise, il n'allait pas tenir.

La sonnerie d'une petite supérette ouverte 24/7 retentit lorsqu'Esteban sortit tenant un sac plastique remplis à ras-bord de paquets de sucettes et de café sur lesquels une boîte d’œuf tenait par miracle. Il rentra chez lui, se fit un truc rapide à manger avant de sortir son sac d'ordures. Les bennes se situaient derrière le bâtiment, dans une ruelle propice à des agressions en tout genre. Il se fraya, confiant, un chemin en direction des poubelles. Il n'était pas rare de voir des chats errants rôder autour des sacs noirs à la recherche d'un petit quelque chose à manger. D'ailleurs, un chat dont le pelage devait être blanc à l'origine tournait autour des chevilles du scientifique en miaulant affectueusement. « J'ai rien sur moi ma belle, peut être une autre fois... » Ne comprenant pas un traître mot de ce qu'il disait, elle continuait son petit ménage. Il la regardait, amusé, jusqu'à ce qu'un autre miaulement se fasse entendre. Deux yeux émeraude se distinguaient dans la nuit, annonçant un chat noir qui se fondait à la perfection dans le décor sordide de la ruelle. Sa petite voix se faisait persistante, comme si elle invitait vivement Esteban à la suivre. Piqué dans sa curiosité, il s'extirpa du jeu de la demoiselle à quatre pattes pour suivre la voix de son guide invisible. Il enchaînait les pas, se demandant à chacun de ceux-ci s'il n'allait pas tomber dans un piège humain ou félin. Si jamais il tombait sur des chatons, il devrait résister à la pression de leurs têtes adorables et de leurs tendres petits coussinets.
Mais ce fut une toute autre surprise. Pâle. Adossé au mur de briques. Les bras ballants et le menton posé sur le torse. Il était face à un homme, qui de toute manière devait être en train de décuver. Le légiste regarda le chat, se disait qu'il s'était fait avoir de moitié : c'était bien un piège humain, mais un piège ivre. Il ne risquait pas grand chose. Alors qu'il allait repartir, peu enclin à se mêler des histoires d'un ivrogne, il vit le chat poser ses pattes sur le ventre de l'homme, léchant sa peau d'albâtre. « Je ne m'occuperais pas de ton maître. Toi oui, mais pas lui. » L'animal tourna sa petite tête vers le scientifique et semblait le supplier de se pencher sur le cas du brun, l’appâtant de futures heures de caresses comme un appâte un gosse avec des gâteaux pour qu'il soit sage. Il soupira en cédant aux avances de la boule de poils et s'accroupit face au corps qui paraissait inerte. La première chose qui lui sauta aux yeux, c'était le sang séché sur son torse nu, son pantalon encore humide du liquide de vie. L'homme pouvait être en danger, l'aspect extérieur pouvait cacher des blessures internes et- Esteban réfléchit. Il n'était pas obligé de l'aider. Après tout, dans ce quartier, c'était chose commune de trouver des gens planqués entrain de crever ou des cadavres déposés là par des groupes influents désirant se débarrasser d'un gêneur. Le trentenaire ne voulait pas se mélanger à ça. Depuis des années, il avait réussi à rester neutre. Pourquoi changer maintenant ? Peut-être parce que le miaulement plaintif du chat noir réveillait ses gênes de médecin. Une nouvelle fois, il soupira en enlevant sa veste et en la déposant sur les épaules de l'homme, où il découvrit la paire de menottes et de nouvelles blessures. La personne qui l'avait fait souffrir s'en était donné à cœur joie. Il prit le corps inerte dans ses bras et l'emporta discrètement chez lui.

Arrivé dans son modeste appartement, il alla directement dans sa chambre où il le déposa sur le matelas. Il le déshabilla suffisamment, lui laissant par pudeur son boxer, et inspecta les nombreuses entailles qui parsemaient sa peau. Elles étaient suffisamment profondes pour laisser une trace à vie tout en étant suffisamment superficielles pour ne pas provoquer la mort. Le mec qui avait fait ça était un pro. Il vérifia que l'homme n'était pas imbibé d'alcool, puis piqua dans l'avant-bras de son patient, une seringue anesthésiante. Ce qui allait lui faire n'allait pas être de tout repos, il valait mieux qu'il reste inconscient quelques heures encore. Esteban choisit de commencer par le torse de son patient. Les traces ressemblaient à quelque chose d'abstrait, un motif qui se pourrait tribal et qui faisait lointainement écho au légiste qui avait déjà vu ce genre de chose auparavant. Sans se poser plus de questions, il finit de traiter la face recto de l'homme et il le bascula sur le ventre pour s'occuper de sa face verso. Les entailles y prenaient plus de place, plus de valeur, comme si la personne qui s'était volontairement attardée sur cette partie du corps avait une vieille rancune à calmer. Ses doigts étaient aussi précis que le bourreau, désinfectant et refermant les plaies avec patience. Une fois satisfait de son travail, il nettoya son petit bazar pour revenir au chevet de l'homme trop maigre et pâlichon. Il resta à ses côtés, contre le mur en face du lit, et s'endormit naturellement.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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25.06.16 9:19
Loin de refaire surface, sa détermination avait lentement basculé, comme inexorablement attirée par le vide de l’inconscience qui ouvrait à présent ses bras au garçon. Ce n’était pas l’endroit rêvé pour piquer du nez. Ce n’était même pas prudent de s’assoupir dans cette ruelle sordide, alors qu’on avait un avis de recherche à son nom proclamé à travers toute la ville. Mais il arrive un moment où le corps rend les armes, précédé en cela par l’esprit. La montée d’adrénaline, générée par cette fuite en avant, véritable mascarade qui avait conduit à un jugement sommaire, injuste, bien vite mué en affrontement aux forces inégales tant sur le fond que sur la forme, pour entrevoir un répit garanti par la survie précaire de la proie que le russe incarnait à merveille, venait à présent de retomber, emportant avec elle les soucis de Sulkan. Pendant un temps du moins. Elle lui devait bien ça. Se donner tout ce mal pour finalement se retrouver menotté, sans moyen d’échapper à ses entraves, celles-là même qui clamaient aussitôt son appartenance à la classe criminelle. Oui, la montée d’adrénaline laissait désormais place à un épuisement sans nom. L’un de ceux qui parviennent même à mettre la prudence en veilleuse. Heureusement pour le russe, le sommeil l’étreignit affectueusement, éloignant de lui tout mauvais souvenir. Il ne fut pas agité par une somnolence tourmentée. A vrai dire, il crut entendre une voix, peut-être même que l’on s’agitait à proximité de lui. A moins que ce ne soit un reflet de ses rêves confus ? Endormie la prudence. Si tout devait se terminer de la sorte, alors autant partir sans souffrir non ? Encore une fois, il crut sentir qu’on le soulevait avant de bien vite se retrouver soutenu par quelque chose de plat. Le sol ? C’était quand même drôlement plus confortable que le mur en briques contre lequel il s’était appuyé plus tôt ? Une table d’opération perdue dans les tréfonds d’un laboratoire clandestin ? S’il avait été en mesure de le faire, le garçon aurait ricané. Nerveusement. Tandis qu’on le secouait toujours un peu plus, il grogna faiblement dans son sommeil. Finalement, on allait peut-être parvenir à le tirer de sa douce torpeur. Au lieu de ça, le russe sentit une vive douleur quelque part sur sa droite – son bras peut-être ? – avant de se sentir engloutir de plus belle dans ce sommeil sans fin. Pour un peu, il en aurait remercié celui qui en était à l’origine. Sauf qu’il ne le pouvait pas.

Combien de temps resta-t-il ainsi, plongé dans un sommeil artificiel en partie ? Sulkan n’en avait aucune idée. Lentement, son esprit refit surface, luttant pour s’extraire de l’ensemble brumeux qu’il formait désormais. Là-dessus, il pouvait remercier l’anesthésiant et ses effets. Sa bouche était un peu pâteuse mais il ne voyait pas la nécessité de s’en servir dans l’immédiat. Pour le moment, le hackeur préférait prendre le temps de détailler son nouvel environnement. Allongé sur le dos comme il était, ses yeux trouvèrent en premier le plafond. Ce n’était pas le ciel ? Bizarre. Sulkan cligna des yeux plusieurs fois, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas avant de prudemment tourner la tête vers la droite. Un prolongement du plafond s’y trouvait… Ah non, c’était un mur. Certes en mauvais état mais pas aussi délabré que celui de la ruelle. Sa conscience émergeait de plus en plus, l’abreuvant de souvenirs, pour le moins inquiétants. Il se rappelait avoir échoué dans cette ruelle sordide et ensuite… Minute. Il était où là ? Ou plutôt chez qui ? Le garçon voulut se redresser sur le lit et le tintement métallique des menottes lui confirma l’origine des souvenirs qui lui étaient revenus en mémoire l’instant d’avant. Mais lorsqu’il baissa instinctivement les yeux en direction de ses entraves, le russe réalisa sa tenue, pour le moins, légère. Pourquoi il était en boxer ? Ajouté à ça le fait qu’il se réveillait dans une maison inconnue… Du mouvement sur la gauche le fit sursauter et aussitôt, il tourna la tête dans la direction d’où cela provenait. Son cœur loupa un battement puis deux, en apercevant un homme assoupi sur une chaise. Machinalement, son cerveau analysa les différents éléments à sa portée : lit, menottes, boxer, chambre, homme…

« Mon dieu, ce type a voulu me… ! »


Baiser. Et en plus, il était tombé sur un tordu adepte du sadomasochisme ?! Sulkan perdit des couleurs et avant qu’il ne le réalise, son dos se retrouvait collé au mur qu’il avait aperçu plus tôt sur sa droite. Seulement, si le bond en lui-même avait le résultat d’un mouvement instinctif et inconsidéré, sursaut de terreur mêlée de dégoût, les effets de l’anesthésiant ne s’étaient pas entièrement estompés. La tête lui tourna et son esprit paniqué attribua cet état à une possible drogue qu’on lui aurait fait prendre. Sans réfléchir davantage, le garçon rasa les murs pour quitter la chambre. Avec un peu de chance, le bruit de menottes, qu’il s’efforçait de minimiser, ne réveillerait pas son… hôte ? Progressant à reculons sitôt l’encadrement de la porte de la chambre franchi car il ne voulait pas quitter des yeux l’inconnu, le hackeur dut se résoudre à détacher ses yeux de lui, même pour un court instant. La sortie. Où était la sortie ? Ne connaissant pas les lieux, son regard affolé passa en revue son nouvel environnement, avant de finalement se poser sur ce qui ressemblait à une porte d’entrée. Gagné ! Le russe fit un pas vers elle, avant de s’immobiliser. Il ne pouvait pas sortir comme ça ! En plus de risquer d’attraper la mort, il se ferait arrêter pour exhibitionnisme ! Des vêtements ! Il lui fallait des vêtements ! Où étaient les siens d’ailleurs ? Machinalement, son regard revint vers la chambre. Avec dépit, le garçon réalisa qu’il avait prestement mis une certaine distance entre lui et l’inconnu, sans même songer à récupérer ses biens, probablement restés dans la pièce où se trouvait également l’homme assoupi. L’était-il toujours cependant ? Sulkan déglutit avec difficultés. Il devait faire vite. Ne pas hésiter. S’il traînait trop… L’autre risquait de se réveiller et adieu vêtements ! Il devait tenter le tout pour le tout !

« Fais chier, oh putain, fais chier… »

Le murmure fleuri lui échappa. Et il se maudit dans la foulée. Il ne manquait plus qu’il réveille l’autre tiens ! Aussi vite que lui imposaient sa prudence et sa peur, le hackeur revint sur ses pas. Tout en gardant l’inconnu dans son champ de vision pour éviter tout mouvement de sa part, Sulkan balaya la chambre du regard. Il ne tarda pas à apercevoir son pantalon, crasseux mais bien nécessaire s’il voulait remettre le nez dehors dans les prochaines minutes. Retenant son souffle, le russe osa se rapprocher de l’homme assoupi dans le but de récupérer son bien, avant de s’éloigner de nouveau, tel un animal farouche. Il s’empressa d’enfiler le pantalon en question, avant de franchir une nouvelle fois l’encadrement de la porte de la chambre, peu désireux d’y remettre les pieds prochainement. Cette fois, il se barrait pour de bon. L’envie de fouiller dans les affaires de l’inconnu afin de se procurer un haut décent lui traversa rapidement l’esprit mais le hackeur abandonna bien vite l’idée. Trop risqué et il avait déjà plus que suffisamment tirer sur la corde de la chance selon lui. Voilà pourquoi il pivota sur lui-même, prêt à prendre la porte, quand un miaulement plaintif attira son attention. Baissant aussitôt les yeux vers le sol, il vit un chat noir aux yeux verts qui le fixait intensément. Parce qu’un type pareil avait le droit d’avoir des animaux ? Zoophile avec ça ?!

« … Qu’est-ce que tu veux la boule de poils ? Oust ! »

Même lorsqu’il se répéta, accompagnant ses propos de gestes énergiques pour faire fuir l’animal, celui-ci ne broncha pas. Il avait un grain ce chat ? Enfin, pour vivre sous le même toit que ce tordu, ça pouvait se comprendre…

« Parce qu’en plus t’veux des caresses ? Compte pas là-d’sus ! »

Contre toute attente, ce n’est pas le regard fixe et verdoyant du chat qui répondit, silencieusement, à ses remarques acerbes. Une voix, grave, s’éleva dans son dos. La réaction du garçon ne se fit pas attendre. Il pivota sur lui-même avant de bondir en arrière en reconnaissant le type. Sous l’effet de la panique, il recula et se prit les pieds dans le chat qui cracha, visiblement désireux de lui pourrir l’existence jusqu’au bout ! Lâchant un juron, Sulkan s’étala par terre, ce qui ne manqua pas de réveiller la douleur de ses blessures au dos. Mais il ne s’attarda pas dessus et continua à mettre le plus de distance possible entre lui et l’inconnu, quitte à devoir progresser sur les fesses, en marche arrière. Malheureusement, il fut arrêté net dans sa progression par le dossier du canapé, contre lequel son dos vint buter. Son cœur battait la chamade, tant par la surprise que lui avait causé l’autre, que par les intentions qui l’animaient. Et si, pour avoir échappé de justesse à un malade, il venait de tomber sur un autre ? Ses yeux allèrent brièvement se poser sur la porte d’entrée, soudain affreusement hors de portée, avant de revenir sur son interlocuteur, lequel s’approchait dangereusement. Le hackeur leva les mains vers lui, agitant les menottes au passage avant de s’exclamer, toujours en russe pour le coup :

« N’approche pas ! N’approche pas j’te dis ! »

En effet, dans la panique, il n’avait pas pris la peine de se rappeler sur quel continent il se trouvait actuellement. Et que s’il voulait se faire comprendre de l’inconnu, Sulkan devait rapidement basculé sur le mode anglais approximatif en ce qui concernait le langage. Ce fut le froncement de sourcils de son interlocuteur qui lui rappela cette cruelle réalité. L’autre ne devait pas avoir compris un traître mot de ce qu’il venait de lui jeter à la figure. Le garçon déglutit avec difficultés, avant de lâcher, en anglais cette fois et non sans peine :

« Reste…où…tu es… »
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Esteban Rothgrüber
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29.06.16 18:16
Assis sur sa chaise, ses yeux gris fixés sur la respiration lente de son patient en sirotant un café noir, il se repassa le film de la soirée. Après l'avoir ramené chez lui, évitant soigneusement ses voisins curieux et vieillissants, marmonnant des « Mais chut, enfin ! » au chat qui miaulait à chacun de ses pas, Esteban avait déposé le corps serein sur son lit. Il reprenait sa respiration, ses mains repliées sur elles-mêmes et posées sur le matelas. L'homme n'était pas lourd en soit, mais la discrétion dont il avait dû faire preuve, ainsi que la volée d'escaliers avaient mis à rude épreuve ses poumons. Comme tout à chacun, il avait eu ce réflexe étrange et parfaitement stupide de retenir son souffle, comme s'il ferait moins de bruit en bloquant tout accès d'air. Une fois qu'il retrouva un rythme de croisière normal, il se redressa et, d'un œil professionnel, jugea des dégâts qui parsemaient le corps de son patient de fortune. De la tarte, que ça allait être. Quelques points de suture et le tour serait joué. Ignorant les menottes qui s'entrechoquaient et qui le faisaient pester, le médecin le fit bouger dans tous les sens et lui soigna chacune de ses plaies sous le regard inquisiteur du chat qui les avaient suivis et qui de temps à autre lâchait un miaulement inquiet. « Y a des croquettes et de l'eau dans la cuisine... Fais comme chez-toi. » dit-il sans lever la tête de son travail. Recueillir des chats errants était, à défaut de sa passion, quelque chose qu'il appréciait. Contrairement aux humains, ils étaient doux, parfois affectueux, et surtout, ils ne se plaignaient pas et ne racontaient pas leur week-end chiant au possible ou le miaulement de leur petit dernier. Plus il regardait l'homme dormir, plus le sommeil le gagnait. Il était tellement calme, tellement bien, que le légiste enviait la relation qu'il avait avec Morphée. Aussi, il arrêta de lutter contre la fatigue, ses paupières s'abaissant lentement. Il s'endormit du sommeil du juste.
Ce soir-là, il rêva. Ce n'était pas quelque chose d'extraordinaire, mais pour le scientifique, cela relevait un peu du miracle. Pas de cadavres, pas de cousins sur des lits d'inox, pas de pile immense de dossiers à traiter. Rien de tout cela, bien au contraire. Un jour ensoleillé, probablement en début d'après-midi. Une rue animée, avec ses passantes aux robes légères et fleuries, ses hommes en costumes téléphonant à des épouses restées au foyer, des regards langoureux et éphémères parmi quelques restes d'une verdure autrefois abondante. Une terrasse de café aux parasols crémeux protégeant les quelques clients assis sur le mobilier d'extérieur. Sur la table en face de lui, Esteban pouvait voir un smoothie d'un rouge sombre dans lequel un paille rose bonbon constituait le moyen le plus enfantin de boire. Rien qu'à l'odeur, reconnaissable entre toutes, il reconnut le parfum et se délecta d'une lampée bien fraîche ; tant dans son rêve qu'en réalité, un sourire se fit sur son visage. La cerise était vraiment son péché mignon. Savourant ce petit moment de quiétude, il fut à peine surpris de voir, soudainement assis à ses côtés, un homme. Un pantalon noir rentré des rangers coquées, un t-shirt noir emprisonné derrière une ceinture en cuir, une veste légère aux multiples poches. Ses plaques tintaient à mesure qu'il essayait de trouver sa place sur la chaise en simili paille. Les jambes écartées, le dos bien appuyé contre le dossier du fauteuil de terrasse, Phear accompagnait son cousin d'un coca bien frais. À les voir tous les deux, on dirait deux femmes qui se préparent une liste de boutiques à visiter le jour des soldes, à prendre des forces à chaque goulée et à mater le derrière rebondi des jeunes serveurs au sourire ravageur. Sauf que pour leur part, ils mataient les jeunes filles aux jupes fleuries et aux talons compensés dont les cheveux caressaient leurs épaules. Les deux ne semblaient pas s'adresser la parole. Et quand bien même, c'était le cas, Esteban ne prêtait pas attention à la voix grave de son cadet, ses pensées vagabondant de corps merveilleusement courbés à son smoothie à la cerise. Allez savoir pourquoi, son regard erra jusqu'aux épaules du militaire qu'il regarda, intrigué. « Retourne-toi, Phear. Depuis quand t'as un tatouage comme ça ? » La chaleur du début d'après-midi, ou bien la simple volonté d'afficher ses muscles impeccables, son cousin avait fait tomber sa veste, montrant à qui voulait le regarder la naissance de ses dessins permanents. N'attendant pas de réponse de la part de l'intéressé, il lui ôta son t-shirt et regarda plus en détail les tracés. Ces derniers lui rappelaient étrangement quelque chose... Quelque chose de vivant... De récent... Quelque chose qu'il avait vu il n'y a pas si longtemps et qu'il avait... Raccommodé. « Ah... » fut sa seule réaction et il rabaissa le haut noir, un sourire crispé sur le visage.

