Get ready for boredom, kiddo !

Aaah, les matins. Les petits oiseaux qui chantent, la rosée qui humidifie le sol, l'air frais qui se réchauffe progressivement … Et la sonnerie affreuse de ce foutu réveil, les voisins qui s'engueulent dès le lever, les chiens qui aboient sans aucun motif dehors, le bruit … Je hais le matin. De tout mon corps, de toute mon âme. Et je hais encore plus quand j'ai mal dormi la veille, mais que je dois me lever tôt pour aller m'occuper de la bleusaille encore et toujours. Pas besoin de réfléchir bien loin pour savoir ce qu'il se passait dans la tête des hauts-gradés : « hey tiens, une mission bien chiante ? On va la refiler à Spica, c'est parfait ! ». Sales cons. Il faudrait vraiment que je change cette sonnerie, aussi. Elle m'agresse les oreilles. Vraiment un peu trop, même, si bien que j'envoyais valser ledit réveil contre le mur, qui se fracassa donc. Bon, au moins j'aurais la paix, et je pourrais profiter encore cinq petites minutes en larvant au lit … Naïve que je suis. Ces cinq minutes se transformèrent en une heure, et cette fois c'est la sonnerie d'un appel entrant qui me réveilla à nouveau. De mon supérieur, qui me demandait expressément, je cite, de me « bouger le cul à rejoindre la recrue » si je ne voulais pas avoir la marque de ses pompes joliment dessinée sur mes fesses. C'est donc la tête dans le brouillard, un rapide petit-déjeuner englouti et les cheveux en freestyle complet que j'enfilais mon uniforme, d'abord à l'envers, avant de me rendre compte de ma stupidité et ainsi augmenter mon agacement déjà fort élevé en cette heure matinale.


J'arrivais donc dans un premier temps au QG, afin de me briefer en vitesse, et de vérifier au passage quelques informations concernant le bleu que j'allais materner. Une certaine Lexus – tiens, comme la vieille marque de voiture -, de quatre ans ma cadette. Sa première affectation, donc. Cela ne faisait certes qu'un an que j'étais eraser, mais mes aptitudes n'en étaient pas moins solides et pouvaient rivaliser avec celles d'autres agents avec deux ou trois ans d'expérience de plus que moi. Seulement voilà, je suis une evolve, et les evolve ne sont pas affectés à ce qu'il se fait de plus intéressant. Sans déconner, surveiller le mur pendant deux jours et une nuit … C'est aussi passionnant que de chronométrer une course d'escargot clandestine. Je me dirigeais donc vers le lieu de rendez-vous, avec facilement une bonne demi-heure, si ce n'est trois quarts d'heure de retard, sortant en sifflant entre mes dents comme un serpent. La journée s'annonçait déjà au top, vraiment !


Je n'avais même pas pris le temps de me recoiffer. J'allais sans doute faire une excellente première impression, tiens. Comme d'habitude, mais en pire. Heh, si elle n'avait pas les nerfs suffisamment solides pour me supporter, c'est qu'elle n'était pas faite pour être eraser. A cette pensée, je ricanais pour moi-même, étant contente pour elle que ce ne soit pas le jour de mes règles, tiens. J'arrivais finalement sur les lieux, devant la porte numérotée du chiffre treize. Une femme, un peu plus petite que moi à première vue, qui semblait déjà s'emmerder autant que moi. Je m'approchais d'elle, levant légèrement la main en guise de salutations. Je pris la parole, de mon fort accent australien, afin d'entamer le dialogue.

« Alors, c'est toi la nouvelle ? Désolée du retard. Mon lit m'aime un peu trop, et j'avais pas trop envie de lui dire au revoir. Bref, je suppose que tu es au courant qu'on va s'amuser comme des petites folles, toi et moi, et ce toute la nuit jusqu'à demain soir ? Bien sûr que tu es au courant. »

Passant à côté d'elle, je tapotais son épaule, avant de lui faire signe de me suivre.

