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.Là où finit la nuit. [Lou] /Terminé/
lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



25.03.16 11:42
On faisait la fête ici avant !

Alors qu'ils se rapprochent peu à peu de l'esplanade de la Tour, Enoch réfléchit au conte que la rouquine lui a demandé, de même que font les enfants tassés sous la couette à l'orée du sommeil, et cela lui fait tout bizarre de s'imaginer à la place de sa propre mère auprès d'une Lou miniature. En pensée, il fouille sa mémoire à la recherche du récit qui aura le plus de chance de lui plaire ou, disons, le moins de chance de lui déplaire, tant il ignore si elle est réceptive à certaines histoires étranges comme il est coutume d'en entendre dans les pays de glace ; là-bas, nul prince charmant à la conquête de sa belle maudite, nulle couronne à revendiquer auprès d'une marâtre, nous ne sommes pas à Hollywood et ses royaumes féeriques. Mais plutôt une cruauté latente, enveloppée d'une poésie morbide et passionnelle. À l'époque, pétri de ces péripéties noires où les hommes se noyaient, les femmes mouraient de folie et les bêtes se précipitaient dans les gouffres, il avait compris assez vite l'étonnant paradoxe des contes de ces terres lointaines, pour qui la violence des déchirements n'avait d'égale que celle des sentiments. Tout y était intense et douloureux : la tristesse, les séparations, l'amour, les retrouvailles. Aucune mollesse, aucune retenue dans les émotions. Il fallait vivre, aussi brusquement que possible, parce que la mort ne rôdait jamais loin. Et la présence si coutumière de cette faux au-dessus de leurs têtes avait habitué les hommes de ces contrées à inventer des légendes dans lesquelles ils la domestiqueraient, lui opposant avec toujours plus de chaleur sa valeur complémentaire qu'était la vie. Ainsi les gens content-ils leurs histoires. Ainsi sa mère lui racontait-elle les siennes.
C'est vrai qu'il est peut-être allé un peu vite en besogne, au sujet du voyage. Qu'on ne s'y trompe pas ; sous ses aspects silencieux et racleur de murs, le garçon se révèle parfois impulsif et, plus d'une fois, s'est retrouvé en fâcheuse posture pour avoir lâché une réflexion ou un commentaire qui ne seyait pas à la situation. Bien entendu, proposer de partir au bout du monde à une inconnue et balancer à son collègue au long milieu d'une réunion qu'il ferait mieux d'arrêter de regarder du porno' sur son ordinateur de travail n'est pas tout à fait du même degré de malaise, mais pour sa défense, il redoute moins un passage à tabac par la rousse à la sortie du boulot que le sale moment qu'il avait enduré, jadis, lorsqu'il avait dû s'absenter pour satisfaire un besoin on-ne-peut-plus naturel. Il lui avait fallu presque une heure pour réussir à sortir des chiottes dont le loquet avait été accidentellement bloqué dans son dos avec, en prime, la rumeur comme quoi il avait passé le temps en compagnie de sa main droite. Ah, les joyeusetés entre adultes raisonnables. Vraiment, les voyages, c'était plus chouette. Il ne regrettait pas, et la remarque de Lou l'avait fait sourire intérieurement de son imprudence.

« Les Kliff ont émigré à Madison au début du siècle dernier et, s'il leur a fallu plusieurs années pour que leur ancêtre s'installe définitivement dans la joaillerie, ils n'ont jamais été très friands des technologies. Donc oui, il y a des classeurs partout, des archives à n'en plus savoir que faire, des dossiers dans tous les coins dont certains remontent même à 2158. Le bureau sent le vieux papier et la poussière, c'est très agréable. » C'est toi le vieux papier, hé, fantôme. Crois-tu sincèrement qu'une femme qui bosse en pharmacie pour faire progresser la science actuelle en a quelque chose à carrer de fibres de carbone et de cellulose arboricole format A4 ? Non, c'est vrai. D'ailleurs, ses questions possédaient cette légère nuance d'étonnement, comme si un document non informatisé de nos jours était aussi insolite qu'un sabre laser aux mains d'un Inuit médiéval. L'éventualité d'une vénération mystique en moins. Cependant, ces considérations temporelles à propos d'une obsolescence ou non du support-feuille avaient déjà disparu depuis longtemps, remplacées par un vague sentiment d'embarras à l'instant où Lou glissa son bras autour du sien, crochet du coude, prétextant un rapprochement pingouistique à la faveur du froid.
Sur le coup, Enoch ne sait pas s'il doit remercier la nuit d'être fraîche – merci la nuit d'être fraîche –, son corps de libérer un peu de chaleur – merci mon corps de libérer un peu de chaleur –, ou l'évolution darwienne propre aux populations de pingouins de l'Antarctique et d'ailleurs pour avoir pérennisé le concept de circularité réchauffante de groupe – merci l'évolution darw... Toujours est-il que cela ne l'embête pas du tout, du tout du tout, et que s'il a quelque chose qu'il évite de lui dire, ce n'est que le fait que lui n'a plus froid – ô miracle – depuis environ sept secondes. Inconsciemment, il resserre un chouïa son bras contre lui, un signal discret en réponse au sourire de sa voisine.
« Cela ne me dérange pas, précise-t-il alors qu'ils s'arrêtent enfin au pied de la Tour. Il fera meilleur à l'intérieur. Maintenant, il faut être discret, il paraît que le gardien ne laisse passer que les gros porte-feuilles, si tu vois ce que je veux dire... » Sans doute qu'elle entend bien ce que cela signifie : le droit d'accès se monnaye selon l'épaisseur de la liasse, petit privilège que s'octroie l'employé de nuit considérant que son travail est assez mal payé pour raquer les idiots prêts à financer un accès censé être gratuit. À ceci près que les porte-feuilles en dur, tangibles, n'existent plus que dans les brocantes, et que désormais un simple scan des bracelets débite l'argent des plus nantis. Progrès que tout ceci. « Suis-moi, je connais une autre voie. »

Si le garçon relâche le bras de Lou, ce n'est que pour lui saisir la main un instant après et l'emmener sur un côté de la Tour, loin de l'entrée principale que surveillent les caméras et le fameux concierge. Passé une haie de végétation synthétique derrière laquelle, contre la façade vitrée, on aperçoit une plaque commémorative datant de l'ancien mémorial des années 2000, conservé par pure nostalgie, et peu après l'angle que forme l'édifice avec un muret et une étroite ruelle destinée aux livraisons, il y a une porte blindée, verrouillée par un code mais dépourvue de vidéo surveillance : l'entrée des techniciens de surface, des anonymes qui travaillent à rendre les lieux proprets pour les bureaucrates, des commis de cuisine au self du rez-de-chaussée et autres petites mains nécessaires à l'entretien des locaux. Si Enoch connaît le code ? Il change tous les mois, quatre chiffres, quatre lettres, c'est Anselme qui lui a dit. Normal, ses parents bossent ici même. En théorie, celui qu'il lui a fourni il y a trois semaines, alors que l'enfant lui parlait des petits bénéfices d'être le fils de, fonctionne toujours. Est-ce qu'il avouera à son ami s'en être servi pour emmener une fille là-haut ? Peut-être pas. Sauf que, sur le moment, il bénit le petit blond de lui avoir ainsi communiqué cette information, pendant que ses doigts libres pianotent sur le clavier dissimulé dans la paroi.  
Petit bruit satisfait du mécanisme. Une diode verte palpite, le verrou se déclenche, laissant l'Ancien ouvrir précautionneusement la porte, au cas où un vigile se situerait dans la pièce juste derrière. Juste avant de s'introduire à l'intérieur, il se tourne vers Lou et mime le mutisme, l'index devant la fine courbe de son sourire. Motus. Ce serait trop bête de se faire recaler avant d'avoir atteint l'ascenseur. À partir de là, c'est mission infiltration.
Par ailleurs les lieux sont vides, bien qu'éclairés. Le couloir de service, constellé d'appliques d'un jaune douteux, est recouvert d'un gris métallique qui rappelle les cuisines d'un vieil Holiday Inn, les odeurs de graillou remplacées par celle de la javel et de la clope froide. Des portes closes, que l'on devine renfermer des vestiaires ou autres vestibules exigus, jalonnent le chemin jusqu'à un mince escalier ; à l'extrémité, un carrefour. Sur la droite, on retourne vers le sas d'entrée, avec le gardien de nuit qui fusille du regard quiconque ne lui présenterait pas une pièce d'identité et la carte d'employé des bureaux. Sur la gauche, un panneau indiquant « Ascenseur de service – site panoramique – issue de secours – parking souterrain ». Quatre en un. D'un mouvement de tête, Enoch indique à Lou la direction qu'ils prendront et, à pas de loup, l'emmène jusqu'à l'appareil. Il ne détend sa respiration que lorsque où les portes se referment dans leur dos mais, sans s'en rendre compte, garde la main de la rousse dans la sienne. Il y reste accroché, un morceau d'étoile au creux de la paume. S'adosse à l'une des parois de l'habitacle qui décolle, direction le ciel. Un soupir de soulagement avant qu'il ne reprenne la parole.