Le légiste ouvrit lentement les yeux et il lui fallut quelques minutes pour se rappeler qu'il n'avait pas dormi sur son lit. La nuque raide et le dos coincé, il essaya de se redresser tant bien que mal ; à son âge, dormir sur une chaise comme ça, quelle idée ! Il s'étira et ses yeux gris se posèrent sur le lit vide. Il soupira en se massant le cou. Pas un merci, rien. Ça lui apprendra à aider son prochain. La prochaine fois, il ne se ferait pas avoir par une bestiole à quatre pattes. Quitte à lancer sa poubelle de la minuscule fenêtre de ses toilettes pour éviter toute interaction probable avec autrui. Il entendit un miaulement et se décida à se lever, retenant quelques grognements en sollicitant ses muscles raides. Joint à un concerto animal, il entendit une voix pester ouvertement, sans discrétion. Les pieds nus d'Esteban l'amenèrent à son salon où il se retrouva face à une scène pour le moins... Déconcertante. Son patient, le dos nu et son jean dégueulasse sur ses hanches, lui tournait le dos et avait une conversation avec le chat noir qui avait sollicité l'aide du médecin. Ce même chat qui se dressait entre le blessé et l'unique sortie, peu prompt à le laisser sortir. Les bras croisés, il le regarda faire son petit cinéma, et se surprit à sourire. Ce n'était pas commun de voir ce genre de choses. « Il mérite ses caresses... Après tout, c'est grâce à lui que tu es encore en vie et que t'es pas en train de crever dans un recoin sans tes organes. » La réaction était celle à laquelle il avait escompté. Là-dessus, pas de surprise. Le jeune homme se retourna et, effrayé, emmêla ses orteils dans les pattes du chat qui feula en allant réclamer du réconfort au maître des lieux. Ce dernier souleva l'animal, le cala contre lui et le caressa pour l'apaiser. Esteban ne bougea pas de sa place et le regarda reculer sur son derrière jusqu'à ce qu'il heurte son canapé. « Vire de là, t'as rouvert tes plaies et tu vas le dégueulasser... » . Pris de panique, les mots du légiste ne semblaient pas trouver leur place dans le cerveau du jeune dont les yeux écarquillés étaient semblables à ceux d'un enfant qui allait se prendre la rouste de sa vie. Pacifiste, il était hors de question que le scientifique lève la main sur quelqu'un, d'autant plus si celui-ci était blessé comme il l'était. Claquant sa langue sur son palais, il se résolut à avancer vers ce corps tremblant d'angoisse, déposant sur son passage, sur une étagère le chat aux yeux verts qui regardait les deux humains avec intérêt. L'autre leva les mains vers lui, les agita nerveusement en criant dans une langue radicalement étrangère à l'anglais. Le médecin fronça les sourcils. Les mots résonnaient dans sa tête et lui faisaient doucement écho... Où avait-il entendu ces mots... Cette langue... Avant même qu'il ne puisse remettre la main sur l'origine de cette langue, quelques mots sommaires franchirent les lèvres du brun et Esteban se gratta la tête. Dans l'histoire, ce n'était pas lui le méchant, bien au contraire. Aussi pourquoi il avait peur comme ça ?

Cette situation n'allait mener nul part. Soupirant, résolu à ne pas passer des heures à nettoyer son canapé, le légiste craqua ses doigts avant de s'emparer de la chaîne des menottes. Il tira dessus, soulevant sans peine le corps de son patient et l'amena à lui, le dos du jeune contre son torse. Là, il le fit décoller de quelques centimètres et l'entraîna tant bien que mal de nouveau dans sa chambre pour inspecter les plaies. Il beuglait comme un porc qu'on amenait à l'abattoir, dans la même langue qu'auparavant. Spontanément, les oreilles n'en pouvant plus d'un tel débit aigu, Esteban haussa le ton et de sa voix grave s'exclama : « Écrase bordel ! » en russe. Ah ! Voilà ! C'était du russe ! Parce qu'à voir la tête surprise du jeunot, il avait enfin mis un nom sur la langue. Sa famille, pour la plupart d'origine biélorusse, parlait dans cette langue lors des repas de famille. Ayant horreur de ne pas comprendre un traître mot de ce qu'ils pouvaient se dire, Esteban avait demandé à sa mère de lui apprendre quelques phrases, sans pour autant savoir si tout cela lui serait utile un jour... Et manifestement, ça l'était. Il ne manquerait pas, dans un futur proche, d'aller remercier sa douce mère. Se saisissant d'une cravate abandonnée quelques jours auparavant, il attacha rapidement les menottes à l'un des pieds du lit et regarda, peu satisfait, la nouvelle posture du jeune homme. Ce n'était pas franchement la meilleure des positions. Les bras relevés au-dessus de sa tête, les blessures de son dos allaient inévitablement se rouvrir. Mais avait-il seulement le choix ? Il considéra la possibilité de l'anesthésier de nouveau, et sans son accord préalable. Qu'il abandonna rapidement sous le flot ininterrompu de mots, donc certainement des injures, qui fusaient au travers de la pièce. « Je suis médecin. Alors calme tes... Ardeurs. » continua-t-il dans la langue de Dostoïevski. Il se pencha, ôta avec beaucoup de difficultés les bandages rougis par le sang et pesta. « Il a rouvert ses plaies... Putain, mais qui m'a collé un chieur pareil dans les pattes... Tu ferais mieux de te calmer rapidement sinon j'appelle la Milice et ton compte est vite réglé. » reprit-il en anglais. Après tout, il ne pouvait pas faire du bon travail si l'autre n'arrêtait pas de gesticuler comme ça. Un petit coup de pression était toujours une tentative possible pour ramener le calme.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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15.07.16 11:45
Et maintenant ? Le dos toujours collé au pied du canapé, le russe prenait pleinement conscience du merdier dans lequel il s’était fourré. Son hôte mystérieux était à présent bel et bien réveillé, lequel constituait un obstacle de taille entre lui et la sortie. Le regard chocolat n’osait pas quitter cette bombe à retardement humaine pour évaluer la distance qui le séparait de la porte d’entrée. A peine quelques mètres à ne pas en douter. Rien d’insurmontable en théorie. Seulement, il ne s’attendait pas à ce que l’inconnu le laisse gentiment filer. Le moindre mouvement de sa part signifierait une tentative de fuite. Le garçon ne pouvait pas rater son coup. Il n’aurait pas droit à une seconde chance. Et blessé comme il l’était, peut-être aurait-il besoin de quelques secondes de plus pour atteindre cette maudite porte. Quelques secondes de trop… Sulkan dressait la liste des possibles solutions qui s’offraient à lui, n’en voyant aucune de vraiment réalisable à 100%. Trop occupé à cogiter là-dessus, son esprit tournant à toute vitesse dans l’espoir de trouver plus rapidement une échappatoire, le russe ne prit pas immédiatement conscience de l’approche de son interlocuteur. Ce ne fut que lorsque le tintement des menottes parvint de nouveau à son oreille, qu’il prit conscience de la prise de l’inconnu sur la chaîne qui reliait ses deux entraves de fer. Fraction de secondes. Blanc total dans son esprit, soudain redevenu bien serein. Blocage mental. Menottes. Chaînes. Prise. Pas bon.

« Quoi ? Non ne- »

La traction en avant l’interrompit net. Comme il l’avait redouté, l’inconnu n’eut qu’à tirer sur la chaîne des menottes pour le remettre debout, l’attirant vers lui par la même occasion. Le garçon n’était pas bien lourd et il offrit une pâle résistance dans le mouvement lui-même. En revanche, sa bouche ne tarda pas à prendre efficacement le relai, protestant et insultant à tout va son hôte sous les yeux amusés du chat qui les observait depuis son perchoir improvisé. Sous l’effet combiné de la peur et de la colère qui croissaient en lui, nouant ses tripes, tandis qu’on le ramenait dans la chambre, de force, Sulkan ne prenait même pas la peine de s’exprimer en anglais. L’autre avait bien dû comprendre, même sans maîtriser le russe, la teneur de ses propos, peu élogieux tenus à son encontre. Il ne voulait pas remettre les pieds dans cette pièce ! Quand bien même il devait à l’inconnu le fait de s’être occupé de ses blessures – chose dont il prenait doucement conscience –, ce n’étaient pas dans les intentions du russe de rembourser sa dette de cette façon. Son égo de mâle en prendrait un certain coup à ne pas en douter. Cependant, les exclamations indignées qui franchissaient ses lèvres moururent subitement dans sa gorge alors que son hôte venait de s’exprimer en russe. Sérieusement ? Ses oreilles ne venaient-elles pas de lui jouer un vilain tour ? Parmi toute la population hétérogène que comptait Madison et pas forcément la mieux lotie à en juger par l’aspect délabré qui se laissait voir à certains endroits dans l’appartement, il avait fallu qu’il tombe sur un gars du pays ? En d’autres circonstances, le garçon y aurait entrevu une bénédiction. Seulement, les russes de passage ou non à Madison, étaient connus pour tremper dans des affaires louches, comme le trafic d’organes. Et à en juger par l’allure de son environnement et la possible proximité avec l’Entre Deux, le type en question pouvait très bien envisager de le revendre par la suite au plus offrant. Et si… Et si ces bandages cachaient en réalité un prélèvement ou deux d’organes ? Ses organes ? Passé le choc de s’entendre répondre – sévèrement – en russe, ce qui permis à l’autre de l’attacher au pied du lit avec du matériel de fortune sans le moindre mal, Sulkan se remit à l’insulter, toujours en russe. Puisque l’homme pouvait parler sa langue, il devait aussi la comprendre de fait ? Du moins, le hackeur partit dans cette logique, ne songeant pas un instant à ce que l’autre puisse ne pas être aussi russe que lui l’était.

« Ouais médecin. » cracha-t-il avec un dédain mêlé de hargne. « On sait tous c’que valent les médecins dans c’bled. T’avise pas de me toucher encore une fois ! J’te laisserai pas m’r’vendre sans rien faire ! Kess’tu m’as fais putain ?! »

La fin de ses propos se vit succédée de mouvements brusques de sa part pour tenter de se libérer. Attaché, entravé, humilié une fois de plus. Quand est-ce que cette journée pourrie allait-elle s’achever ?! Instinctivement, le garçon se raidit quand l’inconnu se risqua à défaire prudemment ses bandages. Dire qu’il lui aurait pu lui mettre un coup de boule à cette distance, à défaut de pouvoir utiliser ses poings… Mais un mot l’empêcha de faire quoique ce soit à l’encontre du prétendu médecin. Milice. Le mot ne lui avait pas échappé, même en anglais, bien trop familier à ses oreilles depuis quelques heures. Le visage tordu et grimaçant de l’Eraser lui revint en mémoire et bien malgré lui, Sulkan se mit à trembler. Pas de froid cette fois mais bien de peur. Il avait les boules, prenant soudain conscience de l’avantage qu’avait l’inconnu sur lui à cet instant. Quand il reprit la parole, sa voix avait baissé de plusieurs crans, en termes d’agressivité et d’intensivité. Plutôt un murmure.

« Non… Pas la Milice… S’il(s) me chope(nt), j’suis mort… » souffla-t-il, la gorge soudain nouée à l’idée de recroiser la route de ce taré.

Evidemment, l’image de la Milice se résumait à un seul visage dans l’esprit du russe. Celui de son bourreau. Même s’il avait tout fait pour le fuir et lui échapper, y étant finalement parvenu par miracle, le garçon ne pouvait oublier les longues minutes qu’il avait passé, suspendu à cette barre métallique dans ce wagon abandonné, à la seule merci de l’Eraser. Ces instants resteraient pour longtemps gravés dans sa chair et son esprit, alors qu’il faisait tout pour l’éviter. Il ne voulait pas laisser cette victoire à ce malade. Alors oui, Sulkan ne faisait allusion qu’à ce seul individu lorsqu’il évoquait la Milice mais aux oreilles de son interlocuteur, il pouvait tout aussi bien s’agir de l’ensemble des Erasers, non une seule personne en particulier qui se révélait être son cousin par la même occasion et un vilain coup du sort de surcroît. Cette brutale remontée des souvenirs fit s’accélérer sa respiration. Vite. Trop vite. Avant qu’il n’ait le temps de le réaliser, le russe haletait, cherchant par tous les moyens à envoyer de l’air dans ses poumons. Tout comme cette fois-là dans le wagon sordide. Il n’arrivait plus à respirer. Un coup de panique ? Une crise d’asthme ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant et ici ? Lui qui n’avait jamais eu le moindre problème de ce genre auparavant ?! Cette sensation d’asphyxie était atroce, comme si on lui brûlait les poumons de l’intérieur. Il avait l’impression de respirer de la poussière, rien d’autre.

« …au…eau… De…l’-…ea…u… »

Désagréable sentiment de déjà-vu et pour cause ! Il s’était produit exactement la même chose en présence de l’Eraser. Et si le phénomène ne trouvait toujours pas d’explications aux yeux du principal intéressé, cette fois-ci, Sulkan se surprit à espérer que son mystérieux interlocuteur ne fasse pas du tout dans le social, pour reprendre les termes de son précédent bourreau. Qui sait, peut-être qu’avec un peu de chance, il le laisserait s’étouffer pour de bon ? Et adieu monde cruel.
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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08.08.16 17:05
Il n'avait pas tiré trop fort, mais suffisamment pour que le dos du jeunot vienne épouser les courbes de son torse. Sa taille, bien plus petite que le scientifique, lui permettait de se lover à la perfection contre le brun, dont les yeux constatèrent avec satisfaction la propreté du canapé. Ouf. Un truc de moins à laver. Cependant, les plaies s'étaient effectivement rouvertes et du sang commençait à imbiber les gazes qui tenaient tant bien que mal autour du dos du petit homme. Avant qu'il ne saccage ses heures de bénévolat, Esteban devait le calmer, l'allonger, ne serait-ce que pour vérifier que son travail d'artiste tenait le coup. Il le souleva du sol, sa main toujours en prise avec la chaînette des menottes pour le maintenir, et il le ramena dans la chambre, sans se préoccuper des insanités qu'il lui balançait avec ardeur, sans même se douter un instant que son patient pensait qu'il était temps de payer pour les prestations médicales. Naïveté de la part du légiste ou bien imagination trop débordante de celui qui s'exprimait avec trop de fluidité en russe, les deux hommes étaient à des kilomètres de savoir ce qui se tramait dans la tête de l'autre. Et à vrai dire, Esteban s'en foutait bien du moment que son patient se tenait tranquille... Ce qui n'était malheureusement pas le cas, à son grand regret.