« Spica. C'est moi qui dois m'occuper de toi. J'espère que tu sais te débrouiller, parce que j'ai pas forcément envie de te materner. Mais bon, si tu as des questions, ou si tu vois un truc louche, appelle-moi quand même. Même si c'est qu'une impression. On est ok ? »

Mieux valait mettre ça à plat dès le début. Même si le mur était calme, on ne sait jamais, il pouvait y avoir un regroupement de pro-evolves, puisque cette zone est relativement délaissée à la surveillance. Même si j'en doutais fortement. Fixant dans les yeux derrière une mèche rebelle de ma chevelure totalement décoiffée et sauvage, je me rendis compte que mon ton était plus caustique que d'habitude, trahissant très largement ma mauvaise humeur. Oh, tant pis. Elle devra faire avec. Qu'elle voit ça comme un entraînement d'aptitude à être une bonne eraser, à garder son sang-froid ...

Get ready for boredom, kiddo !

Je pouvais donner un point positif à la jeunette face à moi : c'est qu'elle semblait disciplinée. C'est bien. Elle ne me coupa pas la parole, elle ne me regarda pas de travers en entendant mon accent à couper au couteau, elle ne semblait même pas irritée. Tant mieux, je n'étais pas sûre de pouvoir gérer une crise au bout de deux minutes de rencontre sans paraître méchante. Mieux, elle avait l'air de se détendre un peu et de retirer un bout du manche à balai qu'elle semblait avoir entre les fesses juste avant qu'elle n'arrive. Je crus même déceler de petites étoiles toutes brillantes dans ses prunelles lorsque je fis mon entrée. C'est mignon, la petite est sans doute impatiente de commencer … Elle risque vite de déchanter. Surveiller le mur, y'a rien de plus chiant comme mission officielle. Une fois mes explications terminées, elle me répondit du tact au tac, sans réfléchir, que je n'aurai pas besoin de m'occuper d'elle, qu'elle saura se débrouiller … J'ai hâte de voir ça. C'est ce qu'ils disent tous, avant de tout demander comme un enfant de cinq ans qui voudrait la permission de faire ceci ou cela. Je ricanais donc un peu à ses mots, qui respiraient l'excès de confiance.


« Ouais ouais, ça, on verra. De même. »


Polie, en plus, la recrue. Heh, elle pourrait presque me plaire, en fin de compte. Il ne manquerait plus qu'à ce qu'elle m'apporte à boire et un sandwich sur commande, et ce serait parfait. Mais c'est beau de rêver. Le jour où un evolve aura un bon petit larbin à ses ordres, faudra m'appeler, j'adorerais voir ça. Je notais également que oh mon dieu, elle me tutoyait. Enfin un bleu qui ne me donnait pas l'impression de prendre dix ans dans la gueule. C'est appréciable. Puisque visiblement, elle avait terminé de parler, je me concentrais sur la première tâche : examiner la porte, contrôler son état, et faire un rapport complet et détaillé. Un travail redondant et rébarbatif, je le filerai sans doute à Lexus, tiens. J'observais donc chaque recoin de ladite porte, son encadrement métallique, à la recherche de la moindre trace d'usure récente. Cela pouvait témoigner d'une activité potentiellement criminelle, si jamais il y en avait. Mais rien à signaler sur cette porte treize. Alors que je me retournais vers la tête rose, je fronçais les sourcils en voyant sa mine déconfite et paniquée. Allons bon, qu'est-ce qu'elle avait déjà à faire la vierge effarouchée ? Quoi, elle n'avait pas lu entièrement son ordre de mission, sérieusement !? Je pris mon front entre les doigts de ma main, soufflant légèrement. Super, ça commence. Plus je l'écoutais, plus j'étais en train de me dire qu'elle était en train d'essayer de faire une petite blagounette pour je-ne-sais quelle raison. Et franchement, j'espérais que ce soit le cas.