« Voilà, on ne risque plus rien. Tu as moins froid ? » Le décompte des étages indique soixante-dix-sept. L'ensemble étant assez vieillot pour l'époque, ils en ont pour un moment avant d'atteindre le palier final – ce qui explique peut-être pourquoi si peu de personnes l'empruntent encore : cinq minutes de claustrophobie, c'est insupportable. Pourtant, à partir du trentième plafond, l'ascenseur quitte la partie murée et, grâce à ses cloisons transparentes, l'on distingue l'extérieur et la ville jusqu'à atteindre le toit. De la patience, voilà tout.
« C'est un ami qui m'a confié cette astuce. Il connaît l'endroit comme sa poche, parce que ses parents sont cadres dans ces bureaux. » La classe. Pour tout l'or du monde, il ne voudrait pas y travailler. Ou alors en ramoneur, tout en haut. Mais les cheminées n'existent plus depuis longtemps. « Si tu veux, nous avons le temps pour une histoire. Je raconte assez mal, par contre, alors ce ne sera sans doute pas aussi inspirant que cela devrait. » Le regard de Lou, bleu astral, l'encourage autant qu'il le paralyse. Ses iris à lui cherchent dans le plafond la réminiscence de ce conte qui, à son goût, suffira à faire oublier le temps.
« Il y a bien longtemps, lorsque les grands-parents de nos grands-parents étaient encore enfants, une jeune femme qui avait fait quelque chose que son père réprouvait, mais dont personne ne se souvenait. Pour la punir, il la précipita du haut d'une falaise, droit dans la mer où les poissons dévorèrent jusqu'à ses yeux. L'endroit, dit-on, devint hanté et les marins ne s'en approchèrent plus. Arriva un jour un pêcheur, ignorant de ces légendes, dont l'hameçon se prit dans les os de la femme-squelette qui lutta pour s'extraire de ce fil, rester au fond des eaux, en vain. Il la ramena à bord de force et fut épouvanté de cette apparition ; un monstre aux orbites habités de corail, à la peau couverte de bernacles et aux cheveux d'algues, qui s'accrochait au bastingage avec les dents. Il essaya de la rejeter, de la frapper avec une rame, mais il n'avait pas vu qu'elle était prise dans ses filets et qu'il avait beau fuir vers le rivage, elle suivait désespérément son sillage, toute emmêlée, les os sens dessus dessous.
Parvenu à terre, le pêcheur continua de courir, loin, très loin de cette prise terrifiante, abandonnant son bateau, n'emportant que la ligne au bout de laquelle, toujours, la femme-squelette était coincée. Il pensait qu'elle le pourchassait pour le manger. Il escalada des rochers, traversa les steppes glacées, horrifié, jusqu'à atteindre sa maison où il s'enferma en priant les dieux de l'avoir épargné. C'est alors que, allumant une lanterne dans le noir de la chambre, il vit qu'elle était là, recroquevillée sur le sol, un méli-mélo d'ivoire et de morceaux de varech, un crabe encore vivant dans un trou de son crâne. Plus tard, le pêcheur ne sut expliquer pourquoi – la lueur de la flamme avait-elle révélé quelques traits humains ? –, toujours est-il qu'il se calma, tendit ses mains vers elle et, minutieusement, commença de la désenchevêtrer. Il s'y appliqua jusqu'à la nuit, remit même ses os dans le bon sens et la couvrit d'une fourrure pour qu'elle ait chaud. Il alluma un feu avec ses cheveux et, tout en la regardant, continua de s'occuper de son matériel de pêche. Elle, elle le regardait en silence, enfin, si tant est que ses yeux vides pussent le distinguer, et elle resta ainsi, sans un mot, jusqu'à ce qu'il alla se coucher.
Alors la femme-squelette, profitant de son sommeil, s'allongea près de lui. En douceur, pour ne pas le réveiller, elle plongea sa main en lui pour attraper son cœur, s'assit et tapa des deux côtés : bam bam, bam bam
– Enoch imita le geste comme sa mère le faisait avec ses doigts fins, bam bam, petit myocardeEn même temps, elle chantait ''De la chair, de la chair !'' et plus elle chantait, plus son corps se couvrait de chair. Elle chanta pour une chevelure, et des cheveux lui poussèrent ; elle chanta pour des yeux, et des yeux fleurirent dans ses orbites ; elle chanta pour des mains, des jambes, pour un ventre qui tiendrait chaud, et tout cela l'enroba de nouveau. Quand ce fut fini, elle se glissa contre l'homme, lui rendit son organe, son tambour de vie, et c'est ainsi qu'ils se réveillèrent au petit jour, emmêlés l'un à l'autre, mais d'une meilleur façon.
L'on dit qu'après cette nuit, elle s'en alla avec le pêcheur et qu'ils vécurent ensemble, nourris par ces mêmes créatures qu'elle avait côtoyées si longtemps sous les flots, et qu'ils ne manquèrent jamais de rien. Ce qui est vrai, car tout ce que l'on raconte là-bas s'est réellement passé.
 »
Fin. Jamais il n'a autant parlé. Cela doit se voir à ses yeux brillants, ses joues rosies de cet auditoire impromptu. Maintenant, aura-t-elle apprécié ?
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
evolve



28.03.16 16:55
Une vague explication sur l’histoire de la famille de ses employeurs, et la description des odeurs de papiers hors d’âge. Je haussais un sourcil dubitatif. Je dois avouer que les vieux ouvrages ont un certain charme, moi-même j’en ai quelques-uns à la maison, appréciant tourner les pages plutôt que de switcher sur un écran, sentir le papier sous mes doigts au lieu de la surface vitrée d’une liseuse, et m’étonner de me couper la peau sur la tranche d’une page. Mais entre se donner corps et âme dans une folle aventure racontée dans un roman papier, et tenir des comptes dans des livres poussiéreux, il y a de la marge.
Parfois, Enoch me semble sorti d’une autre époque. Il n’a pas profité de sa jeunesse, pas de soirées étudiantes, pas de petites nana dans son lit, ne serait-ce que l’espace d’une nuit, un périple à travers le pays pour attendre dans la pire ville au monde, un amour inconditionnel pour le papier et les travaux manuels…

Je me demande à quoi a ressemblé sa vue jusqu’à présent, dans son espèce d’univers parallèle. Il m’intrigue, je voudrais en savoir plus, ne plus le lâcher tant que ma curiosité ne sera pas entièrement assouvie. Mais m’accrocher comme ça à un humain est une mauvaise idée. A trop s’attacher, trop se découvrir, je risque bien de laisser filer des infos sur ma condition d’evolve. Et ça, c’est hors de question. Qui sais comment réagissent les Hommes à la vue d’un être trop proche d’eux pour être considéré comme une autre race animale, mais trop éloignée pour avoir totalement sa place dans la société ?
Je repenses aux semaines entières passées cloitrées dans la maison familiale, à cause d’une malheureuse histoire d’allumage au lycée, et des « railleries », pour rester polie, de mes chères « petits camarades ». Les ados sont cruels.


Enfin arrivés au pied de la Tour, Enoch m’annonce qu’on ne pourra pas passer par l’entrée principale à cause d’un gardien un peu trop vénal. Ah c’est du propre ça de faire payer l’entrée à un lieu pourtant gratuit à la base, de profiter de son pouvoir pour se jouer des pauvres poires voulant juste profiter de la vue. Mais du coup… Demi tour ? Non. Mission d’infiltration.