Debout dans la chambre, le légiste avait enfoncé son index dans son oreille et regardait avec détachement son patient. Cette parade n'était pas un moyen pour se couper temporairement du monde et de ses multiples sons délicats. C'était surtout pour éviter que les décibels de cet hystérique ne violent plus son conduit auditif. Sérieusement, comment une voix si forte pouvait émaner d'un si petit corps ? Et comment un homme pouvait avoir une voix aussi aiguë ? Il était tel un animal : à défaut de pouvoir se défendre physiquement, il misait tout sur la privation d'un des sens de son prédateur. Et en l'occurrence, l'ouïe semblait être sa spécialité. Les effets de l’anesthésie s'étaient clairement estompés, ce qui lui avait permis de lever ses miches de son lit pour se mouvoir jusqu'au salon, puis qui lui permettait de se prendre pour un asticot au bout d'un hameçon. Haha ! L'image était vraiment belle... Un beau petit « Asticot... » Lâcha-t-il discrètement en russe avec un léger mépris. Le jeune avait encore de l'énergie à revendre, entre ses vifs soubresauts et ses cordes vocales qui s'en donnaient à cœur joie. C'en était presque exaspérant... Et en même temps tellement compréhensible. Le petit garçon, à son réveil, n'avait trouvé ni sa maman, ni son papa pour le réconforter, et il était probablement parti à leur rencontre, trop effrayé par le grand méchant monsieur aux yeux grisâtres ceint d'un fard de fatigue. Le légiste soupira en levant les yeux au ciel. Oui... Vraiment... Qui lui avait collé un empoté pareil ? Et étranger qui plus est. La tâche n'allait pas être aisée. Pas impossible. Mais vraiment pas aisée. D'autant que la langue russe remontait pour lui à très... Très longtemps, et qu'il en avait largement perdu sa maîtrise pour quelques bases vulgaires. Cependant, le dédain avec lequel il avait repris le mot « médecin », ne lui échappa pas, ce qui eut le don de transformer le regard du légiste qui se libéra l'oreille pour venir croiser ses bras sur son torse. Il le prenait pour quoi ? Pour un putain de professionnel à la botte de la Mafia ? Et puis quoi encore ?! Il ne trempait pas dans ces affaires louches. Et bien qu'excellent dans cette branche, jamais il ne tomberait si bas. Franchement... L'imaginer avec ces rustres... « Ne me met pas dans le même sac que ces empaffés. T'as encore tout en place. Par contre, si tu continues à me faire chier comme ça, tu peux être sûr que je ferais en sorte qu'il te manque deux trois trucs... » Lâcha-t-il entre deux phrases amer du jeune homme. Un miaulement parvint aux oreilles du maître qui agita la main, comprenant le sens de ce rappel à l'ordre discret mais efficace. Esteban misa le tout pour le tout et menaça le blessé à coup de Milice, ce qui eut le don de le calmer aussi sec. Ce n’était pas trop tôt, le silence s’était fait difficilement attendre. « Alors tiens-toi tranquille… » conclut-il avant de se pencher sur lui dans un soupir. Il commença à défaire les bandages qui s’étaient un peu plus colorés de sang ; il en claqua sa langue sur le palais. Quel crétin. « Hey… Je t’ai dit de te tenir tranquille… Arrête de trembler, je vais pas t’éventrer… » Se contrefichant de l’expression qui s’était ancrée sur le visage de son hôte, il resta concentré et essuya avec de la gaze les plaies du jeunot puis passa ses doigts sur son travail. Rien n’avait bougé… Peut-être un peu le nœud-là, en bout de couture, mais rien de bien méchant. Il avait évité le pire : recommencer son travail, en ayant le challenge supplémentaire de le maîtriser suffisamment pour lui administrer une dose d’anesthésiant.

« Mais t’es buté ou tout simplement con ?! Arrête de bouger ! » s’exclama Esteban en relevant enfin la tête et en posant ses yeux gris sur la tête brune. Sa réaction fut immédiate : il fronça vivement les sourcils. Son patient avait perdu des couleurs, son torse ne cessait de se soulever et de s’abaisser vivement, comme si ses poumons étaient en manque cruel d’air, comme s’ils ne pouvaient se rassasier d’oxygène. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Une réaction allergique au désinfectant ? Non… Ce n’était pas possible. C’était le même qu’il avait utilisé pour nettoyer les plaies la première fois. Alors quoi ? Une réaction aux gazes ? Ce serait bien la première fois que le médecin qu’il est serait face à cette manifestation brutale. Et durant toute sa carrière, au grès des livres divers et variés qu’il avait pu lire, jamais personne n’avait fait mention de ce genre d’allergie. Alors quoi… ? Alors quoi ? ALORS QUOI ? Alors pour le moment, le môme voulait de l’eau. Un vrai boulet. Le scientifique se leva et alla dans la cuisine à grands pas pour aller chercher une bouteille d’eau dans sa réserve. Température ambiante, la perfection pour ce genre de cas. Lorsqu’il revint dans la chambre, les lèvres de son patient étaient sèches de ne pas réussir à capturer l’air précieux qui l’entourait. Il glissa sa main sous sa tête qu’il leva doucement, et lui posa le goulot sur les lèvres pour lui verser le liquide. Ce dernier, au lieu de rouler de sa bouche à son œsophage, pénétrait l’oreiller, les draps. Manifestement, le blessé ne voulait pas boire, parce qu’on se le dise, Esteban n’était pas totalement une branque quand il s’agissait de viser dans un trou. Après tout, il était l’un des meilleurs légiste de Madison. « Mais qu’il est chiant… ». Le maître des lieux, contraint par l’éthique de ne pas vouloir avoir à se débarrasser d’un corps et forcé par les circonstances, bu une gorgée d’eau et posa ses lèvres sur celles du patient. Aux grands maux les grands moyens. Il recommença plusieurs fois jusqu’à ce que ses lèvres soient moins sèches, puis il alla chercher un alternatif à la ventoline, qu’il lui injecta dans la jugulaire. « C’est pas de la drogue. C’est pour éviter que tu tousses comme un taureau prêt à charger. » expliqua-t-il en anglais. Les yeux humides, les joues retrouvant difficilement leurs couleurs, la crise était passée si bien qu’il le détacha. Il misait sur sa fatigue impromptue pour rester tranquille. « Je te soigne. Rien d’autre. Alors tu ne fais pas de mouvements brusques. » essaya-t-il d’expliquer en russe cette fois, pour faciliter la compréhension de la situation à ce cerveau encore sous l’émotion de ce qui ressemblait en tout point à une banale crise d’asthme. Esteban nettoya les plaies situées dans le dos du jeune homme, l’emballa dans des bandages et le fit délicatement se rallonger. Comptant sur sa coopération, il ne prit pas la peine de le rattacher au lit.
Le voyant passablement amorphe, digérant son aventure encore fraîche, le jeune patient ne prêtait en rien une attitude à vouloir une nouvelle fois s’enfuir. Si bien que le scientifique le quitta quelques instants pour aller se faire couler une tasse de breuvage aussi noir que ses cheveux et à la mousse onctueuse. L’odeur du café se diffusait légèrement dans chacune des pièces, délicate et sensuelle, ses vertus de Boisson-de-réveil commençaient à faire effet. Il retourna dans la chambre où il posa son dos contre le mur et regarda le corps à la respiration paisible. Ces marques, il savait où il les avaient vues et il soupçonnait qui les avaient faites. Et si c’était bien la personne à qui il pensait, ce n’était pas étonnant que ce jeune homme réagisse avec autant de véhémence. Oh. Wait. Si l’eraser à qui il pensait avait fait ça à cet homme, c’était pour une bonne raison. Et quelle raison avait-il pour lui infliger cette marque de fabrique ? Esteban n’en voyait qu’une seule. Et caché derrière sa tasse de café, son visage se fendit d’un sourire. Quelle belle prise.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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23.08.16 21:43
Encore cette sensation d’étouffement qui s’emparait de lui, éveillant une certaine panique à l’idée de trépasser dans les prochaines minutes d’agonie. Une désagréable impression de déjà-vu qui pénétrait son être tout entier, lui glaçant les sangs. Sa vue se brouillait lentement mais sûrement. Parce que la tête lui tournait, faute d’avoir le cerveau normalement oxygéné ? Ou bien parce que les larmes lui montaient aux yeux, brouillant son champ de vision ? Il repensa à cette fois dans ce wagon abandonné au milieu de nulle part, loin, très profond sous terre. Les souvenirs de cet instant intime avec l’Eraser n’étaient pas des plus plaisants mais si la tête récemment brune voulait avoir une chance d’en sortir vivant, il lui fallait se souvenir. Et vite. Voilà pourquoi sa première initiative fut de réclamer de l’eau. Avant d’être aussi critiquée en son for intérieur. Pourquoi de l’eau ? Qu’est-ce que ça allait changer qu’on lui apporte de l’eau ? Sulkan songea vaguement à retenir le prétendu médecin en voyant ce dernier s’éloigner brusquement jusqu’à sortir de la pièce exiguë. Il lui fallait ce produit… Qu’est-ce que c’était déjà ? Qu’est-ce que ce malade lui avait injecté ? Quelque chose contre les pouvoirs des Evolves non ? Une sorte de sédatif ? Comment réclamer un truc pareil ? Sa conscience était déchirée entre le déni d’avoir vu son étrange crise calmée par une injection anti-evolve et le mécontentement d’avoir certainement gâché son unique chance de communiquer presque normalement avec son interlocuteur. Le russe prenait doucement conscience qu’il n’aurait pas droit à une seconde chance. Seuls des râles sortaient de sa bouche désormais. Rien de bien concluant pour faire passer un message à son mystérieux sauveur.

En désespoir de cause, Sulkan tenta malgré tout de se faire comprendre en refusant de mettre du sien pour avaler quelques-unes de ces fameuses gorgées d’eau, gracieusement offertes. Cet abruti ne pouvait-il pas lire dans son regard ?! Non, bien sûr que non. Si les êtres humains étaient tous doués de télépathie – Evolves exclus – ça se saurait ! Et visiblement, dans le cas présent, aucun d’entre eux n’avait l’air de posséder la moindre petite aptitude à développer le pouvoir en question… Et pourquoi le visage du médecin lui apparaissait soudain plus grand qu’auparavant ? Avant d’avoir le temps de réaliser ce qui se passait, le russe eut la bonne – ou mauvaise selon le point de vue – surprise de sentir les lèvres de l’homme se presser contre les siennes. Pire, les écarter de force en raison de ce réflexe stupide qu’il avait machinalement eu de les refermer face à cet intrus. Tout ce qui n’était pas déjà agité de tremblements, réagit faiblement : les bras du hackeur eurent un premier mouvement de rejet en direction d’Estéban, avant de rapidement abandonner la partie, trop faibles et mal coordonnées par un cerveau toujours en manque d’oxygène, pour se contenter d’agripper les draps du lit, en un geste de désespoir de se voir ainsi violé la bouche sans pouvoir se défendre.

A ce stade, le russe était incapable de porter un jugement objectif sur ce qui lui arrivait. Est-ce que cet homme lui venait vraiment en aide ? Tirait-il profit de cette situation improbable ? Qu’étaient réellement ses intentions ? Aucune idée. Sulkan ne put que se résoudre à le laisser terminer, avalant difficilement ce qui était poussé de force dans sa bouche jusqu’à l’entrée de sa gorge. Heureusement pour lui, Estéban eut une nouvelle fois un très bon réflexe, lui injectant un produit – il ne sut quoi sur le moment – qui parut agir sur cette nouvelle crise. Quoi de plus normal ? Le type était médecin ou pas ? Il aurait dû savoir immédiatement ce qui lui arrivait non ? Médecin, tu parles. Les explications en anglais furent à moitié dédaignées. D’une part, parce qu’il n’aurait pas été en position de s’indigner si on lui avait appris qu’il venait de se prendre un shoot pur de cocaïne dans le cou. D’autre part, parce qu’il ne voyait pas ce qu’un taureau venait faire dans l’histoire. L’humour ricain sans doute. Sulkan ne jugea pas utile de relever et se concentra sur la tâche ardue de rendre à son cœur, un rythme de battements régulier.

La crise était passée. Le danger écarté. Jusqu’à quand ? Il n’en savait rien. La voix de l’inconnu le tira de ses pensées. L’intonation russe attisa aussitôt son intérêt et les mots simples, lesquels se voulaient rassurants à ne pas en douter, réussirent à désactiver la méfiance du patient improvisé pour le moment. Si le type avait voulu ses organes, jamais il n’aurait pris la peine de le sauver de l’asphyxie soudaine qui l’avait pris. Peut-être était-il sincère en fin de comptes ? Sulkan se résolut à lui laisser le bénéfice du doute et ne broncha pas davantage quand l’autre s’occupa d’inspecter ses blessures, dont certaines avaient retrouvé leur jolie couleur écarlate, tirant quelques fois sur le grenat. Une anormale quiétude s’installa bientôt dans le petit appartement où avaient résonné tour à tour insultes et protestations indignées quelques dizaines de minutes auparavant. La trêve semblait décidée. Sans doute que l’odeur de café, universelle, acheva de détendre le russe, qui voyait en la préparation de breuvage, quotidien pour beaucoup, une humanisation de son sauveur. Peut-être avait-il fabulé à l’extrême en l’imaginait travailler pour la mafia russe dans le coin. Le type en question avait soudain l’air plus banal que jamais, le décor aidant.

Malgré l’absence de l’homme dans un coin de la chambre, le temps que ce dernier aille se servir une tasse de café, le hackeur n’envisagea pas la moindre tentative de fuite. A ses yeux, elles seraient toutes vouées à l’échec. D’une, parce qu’il ignorait la nature exacte des composants du produit qu’on lui avait injecté au beau milieu de l’action et Sulkan ne pouvait complètement rejeter l’idée que l’inconnu ait une multitude de sédatifs à sa disposition et ce, en fonction des situations auxquelles il devait être confronté au quotidien de par son métier. Ensuite, même en admettant qu’il puisse quitter l’appartement sans se faire rattraper par ce bon samaritain un tantinet possessif et minutieux à son goût, se balader torse nu, le corps couvert de bandages, sans bracelet et sans argent, n’était pas ce qu’on pouvait appeler « passer inaperçu en se faisant discret ». Quitte à mettre les voiles, autant assurer ses arrières dans la foulée. Le russe mit donc ce temps à profit pour analyser son environnement, détaillant celui-ci pour voir s’il pouvait ainsi obtenir des informations sur son hôte ou mieux, de quoi se défendre si la situation tournait de nouveau en son désavantage. Pas question de payer en nature ! Le retour du médecin mit fin à son observation silencieuse mais pas à l’idée qui venait subitement de germer dans son esprit légèrement assommé par tant d’événements à la fois

« Pourquoi faire tout ça ? J’ai pas d’argent, tu as dû r’marquer que j’portais pas d’bracelet. J’peux pas croire qu’t’es fait ça d’bonté d’cœur. »

Cette ville n’avait jamais fonctionné sur ce principe et ce n’était pas près d’arriver non plus. Ce genre de valeurs ne pouvaient s’appliquer qu’à titre individuel et encore, rares étaient les personnes à les posséder. Y’avait bien cette fille là… Enfin, elle l’avait bien séquestré dans sa cave pour obtenir ce qu’elle convoitait tout de même. Chacun son sens des affaires tu me diras. Lorsque la suite de ses propos résonna contre les quatre murs de la chambre, l’attitude du hackeur se fit plus méfiante.

« J’paye pas en nature. J’suis pas d’c’bord là. T’en a profité t’à’l’heure pour m’rouler une pelle, ça s’reproduira pas, vu ? »

Son premier baiser par un mec quand même… A bien y réfléchir, ce n’était pas si différent qu’avec une fille. En fermant les yeux, au sens propre comme au sens figuré, peut-être même qu’on ne verrait pas la différence qui sait ? Peut-être plus affirmé qu’une gonzesse ? Parce que de nature viril à la base ? Et pourquoi il s’interrogeait là-dessus déjà ? Il n’allait quand même pas rougir de cette expérience ? Il se savait être en position de faiblesse à ce moment-là. L’autre en avait profité, rien de plus ! Ça ne se reproduirait pas !

« Alors t’veux quoi ? »
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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10.09.16 14:45
Ses lèvres posées sur celles de son patient étaient purement professionnelles. Dans un pur souci pratique, c’était le seul moyen qu’avait trouvé Esteban pour faire boire la teigne qu’il avait récupérée un peu plus tôt dans la rue. Et franchement, ce contact n’avait rien de bien transcendant ; si le légiste avait pu faire autrement, il n’aurait certainement pas opté pour ce contact physique intime. D’ordinaire, il embrassait plutôt les rares jeunes filles qui lui faisait honteusement du gringue et qui voyait en lui une sorte de trophée ultime -et inaccessible- à acquérir avant la fin de leur internat. Parfois, le brun cédait aux attaques vulgaires de ces femelles en chaleur, histoire d’avoir la paix dans le labo qui lui servait de Palais Mental, où la sérénité était fortement amputée par le parfum bon marché de ces demoiselles, de leurs talons vertigineux et de leurs visages goulûment fardés. Leurs mains vernies posées dans le creux de son cou basané, leur corps bouillant d’excitation se pressant contre le sien aussi froid que l’inox des tables d’opération, leur langue cherchant avidement la sienne, autant dire que ce n’était pas une partie de plaisir. Il en avait parfois carrément envie de vomir et repoussait sans tact l’objet de son dégoût. Oh bien sûr, quelques rares spécimens trouvaient à ses yeux un intérêt tout particulier, avec lesquelles le légiste passait des nuits charmantes et toutes en voluptés ; mais combien dans le lot de cochonnaille qu’il se récupérait malencontreusement chaque année ? Il en avait fait le calcul une fois… 1 sur 60 femelles en uniforme de première année. Sans compter ses contacts plus anciens qui parfois venaient le voir pour passer le temps.
Dans tous les cas, le jeunot se rebellait faiblement contre l'étrange empathie qui motivait Esteban. C’est ça, pourquoi diantre il voulait le maintenir en vie ? C’était un humain comme les autres, avec son passé très certainement aussi chiant que le cadavre du violeur qu’il avait eu à autopsier. Il n’en savait rien, et n’avait pas franchement le temps de réfléchir concrètement à la question, se trouvant pour seule réponse crédible le fait qu’il ne voulait pas d’un corps mort dans sa maison. Le scientifique dû faire preuve d’un peu plus de motivation que prévu pour faire transvaser l’eau de sa bouche à celle de la teigne. Le blessé avait les lèvres sèches de bouffées d’air qu’il essayait tant bien que mal d’avaler, la langue pâteuse due à un manque évident d’humidité, et s’il n’était pas dans cet état de transe, il aurait certainement eu des dents aussi virulentes que son vocabulaire. Une, deux trois goulées, l’hôte ne comptait pas combien de fois il embrassait le jeune russe, bien trop occupé et motivé à pas le faire crever chez lui. Si les premières tentatives venaient mourir sur l’oreiller, les autres purent atteindre leur objectif sans trop de difficultés, ce qui en soit, une sorte de petit miracle. Certainement fatigué par sa crise et par l’utilisation de ses dernières forces dans une lutte éphémère, Le biélo-américain put tranquillement injecter un sédatif de sa composition à son patient et fut enfin libre de le soigner comme il se devait.