« Je cite : Je ne pense pas que me materner sera nécessaire, hein ? T'as jamais dormi dehors à la belle étoile de ta vie ou quoi ? Non, je vais pas simplement oublier ce que tu viens de dire. Déjà, la prochaine fois, lis ton briefing attentivement de A à Z, même si c'est chiant à lire tout ce blabla, ça t'évitera ce genre de surprises. »


Je croisais les bras, la toisant un peu de haut en bas. Mouais, elle n'avait pas l'air d'une campeuse, mais quand même, se poser cette question … Le mot « confort » était-il si important pour elle ? Dans ce cas, elle ferait mieux de rentrer chez elle maintenant, et qu'elle se trouve un autre job.

« On va dormir par-terre, avec un ou deux tours de garde chacune. Mais tu veux peut-être passer par chez-toi pour récupérer ton ours en peluche et un oreiller ? A moins que tu ne comptes sur moi pour te servir de couette. »

Allez Spica, respire. Il faut que tu restes zen. Levant les bras au ciel, je me retournais, continuant ma route.

« Bref. La première journée et cette nuit seront consacrées aux deux tiers du mur. Demain, ce sera la dernière portion, avant que quelqu'un d'autre ne prenne notre place. Simple comme bonjour. Bon, on s'y remet. Puisque c'est ta première mission, c'est toi qui va avoir l'insigne honneur de faire les rapports à chaque porte que l'on vérifiera. J'ai déjà vérifié celle-là, mets les formes pour dire que c'est ok. Et lésine pas sur les détails, du genre l'encadrement, la peinture, les rayures, tout ça, tout ça, d'accord ? Faut que ça ait l'air consciencieux, sinon, on va te faire chier. J'espère pour toi que t'as fait un cursus littéraire, ou que ta passion c'est d'écrire des poèmes. »

Plutôt ME faire chier, puisque c'est plutôt à l'evolve qu'à l'humaine qu'on allait s'en prendre, mais passons. Mieux valait qu'elle pense qu'elle jouait gros sur cette mission pour impressionner les hauts  gradés, elle ferait le travail scrupuleusement, et moi, je pourrais la jouer pépère pendant ces deux journées. J'attendais donc, adossée au mur glacé, bras croisés, profitant pour réarranger un minimum mes cheveux le temps qu'elle s'occupe de la tâche que je lui avais demandée. J'hésitais entre faire confiance à ses talents rédactionnels et m'en méfier, sachant pertinemment que si le rapport n'était pas au goût de ces messieurs dames décorés, dans tous les cas, on allait me tomber dessus, soit pour le motif de ne pas avoir bien enseigné à la petite Lexus, soit parce que le rapport était mal écrit … Bref, tous les moyens sont bons pour me casser les ovaires. Je ne pus donc m'empêcher de jeter un œil de temps en temps à son écrit, histoire de la superviser un minimum quand même ...

Get ready for boredom, kiddo !

Visiblement, la jeune recrue ne semblait pas encore s'être totalement mise dans la peau d'un eraser. Sa petite remarque franche me permit également de me faire une petite idée sur son foyer. Elle ne répliquait pas à mes remontrances, faisant preuve de sang-froid, mais je voyais bien à ses poings serrés que c'était pas l'envie qui lui manquait de se défendre. Bien, au moins, elle savait se contrôler, c'est déjà un bon point pour elle. Enfin, à condition qu'elle puisse continuer sur la durée … Elle laissa échapper quelques mots entre sa mâchoire serrée, m'assurant que cela ne se reproduira plus. Heh, comme si. Un sourire en coin étira mes lèvres, persuadée qu'elle ferait une autre erreur à un moment où un autre. Je ne répondis rien de plus, préférant enchaîner sur comment nous allions nous organiser pour cette mission, ainsi que sur le rapport à faire. Cela nous permettrait à toutes les deux de faire un léger break, et de respirer un bon coup.