Je suis le jeune homme à l’arrière du bâtiment, me laissant tirer par la main, me concentrant plutôt à ne pas trébucher sur un obstacle caché dans le noir. Il nous conduit devant une porte de service, verrouillée par un code. Retour à la case départ donc, nous sommes toujours coincés dehors. Enoch ne semble pas l’entendre de cette oreille et pianote sur le clavier numérique. Je vais le découvrir expert de l’infiltration et du craquage de codes de sécurité maintenant ? Il semble connaitre la combinaison. De plus en plus étonnant ce garçon.

Je hoche la tête lorsqu’il me fait signe de rester silencieuse. Si j’avais connu à l’avance le programme de ma soirée, j’aurais opté pour les baskets plutôt que les bottines à talons. Me hissant un peu d’avantage sur la pointe des pieds, je décolle mes talons d’un petit centimètre du sol, les empêchant de claquer sur le carrelage douteux à chaque pas.  
L’odeur de tabac froid et de javel me prend au nez, je fais la grimace et préfère respirer par la bouche durant le reste de l’aventure dans les couloirs à la lumière jaunâtre.
Je laisse Enoch me guider, suivant sa tignasse blanche comme un phare guidant les navires dans la nuit. Une intersection plus tard, nous voilà dans l’ascenseur. Je débloque ma respiration qui s’était presque arrêtée sans me demander mon avis.

Je souris à mon compagnon d’un soir lorsqu’il s’autorise à nouveau à parler.

– Ca va mieux oui. Pendant un moment je me suis demandé si t’étais pas une sorte d’agent secret et que ton boulot à la bijouterie n’était pas qu’une couverture. Mais si on t’a filé le code, tout s’explique.

Je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et laisse glisser ma main le long de mon cou, l’encourageant à me raconter les contes de son enfance d’un regard impatient.
Alors qu’il entame son récit, je ne le quitte pas les yeux, buvant ses paroles comme un précieux nectar. Sous mon crâne, la scène se rejoue, les personnages prennent forme, je me vois, tantôt à la place de l’un, tantôt à celle de l’autre.
J’imagine ce qu’a du ressentir cette jeune femme en se voyant envoyée par le fond par son propre père, les poissons la dévorant petit à petit, et la solitude dans les fonds marins. J’imagine le pêcheur, prenant des traits familiers empruntés à plusieurs hommes que j’ai connu, la fuite, le désarroi et la peur en voyant que la jeune femme l’a suivi. Puis une ébauche de tendresse, l’humanisation de ce ta d’os emmêlés. Lorsqu’Enoch mime la jeune femme tapant sur le cœur de l’homme, ma main vient couvrir ma bouche, cachant le O parfait qu’elle forme. J’ai l’impression de retenir ma respiration, que mon propre cœur bat trop fort, j’ai peur pour le pêcheur, qu’elle le tue, qu’elle lui vole son corps, sa jeunesse, la vitalité, mais la voix du conteur vient me rassurer sur son sort. Finalement, je laisse retomber ma main à l’écoute de cet happy end peu banal.

Le silence retombe dans la cabine d’ascenseur, j’ai toujours les yeux rivés dans ceux d’Enoch, ne sachant quoi dire suite à ce conte. L’histoire est belle et cruelle, comme beaucoup de contes avant qu’ils ne soient édulcorés pour être racontés à des gosses.

- Merci, c’est une belle histoire.

C’est bien nul comme remerciement, mais je ne sais pas quoi lui dire de plus. Je me sens un peu bête, presque choquée par le récit, moi qui réclamais pourtant à mes parents qu’ils me lisent l’Odyssée avant de m’endormir et qui m’émerveillait de voir Ulysse rentrer à Ithaque et décimer les prétendants de Pénélope avant de les entasser sur le paillasson.

- J’aime bien les contes qui changent de la pauvre princesse à sauver, et les récits de marins sont souvent riches. Ce n’est pas ce qui doit manquer sur une île. Je reprends mon air mutin et lui pince une joue. Peut-être que finalement j’irais en Islande avec toi pour en entendre d’avantage.

Un sourire, puis je balaie ce que je viens de dire d’un signe de main, espérant oublier par la même occasion que ce n’est pas demain la veille que je pourrais découvrir le monde.
Je lève les yeux vers le décompte des étages. 68. 69. 70. On arrive bientôt. Déjà par les parois vitrés on eut apercevoir un bout de la ville, éclairées de ses petits réverbères et des lumières des appartements des couche-tard. C’est beau. Et finalement, j’ai peut-être un peu le vertige, je ne me sens pas à l’aise dans cet ascenseur.
Les yeux perdus dans les lumières de la ville s’étendant sous nos pieds, je me raccroche aux doigts d’Enoch, comme si ça pourrait empêcher les câbles de céder, la cabine de dégringoler plus de 70 étages sans rien pour freiner la chute, et nos corps de s’écraser au rez-de-chaussée. Je serais plus à l’aise une fois au dernier étage, avec un sol en dur et les grincements de la machine en moins.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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28.03.16 20:50
Il pourrait être n'importe qui, passer pour n'importe quoi. Devenir cet agent secret auquel Lou avait fait allusion – my name is Bond, 'Noch Bond, débile –, ce riche entrepreneur issu de la famille Rothschild en pleine infiltration dans les locaux d'adversaires présumés, cet étudiant sans intérêt qui imite des dialogues de films pour courtiser une fille avec laquelle il n'a aucune chance. Sauf qu'à la place il se fait conteur, il se fait aède à la recherche des émotions de son enfance, des mouvements de lèvres maternelles, et il tente du mieux qu'il peut de retranscrire ces sentiments qu'il croyait trop fragiles pour être partagés. Alors que le récit se termine, une image furtive de la personne qui lui manque le plus au monde traverse son esprit, une flèche de nostalgie perfore son crâne de part en part et, pour ne pas laisser la douleur affluer à ses yeux, ses phalanges pressent davantage celles de la rouquine, telles une étoffe que l'on serre entre ses doigts en espérant y retrouver la peau de l'autre. Pourtant il n'y retrouve rien, la main de Lou est trop différente, gracile, d'une agréable tiédeur, rien à voir avec le souvenir qui déjà s'efface de ses pensées ; puis elle le remercie et achève ainsi de le ramener au temps présent. La silhouette s'est éloignée, lui rappelant ce qu'il sera toujours. Le fils unique d'un père absent.
Sagement, Enoch écoute la jeune femme argumenter son appréciation, tout en se félicitant en silence d'avoir bien choisi son thème. Une chance qu'ils aient ce point commun de ne pas aimer les princesses en mal d'un tueur de dragons. S'il la questionnait à ce sujet, il mettrait même sa main au feu qu'elle préférerait les dragons, ce à quoi il ne pourrait qu'acquiescer – parce que les animaux imaginaires, c'est génial, hormis celles qui parlent dans votre tête bien sûr. En revanche, le garçon n'avait pas prévu qu'elle fasse un de ces gestes pour accompagner son commentaire, le genre à le faire reculer malgré lui comme s'il allait se prendre un coup, comme si on allait lui crever un œil. Mauvais réflexe. L'exiguïté de l'ascenseur, cependant, l'empêche de l'esquiver tout à fait, si bien qu'il accuse le pincement avec une stupeur confuse. Curieuse façon de remercier quelqu'un ; est-ce propre à la gent féminine ou bien est-ce lui qui n'a vraiment, vraiment aucune idée de comment se comportent ces créatures étranges que l'on nomme « filles » dans les encyclopédies sur le corps humain ? Machinalement, il porte deux doigts à l'endroit où elle l'a touché tandis qu'un timide sourire fend son visage et qu'il ajoute :
« Si ce n'est que pour en écouter d'autres, il te suffit de demander. » Pas la peine de traverse l'océan pour ces historiettes ! Il en possède de nombreuses en réserve, si cela lui chante ou l'enchante.