Le dos posé contre le mur, les effluves de cafés pénétrant avec sensualité ses poumons, Esteban s’offrait quelques minutes de répit. Le jeunot s’en était donné à cœur joie, et ce n’était pas les quelques minutes de repos bien mérité qu’il s’était octroyé qui changeaient la donne. A peine trois quart d’heure de sommeil… Rien de régénérant quand cela faisait des jours qu’il avalait les dossiers et examinait les corps les uns après les autres, trouvant un élément de curiosité derrière chacun de ses cadavres. Ce fut lui qui brisa le silence le premier dans un anglais à couper au couteau. Ses mots s’alignaient avec cet accent roulant si particulier qui ramenait le légiste dans sa plus tendre enfance : à la nostalgie du café matinal de ses parents, venait se greffer les premiers repas paisibles de famille qui fleuraient bon la langue de Poe et la langue de Tolstoï. Le regard gris du médecin quitta le liquide noir et fumant pour venir se poser sur le visage épuisé de celui qui venait de briser diplomatiquement la glace. « Premièrement, remercie cette chose poilue. » dit-il en montrant le chat qui venait de s’allonger sur le ventre du patient. « Je ne supportais plus ses miaulements inquiets. Deuxièmement, je voulais pas avoir un cadavre sur les bras. » Les paiement par gratitude, il ne prenait pas et qu’il ait de l’argent ou non n’était pas la question : son employeur était suffisamment généreux pour qu’il puisse se racheter ce qu’il avait utilisé pour le soigner. Et la bonté de cœur n’était pas quelque chose d’innée chez l’aîné des Rothgrüber. Alors oui… Pourquoi au final… Parce que bon, le chat et sa voix persistante… C’était pas au final une excuse bidon ? Il soupira : ce n’était pas le moment pour penser à ce genre de choses. Il regarda plus distinctement le corps de son homologue avant de ricaner. « T’inquiète pas. Ta bouche aussi sèche qu’une éponge et son corps plat ne me font pas bander. » Une petite voix dans sa tête lui demanda – elle aussi- ce qu’il le faisait bander : homme, femme, animal ? Vivant, mort ? Parce que bon, le légiste inquiétait ses parents : comment un homme aussi intelligent et aussi séduisant, avec une situation aussi stable, ne s’était pas encore trouvé l’élu de son cœur ?
« Alors t’veux quoi ? ». Sa voix rauque résonnait dans sa tête. Maintenant, le jeunot avait une dette envers lui parce qu’il l’avait soigné. Et les Russes, il était bien placé pour le savoir, avaient ce sentiment d’horreur de devoir quelque chose ; était-il comme ça ? Il resta silencieux de longues minutes, examinant toutes les possibilités que pouvait lui offrir l’homme. Si ses suspicions étaient vraies, le gamin était un Evolve. Parce que son borné de cousin ne s’amuserait pas à graver ce genre de chose dans la chair d’un vulgaire civil. Le légiste avala une nouvelle gorgée de café avant d’annoncer le deal qui les lieraient quelque temps : « Pour l’instant, je vais te laisser tranquille. Les plaies que t’as ont besoin de temps pour bien cicatriser. Sauf bien sûr si t’as envie que ça te laisse des marques à jamais, en plus du choc émotionnel. » Il marqua une pause pour que le blessé prenne bien conscience qu’il n’avait pas affaire à n’importe quel médecin, mais n’en ajouta pas plus au risque de le faire fuir ; les Evolves, surtout ceux qui étaient dans la même situation que lui, étaient quatre fois plus prudent que les Evolves ordinaires. « Une fois que tu seras guéri de ce côté là, je veux que tu m’aides quelque temps pour certaines expériences. Rien de bien méchant. Je ne jouerais pas les tortionnaires comme le bourreau qui t’a fait ça… C’est vulgaire et ça manque cruellement de charme. Vois ça comme… Un boulot d’assistant. Quand j’estimerai que la dette sera remboursée, tu seras libre de partir. Ça ne devrait pas prendre plus d’un an si ça peut te rassurer. » Voyant son air perplexe, il ajouta : « Et ça te laissera le temps de te retourner. Vois ça comme une période sereine où t’auras paisiblement le temps de préparer ton avenir. Si avenir tu veux avoir bien entendu. » Il avala d’une traite le reste de son café et passa sa langue à la commissure de ses lèvres pour recueillir une gouttelette sauvage de son breuvage. « Maintenant repose-toi. Personne va te bouffer ici. Tu peux… Te considérer comme en sécurité. » Sur ce, le scientifique quitta la pièce en refermant à moitié la porte de la chambre et en laissant le chat, fervent surveillant… Avant de faire demi-tour et de glisser sa tête dans l’interstice de la porte. « Au fait, au lieu de me cracher que je suis un médecin véreux, appelle-moi Esteban. » Et il repartit pour de bon jusque dans son bureau, situé juste à côté de la chambre.
Là, il s’installa sur son fauteuil en cuir et regarda longuement sa bibliothèque, pleine d’ouvrages de ses années universitaires, mais également de ses collègues avec lesquels il entretenait une relation hypocritement cordiale, et de quelques autres grands noms du domaine médical. Les tranches se succédaient, rivalisant de titres plus exubérants les uns que les autres, de termes latins à des termes plus contemporains et complexes ; jamais Esteban n’avait compris le but de ces titres trop compliqués pour le peuple, et était toujours partisan de dénomination simples… Bon, jouait aussi une part de fainéantise rédactionnelle, parfois malheureusement obligatoire. C’est en regardant ces tranches, en laissant son esprit divaguer au fil de réponses plus philosophiques que rationnelles, qu’il s’endormit.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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15.10.16 14:32
Les sens en alerte, le regard chocolat ne se détachait plus de la seule réelle menace présente dans la pièce du point de vue du hackeur, à savoir, son interlocuteur. Quand bien même Sulkan savait tout affrontement perdu d’avance dans son état, il ne comptait pas baisser sa garde de nouveau. A ce stade, sa méfiance en devenait presque autant aiguisée que la hargne qu’il mettait dans ses propos. La tension dans son corps était telle que le russe sursauta lorsqu’une ombre entra dans son champ de vision, aussitôt suivie d’une légère pression, répartie en quatre pattes terminées par des coussinets de velours, lesquels tâtaient prudemment le terrain de jeu qu’offrait son ventre à moitié recouvert de bandages. Aussi sans gêne que le propriétaire des lieux visiblement ! Le garçon n’avait plus aucun doute sur l’explication de la présence de la boule de poils dans l’appartement. Alors que Sulkan envisageait sérieusement de déloger l’animal avant même qu’il ne prenne ses aises sur lui – et que ça devienne une habitude ! – la voix du médecin retentit dans la pièce, l’arrêtant net dans son geste. Remercier le chat ? Ce début de réponse fit arquer un sourcil au russe. L’autre ne pouvait pas être sérieux, si ? La suite lui confirma que non, décidément, son sauveur présumé ne devait pas avoir toute sa tête au moment de se justifier. Encouragé par des miaulements inquiets ? Monsieur avait l’oreille animale plutôt que l’habilité à communiquer avec ses pairs ? La belle affaire que voilà !

« Si t’voulais pas d’un cadavre sur les bras, pourquoi t’faire chier à me ramener chez toi ? »

Les deux raisons amenées par Esteban au sujet d’un éventuel paiement en nature firent soupirer le garçon. De mépris pour les piques formulées à son encontre ou bien de soulagement à l’idée de n’avoir pas à en arriver là pour ressortir de ces murs ? Un peu des deux certainement. A la bonne heure que son corps ne le faisait pas bander ! Ils étaient des mecs bordel ! Finalement, sa question persistante du « pourquoi » obtint une réponse, pas rassurante pour autant. Aider pour des expériences ? Si le médecin tenta visiblement d’y mettre les formes en évoquant l’assistanat, Sulkan ne fut pas dupe. Pour que l’autre fasse le rapprochement avec le malade qui l’avait charcuté, le type d’expériences envisagées ne laissait planer aucun doute sur leurs natures. Et puis le hackeur n’oubliait pas ce qui l’avait conduit à se retrouver dans cette situation désespérée au point de négocier avec un probable compatriote à la maîtrise de l’anglais toutefois plus manifeste que ne l’était la sienne. Les soupçons qui pesaient sur lui étaient la raison pour laquelle on lui avait collé le tordu d’Eraser aux trousses. Non. Il ne pouvait s’agir que d’un coup monté pour l’arrêter dans son petit trafic informatique, rien d’autre. Avant de lui laisser le temps de peser le pour et le contre dans cette proposition qui lui était faite – à supposer qu’il s’agisse bien de ça, non d’une banale condition à respecter – Estéban quittait la pièce, non sans lui donner son nom par la même occasion.

« Attends, j’ai pas dit que- ! »

Mais déjà, l’autre ne l’écoutait plus, l’abandonnant un peu perdu. Le russe n’avait pas l’intention de servir de cobaye ! Il n’avait pas fui un tordu pour en retrouver un autre ! Scientifique qui plus est ! Et pourquoi diable un médecin aurait-il besoin de faire des expériences ? Ça n’annonçait rien de bon pour lui tout ça… Les ronronnements du chat le tirèrent de ses pensées pessimistes et le regard chocolat se perdit quelques instants dans les nuances du pelage corbeau de l’animal allongé sur son ventre. Plusieurs questions s’imposèrent à son esprit : devait-il réellement la vie à cette boule de poils ? Pouvait-il vraiment se sentir en sécurité et totalement détendu comme l’était le chat ? Où était le piège ? En avait-il seulement un ? Bien sûr que oui ! Sulkan ne pouvait pas croire que le deal en question ne cachait pas une contrepartie. Peut-être aurait-il mieux fait de payer, même en nature… Le russe secoua la tête, se maudissant d’avoir envisagé cette possibilité. Pendant les minutes qui suivirent, le hackeur demeura sur le qui-vive, écoutant le silence paisible qui prenait possession de l’appartement, à peine perturbé par les ronronnements heureux du chat resté avec lui. Pas de bruit suspect ne vint l’alarmer. Tout était calme, à croire que même le second occupant des lieux avait décidé de retenir sa respiration. Ainsi, il vivait seul ? L’endroit n’était pas non plus chaleureux outre mesure, difficile d’imaginer un honnête père de famille faire vivre sa petite famille dans un appartement pareil. Doucement, le garçon commença à se détendre. Peut-être bien que l’autre disait vrai en fin de comptes ? Avant même qu’il ne le réalise, il s’endormit, épuisé et bercé par les ronronnements félins tout proches. Malheureusement, le repos tant espéré que mérité du guerrier fut de courte durée. Bref et agité. Les souvenirs encore frais de sa rencontre brutale avec Phear revenaient à la charge. Le rictus fou de son bourreau s’imprimait sous ses paupières si bien que le hackeur se réveilla en sursaut, le cœur battant. Surpris, il nota l’absence de poids et de masse chaude sur son ventre : le chat était parti explorer l’appartement. Passées les premières secondes d’égarement, Sulkan se rappela où il était et ce qui s’était passé. Il reprit ses esprits, se décidant à faire de même que son surveillant parti en vadrouille. Prudemment, il posa un pied, puis l’autre sur le sol de la chambre, appréciant de retrouver la fermeté de celui-ci sous la plante de ses pieds. Constater ensuite que le sédatif ne l’avait pas privé de ses forces, acheva de le ravir. Le russe tira doucement la porte de la pièce, redécouvrant un salon dans lequel il n’avait fait qu’un passage éclair. Cette fois, il prit le temps pour détailler les lieux, notant des détails qui lui avaient échappés la première fois. L’effluve lointaine du breuvage noir flottait encore dans l’atmosphère, ce qui fit naitre un doute dans l’esprit du garçon : combien de temps avait-il dormi ? Beaucoup ? Dans ce cas, son hôte devait s’être resservi une tasse. Sinon, il n’avait fait que somnoler quelques dizaines de minute et la position exacte d’Esteban dans l’appartement demeurait un mystère. Ce dernier ayant toutefois précisé avant de disparaître que le russe pouvait se considérer comme en sécurité entre ses murs. L’intéressé allait le prendre au mot. Son odorat prit le relais, conduisant le corps meurtri jusqu’à l’espace cuisine. Avisant la cafetière du regard, Sulkan se prépara une tasse de ce breuvage amer. Sans gêne lui ? Et après ? Le remord ne l’habita pas après qu’il dut chercher pendant quelques minutes une tasse digne de ce nom. Visiblement, le médecin n’était pas une fée du logis. Peut-être leur premier point commun ? Le besoin d’une pause café se fit sentir et le garçon demeura un instant dans le coin cuisine, savourant le contenu de sa tasse. Ce n’était pas la curiosité qui lui faisait défaut, ayant soudain envie de découvrir ce qui se cachait derrière chacune des portes présentes dans son champ de vision. Même si de sombres secrets devaient s’y trouver. Ou pire : Esteban lui-même ! Son attention se porta soudain sur le chat, lequel semblait vouloir pénétrer dans l’une des pièces en particulier. Intrigué, le russe s’en approcha, cédant à l’envie de lui ouvrir pour découvrir une salle aux allures de bibliothèque quand il aperçut les hautes étagères. Et dans un coin, trônait un fauteuil, lui-même contenant…

« Esteban ? »

Pourquoi ne bougeait-il plus ? S’était-il assoupi ? A présent que le café avait fait effet, que le russe se sentait remis de ses émotions, en partie du moins, il savait que le moment était à obtenir des précisions de la part de son hôte trop généreux pour être honnête. Sulkan posa la tasse à même le sol, à bonne distance du fauteuil et d’un réveil en sursaut du médecin avant de s’approcher de ce dernier. Il l’appela à nouveau, avant de le toucher prudemment de l’index, s’attendant au pire. Voyant que l’homme ne bronchait pas davantage, le hackeur s’enhardit et le secoua un peu.

« Esteban ? Réveille toi. »

Et si le médecin n’avait pas assez dormi comme c’était effectivement le cas du russe, ce n’était pas son problème. Il avait des questions à lui poser, alors plutôt que d’être parti en coup de vent, l’autre allait à présent lui répondre au lieu de dormir comme une masse. Dans un fauteuil en plus, pas confortable…
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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28.10.16 22:51
Il n’était pas dans une position spécialement agréable. Sa tête penchait sur le côté, ses jambes étaient repliées d’une façon incongrue et ses bras pendaient mollement autour des accoudoirs. Mais il n’en avait que faire ; à ce moment, le légiste le plus réputé de Madison était en train de dormir. Ces derniers jours, le jeune homme avait emmagasiné par mal de retard de sommeil, et c’était sans compter la petite pièce qu’il venait de rajouter à sa décoration, qui allait lui donner plus de sérénité. Mais le gosse soigné et moins apeuré, Esteban pouvait s’octroyer quelques heures de détente et de sommeil bien mérités. Derrière ses paupières, il se repassa les derniers échanges qu’il avait eut avec son homologue russophone, et principalement sur sa remarque assez curieuse : « Si t’voulais pas d’un cadavre sur les bras, pourquoi t’faire chier à me ramener chez toi ? » Par principe, il n’avait pas répondu, le laissant être bercé par le chat noir qui s’était délibérément allongé sur le ventre du nouvel arrivant. Du pourquoi il ne voulait pas d’un cadavre sur les bras ? Parce que, théoriquement, ça aurait été du « non-assistance à personne en danger ». Et rien que ce détail aurait pu le mettre dans la merde. Un cadavre dans la cour arrière de l’immeuble appellerait inexorablement la Milice. Leurs fouineurs auraient pu remonter jusqu’à lui par la simple analyse de la dernière poubelle déposée dans le conteneur. Et c’en aurait été fini de sa carrière tranquille. Nan… Mieux valait le récupérer. D’un point de vu administratif et professionnel, c’était mieux ainsi. Pourquoi l’avoir ramené chez lui ? Hé, béh ! Parce qu’il allait le ramener où ? Aux urgences ? Avec des blessures pareilles ? C’était peut-être dans les prisons miteuses d’un commissariat de banlieue qu’il aurait fini, à crier à qui voulait bien l’entendre, son innocence et son lien de parenté avec le fada qui siégeait dans leurs rangs. Alors ouais, il s’était « fait chier » à être le plus discret possible en remontant la carcasse vidée d’énergie du p’ti, à le soigner, et à le faire dormir dans le lit dans lequel il aimait se vautrer après une bonne douche. Mais ses habitudes avaient été chamboulées, et il n’était pas prêt de les reprendre vu le pacte non-négociable qu’il venait de passer avec… Qui déjà ? Il faudra qu’il lui demande son petit nom. S’ils cohabitent, la moindre des choses est de savoir au moins son identité.
« Hey, Esté, pourquoi t’as été recueillir c’clodo errant ? Toi qui supportes par les humains aussi vivants soient-ils. Qu’est-ce qui t’es passé par la tête ? » En face de lui, dans sa bibliothèque, il pouvait voir son barbare de cousin lui parler. Pourquoi, hm ? C’est vrai ça… C’était une bonne question… Une sorte d’instinct ? Une envie ? « D’habitude, tu les laisses crever… Pire, tu les fait ramener dans ton labo quand ils ont expiré leur dernier souffle... » Oui. Bon. Celui-là, ça aurait été clairement dommage de le laisser mourir contre ce mur humide. Franchement, y a un peu plus glamour comme mort, que là où on entrepose les poubelles pendant la semaine, où certains se reproduisent comme des lapins, ou pissent comme des malpropres. Mais surtout, il avait pu mettre la main sur un evolve, tout du moins ce qu’il présumait fortement en être un. Et un vivant. Pas un de ceux que lui ramenait la Milice dans un joli papier cadeau avec une note d’excuse pleine de fautes. Nan. Là, c’était un vrai. Un pour lui. Un qu’il pourrait observer et sur lequel il pourrait tester certaines choses qu’il avait développées et qui étaient en attente de l’Élu. Un sourire se dessina sur son visage à l’idée de tout ce qu’il pourrait lui faire subir, de tout ce qu’il pourrait lui piquer dans les moindres recoins de son corps, à tous ces résultats qu’il allait pouvoir, enfin traiter et pas seulement spéculer. À ce moment, l’aîné de la famille Rothgrüber était content comme un môme qui faisait sa liste de cadeaux de noël, et qui se demandait ce qui allait bien pouvoir arriver le 24 décembre au soir.