Lexus sortit donc une tablette de ses affaires, et alla s'installer correctement pour faire sa rédaction. Cette pensée me donna l'impression d'être une professeure d'anglais qui allait devoir corriger une copie, mais il allait bien falloir passer par là. Furetant de temps à autres l'écran holographique pour vérifier ce qu'elle écrivait, je la laissais faire, ne voyant pas grand-chose à redire sur sa façon d'écrire. Elle m'indiqua que tout était bon, ce à quoi je répondis d'un hochement de tête. La marche du Super Amusement pouvait donc reprendre, yaaay. La suite des opérations se passa plutôt dans le silence. Ni Lexus, ni moi ne parlions plus que nécessaire. Ca se résumait à « Vérifie ce mur, vérifie cette porte. C'est ok ? Rapport. ». Au moins, elle prendrait vite la main pour la partie rédactionnelle de ce genre de missions, et on me foutrait un peu plus la paix quant à la qualité d'apprentissage de Cheveux Bonbon. D'un autre côté, malgré la rébarbativité de nos tâches, le silence qui régnait principalement me calmait un peu. Sans pour autant me faire sautiller joyeusement dans les pâquerettes – inexistantes -, disons que mon ton s'était un peu radouci comparé aux premières minutes de notre affectation commune. A présent, le soleil venait de cacher son dernier rayon derrière le point culminant du mur ouest. La température allait vite se rafraîchir, et l'ennui mortel n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez. Tch. Ma partenaire l'avait sans doute deviné elle aussi, puisqu'elle se mit à parler, pour faire la discussion. Et elle ne commença pas avec les questions les plus anodines. Elle me regardait, je la fixais dans les yeux quelques instants, avant de détourner le regard, le reposant là où il était précédemment : devant moi. Une nouvelle porte, frappée du numéro sept, se présentait à nous.

« Tu sais quoi faire. »

Pendant qu'elle pianotait sur sa tablette, j'avais croisé mes bras, et réfléchissais à ma formulation future pour répondre à sa question. Je n'allais pas lui dire clairement le pourquoi du comment, ce n'était qu'une bleue après tout. Et pour peu qu'elle soit peu favorable à la cause des evolves … Non, je préférais préserver mon humeur comme elle l'était actuellement, au lieu de potentiellement m'énerver.

« Parce qu'il faut bien des gens pour le faire. Les sciences c'est pas mon truc, et rester le cul assis sur une chaise derrière un bureau pendant des années non plus. »

Une réponse banale, qui en dévoilait que peu de choses sur mes intentions profondes. Je regardais Lexus terminer de rédiger l'énième rapport, lui faisant signe de rester assise.

« On va se poser un peu. Pas que marcher pendant des heures sans qu'il ne se passe rien c'est chiant, mais … si, en fait. »

Je m'installais à côté d'elle, la jambe droite tendue au sol, le pied gauche posé à plat, me massant un peu le cou.

« Bon. On va un peu faire le point jusqu'ici. Tes rapports sont bons, j'ai pas grand-chose à dire dessus. Fais juste gaffe avec ta tablette, ça peut se casser très vite. Pour le reste, tu maîtrises déjà l'art de t'emmerder, félicitations. »

Je soupirais longuement. C'est vrai qu'il y avait beaucoup mieux comme première affectation que celle de surveiller un mur. De plus, je savais très bien pourquoi cette surveillance devait durer aussi longtemps : ma présence en tant que partenaire de Lexus. Tous les moyens sont bons pour me gonfler. Je ne sais pas ce que je leur ai fait, en haut, mais ils ne m'apprécient vraiment pas. Peut-être à cause de ma persistance à retenter encore et encore l'entrée chez les erasers depuis que j'étais en âge de le faire ? Sans doute en partie.

« Et toi, pourquoi t'as décidé de rejoindre la Garde des Murs ? »

Mon ton était volontairement ironique et cynique. Cependant, je savais très bien que ce genre d'affectation était très important. Repérer les signes avant-coureurs d'une opération extrémiste passait par là. Souvent, les pro-evolves ou les anti-evolves se retrouvaient dans des coins éloignés, où la surveillance est faible. Logique. Le mur étant une construction très solide mine de rien, c'était donc un endroit parfait pour ce genre de rencontres … Bref. Je me demandais comment Lexus voyait les choses, de son côté. Et surtout, s'était-elle engagée pour pouvoir tabasser de l'evolve illégal ou révolutionnaire, ou bien ses intentions étaient-elles plus nobles et louables ? Mieux valait pour elle que ce soir le second choix, sinon, la fin de sa première mission risquait de très mal se passer.