À la faveur du silence, les derniers étages clignotent, la sonnette d'arrivée tinte et les portes mal graissées de la cabine s'ouvrent enfin sur un mince corridor dont l'unique extrémité est barrée de double battants. Au-dessus du passage, un écran holographique projette des indices météorologiques, l'heure – 22 h 53, semble-t-il, sauf si l'horloge est en vérité bloquée depuis Mathusalem – la pression atmosphérique à cette hauteur, l'humidité dans l'air, bref, toutes ces précisions inutiles qui rassurent tous ceux qui s'imaginent que le savoir les aidera à mieux dormir le soir. Enoch ouvre la marche, pousse une des portes et les introduit dans la pièce finale. Plongée dans la pénombre, elle dégage une forte odeur de feutre neuf due à la moquette ; une pile de chaises et quelques tables repoussées dans un coin témoignent de l'ancienne utilisation de l'espace, pendant qu'un ficus synthétique déploie ses tiges plastique et ses feuilles textiles jusqu'au sol. Les trois murs principaux, à l'exception de celui d'où ils viennent, sont d'immenses baies vitrées donnant sur Madison illuminée, cet océan de ténèbres que constellent des paillettes d'halogènes. Pas un bruit, si ce n'est le frottement de leurs semelles et la cadence régulière de leur respiration. Face au spectacle de la nuit en contrebas, le fantôme ne peut s'empêcher de s'écarter de Lou pour se placer au pied du vide avec une exclamation ravie. N'eusse été le verre, il serait tombé à s'approcher ainsi de la paroi translucide.
« C'est magnifique... » souffle-t-il pour lui-même.
Et c'est vrai que c'est splendide, cette sombre soierie étalée au regard, ce tapis d'étoiles en haut, en bas, le ciel à la place de la terre, la terre à la place du ciel, et eux entre les deux. Il en oublierait presque que l'on distingue au fond, serpent de pierre, le Mur qui asphyxie la cité depuis des décennies. S'il avait le pouvoir de voler, là, tout de suite, il fuirait par-dessus les toits, dépasserait les infranchissables frontières et irait se perdre au dehors. Mais il n'a pas ce don. Alors il se contente d'indiquer un amas de construction à Lou, non loin.
« Nous étions par là, tout à l'heure. L'on aperçoit le petit square derrière les immeubles. » Il se tourne à demi vers elle, l'index en direction de ce qu'il commente, jusqu'au moment où il constate sa bêtise et s'excuse soudain : « Oh, pardon, peut-être que tu as le vertige ? Je n'ai même pas pensé à te demander. » Soixante-dix-sept étages, sacré nombre. Parlons peu, parlons bien, aucune tour dans un rayon de cinquante kilomètres, si ce n'est plus, ne dépasse celle-ci. Donc oui, pour les non-initiés à la hauteur, la nausée peut rapidement survenir pour peu que l'on soit sensible à ces variations. Néanmoins, à peine Enoch a-t-il mis son ongle en contact avec le verre qu'il manque de bondir en arrière, pris de court par la réaction tactile en découlant ; la surface se couvre aussitôt d'une cartographie rigoureuse de l'espace, avec des flèches, des halos lumineux, une nomenclature colorée. Un GPS élargi à la vitre entière, en somme, qui fluctue selon les intentions de l'utilisateur, la recherche qu'il souhaite, voire s'il désire écouter de la musique en se connectant à l'Internet. On n'arrête pas le progrès. Cependant l'Ancien, inadapté à ces facéties futuristes, n'ose plus s'en approcher et, penaud, ne sait pas comment virer toutes ces informations qui gênent sa contemplation. Au secours, bienvenue dans le futur !
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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28.03.16 23:22
Ting ! Nous sommes arrivés. Excitée comme une gamine le jour de Noël, j’ai hâte de découvrir la vue splendide que le jeune homme m’a promise. A quoi ressemble la ville vue du ciel ? Peut-on encore distinguer les passants ? Sans doute ont-ils la taille de minuscules fourmis vus d’ici. Est-ce que je vais retrouver mon immeuble ? Le boulot ? La maison de mes parents ? Le cimetière de ma mère ? Tous les lieux importants à mes yeux. Qu’est-ce qui est éclairé et qu’est-ce qui ne l’est pas à cette heure… 22h53 ? J’aurais juré qu’il était plus tard, sans doute une illusion due à la fatigue de la semaine, les shooters, et mon repas trop maigre de ce soir.
Pression atmosphérique, température, âge du capitaine, on s’en branle. Franchement, qui s’intéresse à ce genre d’infos, alors que derrière cette porte à double battants se trouve l’entièreté de Madison ? Se sentir tel un roi du monde, la ville à ses pieds, est bien plus palpitant que de s’arrêter sur une série de chiffres. A moins que la tour ne serve également de station météo, dans ce cas, je m’incline et retire tous mes persiflages.

Pénétrant enfin dans la pièce, quittant la lumière blanchâtre des néons du couloir pour se retrouver enveloppés dans la douce pénombre de ce qui ressemble à une ancienne salle de réunion, avec sa fidèle plante en plastique et ses chaises entassées, je m’extasie déjà de la vue.
La moquette au sol étouffe le bruit de mes talons, tout est calme, d’un calme olympien, calme qui nous permet de profiter pleinement de la vue qui s’étend devant nous presque à 360°.

Je regarde Enoch se pencher au-dessus du vide, l’espace d’un instant j’ai un mouvement de recul, comme un haut de cœur en voyant cette hauteur. Moi qui pensais être plus à l’aise une fois sortie de l’ascenseur, je crois bien que je me découvre un vertige latent jusqu’alors.
Je finis tout de même par m’approcher de la vitre, gardant une distance de sécurité raisonnable, les yeux irrémédiablement attirés vers toutes ces petites lumières. Si on prend en moyenne 3,30 mètres par étage pour un bâtiment renfermant des bureaux, multiplié par les 77 étages que nous avons gravis dans cet ascenseur, ça nous donne un peu plus de 250 mètres… Tout de même… Et environ 1540 marches à prendre à pieds en cas de panne de l’ascenseur. Bon sang, si, j’ai le vertige. D’ailleurs, Enoch s’en inquiète soudain, comme si on venait de réaliser la chose tous les deux en même temps.

– Et bien, je ne pensais pas avoir peur des hauteurs, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’aller si haut…

Je n’avoue qu’à demi-mot. La loose. Moi qui adorais faire de l’acrobranche en famille le dimanche quand j’étais gamine, qui me laissais tomber, retenue uniquement par une tyrolienne, de la cime d’arbres immenses, me voilà à surprendre mes mains à trembler toutes seules à la simple idée des 250 mètres me séparant du sol. Ce n’est pas franchement la même échelle.
C’est frustrant, d’un côté, je me dis qu’un accident est si vite arrivé et qu’à m’approcher trop près du bord, je risque… Quoi d’ailleurs ? Que le verre se brise tout seul et que je me retrouve à chuter indéfiniment ? Et de l’autre, j’ai très envie de dévorer la ville des yeux, d’en découvrir les moindres recoins, et de me laisser absorber par ce splendide spectacle.
Si je me mets à quatre pattes, bien près du sol, peut-être aurais-je moins peur de tomber et pourrais-je m’approcher un peu d’avantage du verre pour observer la ville…
Je balaie rapidement ces pensées stupides en voyant Enoch sursauter à l’apparition d’une interface lorsqu’il touche la vitre. Comme une poule à qui on aurai donné un couteau, le jeune homme ne sait plus quoi faire, et la vue est bouchée par toutes les informations affichées à l’écran.

Je m’approche, franchissant tant bien que mal les derniers centimètres me séparant du verre, et de quelques mouvements de doigts habiles, habitués, réduis toutes les fenêtres et verrouille l’interface qui n’affiche alors plus qu’une icône permettant de réactiver le mode tactile.
Posant les deux mains sur la surface vitrée, je me laisse glisser jusqu’à m’assoir sur la moquette presque neuve. J’abandonne mon sac à côté de moi, défait le foulard pour le poser au-dessus. Voilà, de moins haut, j’ai moins peur. Parce que c’est bien vrai que lorsqu’on est déjà à plus de 250 mètres, mon propre mètre 65 change la donne…

Je fixe la ville, perdant mon regard dans les ruelles par-ci par-là, retenant les embardées de mon cœurs lorsque l’appelle du vide se fait sentir, et laisse aller en un flot de paroles toutes les idées farfelues qui me sont passées par la tête en voyant la réaction du jeune homme face au tactile innatendu un peu plus tôt.