Dans toutes ses réflexions et dans son sommeil tordu, Esteban n’entendit pas le chat gratter avec virulence à la porte de son bureau. Ni même celle-ci s’ouvrir, sponsorisée par une voix timide. Il ne sentit même pas la boîte à ronrons sauter avec grâce sur son ventre et s’enrouler paresseusement pour continuer sa sieste. Monsieur était perdu dans son imagination et ses expériences futures sur le jeune homme qui était sensé dormir dans l’une des pièces d’à côté. Pas sur la visite de celui-ci dans son bureau-bibliothèque. Ah, le célibat faisait son tort… Car il est des fois des événements qui sont imprévus… Comme la visite surprise du môme. L’index qui lui toucha la joue ne lui provoqua aucune réaction. Autant dire que ce doigt timide contre son épaule dénuée de motivation, équivalait à une mouche se posant subtilement sur la peau de quelqu’un : on ne sentait rien. Si le nouveau venu voulait le réveiller, il allait devoir y aller avec plus de conviction vue que le scientifique n’avait pas fermé l’œil depuis bien trop longtemps. À peine, son subconscient eut-il le temps de se faire cette remarque, que le corps d’Esteban fut secoué un peu plus violemment… Mais toujours pas suffisamment pour qu’il ouvre ne serait-ce qu’un œil. En revanche, le félin avait bien senti les secousses et commençait à ne pas aimer cela, regardant l’homme aux yeux chocolat d’un drôle d’air. S’il n’arrêtait pas de secouer le maître des lieux, il n’allait pas pouvoir continuer sa sieste, et rien que cette idée lui déplu. Aussi, le chat donna posa sa patte sur l’intérieur de la cuisse d’Esteban et sorti lentement ses griffes. À mesure que les petites aiguilles se plantaient dans sa chair, le visage du légiste se décomposait. C’était progressif, et assez marrant à voir. Un grognement sourd sorti de la profondeur de la gorge du brun avant qu’il n’ouvre brusquement les yeux, une de ses mains s’abattant sur la nuque de l’animal pour l’arracher de son nid. Il le souleva pour mettre sa petite tête en face de la sienne. « Je peux savoir ce qui te prend vil animal ? Depuis quand tu t’amuses à faire ça ? ». Encore dans le pâté, il ne remarqua la présence de son invité que lorsque le chat y posa ses yeux émeraudes. À ce moment, Esteban croisa les iris chocolat et lâcha le félin qui s’en alla dans le canapé du salon. « Alors, à peine arrivé et tu te lies déjà avec les habitants ? Rapide ton intégration... » Ajouta Esteban, s’étirant en retenant quelques grimaces de douleur. « J’vois que ça mieux... » Il sentit l’odeur du café, puis vit la tasse posée au loin. « … Et que t’as même trouvé la cafetière. Ça va tes blessures ? T’as pas trop mal ? » demanda t-il, soucieux de l'état de son futur cobaye.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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30.10.16 22:24
Finalement, sans l’aide de la boule de poils, il n’était pas certain que le russe soit parvenu à réveiller son hôte improvisé. Il ne le réalisa pas sur le moment, l’esprit déjà occupé à imaginer quelle serait la réaction d’Esteban en le découvrant dans son antre, laquelle lui était peut-être interdite en fin de comptes ? Allait-il bondir sur ses pieds, surpris puis mécontent ? Allait-il lui intimer de sortir dans la foulée ? Pire, se montrer violent ? Après lui avoir assuré qu’il pouvait se sentir en sécurité entre ces quatre murs ? Le premier échange qu’eut le légiste avec l’animal lui arracha un sourire satisfait, sourire qui disparut rapidement quand Esteban s’adressa soudain à lui. Un reniflement méprisant fut sa première réponse et Sulkan releva le menton, en signe évident de provocation.

« Moi ? Me lier avec- ? Dans tes rêves. »

L’approche du légiste lui avait rendu sa méfiance instinctive. Farouche de nature, le garçon restait en retrait. Et le fait qu’Esteban, même en ayant de bonnes intentions, prenne de ses nouvelles ou plutôt, de celles de ses blessures, n’aida en rien. Sulkan restait sur ses gardes, ne sachant pas quoi répondre. Jouer la carte de la franchise ? Mentir ? Après tout, son interlocuteur lui avait offert l’hospitalité, prétendant pourvoir à son intégrité physique, monnayant quelques menus services de sa part.

« Ça va. »

Clair et concis. Au moins, l’autre ne pourrait pas lui reprocher de ne pas lui répondre, tout en permettant au russe de se garder une marge de manœuvre. Rien ne l’empêchait de jouer la comédie plus tard si le besoin s’en faisait sentir. Pour le moment, Sulkan avait d’autres préoccupations en tête.

« Dis…Euh…J’voulais te demander un truc en fait… » commença-t-il en se tortillant sur place. Evoquer ce sujet, sensible de surcroît, n’était pas pour lui plaire. « T’es un scientifique c’est ça ? Tu… Les prises de sang tout ça, tu sais faire ? J’veux dire… » Il était encore temps de reculer. Peut-être. « T’pourrais analyser mon sang ? Avec ton matos ? Pour voir si… Enfin… Si j’suis un… » Le mot resta bloqué dans sa gorge quelques secondes, suffisamment longtemps en tout cas pour que son interlocuteur perçoive son malaise, comme si ce n’était pas déjà fait. « …Evolve ? »

Voilà. Il avait lâché le morceau. S’il se sentait soulagé ? Pas vraiment. Et si Esteban lui riait au nez ? Qu’il affirmait ne pas être en mesure de lui rendre ce service ? Si on pouvait parler de service… Le garçon voyait davantage ça comme une épée de Damoclès. Une fois qu’il aurait sa réponse, plus moyen de se voiler la face comme il le faisait actuellement. Et vivre dans le déni jusqu’à la fin de ses jours, sans connaître les effets de son pouvoir. Un poison latent pour certains. Une bénédiction pour d’autres. Sulkan prit sur lui pour ne pas tourner les talons. Il ne fallait pas qu’il se monte la tête en attendant d’être fixé. Et comme pour oublier un instant le sujet principal de ses préoccupations, le hackeur orienta soudain la conversation sur un tout autre sujet :

« T’à l’heure, t’parlais d’expériences… C’est quoi au juste ? T’as besoin d’mon aide pour quoi ? Et n'essaye pas d'm'avoir hein ! »

A défaut de redouter le pire, le russe se protégeait en redoublant de méfiance envers son hôte. Par chance, il n’avait pas renversé la tasse de café qui se trouvait non loin du fauteuil et par conséquent, de ses pieds. Sulkan se rappela soudain de la présence de celle-ci, cependant, il se retint au dernier moment de se baisser pour la ramasser. Le hackeur voulait connaître la réponse d’Esteban avant de baisser sa garde devant ce dernier.
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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03.11.16 16:03
Il était des pièces, comme ça, qui faisaient office de Temple. Un lieu sacré dont seuls les élus pouvaient entrer, dont seul le Grand Prêtre pouvait ouvrir les reliques sacrées. Le bureau d’Esteban en faisait partie. Sur les quatre murs, et aussi haut qu’elles pouvaient monter, de grandes étagères en bois sombre cachaient les murs blancs. Sur les étagères, une multitude de livres étaient serrés les uns aux autres, les tranches de couleurs se succédant jusqu’à des objets incongrus pour les profanes. Bocaux étiquetés, crânes d’études, éprouvettes, microscopes, tout le matériel du parfait scientifique était posé çà et là à côté des ouvrages. Au-dessus des meubles, le légiste exposait des objets d’un autre temps, « vintage » comme le diraient certains de ses proches, des « trucs barbares » dénigrés par ses collègues trop tournés vers les technologies à venir. Contre l’un des murs, logé entre deux bibliothèques, un bureau croulait sous des multitudes de feuilles imprimées, griffonnées, tâchées de ronds caramels, vestiges d’une tasse de café. Un ordinateur portable était posé au milieu, et c’était un miracle de le voir encore dénué de toute forme de paperasse. Telle était la pièce dans laquelle le jeune russe venait d’entrer pour tenter de réveiller Esteban avachit sur son fauteuil en cuir défoncé par de nombreuses fesses.
L’hôte n’avait eu d’autres choix que de se réveiller brusquement sous les griffes savamment sorties de son animal. Les yeux gris du scientifique s’étaient naturellement posés dans ceux de son cobaye., et Esteban mit quelques secondes avant de tout remettre en ordre dans son cerveau. Dans son antre la plus sombre se trouvait un homme dont le visage lui était partiellement inconnu. Un individu inconnu dans son appart’ ? Ce n’était pas son genre… Alors quoi ? Un mafieux ? Un voleur ? Oh. wait. C’était Lui. Les souvenirs de la nuit passée lui revinrent progressivement en tête, et il poussa un long soupir avant de laisser son dos retrouver le dossier confortable de son fauteuil, se mettant alors à taquiner sommairement le réveil matin. Si le blessé commençait déjà à lui mener la vie dure, Esteban ne se gênerait pas non plus pour lui injecter ses potions les moins légales dès le départ. Mais au contraire… Il semblait plus calme qu’avant, bien que sa verve se traduisit par son reniflement peu gracieux et son menton arrogant. Les lèvres d’Esteban s’étirèrent en un sourire. Pour quelqu’un qui avait morflé, le p’tit avait bien reprit du poil de la bête. Bien. Très bien. Ils allaient enfin pouvoir avancer sur la même route, sans avoir à le traîner. Cependant, le légiste nota sur un post-it mental que le brun aux yeux chocolats était tel un chat : peureux au moindre mouvement brusque et méfiant comme pas deux. « Hey. C’est mignon non ? Ces petits sursauts et ces poils sur sa nuque qui s’hérissent… Non ? Moi j’aime bien... » A sa réponse positive, le cousin de l’eraser hocha la tête, satisfait. « Tu t’en doutes sûrement, mais je vérifierais régulièrement tes blessures. Même si le type qui t’as fait ça l’a fait très proprement, ça reste tout de même des plaies importantes. » Ses mots n’étaient pas innocents, et il guettait la réaction de son interlocuteur. Il avait une vague idée de qui se cachait derrière ces marques, et de quelle nature était le jeune homme. Quel homme malsain il pouvait faire. Mais le blessé se reprit et malgré son bégaiement émotif et ses dandinements d’enfant, lui formula une question longue et disparate, achevant son intervention par ce qu’attendait l’homme vautré dans le fauteuil. « C’est la première chose qu’on apprend en médecine. Les prises de sang. Donc oui, je sais en faire. » Esteban arqua un sourcil, posant son coude sur l’accoudoir du siège et sa tête entre son pouce et son index. La requête qu’il lui formulait était assez étonnante, mais lui donnait en même temps une nouvelle carte pour le comprendre. Il le voyait bien, le malaise du p’tit brun. L’angoisse sur son visage, ses doigts se tortillant sur ses cuisses qui montraient à ses yeux professionnels, la  moiteur de ses mains. « T’as pas été à l’hôpital pour ça ? » demanda-t-il sans perdre son petit sourire, ne loupant une nouvelle fois aucune de ses réactions, notamment son visage déconfit. Son interlocuteur changea rapidement de sujet. Ne voulait-il pas lui répondre plus en détail ? Était-il tellement gêné par sa requête, qu’il ne désirait pas de réponse ? Ou bien était-ce la peur des résultats. « Détends-toi. Je vais te les faire, tes analyses. Ça m’arrange d’ailleurs que ce soit toi qui abordes le sujet. »

Esteban s’étira une nouvelle fois, écartant jusqu’à ses orteils, avant de se lever. Debout, il dominait largement son cobaye, qui lui était resté assis par terre. « Installe-toi sur le fauteuil. » lui lança-t-il en sortant de la pièce. Il revint quelques minutes plus tard et lança au jeune homme deux barres de céréales et une bouteille d’eau. « Mange.   Tu risques de me faire un malaise…. Au fait, c’est quoi ton petit nom ? » il ouvrit un tiroir en plastique, d’une colonne posée sur une des étagères de sa bibliothèque. Il en sortit deux sachets dans lesquels se trouvaient des seringues aseptisées et prêtes à l’emploi et un garrot. Il attendit qu’il avale   un premier repas un peu trop maigre, mais suffisant pour la prise de sang, avant de lui installer le tube en plastique au-dessus de son avant-bras. « Détends-toi. Sinon tu vas me faire péter l’aiguille... » il désinfecta le creux de son bras et reprit la parole. « Pour en revenir aux expériences, je vais déjà voir ce qui résulte de tes analyses.  En fonction de ça, j’aviserais. Si comme mes soupçons, t’es un evolve… Les choses devraient mieux se passer que prévu. Je suis peut-être légiste, mais j’ai pour principale objectif d’en apprendre plus sur les evolves. D’ordinaire je travaille sur les cadavre que m’amène la Milice… Les résultats ne sont pas très probants. En revanche, toi... » dit-il en le montrant de la seconde seringue encore vide. « … Tu es vivant. Et j’ai tellement de chose à découvrir que… Hey. Je t’ai dit de te détendre. Faut pas que tu t’inquiètes. Mon but n’est pas de te faire passer l’arme à gauche. Bien au contraire. Faut que tu restes bien vivant. Sinon je ne me serais pas donné autant de mal pour te remettre aussi bien sur pied… Aller. Décrispe-toi. » Le scientifique attendit jusqu’à ce que son patient soit un peu moins tendu pour lui planter la deuxième aiguille. Professionnel comme il l’était, il finit rapidement de récupérer ses échantillons. Il regarda intensément le liquide rouge, ses yeux pétillants d’anticipation. Il en  mit un au frais, et déposa le second dans une machine ressemblant à une grosse cocotte. « D’ici ce soir, on aura le fin mot concernant ta nature. Mange la deuxième barre, t’es tout pâle. » Le légiste se redressa et revint vers le brun pour le couvrir d’un plaid.[/color]
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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03.11.16 19:21
Le gris acier venait à la rencontre du chocolat. Pourquoi diable le prétendu médecin le dévisageait-il de la sorte ? Avec une intensité à la limite de l’étude animale, dérangeante en somme. Comme si son malaise plus qu’évident au sujet de sa possible mutation génétique n’était pas suffisant à lui tout seul, il fallait que son interlocuteur en rajoute une couche en ayant l’air de se complaire dans la vision de sa propre détresse ? Ne se rendait-il pas compte qu’il empirait son état à le dévisager de la sorte ? Si Sulkan soutenait le regard de son vis-à-vis en apparence, derrière, il n’en menait pas large. L’envie de tourner les talons était toujours présente mais il était venu pour obtenir des réponses. Et le moins que l’on puisse dire était qu’Esteban savait comment remuer le couteau dans la plaie en évoquant son bourreau – et cousin du légiste par la même occasion –, une piqûre de rappel qui ne passa pas inaperçue sur le visage du hackeur. L’espace d’une fraction de secondes, ses traits se raidirent, effet immédiat d’une mâchoire contractée aux dents serrées. La couleur de son visage, livide, de rage ou de peur, elle, demeura en revanche.

« C’était un putain d’malade. J’l’ai allongé raide cette raclure. Me parle plus jamais d’lui. Pigé ? » parvint-il toutefois à lâcher, non sans hargne.

Celle-ci était bien palpable dans sa voix, à mesure que les souvenirs de son cauchemar dans le wagon refaisaient surface. A grand peine, le russe se retint de secouer la tête pour chasser l’avalanche d’images douloureuses qui défilaient devant ses yeux. C’était terminé. Il était vivant. Vivant. Il avait échappé à ce type et tant mieux si Esteban s’imaginait que son cobaye avait tué son prédateur, devenu naturel entre temps. Une proie prise au piège pouvait se montrer très imaginative pour assurer sa survie. Un rictus mauvais accompagna cette pensée. Non, l’Eraser n’était très certainement pas mort. Mais pour le moment, Sulkan préférait se voiler la face. Ne plus y penser. Et inconsciemment, se préparer pour leurs retrouvailles. Sanglantes à ne pas en douter. Avec tout ça, il ne prit même pas la peine de relever le fait que son interlocuteur insiste pour examiner ses blessures par la suite. A ce stade, c’était bien le cadet de ses soucis au hackeur ! La suite le prit de court.