Get ready for boredom, kiddo !

Au fil des rapports, je sentais bien que Lexus commençait de plus en plus à s'ennuyer. Elle lâchait même des bâillements à intervalles réguliers. Tout comme moi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons. Mon réveil du mauvais pied me restait encore en travers de la gorge, malgré tout ce temps passé. Ce n'était pas moi qui allais lui jeter la pierre, de toute façon, sur ce point. Si maintenant, on ne pouvait plus bâiller en mission … En revanche, lorsqu'elle prit la parole pour me demander mes motivations pour faire ce job d'eraser, outre le fait que je n'avais pas spécialement envie de les lui donner gratuitement comme ça, il y avait une raison professionnelle à mon silence. Parfois, mieux valait savoir se taire, car certains feraient n'importe quoi pour de l'argent, y compris pour balancer aux plus hauts placés des informations compromettantes sur chaque personne dans cette foutue ville. Ma situation était déjà relativement inconfortable, pas besoin de m'en rajouter davantage sur le dos. Et mieux valait faire taire Lexus, au cas où des oreilles traînaient et qu'elle se veuille légèrement pro ou anti evolves. Ce serait dommage qu'elle perde son job dès le premier jour à cause de son opinion. De nos jours, mieux valait se la garder plutôt que de l'étaler, surtout en extérieur. Cela dit, j'étais curieuse de savoir pourquoi une fille comme elle, qui ne semblait pas vraiment manquer de quoi que ce soit, décide de venir faire un travail éreintant, et pas forcément très gratifiant parfois.


Du coup, entre deux rapports, et aussi à cause de l'ennui beaucoup trop important, je décrétais l'heure de la pause afin de m'assurer que nous n'étions pas écoutées. Pendant qu'elle ne regardait pas, concentrée sur son rapport, je me concentrais suffisamment pour sonder les alentours proches de nous à l'aide de mon pouvoir. Parfait, il n'y avait que nous deux. La perte d'équilibre ainsi que la douleur vive qui tambourinait mes tempes fut ma réelle justification pour m'asseoir à ses côtés. D'abord, le plus important : commenter ses rapports. Je n'avais rien de spécial à dire dessus, autant qu'elle le sache. Par contre, je fis la moue en la voyant frotter ses yeux comme une enfant. Sérieusement, la nuit était à peine entamée … Elle avait quel âge, six ans, pour être fatiguée à l'heure des poules ? Je soupirais en me massant le crâne d'une main. Allez Spica, c'est rien, laisse pisser, ça vaut mieux. Je la relançais donc sur sa question précédente, non sans y répondre vaguement auparavant. Ah, la politesse … Puisque nous étions seules, elle était au moins légèrement protégée de tout rapport fallacieux sur son opinion géopolitique. Enfin, sauf si comme Nora, la Princesse Bouffe-mes-Semelles, c'était une harpie envers les evolves. J'écoutais donc sa réponse, les yeux clos pour tenter d'apaiser mon mal de crâne. Heureusement que je ne saignais pas, d'ailleurs. Je n'avais pas pris mes mouchoirs de sécurité, ce matin. Ses paroles me firent ricaner légèrement, un sourire moqueur sur les lèvres. Elle n'avait pas tort. Je trouvais même qu'elle avait plutôt raison. Mais mon dieu, quelle naïveté !