– J’ai quelques théories… Tu étais un ermite avant de venir à Madison, ce qui expliquerait le fait que tu n’aies jamais participé à une soirée étudiante, que tu sois aussi dérouté face à la technologie, et ton amour pour les livres de comptes format papier. Ou alors tu viens d’une autre planète. Tu es une forme de vie extra-terrestre venue sur Terre pour étudier la race humaine. Par contre, Madison n’était peut-être pas le bon choix, c’est quand même un sacré repère de dingues. Ou alors, mafieux repenti, le FBI a voulu te protéger suite à ton témoignage qui a envoyé en tôle bon nombre des grands pontes de l’époque, mais étant donné que tu n’étais en sécurité nulle part sur terre, ils t’ont cryogénisé pour ensuite te décongeler dans le futur, là où il n’y aurait plus aucun mafiosi pour te faire la peau. Sinon, on peut aussi combiner le tout et supposer que tu es sorti de la saison 143 de Doctor Who, que tu es le 51eme Docteur, et que tu voyages dans le temps et l’espace.

Je m’interrompt, relève les yeux vers lui secouant doucement la tête en lâchant un petit C’est tout à fait ridicule… avant de retourner à l’observation de la ville. Le regard perdu dans les loupiottes brillant au loin, je reprends d’une petite voix.

– Ou alors tu es juste un garçon un peu atypique que je suis en train de vexer avec mes théories foireuses. Le cas échéant, je suis vraiment désolée, et la prochaine fois je tournerai sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler.

Les mains toujours posées contre le verre, je plisse les yeux, gênée dans ma contemplation par un reflet sur la vitre. Je détourne un peu la tête, tente de changer d’angle, pensant que le reflet est dû à la lumière de l’écran indiquant les variables chiffrées de la nuit, puis je me rappelle que le dit écran est derrière la double porte, que la salle dans laquelle nous nous trouvons était jusqu’alors plongée dans le noir et que les seules sources lumineuses des environs viennent de l’extérieur ou, de moi.
J’ai un moment de panique, depuis combien temps ça dure ? Quand-est-ce que je me suis allumée ? Quand mon cœur a commencé à s’emballer à cause de cette soudaine peur de vide ? Plus tôt, plus tard ? D’un coup d’œil, je regarde mon reflet dans la vitre, la lueur, plus vive que tout à l’heure sur le balcon, part de ma poitrine et s’étend le long de mes bras jusqu’à atteindre mes coudes, jusqu’à mon nombril, et remonte le long de mon cou. J’irradie littéralement, la lumière est clairement visible, même à travers le tissu recouvrant mon corps, et le coup de flippe soudain en m’en rendant compte n’améliore pas la situation.

Je décolle mes mains de la fenêtre et les croise devant mon buste, comme si cela pouvait cacher quoi que ce soit. Les yeux relevés vers Enoch, je le regarde comme une biche regarde les phares d’une voiture roulant droit sur elle.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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29.03.16 21:21
Plusieurs secondes s'écoulent durant lesquelles Enoch, perturbé par ces lumières intempestives sur la vitre, refuse de faire un mouvement, moins par crainte d'aggraver le procédé que par pure contrariété face à son inadaptation. Quelle image doit-il donc renvoyer à Lou, si ce n'est celle d'un garçon apeuré par quelques circuits électriques, au courage battu en brèche par une poignée de malheureuses connexions ? Pourtant, la rouquine ne relève rien, ou fait mine de ne pas commenter ce qui lui a sans doute sauté aux yeux, et il en éprouve une étrange gratitude ; elle aurait pu rire mais s'est abstenue, elle aurait pu se moquer mais sa bouche demeure close, il n'y a que ses doigts qui viennent à sa rescousse pour chasser les tracés multicolores et ramener le verre à son obscurité d'origine. En un glissement de phalanges. Précis, ordinaire. Une banalité comme une autre. Maintenant c'est elle que le fantôme observe lorsqu'elle plaque ses paumes sur le support, il la regarde descendre peu à peu sans chercher à y voir un quelconque malaise – elle s'abaisse juste, pose ses fesses sur la moquette, même si la moquette ne se rend pas du tout compte de la chance qu'elle a, se débarrasse de ses affaires et retourne à ses visions. L'histoire pourrait s'arrêter là, ne pas provoquer davantage de remous. Ils auraient regardé encore un moment le ciel et la ville, puis, la faim ou autre chose se faisant sentir à l'intérieur d'eux, ils auraient rebroussé chemin en bavardant encore tels des écoliers, seraient redescendus, il l'aurait raccompagnée peut-être, rien de bien méchant, et ils se seraient séparés en se promettant dans le meilleur des cas de se revoir bientôt. Ç'aurait été la fin normale d'une soirée normale. Mais s'il y a une chose qu'a pu apprendre Enoch au cours de ses derniers mois, c'est que la norme, ce substantif à pleurer d'ennui, a depuis longtemps quitté son existence. Définitivement.
Son sang se fige et il se noie dedans. Un vent glacial s'insinue par tous les pores de sa peau, ondoie sous l'épiderme et dresse les poils de ses bras. Une chair de poule aussi soudaine qu'incontrôlable, bien qu'elle ne soit pas causée par la vue d'un couteau cette fois-ci, tandis qu'il sent la paralysie gagner ses jambes au fur et à mesure que Lou débite ses théories à son sujet. Pour n'importe qui d'autre, écouter cette énumération d'hypothèses plus loufoques les unes que les autres prêterait à rire. On lui annoncerait en retour qu'elle a beaucoup d'imagination, qu'elle pourrait écrire des livres ou qu'elle regarde trop les séries télévisées, ce serait une bonne occasion de jouer les chasseurs d'aliens et on en serait resté là, amusés, conscient du fait que tout cela n'est qu'une somme d'élucubrations sans queue ni tête. Sauf que pour Enoch, chaque phrase est une menace qui paraît s'approcher de la vérité, une source d'angoisse qui l'ankylose et l'empêche de déglutir sereinement. Oh, sans doute lui suffirait-il de nier cette science-fiction, de balayer par un mot ou deux ce long paragraphe qui l'oppresse et de s'envelopper dans une couverture plus épaisse, un nouveau mensonge aux allures authentiques, tellement véritable que le plus perspicace des journalistes n'y verrait que du feu. Il en serait capable. Pourtant il ne s'y résout pas. Les syllabes sont coincées dans sa gorge, et même le désenchantement qu'exprime la demoiselle quant à ses réflexions ne le soulage pas. Pourquoi, tout à coup, veut-il lui avouer la vérité ?

Il ignore comment elle le prendrait. Mal, sûrement. Au mieux, bizarrement. Parce que ce serait donner raison à ses théories douteuses ; elles sont peut-être échevelées mais, d'une certaine manière, « Toutes ne sont pas fausses... » Ah. Il a parlé à voix haute. Ou du moins, c'est un murmure relâché par mégarde, un bond de l'esprit à travers ses poumons. Un ermite, oui, c'est évident. Une autre planète, pourquoi pas, si l'on considère que chaque espace-temps est une dimension distincte, et donc un monde à part entière, et donc une planète métaphoriquement parlant, auquel cas en effet il vient d'un territoire extra-terrestre, ou plutôt infra-terrestre, quoiqu'il n'a aucun intérêt à étudier la race humaine – ce serait pire que d'analyser un morceau de démence moisie à la loupe d'un microscope. Quant au mafieux en quête de rédemption protégé par les forces spéciales d'investigation, cryogénisé avant d'être ressuscité dans l'avenir... Seigneur, elle a lu trop de romans. Le plus plausible reste d'être le docteur Qui, éminente éminence grise, ce qui serait à prendre comme une espèce de compliment déguisé, à moins qu'elle ne considère que Doctor Who est aussi ridicule que ce qu'elle s'imagine. De sûr, il est ce garçon atypique. Et par-dessus tout, elle ne le vexe pas.
C'est juste qu'elle vient de balancer son cerveau du soixante-dix-septième étage, et il entend l'écho du petit bruit spongieux de ses synapses qui s'écrasent sur l'asphalte, quelque deux cent cinquante mètres plus bas. Il doit lui dire. Il doit desserrer les poings qui se sont crispés sur l'ourlet de son vêtement, il doit affronter le bleu suspicieux de son regard qu'il devine posé sur lui, même s'il avait tourné le visage vers le côté opposé pour se soustraire à un éventuel examen détaillé de ses réactions. Il doit cesser cette mascarade et crever le voile derrière lequel il s'abrite en vain. Sauf qu'il en est incapable. Il en est incapable car, à l'instant où il se retourne vers Lou, le sujet ne porte plus sur sa nature d'anachorète conservé dans la glace d'un vaisseau intergalactique. Ce n'est plus important, en un éclair c'est devenu un point de détail. L'essentiel, brusquement, touche la jeune femme, ce qui lui arrive, ce pour quoi elle se braque et lui jette un regard effarouché, les bras croisés devant son torse ; lui esquisse un pas en arrière, pur automatisme, cependant qu'il ne sait plus quoi penser.
« Qu'est-ce... ? »
Ce n'est pas de la peur qui couve dans sa voix – plutôt de la surprise. Il n'aurait vu que la lueur dans la vitre qu'il aurait cru à une fonctionnalité non supprimée de l'interface, l'indice d'un mode veille ou quelque chose du genre. Face à la situation, son encéphale se voit forcé de remonter les étages à toute vitesse et réintègre la boîte crânienne où il méninge à fond, en un dixième de seconde, de quoi pondre un syllogisme de derrière les fagots, pour lequel il n'aurait certes pas eu le Nobel de logique. 1) Il se passe un truc anormal chez Lou. 2) Les Evolves font des trucs anormaux. 3) Lou est un Evolve. Bam. Elle illumine tant et tant qu'elle ressemble à une lune miniature, coiffée d'une chevelure de flammes, assise sur la moquette.