« L’hôpital ? »

A l’instant où le mot franchissait les lèvres, Sulkan le regretta. D’une, sa voix était tremblante, hésitante, moins hargneuse que précédemment quand il évoquait l’Eraser. Ce qui le poussait à se maudire mentalement pour paraître aussi déconfit en présence d’un médecin plutôt sûr de lui, en comparaison. Pour un peu, le russe crut que ce dernier allait lui expliquer en détails ce qu’était un hôpital, quitte à le prendre pour un parfait arriéré. Il était étranger certes mais pas stupide. Ce fut avec cet état d’esprit, tandis qu’il se reprenait, que Sulkan anticipa l’humiliation en répliquant :

« Pas eu l’temps. »

Un demi-mensonge en somme. L’hôpital, ce lieu imbibé d’odeurs mêlées de désinfectants en tout genre, il s’y était rendu en homme libre quelques heures auparavant. Avant de devoir s’en enfuir comme un criminel. Les doutes qu’il avait eus concernant les résultats de ses analyses, lesquelles avaient précipité chacune des étapes de cette boucle infernale, persistaient. Néanmoins, l’Eraser n’avait jamais eu l’intention de lui laisser une chance, même quand sa cible s’obstinait à brandir la présomption d’innocence. De nouvelles analyses. Voilà tout ce qu’il aurait exigé en échange de sa reddition. Des mecs comme lui n’y avaient pas droit. Pour un peu, le russe regretta d’avoir amené le sujet. Certes, il avait un médecin à disposition mais qu’est-ce qui l’empêchait de gagner du temps, profitant du sens de l’hospitalité de ce dernier pour finalement aller voir ailleurs ? Au moment même où cette possibilité faisait surface dans son esprit, Esteban se montra soudain plus conciliant. Avait-il deviné les multiples envies de fuite de son cobaye ? Peut-être. Un discret soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres quand il apprit que des analyses seraient bien faites sur sa personne. Un soulagement qui ne dura pas. La peur au ventre ne tarda pas à revenir. Et si elles confirmaient celles menées à l’hôpital ? Que ferait-il alors ? Hésitant, le hackeur prit place dans le fauteuil, ayant l’impression de s’enfoncer trop profond dedans. Un hoquet de surpris lui échappa quand la bouteille d’eau lui tomba sur le ventre, accompagnée des barres de céréales, plus légères celles-ci. Devant son regard perplexe, le médecin se justifia dans la foulée, amenant une question à laquelle Sulkan ne s’attendait pas, compte tenu de la tournure des événements. Ils étaient à des lieues d’échanger des politesses non ?

« Euh… Sulkan… »

Avait-il bien fait de lui communiquer son véritable nom ? La suite lui en fournirait la réponse. De toute façon, le garçon doutait de répondre à un autre nom que le sien, étant donné son état de stress quasi permanent de ces dernières heures. Autant jouer franc-jeu pour le moment. Et éviter ainsi d’attiser la méfiance de son hôte si ce dernier s’amusait à vérifier l’information d’une manière ou d’une autre. Par le biais d’un contact dans la milice par exemple… Ou tout simplement en consultant les hologrammes recensant les news du jour.

« D-Désolé… » marmonna-t-il, en se faisant reprendre par Esteban.

Il était drôle lui ! Comment se détendre totalement quand une banale prise de sang pouvait tout changer ? A commencer par votre façon d’être perçu par autrui ? Tout en gardant un œil sur les manipulations de son interlocuteur sur sa personne, Sulkan ne perdait pas une miette des explications de ce dernier. Inutile de préciser que la fin le fit bondir. Des cadavres ? La Milice ? L’étudier ? Il allait le disséquer vivant ?! Le russe avala de travers et fit mine de se redresser, bien vite arrêté dans son élan par les propos qui franchirent ensuite les lèvres du médecin.

« J’suis pas une de ces choses. Tu perds ton temps. »

Et il y croyait. Dur comme fer. Une façon comme un autre de vivre dans le déni le plus total. A vrai dire, même si les preuves s’accumulaient concernant une possible mutation, le hackeur ne savait toujours pas comment il ferait pour digérer une telle nouvelle. Nier en bloc ? Se tirer une balle dans la tête ? Se lamenter sur son sort et accepter de se laisser étudier comme un vulgaire cobaye par le premier scientifique fou dont il croiserait la route ? D’un autre côté, peut-être que les récentes études menées sur les Evolves, morts ou vivants, permettraient d’élaborer un quelconque remède ? A défaut, un moyen de neutraliser temporaire les pouvoirs et leurs effets ?

« Que ce soir ? T’essayes pas d’me garder plus longtemps ici nan ? Fais chier ! Pourquoi c’est aussi long tes analyses ? A l’hôpital ‘sont plus rapides ! » conclut-il en raillant méchamment Esteban avant d’ajouter : « Pfff… Kess’qu’j’vais bien pouvoir branler jusqu’à c’soir… »

Mauvais comme pas deux, il n’oserait jamais reconnaître sa phobie de l’hôpital. Un juron accompagna la réflexion du médecin concernant le teint de son visage et le russe songea vaguement à avaler la seconde barre de céréales quand un détail lui revint en mémoire :

« Pourquoi t’penses que j’suis un Evolve ? »

Le froid l’avait envahi, raidissant ses membres et le plaid qui le recouvrait à présent n’était pas de trop. Sulkan ne s’en plaignit pas, au contraire, il se calla mieux dans l’immense fauteuil, gardant le plaid sur lui pour espérer se réchauffer un peu, même si, dans l’immédiat, il n’aurait rien eu contre une bonne vieille bouillotte de grand-mère !
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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24.11.16 0:45
Le petit homme lui montrait un panel d’émotion. Toutes les plus extrêmes que les autres. Toutes les plus charmantes. Alors oui. Esteban ne se privait pas de mettre du gros sel sur ses plaies encore béantes. De voir comment son visage se déformait au contact piquant de ses mots dispersés sans état d’âme. Il était mauvais avec le genre humain. N’importe qui dans le service de l’hôpital pouvait clairement l’affirmer. Sauf peut-être ceux qui arrivaient à l’amadouer avec un beau, grand, et cher paquet de sucettes à la cerise. Dans les couloirs aseptisés, il ne tolérait que très temporairement la présence d’une infirmière, qui lui faisait par ailleurs les yeux doux. Ça, ce n’était pas tombé dans les yeux d’un aveugle, et le légiste profitait parfois d’un sourire faussement sincère pour obtenir d’elle n’importe quoi… Mais surtout rien de sexuel. Le russe était un livre ouvert sur son parquet. Un livre qu’il avait récupéré de justesse avant qu’il ne parte à la déchetterie, broyé par des dents d’aciers, brûlé par pure envie destructrice. Et maintenant, ces billes chocolats qui le fixaient essayaient de démontrer de la bravoure et du courage, là où ses mains montraient clairement l’angoisse et la peur. Cette couleur profonde lui réchauffait son cœur de médecin-cadavre, lui titillait ses sens scientifiques. Enfin un.
Ah. À l’évocation de son tortionnaire, le blessé perdit son teint rosé et timide pour un teint blême et encore plus angoissé. Esteban arqua un sourcil. Lui ? Cette crevette ? Il avait « allongé raide » la bête enragée de la Milice ? Ce n’était pas possible. Mais ça restait tout du moins suffisamment… Intriguant… Le légiste ne manquerait pas de le rappeler à son cousin au détour d’un café-sérum, en évitant soigneusement sa rage spontanée. Il connaissait mieux que quiconque son mauvais caractère et ses pulsions meurtrières trop soudaines. Le jeune crachait littéralement sa haine de Phear comme un chat cracherait sa boule de poil trop longtemps resté coincée au fond de sa gorge. Et rien que ce sentiment intense de rejet, cette flamme dans ses yeux, charma Esteban. Encore un bipède vivant qui détestait un membre de sa famille. Encore cette hargne à l’encontre d’un de ses demis-frères. Encore. Indélébile. Jouissive. Il s’imaginait trop spontanément, les moindres mouvements de son cousin à l’encontre de cet homme qui n’avait pour seule malchance, d’avoir le gêne d’evolve. Parce que oui, Phear n’attaquerait pas ainsi un citoyen lambda. Sauf s’il représentait tout ce qu’il abhorrait. Ce qui était le cas de ces « mutants », « ces horreurs de la nature », « ces gens gâtés par un putain d’bon Dieu », « ces choses qui n’prennent même pas la peine de se battre pour leur pays alors qu’ils en ont la force, là où y’en a qui crèvent tous les jours sous les balles ».
Un sourire discret se dessina sur les lèvres du légiste. Il venait -encore- d’employer un mot tabou. Et quel mot ! Celui qui ferait trembler n’importe quel evolve encore puceau et pas pucé. L’hôpital central était un temple de la délation, un endroit où la vie s’arrêtait autant quelle naissait. Nourrissons qui ouvrent les yeux, vieillards qui les ferment, « mutants » qui troque leur beau passé pour un avenir incertain. À la réaction du jeunot, ce n’était pas juste une question de temps. Mais une angoisse. Il avait dû se passer quelque chose, un résultat qu’il ne voulait pas entendre et qui l’avait mené bon gré mal gré à jouer un éventail d’émotions. Elle est belle ta voix chétive. Ils sont séduisants, ces yeux fuyants. Esteban sentit son égo se gonfler : il venait de trouver la perle rare pour ses études sur les evolves et pour ses expériences en tout genre. « Oui. Un hôpital. Tu sais, l’endroit aseptisé aux couleurs glauques. Là où vont les gens pour se faire soigner. Genre, une aiguille dans le creux du bras. Des prélèvements. Des analyses. Des résultats... » Il s’arrêta là, au risque de le faire pâlir d’avantage et avant qu’il ne décide de se murer dans un mutisme et un déni puissants. Ce qu’ils faisaient à l’hôpital, le légiste allait les lui faire.  « Sulkan ? Tellement russe… » lâcha-t-il, pas même surpris.

Le p’ti devait avoir les nerfs à fleur de peau. Et étrangement, il pouvait comprendre pourquoi. Pas pardonné pour un sou par la Bête Enragée de la Milice, Sulkan n’avait jamais été aussi près de découvrir s’il était passé du mauvais côté de l’humanité, du côté brimé H24, du côté des expérimentations et des contrôles parfois drastiques. Le scientifique le toisa, peu impressionné par ses protestations. « T’avais qu’à aller à l’hôpital alors. Je ne t’en empêche pas. Tu peux toujours y aller. Je viderais ces flacons dans le lavabo et si la Milice vient me voir, je dirais que j’ai simplement fait mon devoir moral de médecin. » Il soupira.  « Si tu fous pas le camp, tu vas déjà commencer par te détendre. J’ai horreur des gens comme toi qui défoulent leurs nerfs sur les autres. Et puis tes plaies vont en pâtir. Je commence à en avoir marre de te rafistoler à chacun de tes mouvements brusques. » Esteban n’était d’ordinaire pas avenant avec les gens. Alors autant dire qu’il faisait de gros efforts pour ce Russe malpoli. Heureusement qu’il était sûr à plus de 85 % qu’il n’était plus humain. Sinon, il ne se serait pas donné autant de peine, et n’aurait pas cédé à ses demandes. Il planta ses yeux dans ceux de son patient. Il les détailla longuement avant de regarder son corps caché par quelques affaires trouvées par-ci par-là. « Une seule raison. J’ai reconnu la marque de fabrique du type qui t’a redécoré. Et cet eraser ne fait ça qu’à des evolves. Il ne s’attaque pas aux humains… Normaux dirais-je. » Il avait lancé cette mini-bombe comme si c’était quelque chose de normal pour le commun des mortels. Là où pour lui, parler de son cousin et de ses pratiques douteuses, était d’une évidence déconcertante. Déjà que le russe avait le visage pâle, autant dire qu’après cette révélation, le légiste crû qu’il avait encore pâli.  « Mange la deuxième barre. Tu vas réellement me faire un malaise. » Il s’approcha de son patient et glissa son index et son majeur sous la mâchoire de Sulkan pour lui prendre son pouls. Il était bien bas, mais malgré cela, le p’ti avait quand même réagi à son approche.  « T’inquiète pas. Je vais pas te balancer. Je ne suis pas de ce genre-là. Et puis je te l’ai dit. Je veux que tu m’aides pour certaines expériences... »

La machine sonna bien plus vite qu’il ne l’aurait cru. Esteban reposa un paquet de feuilles griffonnées, et s’empara du compte-rendu qui sortait de son imprimante. Il posa ses lunettes sur son nez, et entreprit de bien détailler chacune des lignes du document. À mesure que son regard descendait, il se sentait satisfait. Non. Pire. Heureux. Son spécimen était enfin parvenu à lui. Un premier verdict venait de tomber, et il n’allait pas plaire à son hôte.  « Tiens. Au plaisir de confirmer que tu es bien un evolve. »[/i][/i]
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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18.12.16 18:16
Son interrogation relative à l’hôpital précédemment évoqué par son hôte relevait plus de la question rhétorique que de la véritable ignorance à ce sujet. Tout individu, Evolve ou non, savait ce qu’était un hôpital. Les habitants de la Russie n’y faisaient pas exception ! Si bien que le sarcasme d’Esteban, à défaut d’être pleinement justifié dans une situation pareille, s’attira les foudres du hackeur.

« FERME-LA ! »

Le corps agité de soubresauts nerveux, une fureur palpable grondant en lui et menaçant d’exploser pour de bon au visage du légiste, Sulkan ressemblait à s’y méprendre à un névrosé. Ou bien à un drogué en manque à qui on venait de refuser sa dose quotidienne de chasse-cafard-et-vas-y-qu’on-plane. A quelques secondes près, son hôte aurait certainement pu échapper à cette petite scène. Car sur le fond, les derniers mots de ce dernier se voulaient objectifs, neutres. Contrairement aux premiers, qui avaient été la source de la fureur du russe. Non, on n’envoyait pas toujours les gens à l’hôpital pour les soigner. Ou plutôt, ceux qui y étaient envoyés n’avaient pas toujours besoin de l’être. Et il était bien placé pour le savoir. Son regard accrocha celui d’Esteban et il comprit que son coup de sang n’était pas forcément le bienvenu. Le légiste ne savait rien de son passé mais il avait la fâcheuse tendance à remuer le couteau dans la plaie, consciemment ou non.

« Me parle plus jamais d’ça. Pigé ? »

A vrai dire, ce n’était pas réellement une requête. Si l’autre s’essayait encore à d’autres provocations diverses et variées, Sulkan envisageait sérieusement de rompre leur deal naissant avant l’heure. Pour quelle raison devait-il tenir parole et l’assister dans ses expériences ? Oh minute, par devoir moral ? Parce que le légiste lui avait très probablement sauvé la vie, bien plus qu’il ne l’imaginait ? Ce genre de sens moral que l’on agite à tout va, ce n’était pas pour les gens comme lui. Ceux qui s’étaient forgé une réputation dans la rue et des quartiers plus sordides les uns que les autres. Esteban devait bien en avoir conscience lui aussi. Mieux valait qu’il apprenne rapidement à tenir sa langue car à moins d’user d’arguments disons, plus chimiques et capables de tenir dans une seringue, il risquait bien de perdre son précieux cobaye dans les heures qui suivaient. La hache de guerre momentanément enterrée entre eux, le hackeur laissa son hôte reprendre ses petites manipulations, non sans l’abreuver de regards méfiants. Les paroles qui accompagnèrent ses gestes, rendus professionnels par l’habitude d’exercer, ne tombèrent pas dans l’oreille d’un sourd. Alors comme ça, il connaissait ce malade ? Pire, il semblait lui aussi croire en la théorie de la mutation génétique ? Non, c’est une erreur. On cherche juste à me faire disparaître ! Ils ont besoin d’un alibi pour ça ! C’était une évidence à ses yeux. Alors pourquoi les mots ne franchissaient-ils pas ses lèvres ? Il en avait assez de se justifier. L’impression que ses arguments se perdaient en cours de route avant de faire mouche dans les esprits de ses interlocuteurs ne le quittait pas, lui laissant un goût amer dans la bouche. Il l’avait vu dans le regard fou de l’Eraser. Dès lors que des analyses l’accusaient, personne ne le croirait sur parole ! Et c’était suffisant pour l’enfermer en lui collant l’étiquette « aberration de la nature » sur le front en guise de procès.

Laissé seul, avec pour toute compagnie, ses pensées les plus sombres quant à son avenir incertain comme jamais tandis que le légiste s’éclipsait quelques instants, le temps pour lui d’analyser les précieux échantillons ainsi récoltés, Sulkan mâchouilla sans enthousiasme sa seconde barre de céréales. Bientôt. Bientôt, il serait fixé sur son sort. L’attente aurait pu lui paraître insoutenable, si une part de lui ne s’était pas déjà résignée. L’autre avait beau s’insurger, l’insulter avec véhémence, le traiter de mauviette et de tout ce qui s’ensuit, pourquoi ne serait-ce pas le cas en fin de comptes ? Tant de personnes semblaient croire en sa transformation. Même après qu’Esteban soit revenu dans la pièce – peut-être bien qu’il lui adressa quelques mots sans jamais obtenir de réponse – pour s’installer à son bureau, visiblement occupé en dépit de cette situation pas tellement banale pour lui, un silence plus que pesant persista entre eux. L’atmosphère était lourde. Qu’imaginait-on ? Que deux êtres que tout – ou presque – opposait, allaient spontanément parler de la pluie et du beau temps ? Ce n’était pas sans mal qu’ils parvenaient à cohabiter, chacun dans sa bulle de confort, sans jamais tenter une approche. Finalement, ce fut un bip retentissant qui rompit le silence qui flottait sur la pièce. Moins habitué à ce son que le propriétaire des lieux, le russe sursauta, de nouveau sur le qui-vive, alors que le légiste s’emparait du document fraîchement sorti de l’imprimante. Les résultats des tests ? Un vulgaire fax ? Comment savoir ? La tension s’empara de nouveau de ses muscles, réveillant quelques douleurs qu’il pensait avoir oubliées. Esteban ne disait rien, se contentant de déchiffrer l’étrange missive. Le hackeur crut exploser une énième fois. Comment faisait-il pour garder le suspens aussi longtemps ? Par sadisme ? Peut-être. A ses yeux, ce ne devait pas prendre autant de temps que ça que de lire des résultats d’analyse sanguine… non ? Il n’était pas médecin mais bon…

« Alors ? Tu vas cracher le morceau oui ou merde ? »

Tout en délicatesse. Et dire que ça aurait presque pu sonner comme convainquant en termes d’agressivité si le son de sa voix ne tremblait pas légèrement. Son avenir se jouait actuellement. N’importe qui aurait été nerveux à sa place ! Comment interpréter le sourire qui naissait sur le visage de son interlocuteur ? Bonne nouvelle ? Mais pour qui au juste ? Le constat ne tarda pas à tomber. Plaisir. Es. Bien. Evolve. Les mots s’emmêlèrent dans son esprit. Il en perdit le sens. Son cœur battait à tout rompre tandis que sa conscience refusait encore de l’admettre. Sans se faire prier par son hôte, Sulkan bondit sur ses pieds, y tint comme par miracle et aux pris de trois grandes enjambées, fut auprès du légiste. Il lui arracha le document des mains, ignorant d’éventuelles protestations de ce dernier et entreprit de déchiffrer lui aussi le document en question. Si les premières lignes étaient essentiellement composées de données chiffrées et médicales sensées rendre son état de santé plus clair, ce qui n’était pas vraiment le cas, bien au contraire, le fin confirma ce que lui avait révélé son hôte tout sourire. Evolve. Il était un Evolve…

« Non… Ce n’est pas possible… Je ne peux pas être… »

Les lignes se confondirent les unes avec les autres quand ses mains se mirent à trembler, violemment. Encore une fois, les analyses de sa prise de sang lui ôtaient tout espoir. Celui de retourner un jour à sa vie de criminel expatrié.