« T'aurais pu faire des études scientifiques. T'as l'air moins conne que moi, et t'aurais pu trouver de quoi virer les pouvoirs des evolves. »

Si elle voulait faire bouger les choses positivement, c'était à mon sens la meilleure place. Eraser, elle serait contrainte de prendre part à des traques, parfois très peu glorieuses, d'evolves. Et pour peu qu'on la foute avec Nora ou une connasse dans le genre, son petit rêve tout rose risquait de se faire éclater la gueule à coup de rangers. Elle me fixait, l'air un peu perturbée. Elle devait venir de se rendre compte qu'elle avait eu peut-être une trop grande gueule. Bien, au moins elle l'avait remarqué d'elle-même. Mais ça pourrait être marrant de la faire stresser comme une fillette … Eheheh. Je ne dis rien sur le moment, me contentant de garder ce sourire narquois qui s'était un peu agrandit à cette pensée … Mais je le perdis bien vite en entendant deux mots. « Red Week ». Instinctivement, ma mâchoire se serra, ainsi que ma main sur mon genou. Je la laissais terminer, laissant en suspens ses dires. J'essayais de me contenir intérieurement, afin de ne pas déverser mon acide sur Lexus, chose qu'elle ne méritait pas. Je poussais un long soupir, mêlé à un grognement suite à ses dernières paroles, qui se voulaient moqueuses.

« C'est surtout Bisounours Land dans ta tête. »

Ce coup partit tout seul, plus pressé qu'escompté. Je secouais la tête avant de la tourner vers la recrue.

« Un conseil, la prochaine fois, évite d'étaler tes sentiments sur ce qu'il se passe ici. Enfin, dans ton prochain job, j'veux dire. »

Je pianotais quelques trucs sur mon bracelet holographique, lui faisant croire que j'étais en train de rédiger un rapport sur son avis politique et sur nos supérieurs. En réalité, je faisais juste ma liste de courses. Une fois terminé, j'éteignis l'accessoire, avant de fixer à nouveau Lexus, qui devait sans doute tirer la tronche. Je ricanais fortement, avant de reprendre.

« Relax. J'faisais mes courses pour demain. C'était une blague. J'vais pas te balancer, alors respire, on dirait que t'as un balai dans l'cul, là. Au moins, ça t'aura réveillé. »

Je repliais ma jambe allongée pour la positionner à l'identique de sa sœur jumelle, le fourmillement à l'intérieur commençant à se faire gênant. Mon attention se porta à nouveau sur la recrue, et je repris la parole, toujours avec mon fort accent australien.

« T'as du bol que ce soit moi qui me soit occupée de toi. Si ça avait été quelqu'un d'autre, y'a des chances pour que ta première affectation ait été pire que celle-là. Si je peux te donner le conseil le plus utile dans ta vie d'eraser, c'est de la fermer sur tes idéaux. Y'en a qui sont là juste pour casser des gueules à coup de rangers. D'autres qui se prennent pour des super-héros. Evite de tomber dans cette case-là, parce que sinon, tu vivras l'enfer, surtout si on te fout avec quelqu'un que tu peux pas saquer. Fais ton boulot, ignore les autres qui te sont pas sympathiques, soit professionnelle, et ça devrait aller. »

Un sourire ironique vint se poser sur mes lèvres, quand je repensais à ma première affectation. Princesse Bouffe-mes-Semelles avait été ma coéquipière sur une intervention pro-evolve. Je n'avais pu m'empêcher de la provoquer, et on s'était joyeusement tabassées l'une l'autre. Sur d'autres missions aussi, et cela m'avait valu pas mal d'emmerdes. M'enfin bon, la jeunette n'avait pas l'air trop poussive sur ses provocations, alors je suppose qu'elle saurait s'arrêter quand il le faudrait.

« Tu dois être la personne la plus naïve que j'connaisse, mais eh, pour le moment, je t'aime bien. T'as de la chance. Je sais absooolument pas pourquoi, les trois quarts des erasers peuvent pas m'voir en peinture. Ca doit être pour ça qu'ils m'envoient surveiller les murs. Comme pour me mettre au coin. Je m'demande qui est le plus gamin, entre eux et moi. »

Un rire bref s'échappa de ma bouche. Passer ma vie à ne pas faire grand-chose, ça m'allait très bien aussi. Certes, ce n'était pas ce pour quoi je m'étais engagée avec insistance, mais au moins, je pouvais vivre sans trop de soucis.