Les questions se bousculent dans l'esprit d'Enoch ; c'est le règne de la confusion, qu'il s'efforce de maîtriser. Ce n'est pas grave, j'en connais, ce n'est pas dangereux. Si son don la fait briller, c'est qu'elle ne va pas exploser alors tout va bien, calme, pourquoi tu réagis comme cela ? Si cela se trouve, c'est juste un mauvais apéritif qu'elle digère mal. C'est plutôt elle qui a l'air de redouter quelque chose, mais quoi, est-ce qu'elle pense que je vais la dénoncer ? Et si son pouvoir s'est activé, ne devrait-elle pas subir un contrecoup comme Shane ou Anselme ? Est-ce dû à une émotion particulière ou à une activation inopinée ? Pourquoi tu réfléchis trop comme ça ? Bouge !
Alors, en douceur, il se décoince. Lentement, il s'accroupit près de Lou, comme s'il craignait de la gêner, de faire fuir l'éclat qui irradie de sa poitrine, comme si elle allait s'éteindre s'il approchait davantage, mais rien de tout cela ne se produit. Il tend les mains vers elle, vers l'animal terrifié qu'elle incarne à cet instant, se défend néanmoins de la toucher sans qu'elle ne l'y autorise, rassuré malgré lui que les circonstances aient occulté le mystère qui l'entoure. Et dans ses mots, qu'il lui adresse autant qu'à lui-même, avec maladresse, il tente d'instiller tout le réconfort du monde.
« Ce n'est rien, tu... Tu brilles. Cela arrive souvent ? Non, enfin, je veux dire, c'est un pouvoir, évidemment, mais... Est-ce parce que quelque chose t'a perturbée ? Tu as mal quelque part ? Est-ce que tu vas t'évanouir ? Tu... » Inquiétudes légitimes ; pour l'avoir enduré ne serait-ce qu'un mois, il sait que les contreparties des dons ne sont jamais agréables. Et imaginer Lou se tordre de douleur à terre lui file des frissons qu'il réprime avec difficulté. « C'est fou, tu brilles. » Il n'en revient pas. Il n'en revient tellement pas qu'un pâle sourire se dessine sur sa figure à la pensée qu'il libère ensuite, sans y prendre gare : « C'est peut-être juste une coïncidence... Mais c'est précisément l'impression que tu me fais depuis que tu as commencé de me parler, chez ton frère. Sauf que là, ce n'est plus une simple impression. »
S'il avait su ! Elle rayonne, pour de vrai.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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31.03.16 14:10
Un mouvement de recul. un pur réflexe. Il n'est pas le seul à avoir réagit ainsi. Ils font tous ça. Ce pas en arrière, comme si j'allais, je sais pas moi, les bouffer, exploser, ou les irradier, ce qui n'est d'ailleurs pas impossible. Dans ce simple mouvement de recul, je revois toute ma classe lors de cette sale après-midi en sport, où je me suis allumée pour la première fois. Des dizaines de têtes tournées vers moi et des regard mi-horrifiés, mi-curieux. Même le professeur, seul adulte présent, seul qui était sensé réagir de façon réfléchit était resté planté là à me regarder.
Mes parents ont eux aussi fait cette même tête en me voyant débarquer à la maison Steve et Lucie aussi... Tous, ils réagissent tous pareille. Ça ne devrait plus m'étonner, et pourtant, j'ai des envies de carnage quand je les vois reculer. Enoch ne déroge pas à la règle. Alors qu'il me disait quoi juste avant? Que l'une de mes théories fumeuses étaient correcte, qu'il a donc lui aussi son lot de bizarreries. Alors pourquoi me regarde comme cela? Bon sang les humains me rendent folle, j'en ai plus qu'assez de me sentir monstre ou bête de foire dans leurs yeux.

Plus j'enrage, plus ma lumière devient vive, ce qui n’empêche pas le jeune homme de s'accroupir près de moi, s'approchant prudemment comme on le ferait avec une bête sauvage. T'as raison d'être sur tes gardes bonhomme, je pourrais bien te mordre qui sait...
L’intonation de sa voix me fait penser à celle d'un parent tentant de réconforter son gosse après un cauchemar, comme si rien de tout cela n’existait, comme si ce n'était pas grave. Il s'inquiète. Je hausse un sourcil. Depuis quand on s'inquiète pour moi quand je m'allume? Tiens c'est une grande première ça. Mes toubibs s'inquiètent, s'il m'arrivait quelque chose ça ferait baisser leurs stats, mes collègues s'inquiètent, mais plus pour eux même que pour moi... Et lui, il me regarde avec ses grands yeux clairs comme si j'étais une étoile tombée du ciel. Mais d'où il sort? Personne ne lui a dit que ce n'était pas cool d'être un evolve à Madison? Je ne lui répond pas. Pour dire quoi de toute façon? Que non je ne vais pas m'évanouir, que pour le moment je n'ai pas mal mais que si je n'arrive pas à m'éteindre vite fait bien fait ça risque de changer, et enfin qu'il faut que j'arrive à me calmer pour virer cette foutue lumière?


Il en est à un stade d'étonnement à deux doigts de l'extase. On ne me l'avait jamais faite celle-là. Je fulmine de ne pas parvenir à ralentir les battements de mon cœur, de ne pas accepter ce qui ressemble à un compliment maladroit. D'ailleurs, c'est quoi ce compliment? La pire technique de drague au monde? Remarque, ça change des "T'as de beaux yeux tu sais" un peu ringards, des "T'aurais pas laisser tomber quelque chose? Mais si, ton sourire!" carrément lourds, ou même du "Viens chez moi, ma mère nous fera une salade" étonnant...

Je reste là, à le regarder, interdite. Je n'ai plus peur, il n'est pas une menace, mais je suis en colère, contre lui qui ne comprends pas que oui, je brille, mais que non, ce n'est pas une bonne chose, et encore plus contre moi de lui en vouloir pour rien. D'en vouloir au monde entier d'ailleurs...
Çà chauffe dans ma poitrine, j'ai la peau qui tire, qui pique, l'étape suivante, c'est le craquèlement, puis elle va se mettre à peler, comme après un énorme coup de soleil, voir une vilaine brûlure. Il faut que je m'éteigne. Mais ça c'est rien. Pendant que je tergiverse, mes organes se font doucement irradiés. j'ai soigné mes dernières tumeurs et nécroses il y a deux semaines environ, j'en ai à peu près autant devant moi avant de devoir y retourner, mais je commence déjà à sentir des brûlures d'estomac, et une douleur sourde qui s'installe doucement. Pour le moment c'est intensité "gros point de côté", si ça dure dix minutes de plus, j'en serais à me rouler par terre en maudissant la terre entière. Il FAUT que je m'éteigne.


Et Enoch, pourquoi tu restes là à me regarder avec ton air conquis?
Je me relève d'un bond, trop vite d'ailleurs, ma vue se voile un instant, mais ça ne m’empêche pas de laisser sortir mon énervement, me disant que je peux bien gueuler aussi fort que je le veux, le gardien étant 77 étages plus bas, je ne risque pas de le rameuter.