« Je ne te crois pas ! C’est… Tu mens ! T’es de mèche avec les mecs de l’hôpital ! T’es comme eux ! »

Les vagues de désespoir se faisaient toujours plus nombreuses à venir se fracasser contre les récifs de sa conscience. Plus que le déni provoqué par la lecture des résultats, ce fut l’incompréhension qui le submergea. Son état psychologique était le parfait reflet du va-et-vient d’un yoyo en plein vol. Son indignation disparut aussi vite qu’elle était apparue pour se voir remplacée par l’incompréhension, l’une de celle qui vous prend aux tripes.

« Comment… Comment est-ce possible ? J’ai toujours été clean… jamais de seringues usagées… même cette fois-là... »

L’espace d’une fraction de secondes, son esprit troublé avait ramené le souvenir de l’hôpital psychiatrique sur le tapis. Quand bien même chaque pays menait ses propres expériences sur ces créatures appelées Evolves dans le but de concurrencer Madison, berceau de leur apparition, ses parents ne l’avaient pas envoyé là-bas dans le but de faire de lui un cobaye. A moins que le gouvernement russe n’ait profité de leur crédulité pour transformer sa cure en autre chose ? Sur la fin de son séjour, il s’était évertué à ne prendre aucun des médicaments qu’on lui apportait, conscient qu’ils lui laveraient le cerveau, n’aidant en rien ses intentions de fuir l’endroit. Cependant, ça n’avait pas toujours été le cas… Et si quelques malheureuses pilules ingérées de force avaient tout déclenché ? Ses épaules s’affaissèrent. La cruauté de sa situation lui apparaissait pour de bon. Ce fut avec la voix étrangement calme et maîtrisée qu’il s’adressa pour de bon à Esteban, sans toutefois le regarder en face :

« Dis-moi que tu peux me rendre humain… »

De justesse, il se retint d’ajouter qu’il était prêt à faire n’importe quoi pour le redevenir. Mais ça, le légiste n’avait pas besoin de le savoir. Pas encore.
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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22.12.16 16:31
Le petit était entré en transe. Il était motivé par les pulsions de ses membres qui tremblaient. Peur ? Angoisse ? Non… C’était autre chose. De plus intense. Sinon, la voix de Sulkan qui venait de sortir de son petit corps n’aurait pas été aussi forte. Ses cordes vocales avaient vibré au son de la colère. Sa gorge fine avait laissé explosé sa rage. Sa jolie petite gorge, pâle, délicate, vierge. Un bien bel endroit pour apposer une marque. Quelle couleur irait le mieux dans le creux de son cou, dans la courbe de sa nuque ? Une teinte rouge intense ou un rose légèrement prononcé ? De fins tracés noirs profonds ou un graphisme de la couleur de ses yeux ? Ces derniers transpiraient de haine, s’ils pouvaient d’ailleurs déverser toute leur passion malsaine, ils le feraient. Et tout ça pour quoi ? Pour un hôpital ? Pour la simple évocation de ce lieu imposant où la Vie et la Mort jouent ensemble au-dessus des lits des patients. Charmant. Des vagues de sadisme commençaient à épouser de plus en plus les rochers froids qui entouraient le cœur du légiste. Et s’il n’était pas motivé par ses recherches, il aurait certainement continué à enfoncer la dague de la cruauté verbale dans l’âme de son hôte. Mais, même si son cœur était de pierre pour le genre humain encore vivant, il n’alla pas plus loin dans ses dires et ne continua pas la « conversation hospitalière », pour ne pas perdre ce qu’il avait longtemps et paresseusement cherché. Il se la ferma avec la même élégance qu’il lui avait été demandée, mais son regard trahi sa résolution ; ses yeux gris s’étaient plantés dans les billes chocolats de Sulkan, lui rappelant que c’était le légiste le maître des lieux, et que le destin de l’evolve ne tenait actuellement qu’à son bon vouloir. Après tout, avec sa position double VIP auprès de la Milice et du Gouvernement, Esteban n’avait qu’un vulgaire coup de téléphone à donner pour se débarrasser de ce jeunot impoli. Et cela, manifestement, eu le don de le ramener sur terre. « Très bien. » dit-il avec une once de dureté, pour asseoir un peu plus son autorité. Lui ? De mauvaise composition ? On en était pas loin.

Délaissant temporairement les analyses et son patient, et en allant préparer son énième café, Esteban avait laissé son esprit divaguer au gré des minutes qui s’écoulaient sur le minuteur de son micro-onde dernière génération. La tasse blanche tournait avec lenteur et s’il n’était pas aussi excité d’avoir la confirmation que Sulkan était un evolve, il se serait certainement laissé hypnotisé par le lent ballet de l’anse immaculée. La situation dans laquelle il était le surprenait encore. Il avait accueilli en son nid un homme, un vivant, et qui plus est un fugitif. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’un milicien, ou pire, un gradé milicien, ne vienne frapper à sa porte pour inspecter son logement. A moins que l’arrivée impromptue de Phear ne soit pire qu’un gradé… Le biélorusse surprit son reflet dans la porte de la machine : un sourire étrange avait étiré ses lèvres fines, il n’était pas contre que son cousin ramène ses rangers dégueulasses sur son parquet et pose son fessier princier sur son modeste canapé. Comment réagirait Sulkan ? Et Phear ? Y aurait-il une chasse à l’homme dans son propre appartement, dans son quartier ? Où le militaire allait-il s’occuper de l’evolve ? Dans son salon ? Dans la salle de bain pour que ce soit plus facile à nettoyer ? Est-ce que son cousin allait le laisser assister à la séance en tant que témoin ? Est-ce qu’en sa qualité de médecin, ce serait à lui de déclarer la mort du petit russe ?  Cette envie troublante, cette pulsion, enfermée dans un coin de sa tête, il essaya de se mettre à la place de son hôte. Quand bien même il avait réussi à apaiser le russe, ce dernier ne lui faisait pas totalement confiance. Dans un sens, il n’avait pas tort, et le légiste félicita les parents du petit pour l’avoir bien éduqué sur ce point. Néanmoins, Sulkan n’avait d’autre choix que de croire dans le scientifique qu’il était, surtout s’il voulait vivre encore un peu dans la belle ville de Madison. En retournant s’asseoir à son bureau, Esteban jeta un œil sur le corps rongé d’anxiété. Peu importe ce qu’il lui avait dit, le petit brun était tout sauf détendu. À ce train-là, il allait lui faire un petit arrêt cardiaque. Mais le légiste n’en prit pas compte et décida de ranger ses brouillons pour avoir accès à son ordinateur. Après tout, la deadline de son article hebdomadaire allait arriver et il était temps pour lui de commencer à écrire.

Le silence pesant qui régnait dans la pièce fut rapidement comblé par le bruit des touches de son clavier. Quitte à passer le temps, autant faire quelque chose d’utile. Esteban avait remit la main sur ses notes, les avaient réorganisés, et s’était lancé dans son écriture scientifique. Le ballet de ses doigts sur le clavier était monotone. Il savait quoi dire, quoi transmettre à la communauté à laquelle il appartenait. Il ne laissait transpirer aucune hésitation dans son rythme et regardait à peine, au final, les feuilles annotées et entassées à sa droite. S’il ignorait Sulkan ? Non. Pour le moment, il n’avait rien à lui dire, et ce sentiment était probablement partagé puisque son potentiel cobaye n’avait pas non plus brisé le silence. Alors qu’il avait bien avancé sur son travail, son regard se leva de l’écran pour se poser sur la feuille qui sortait de l’imprimante. Le verdict allait tomber. Enfin. Il se retenait de sourire, réfrénant le haussement de la commissure de ses lèvres à chaque mouvement de la feuille. Comment dire… Esteban était en train de jubiler. Non pas parce qu’il allait ruiner les espoirs d’une existence, mais parce qu’il allait enfin pouvoir travailler sur ce qui le motivait vraiment, sur ce qui le fascinait depuis des années, sur ce pourquoi il avait entreprit ses études en biologie et en médecine. Avec ce qui devait paraître être de la lenteur pour Sulkan, les doigts du légiste attrapèrent la feuille. Surtout rester neutre le plus longtemps possible… Rester neutre et… A mesure que ses yeux parcouraient les nombreuses lignes à travers les carreaux de ses lunettes, le cœur d’Esteban bondissait de joie. Les chiffres montraient clairement que le gène latent du russe s’était réveillé. Restait à déterminer à cause de quoi, mais le résultat qui était écrit noir sur blanc à la fin de la feuille était clair : c’était bien un evolve. Ses yeux gris quittèrent l’encre de jais pour venir se planter dans le regard inquiet de Sulkan. La tension de ce dernier était plus que palpable et même s’il essayait de faire son grand en le pressant agressivement, le tremblement de sa voix ne lui avait pas échappé. Après un soupir bref, il lui tendit les résultats non sans se retenir de briser le spoiler de sa vie, un large sourire incontrôlé sur le visage. La réaction de son patient tarda à venir. Esteban mit cela sous le choc, compréhensible quand il avait pu comprendre à quel point Sulkan ne voulait pas voir tomber ce fait. Une nouvelle fois, il détailla très attentivement chaque étape de la désillusion à laquelle il assistait. Le moindre tressaillement sourd de ses traits, ses lèvres frémissantes qui perdaient de leur couleur de pêche, son visage qui prenait la même couleur que la tasse qui trônait à côté de son ordinateur portable. Le corps du russe lui parut plus petit que plus tôt. Comment l’expliquer ? Esteban n’aurait pu. Il était médecin, pas psychanalyste. Mais il était indéniable que plus son patient prenait conscience de la fin de sa vie normale, plus il devenait en quelque sorte physiquement chétif. Tel un chaton qui cherchait de la chaleur… Mais un chaton qui essayait de le mordre, refusant de l’aide humaine. Parce qu’au moment où le légiste allait prendre la parole, le russe explosa, ce qui le fit soupirer. « Arrête de me comparer aux autres. Ça me fatigue. Je suis quelqu’un d’honnête et de clean. Les résultats parlent d’eux-mêmes, je ne les ais pas trafiqués. Tu étais là en plus. » Il marqua une courte pause avant de reprendre. « Si t’y tient vraiment, on peut les refaire tes analyses. Mais celles-ci ne seront pas gratuites. » Le scientifique essayait de comprendre, d’inverser brièvement la situation pour calmer ses ardeurs peu délicates. Ce n’était pas le moment de provoquer de la colère dans l’esprit brisé de son interlocuteur. Au contraire, il devait se montrer doux et compréhensif pour pouvoir le garder auprès de lui. Néanmoins, un détail ne lui échappa pas… Pourquoi parlait-il de seringues usagées à un moment précis ? Esteban fronça les sourcils « Je peux savoir à quoi tu fais référence ? » . À voir si le petit ne lui avait pas contaminé son appartement ! Pour de bon, ce serait lui qui se mettrait en colère ! Son visage détendis et il le posa contre sa main ; la voix calme et la requête irréelle le séduisait. Cependant, le rendre humain ? Sérieux ? Quelle blague… « Si tu es humain, tu ne m’intéresses plus. Je n’ai donc rien a gagné à te rendre normal. » il marqua une pause, laissant Sulkan peser le poids de son destin. « Et ce n’est pas quelque chose de réversible. Sinon crois-tu vraiment qu’il y aurait autant d’evolve sur Terre ? Plein d’autres gens ont été et sont dans ta situation. Tu dois apprendre à vivre avec. » Ses mots sonnaient comme un fatalisme, comme quelque chose que le Destin avait déjà décidé et dont un vulgaire humain ne pouvait se défaire. Et ce devait être le cas pour le nouvel evolve. Esteban se leva et alla chercher une épaisse couverture. Il la déposa sur les épaules de Sulkan avec attention et douceur et le souleva. Léger et désabusé,  le légiste n’avait aucun mal à transporter son patient jusqu’au canapé du salon. « Tu veux boire quelque chose de chaud? » .
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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22.12.16 19:06
Requête aussi fébrile qu’incertaine qui venait de franchir ses lèvres. A l’image de son avenir. Un peu comme si le russe lui-même n’y croyait qu’à moitié. Sans doute que le contrecoup de l’annonce de la sentence se voyait difficilement encaissé. A juste titre. Et pourtant, Sulkan plaçait un faible espoir dans ces quelques mots : la possibilité de reprendre le contrôle sur son existence, laquelle partait véritablement en couilles depuis plusieurs heures. Retourner à sa vie de petit délinquant, de ceux qu’on laisse tranquille parce qu’ils ne représentent pas vraiment une menace pour le pouvoir en place, et renouer avec les plaisirs de la vie les plus primaires. Manger, baiser, se défoncer. Est-ce que sa conscience profitait de l’instant présent pour tirer la sonnette d’alarme ? Etait-il vraiment certain de vouloir retrouver cette existence-là ? L’habitude et la routine rassuraient. Autant qu’elles détruisaient à petit feu. Valaient-elles la peine d’être sacrifiées pour un avenir vierge de tout point de repères ? Et surtout, se rendait-il compte de l’état de faiblesse qu’il affichait au travers de cette même requête ?

La première réaction d’Esteban répondit aux craintes exprimées plus tôt. Refaire les analyses ? Le hackeur n’en voyait pas l’intérêt. Si l’autre jouait le même jeu que ces tordus en blouses blanches de l’hôpital, alors il ne servait strictement à rien de retenter l’expérience de la prise de sang. Sinon, le stock de barres de céréales de son hôte risquait d’y passer tout entier. Mais s’il s’agissait d’une erreur ? Quelque chose d’indépendant à leurs volontés respectives ? Au point où il était, Sulkan était prêt à se saisir de la moindre lueur d’espoir à sa portée. Une erreur d’analyse sanguine deux fois dans la même journée paraissait peu probable. Impossible même. Qu’à cela ne tienne. Le russe pesa le pour et le contre. Du moins, jusqu’à ce que la condition tombe. Il se retint de rire – nerveusement – au nez de son interlocuteur.

« J’t’ai déjà dit que j’avais pas d’tune ! Comment t'veux que j’te paye bordel ? »

Ce n’était pas une bonne solution en fin de comptes ? Tandis que le hackeur doutait de plus en plus, il se désintéressait de son hôte, allant même jusqu’à oublier l’effet qu’auraient pu avoir les paroles qu’il avait prononcées plus tôt, sous l’emprise de la panique et de l’incompréhension engendrées par l’annonce de son récent statut d’evo-positif.

« Quoi ? » répondit-il avec humeur, comme mécontent de la précédente réponse du légiste. « Ça t’concerne pas. T’as peur que j’t’ai refilé un truc ? Ah ! Fallait pas m’rouler une paloche dans c’cas ! »

La suite en revanche, le laissa interdit. L’autre se foutait de lui ? Il attendait peut-être que son cobaye improvisé le supplie de lui rendre son humanité ? Sulkan bouillonnait de colère. Car même s’il ne voulait pas l’admettre, l’autre était en position de force et parfaitement capable d’exiger ça de lui si l’envie lui en prenait. Ce qui mettait le hackeur hors de lui. Intérieurement. Même si ça devait se refléter dans ses yeux brillant de fureur, ses dents et poings serrés, les seconds faisant blanchir leurs jointures et menaçant de déchirer la fragile feuille de papier, toujours coincée entre les doigts du russe. Ce fut ce moment que choisit Esteban pour l’achever. Broyant l’espoir qui s’était emparé de lui plutôt. Irréversible ? Il ne pouvait pas être sérieux…

« Déconne pas ! Tu dois bien savoir comment me rendre humain ! Ou tu peux trouver un remède ! Je… J’ferais n’importe quoi pour redevenir humain. Même te…servir de cobaye si… tu promets de me rendre humain… »

Merde. Il l’avait dit. De vive voix en plus. Se résigner à vivre avec cette abomination en lui ? Accepter l’idée de se voir mettre au banc de la société alors qu’en apparence, rien ne le différenciait de ses pairs ? Jamais. Jamais !