- Mais pourquoi tu souris comme ça merde?! J'écarte les bras, étant maintenant entièrement illuminée d'une lumière bien plus vive que précédemment. Ah oui, c'est joli, ça peut guider les bateaux dans la nuit, mais ça n'a aucune putain d'utilité! Un coup de flippe et je m'allume, le stress, je m'allume, parfois même quand j'éternue je m'allume, et pourquoi pas aussi, de temps en temps alors que j'ai rien demandé à personne, je m'allume. T'imagines en réunion devant mon patron? Au cinéma pendant une scène qui fait peur? Où là parce que j'ai regardé en bas d'une tour de 77 étages...


J'ai stoppé mes grands gestes rageurs pour poser mes mains à plat sur mon ventre. Le stade "gros point de côté" est dépassé. j'en suis maintenant à "coup de poing dans l'estomac". j'ai l'impression que je me calme un peu. Je viens de me comporter comme une harpie hystérique, à cracher mon venin sur ce pauvre homme qui n'a rien demandé, et maintenant je me sens ridicule d'avoir agis comme ça.
La tempête est retombée, mais la lumière est toujours là. Je me revois ado, à passer des nuits sans dormir à cause d'une lumière qui reste inlassablement allumée, me tapant sur la poitrine en espérant que ça calmerait le phénomène, phénomène qui finalement ne s'arrêtait que lorsque je tombais d'épuisement.
J'ai un peu envie de pleurer, mais j'ai les yeux secs à cause de la lumière. Je me laisse tomber sur la moquette, au milieu de la pièce, tourne le dos à Enoch comme une gamine boudeuse, et ramène mes genoux contre ma poitrine, les entourant de mes bras.
Je me murmure des encouragements pour faire cesser la bioluminescence, ne sachant pas trop si cela marchera, comme d'habitude. J'inspire et expire le plus doucement possible, sentant passer l'air dans mes poumons, essayant de penser au seul cours de yoga que je n'ai jamais suivit.
Pour le coup, là je suis très peu patiente... Au bout d'un certain temps, ne voyant aucune amélioration, je me laisse tomber sur le dos, les bras en croix, râlant.


- Raaah, j'arrive pas à me calmer!


Sentant une quinte de toux arriver, je sors un mouchoir de ma poche pour le porter devant mes lèvres, et roule sur le côté avant de crachoter ce qui ressemble à du sang digéré sur le bout de tissus, auparavant blanc. Je suis tellement ridicule couchée sur la moquette de la plus haute tour de la ville...
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



01.04.16 11:46
D'accord, c'est effrayant. Enfin, si peu, vraiment ; sa réaction était stupide, dictée par mille ans d'automatismes humains face à la différence, à l'étrangéité. Pourtant il avait bien vite écarté cette réaction, lui préférant celle, déplacée, impudique peut-être, de la fascination. Comment réagir autrement, après tout, devant quelqu'un qui sort de l'ordinaire, qui franchit les barrières du commun par sa propre existence, une entité extravagante aux couleurs du surnaturel ? Les Evolves font peur. Soit. Mais ils sont aussi, et avant de quelconques réflexions, des créatures d'un autre ordre – supérieures, non, juste sublimes dans leur altérité, dans ce doigt d'honneur qu'elles lancent à la génétique, à l'harmonie établie. Elles sont ce décalage, ce désordre dans un monde humain si ennuyeux, pétri de conformité et de ressemblances. Et elles le fascinent, lui l'humain lambda, lui l'idiot qui faillit mourir plusieurs fois d'avoir voulu les connaître, qui les choisit comme amis, en devint un, puis retourna à sa mortelle normalité en se jurant de ne jamais faire de distinction entre les individus dès lors qu'ils posséderaient ou non ce don singulier. Sauf que, comment se justifier de cette décision sans raconter toute sa vie, de manière on-ne-peut-plus égocentrique, à une personne qui éclaire plus qu'une ampoule de phare côtier ? Comment expliquer qu'il n'y a dans son ressenti nulle horreur, nulle raillerie, encore moins une différence de jugement à son égard induite par sa nature ? Parce que oui, il sait, il sent confusément que son attitude est mauvaise, qu'il n'aurait pas dû avoir ce recul, lâcher ces mots qui soulignent avec bêtise que sa luminescence la place ailleurs ; elle n'est plus à ses côtés, mais désormais là-bas, à la frontière d'un royaume qui se mêle trop peu à ce qui ne lui ressemble pas. Alors il s'en veut, incapable de revenir sur ses propos. Elle brille.
Elle brille et elle est en colère, sans qu'il ait pu éviter cet écueil qu'il a précipité en croyant bien dire. Passée l'effroi, Lou fulmine, saute sur ses pieds et le domine de toute sa taille, talons compris, lui faisant clairement comprendre que quelque chose ne va pas et qu'il va s'en prendre plein la tête. Et effectivement, avant même qu'il n'ouvre la bouche, elle lui rentre dedans façon grue de démolition, prends-toi ça dans la tronche connard, le réduisant à une boule confuse que l'on fracasse contre un mur. Il a beau la voir frémir, trembler de déséquilibre ou de rage, peu importe, il ne peut rien faire tant il se retrouve cloué, épinglé par ces mots qu'elle lui jette au visage hargneusement. Sa stupeur de naguère se décompose en morceaux de dépit ; son admiration se brise en miettes de colère, d'incompréhension frustrée. Il la regarde, à demi-ébloui par les radiations qu'elle relâche dans toute la pièce, tout en réprimant l'envie qu'il a de porter sa main devant ses yeux pour se protéger de l'éclat – elle le prendrait encore plus mal, songe-t-il. D'un coup il se renferme, rabat des volets de fer sur son esprit et encage de nouveau son cœur qu'il avait osé inviter hors de son thorax, par confiance envers la rouquine. De nouveau il revient à ce qu'il était auparavant, ce garçon taciturne et comme blessé de la moindre apostrophe, réticent à accorder sa parole, prompt à entailler les susceptibilités au moyen d'une pique défensive. Se serait-il trompé sur elle ? Ne serait-elle finalement qu'une furie capricieuse, une princesse exigeante ? Non, pas elle. Il l'a vexée, voilà tout, elle lui en veut parce que c'est un imbécile et elle a raison de le lui faire remarquer. Cependant il se braque encore et toujours, plus elle parle et plus il dresse ses murailles, érige ses remparts qu'il se refuse à baisser une nouvelle fois aussi imprudemment. Même lorsqu'elle se calme en ramenant ses paumes sur son ventre, Enoch ne se détend pas.

Les mots sont coincés dans sa gorge, sèche. Il respire du sable, déglutit des graviers. Dans son crâne, l'irritation a gagné ses synapses et la contrariété goutte de ses neurones, baigne son occiput dans un marasme qu'il essaye tant bien que mal de chasser, en vain. Que dire qui n'accentuerait pas le malaise ? À toutes les possibilités se greffe une contradiction, un « oui mais... » qui ne présage rien de bon quant à la suite de la discussion. C'est la première fois qu'il a affaire à un Evolve qui lui reproche de le considérer avec bienveillance ; Shane, Anselme, Faustine et même Fredigan, qui déteste pourtant ce qu'il est, ne l'ont pas envoyé dans les ronces de cette manière. Alors oui, il conçoit que ce ne soit pas aussi réjouissant que cela en a l'air, qu'il y a davantage de désagréments que d'avantages à s'illuminer soudain, pour n'importe quoi, n'importe où, et qu'en plus, en retour elle se tord de douleur. Posséder un pouvoir utile l'aurait-elle aidée à faire passer la pilule ? Il en doute. Mais pour le coup, il a le sentiment d'être le responsable indirect de son état, puisque c'est à sa demande qu'ils sont montés là-haut. Alors évidemment, cela n'aide guère à l'apaiser. Il ouvre la bouche comme pour s'expliquer, toutefois rien n'en sort et il la laisse lui tourner le dos, honteux, maussade, avant de se tourner lui-même en direction de la vitre, une rotule relevée et l'autre pliée en tailleur, pour observer la ville sans espérer trouver dans la noirceur la résolution de cette dispute irrationnelle.  
Elle n'arrive pas à se calmer ? La bonne affaire ! Qu'est-ce qui lui faudrait : des plates excuses distribuées à genoux, face contre terre dans la plus pure tradition japonaise, en mode carpette ? Un mea culpa dramatique, un bras tendu au ciel et l'autre courbé sur son front tel un acteur de tragédie grecque, grotesque à souhait ? Ou bien une roucoulade à l'italienne, un accordéon frémissant et des roses trémières en arrière-plan, au cours de laquelle il se maudirait sur dix-sept générations et demie en se frappant la poitrine ? Non. Lui est américain, islandais de mère et froid de nature. Mauvaise combinaison. Son regard est de glace, et s'il a fondu trop vite devant la chevelure flamboyante de Lou, l'iceberg s'est reformé avec une rapidité qui le déconcerte lui-même. Qu'est-ce qu'elle attend, ainsi vautrée sur la moquette, à imiter un Christ de 500 watts ?