« Je veux pas vivre avec ! Tu piges ça ?! »

Devenir un monstre parmi les hommes. Le cauchemar de tout homme. Ce dernier était décidément l’être le plus cruel sur cette Terre. Capable de réduire en esclavage, d’inventer une hiérarchie liée à la simple couleur de peau des individus, de traiter ses semblables avec mépris, de torturer et tuer pour le plaisir… La liste des défauts de l’homme était longue. Et si le russe en présentait bon nombre, il se refusait d’en devenir une victime lui aussi. Pourtant, tel un yoyo, son humeur redescendit d’un coup. De révolté, il devint abattu. La journée avait été longue. Trop pour lui. Conscient de n’avoir plus trop les idées claires après autant d’événements traumatisants pour un seul homme, Sulkan capitula en partie. Même s’il le désirait ardemment du plus profond de son être, il était bien incapable de remonter le temps ou changer sa situation actuelle. Dans un sens, son hôte avait raison. Les paroles de ce dernier résonnaient encore dans sa tête : il lui fallait accepter le changement, pour le moment. Les solutions viendraient en temps voulu. Le hackeur se laissa faire, quelque peu déconnecté de la réalité avant de se voir transporter, en silence ou presque.

« Ch’ais pas… T’as pas d’l’arsenic ? »

Humour noir quand tu nous tiens ! Cependant, le sérieux qui émanait du hackeur à cet instant avait de quoi alarmer son hôte. Le suicide était peut-être la solution la plus à sa portée actuellement…
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Esteban Rothgrüber
Esteban Rothgrüber
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24.12.16 19:02
Le déni était la chose la plus cruelle dont l’homme avait prit conscience. Ou avait créé. Ce genre de torture mentale et inconsciente avait été nommée, donc, créée. Tout du moins, c’était ainsi qu’Esteban voyait cela. Refuser de croire, se dire que c’est impossible, que c’est un rêve et que tout va s’arranger en se réveillant  était une chose. L’accepter en était une autre. Et à ce moment précis, Sulkan était dans une phase non négligeable de déni auquel le légiste n’avait eu aucun remord à mettre un terme. Le voir ainsi, déchiré, accablé, perdu, était très séduisant pour son âme sadique, mais qu’on se le dise, si cet état durait, ses expériences allaient prendre du retard… C’est qu’il en avait des choses à tester sur ce corps et cette âme percés de doutes et d’incompréhension.
Sa requête était clairement impossible et il lui expliqua pourquoi. Le scientifique avait un intérêt non négligeable dans cette affaire et il était hors de question qu’il ne se fasse pas passer avant. Il était égoïste, cruel, Sulkan pouvait le traiter de tous les noms les plus odieux, rabaisser son statut dans la boue la plus immonde, c’était ainsi, il ne reculerait pas devant ce qu’il voulait obtenir depuis des années. Le passé du russe, aussi jouissif, badant et merveilleux qu’il avait pu être, il s’en foutait comme de ses premières éprouvettes. Maintenant, le petit jouait dans la cour des grands, qu’il le veuille ou non. Il venait d’être poussé dans la dure réalité de la vie. Bienvenue dans ce monde Sulkan l’evolve, on t’as refait une cinématique de début, et c’est bien parce que c’est toi : ton starter pack s’appelle Esteban Rothgrüber ; mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur de nos bipèdes.

La première option que lui proposa le légiste ne semblait pas le satisfaire. Le rictus du brun ne lui échappa pas. Esteban était sûr de ses résultats, mais il lui avait quand même proposé de refaire les analyses. Était-ce par pure gentillesse, pour vérifier une marge quasi inexistante d’erreur ? Était-ce par pur sadisme, et le voir ainsi se morfondre encore plus sur sa misérable nouvelle existence ? Ou bien était-ce par simple bonté d’âme ? Il avait la réponse à sa propre démarche, et inutile de confirmer que celle-ci n’était d’autre que la seconde. Et donc, s’il avait de l’argent sur lui, Sulkan aurait volontiers payé une somme (certainement pas modique), pour relire sur un bout de papier la fatalité qui l’avait percuté 24 heures auparavant. Il était maso ou tout simplement tellement désespéré qu’il se raccrochait à n’importe quoi ? L’argent en soi n’était pas un problème… Il le lui avait d’ailleurs déjà dit. Pour un evolve d’une si belle qualité et si jeune, le légiste était prêt à accepter tout paiement en nature. Que ne ferait-il pas pour faire avancer la science et graver son nom dans la stèle de la Recherche ! Néanmoins, avant qu’il ne puisse le lui rappeler, un élément nouveau attira l’attention du demi biélorusse. Il n’aimait pas vraiment ça et s’attendait au pire dans la réponse qu’il attendait. Outre son mécontentement à peine dissimulé, Sulkan n’avait pas apaisé son trouble. « Ne joue pas au malin avec moi. J’en ai rien à foutre de la paloche que j’ai pu te faire pour sauver ton petit cul d’merdeux. Je t’ai posé une question et je veux que tu y répondes. À quoi tu faisais référence ? » Sa voix était ferme, profonde, et montrait de toute évidence que le cousin de Phear commençait à monter en nerf. Car la seconde chose qu’Esteban détestait le plus au monde, c’était qu’on se foute de sa gueule. Et là, le nain le croyait tout permis juste parce que le scientifique s’inquiétait de son passé. Hey, Sulkan avait-il seulement pensé aux effets secondaires qui pouvaient le saisir ? Ou même les décontaminations particulières que le médecin devait entreprendre si jamais c’était du sérieux son truc ?
Ce fut d’ailleurs la raison pour laquelle il prit encore moins de pincette pour lui parler. Il voulait se jouer de lui ? Très bien. Dans ce cas, le légiste allait jouer la même carte de provocation et d’esprit de domination. Il expliqua froidement qu’il n’en ferait rien de sa requête, ignorant volontairement le visage qui se décomposait au gré de ses mots pour revêtir un masque de fureur. À ce jour, il n’y avait pas de remède. Aucun des spécialistes de Madison avait trouvé un quelconque moyen d’éradiquer ce gène, et quand bien même ils en auraient fait une découverte, il n’était pas sûr que celui-ci fut transmis au grand public ou même ébruité parmi leur communauté très restreinte. Quelle société approuverait la suppression du meilleur élément pour apaiser la foule ? Quel gouvernement souhaiterait l’éradication du bouc émissaire de son pays ? Aucun. Les evolves permettaient de maintenir l‘équilibre fragile entre les classes sociales et de déchaîner les passions, surtout les plus morbides, quand la pression sociale était trop forte. Esteban ne déconnait pas. Il n’avait pas le temps pour ça, tout comme il n’avait pas le temps de s’étaler dans des conversations ridicules où son cobaye refusait l’évidence. Il était temps de mettre un terme à tout cela, mettre un terme à leur partenariat d’études et de soins. Il était temps que chacun reparte dans sa vie respective. Esteban ouvrit la bouche pour lui annoncer que tout était terminé, mais se retint de justesse. Avait-il bien entendu ? Sulkan ferait n’importe quoi ? Même devenir son sujet d’expérimentation ? Il était déséspéré à ce point ? C’en était ironiquement comique. Il ne lui répondit pas tout de suite, bien qu’il mourrait d’envie de lui serrer la main comme preuve de son engagement. Pourquoi ? Une simple revanche pour avoir hausser le ton et s’être foutu de sa gueule. Puéril ? Bien évidemment. Tout comme la demande idyllique qui ne cessait de lui être formulée. Il soupira, emballa Sulkan dans une couverture comme on emballe un foie gras de noël dans un torchon, et l’installa confortablement sur son canapé. On aurait dit une poupée de chiffon lessivée par trop d’émotions. Debout par rapport à son hôte, le regard d’Esteban apparut encore plus glacial que d’ordinaire. « Nan. Ça j’ai pas. » et il s’eclipsa une nouvelle fois dans sa cuisine. Le chat en profita pour revenir vers le nouvel arrivant. Son corps souple et léger sauta sur le canapé, se frotta à ses tibias avant de se lover dans le creux de son ventre. Le binoclard revint, une tasse en mains et une sucette à la cerise dans la bouche. « T’as besoin de dormir pour l’instant. Tiens. C’est du lait chaud avec du miel. » Il posa ses fesses sur la table basse, face à l’evolve. « Notre siècle est très avancé au niveau technologique, et tous les jours de nouveaux brevets sont déposés pour améliorer la sécurité d’une ville, la vie quotidienne de la ménagère, la pénibilité du travail ou pour protéger l’environnement. Au niveau médical, on se débrouille pas si mal non plus. Les cancers n’existent plus, les rhumes sont béguines, et un brûlé peut être entièrement soigné comme avant son accident. Mais les études sur les evolves avencent à petits pas. Si bien qu’à ce jour, aucun scientifique n’a réussi à percer à jour ce gène. » Il marqua une pause pour s’occuper de sa sucette. Une fois léchée, il la pointa distraitement vers Sulkan. « Je te promets rien quant à te faire retrouver ton statut d’humain. Mais je vais accepter ton offre, aussi désespérée soit-elle. J’ai besoin d’un evolve qui puisse me permettre d’avancer sur mes théories concernant votre race. » Esteban se leva, posa un genou sur le canapé et se pencha sur le russe jusqu’à l’encadrer de son corps, son visage au plus près de celui de Sulkan. De son souffle à la cerise, il murmura alors : « Vois-tu, vous autres êtes ma passion et j’en ai marre de travailler sur des cadavres tuméfiés par la Milice. Pour une fois, j’ai besoin de quelque chose de… Vivant. » Il traça avec son bonbon les lèvres pâles de son spécimen, histoire de lui redonner une couleur un peu plus chaude. Le chat ronronna bruyamment et le légiste se redressa, redonnant un espace minimal au jeune homme qu’il avait une nouvelle fois perturbé. « Je suis un homme de parole. Je te laisse quelques jours pour te remettre de tes blessures avant que l’on ne commence sérieusement. Tu peux dormir sur le canapé ou dans le lit. Ça m’est égal. »

Spoiler:
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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26.12.16 14:18
C’était quoi ce changement de ton ? L’autre cherchait à l’impressionner ? Pensait-il vraiment que faire preuve d’autorité en usant d’un timbre de voix plus grave et ferme à son encontre changerait-il quelque chose dans le comportement du russe ? Phear lui-même, en sa qualité de bourreau certifié par la Milice, n’avait pas complètement réussi à le mater. Et ce pauvre légiste de pacotille s’imaginait y parvenir ? Certes, Sulkan ne doutait pas que si le militaire avait bénéficié de plus de temps, il n’aurait eu aucun mal à lui apprendre le silence et le respect d’une même traite. Et la cohabitation avec Esteban s’annonçait pour être sur du moyen ou long terme. Devait-il y réfléchir à deux fois avant d’accepter la générosité calculée du binoclard ? Ce n’était pas comme s’il avait un autre toit en vue… Une nouvelle vague d’agacement s’empara du hackeur. A ses yeux, mettre des mots sur son passé de délinquant n’était pas dérangeant en soi. Il s’étonnait juste que son hôte se montre si pointilleux à ce sujet, comme s’il ne parvenait pas à s’imaginer ce que quelques mots englobaient réellement.

« T’es sérieux mec ? Tu t’sers de seringues tous les jours pour ton taf et t’as jamais plané ‘vec ? Pas étonnant qu’tu sois si coincé. » Un sursaut de fierté malsaine apparut sur son visage, étirant légèrement ses lèvres en un sourire tordu. Non, la démence n’était pas loin du tout… « Pense à faire un tour du côté d’l’Entre Deux une fois. Ça t’f’rait du bien. »

Le sujet ainsi expédié sous une couverture de sarcasmes piquants, ils purent revenir au salon. Le début de résignation de Sulkan aidant l’affaire. Ce fut presque sans surprise que ce dernier s’entendit répondre que le légiste ne possédait pas un tel poison parmi ses flacons. Le jeune hackeur était pourtant à deux doigts de parier le contraire… Etonnamment, la présence de son hôte se vit substituer par celle de l’animal, lequel revint à la charge, réclament ses caresses auprès du russe. Ce qui était bizarre compte tenu de l’intérêt respectif que lui portait chacun des deux bipèdes de l’appartement. Sur la liste des favoris aux caresses, Esteban se plaçait très largement en tête. Alors pourquoi diable le chat venait-il le voir lui ? Aucune idée. Ayant momentanément perdu l’énergie et la volonté de le repousser, Sulkan le laissa faire. Dans le fond, c’était plutôt agréable comme sensation : celle d’une boule de chaleur blottie contre son ventre. Lorsque le légiste revint, ce ne fut pas les mains vides et le russe accepta sans broncher la tasse de lait. Encore méfiant vis-à-vis de son hôte improvisé, il ne comptait pas y toucher pour le moment. Question de principe. Son regard chocolat se perdit dans le breuvage immaculé, néanmoins jalonné de sillons dorés rappelant le miel qui s’y trouvait ajouté, écoutant les explications d’Esteban auxquelles il ne pouvait qu’adhérer. Même nés à partir d’une même mutation génétique source de la transformation en Evolves, chacun d’eux possédait un pouvoir qui se manifestait différemment d’un individu à un autre. Comme cette femme de laquelle émanait un poison. Si le Gouvernement faisait disséquer vivants certains d’entre eux pour mieux comprendre l’origine d’une telle mutation, les résultats, si peu qu’ils y en avaient, demeuraient minoritaires. Rien d’étonnant donc, que les recherches sur les Evolves progressent lentement. Non, ce qui fit réagir de nouveau le russe, fut le mouvement de la sucette dans sa direction, suivi des paroles de son propriétaire. Quelque chose le gênait dans la manière de formuler du légiste. Comme si, d’une façon ou d’une autre, le jeune hackeur se verrait floué à un moment donné, que seul son hôte pourrait déterminer à l’avance. Etait-ce le fait que ce dernier n’engage aucune garantie à lui rendre sa vie d’avant tout en bénéficiant de sa collaboration forcée ? Ou plutôt le fait qu’Esteban reconnaisse le caractère désespéré de son offre tout en jouissant odieusement ? Peut-être un peu des deux en fin de comptes.

« Attends. Je n’ai pas dit que- »

Sa protestation se vit interrompre net par le mouvement en avant que fit le légiste dans sa direction. De nouveau cette proximité avec lui. Son cœur se remit à battre la chamade, très certainement plus de peur que d’excitation. Ce type était malsain, de A à Z. Essayait-il de le mettre en garde ? De le dissuader de couper court à leur deal naissant pour tenter sa chance ailleurs ? Quoiqu’il en soit, le rappel de l’existence de la Milice patrouillant à l’extérieur de ces murs, désireuse de l’attraper au plus vite, eut son petit effet sur Sulkan. Sans compter l’allusion funeste que son hôte se permit à ce sujet, visiblement plus au courant des méthodes de la Milice, une fois hors de portée des regards indiscrets des passants. Un violent sursaut le prit au contact de la sucette sur ses lèvres, preuve de sa nervosité. Le jeune hackeur repoussa son bras puis s’essuya les lèvres avec dégoût.

« J’suis pas ta chose. Et notre deal est valide uniqu’ment si t’fais tout pour me rendre humain. Sinon j’me casse. » attaqua-t-il, sur la défensive.

Visiblement disposé à atténuer la tension pour le moment, le légiste opta pour la conciliation. Il aurait été fastidieux et inutile de reprendre les négociations entre eux. Esteban avait raison. Il avait besoin de dormir. L’un comme l’autre d’ailleurs… Le russe fut toutefois surpris d’apprendre qu’il pouvait squatter le lit. Vraiment, le type se fichait royalement du genre humain. Et c’était un médecin ? Piqué au vif pour une raison inconnue du grand public, Sulkan redressa le menton en un geste évident de défi et répliqua :

« J’choisis le canapé. J’dors pas avec un mec. »

Son regard suivit la silhouette du légiste qui s’éloignait de lui. A mesure que la distance qui les séparait augmentait, le russe sentit son corps se détendre peu à peu. S’il se promettait de ne jamais totalement baisser sa garde vis-à-vis de son hôte, le trop plein d’émotions se faisait à présent ressentir. Il était épuisé. La tête pleine d’interrogations mais vidé de ses forces. Un détail lui revint alors.

« Hé. Esteban ? Retire-moi ces trucs. »

Se disant, il agita légèrement les menottes, laissant le cliquetis métallique de celles-ci parler pour lui. C’était gênant et encombrant. Surtout s’il voulait se faire la belle. Avec ces entraves de métal, il ne passerait pas inaperçu dehors. Le chat pour sa part, n’avait pas bougé un seul poil. Ses ronronnements continuaient d’émaner de son petit corps, pour parvenir aux oreilles du russe. Il ne se laissait pas de l’entendre, bien au contraire, il fut surpris quand l’animal s’étira lentement puis tourna la tête vers la tasse d’où émanaient d’alléchantes effluves. Sulkan n’y avait pas touché, trop méfiant envers le légiste. Mais en voyant le chat venir renifler la tasse, le jeune hackeur la descendit pour la mettre au niveau du félin, lequel finit par laper le lait avec entrain. Finalement, la boisson gracieusement offerte par Esteban ne serait pas perdue. Et si ce dernier en avait profité pour mettre quelque chose dedans, le russe s’en apercevrait bientôt au travers du comportement du chat qui l’avait visiblement pris pour maître. Plus tard dans la soirée, la tasse trouva sa place par terre et Sulkan s’allongea sur le canapé, fixant le plafond, l’animal toujours à ses côtés. Les prochains jours promettaient d’être étranges si ce n’est, dangereux pour lui. En dépit des mots rassurants de son hôte – plutôt rares venant de lui – les choses sérieuses ne tarderaient pas à démarrer. Et le jeune hackeur était au moins sûr d’une chose : il ne voulait pas se voir transformer en vulgaire cobaye ! Ce fut sur cette pensée qu’il s’endormit finalement, à moitié bercé par les ronronnements félins.
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