« Il y a bien longtemps, le fils d'un marin quitta sa patrie pour prendre la mer, espérant accoster un rivage où il trouverait sa place. Il était parti sans autre bagage que ses envies et sa curiosité, imprudent comme on peut l'être à cet âge, abandonnant derrière lui une mère inconsolable et une existence plus terne que la poussière. Durant plusieurs mois, au gré des marées il navigua, ne sachant où se fixer, ignorant quel lieu pourrait l'accueillir. Il jeta finalement son dévolu sur une île aux abords paisibles, rencontra ses habitants qui ne différaient nullement de ceux de son ancien pays et s'installa pour y commencer une nouvelle vie. Mais ce qu'on ne lui avait pas dit, c'était qu'un secret abritait cette côte-là, un secret en apparence si lourd, si dangereux, que tous ceux qui s'y trouvaient mêlés n'en parlaient qu'à mi-mot, dans la peur de disparaître sans qu'on n'en retrouve la moindre trace. Or, avant même que le fils du marin n'apprenne de quoi il s'agissait vraiment, une tempête submergea l'île.
Personne ne l'avait prévue. Aussi brève que violente, elle souffla toutes les habitations, déracina le plus solide des arbres et arracha du sol toute empreinte des autochtones. Ce fut comme si, d'un coup, un ouragan rasait le monde entier. Oh, il y eut des survivants, bien sûr. Mais quand ils ouvrirent les yeux, ils ne virent rien de ce qu'ils connaissaient ; leurs maisons s'étaient évaporées en même temps que leurs proches, leur vie avait fui, remplacée par une terre inconnue, étrangère. L'horizon lui-même n'existait plus. Il était comme bouché, obstrué par une brume infranchissable. À la place, ils découvrirent d'autres créatures que le vent avaient portées là, plus évoluées qu'eux bien qu'en tous points semblables, à ceci près qu'elles connaissaient le secret de l'île. Tout le monde le connaissait d'ailleurs, de sorte que ce n'était plus un secret pour personne d'autre que les survivants, hormis les rares qui l'avaient dissipé avant la catastrophe. Ils découvrirent aussi que cette vérité divisait les nouveaux habitants, que certains combattaient contre elle, d'autres pour elle, et d'autres encore, car il en faut toujours, s'en désintéressaient. À moins qu'ils n'eussent peur de revendiquer une opinion. Qu'importe leurs raisons. Les survivants, eux, durent s'adapter à leur tour.
Le fils du marin ne dérogea pas à la règle. Très vite, il lui fut impossible de ne pas prendre part aux débats ; son meilleur ami, qui avait subi l'ouragan lui aussi, était porteur de ce secret, de même que d'autres de ses fréquentations. Lui-même éprouva temporairement les douleurs qui y sont liées, parce qu'un homme avait décidé de le lui imposer à son insu – et même s'il ne les endura pas longtemps, même s'il le dissimula à tous, sa vision en fut profondément affectée. Encore aujourd'hui, il est paumé. Il sent la réalité le dépasser parfois, mais il essaye tant bien que mal de s'y accorder. Pour trouver sa place.
»
Le conte, dont l'austérité tient davantage au ton de la voix qu'à l'aridité des images convoquées, se fendille sur la fin. Un silence se dissout dans l'air de la nuit. Songeur, Enoch se retient de guetter une quelconque réaction chez Lou ; elle peut l'engueuler de nouveau, lui reprocher son égoïsme, son aveuglement, sa crétinerie, il n'en a rien à foutre. Face à ce qu'il sait de ce monde, sa luminescence est réduite à un joli détail. « Tu as sans doute compris. Nous sommes tous les deux étranges pour les autres. Je ne sais pas ce que tu supportes au quotidien, c'est vrai, et peut-être que je ne peux pas le comprendre. Mais que tu sois Evolve ou non ne fait aucune différence pour moi. »
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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02.04.16 20:02
Mais qu’est-ce que je fous ? Sérieusement ? Depuis quand je suis incapable de me contrôler ? Depuis quand je me comporte comme une gamine capricieuse ? Depuis quand j’engueule comme jamais un garçon qui n’a eu comme seule tare de s’inquiéter de ma situation ? J’ai vraiment honte de moi. Et là, vautrée sur la moquette, j’aimerais simplement  disparaitre, peut-être ne plus jamais le revoir pour ne plus me revoir péter un câble comme une enfant mal élevée. Ma mère m’aurais certainement giflée pour avoir réagi comme cela, et elle aurait eu raison, ça m’aurait remis les idées en place. Je regarde le petit renard tatoué sur mon poignet en souvenir de cette dite autorité maternelle. Mon dieu comme j’ai honte de moi.

J’entends la voix d’Enoch. Il ne répond pas à mon caprice, il n’a pas l’air énervé, mais le ton de sa voix me glace le sang. Où est donc passée la bienveillance qui colorait doucement son timbre quelques minutes plus tôt ? Lou, quelle idiote ! Tu tombes sur le seul humain du coin qui n’est pas un conard narcissique te prenant pour un monstre, et tu lui aboie dessus comme une harpie. Bien joué !


J’écoute son récit, en silence, toujours couchée sur le flan, essayant de voir le rapport avec les faits précédents. Rapidement ça me saute aux yeux. Ce qui ressemblait d’abord à un conte supplémentaire se retrouve finalement être une métaphore de la découverte des evolves par Enoch, entouré par une intrigue que je ne comprends pas tout à fait.
J’ai encore envie de pleurer, comme une gamine, mais mes yeux sont secs. La lumière s’est estompée sans pour autant disparaitre.

– Ca ne fait aucune différence ? Et mon sale caractère, ça fait une différence ?

J’ai une toute petite voix désolée, un peu cassée par la boule que j’ai au fond de la gorge. J’aimerais bien retourner en arrière pour m’empêcher de partir au quart de tour comme une idiote.

– Etre un evolve est une chose, mais t’aboyer dessus comme je l’ai fait juste parce que je ne supporte pas ma condition en est une autre.

Je ne suis pas habituée à m’excuser, et d’ailleurs, c’est un peu foireux, ça ne ressemble pas vraiment à une excuse. Je ne sais plus quoi faire, je veux juste disparaitre, me téléporter chez moi, sous ma couette, et me convaincre que tout cela est un mauvais rêve.

Je me redresse, jusqu’à m’assoir à nouveau en tailleurs, les mains serrées sur l’estomac comme pour oublier les brûlures. Je le regarde alors que lui reste irrémédiablement face à la vitre.
Mon corps reprend doucement sa teinte originelle, la lueur ne se faisant voire à présent qu’au niveau de mon buste. Les mots du jeune homme m’ont fait l’effet d’une douche froide, calmant par la même occasion le feu qui brulait sous ma peau.

– Je suis tellement désolée, j’ai bêtement paniqué… N’essaie pas de t’expliquer Lou, tu n’as aucune excuse valable…

Je masse mon cœur du plat de ma main, d’un mouvement régulier, habituel, comme pour dissiper la lumière qui s’en échappe encore, et la tête baissée, je n’ose plus rien dire. Le silence est pesant, presque étouffant.
J’ai un peu mal partout, comme si ma peau allait partir en lambeau et mes yeux s’assécher et s’irriter jusqu’à ressembler à des raisins secs. Je me relève doucement pour m’approcher à nouveau de la vitre, m’asseyant une nouvelle fois au sol près de mon sac. Ca tambourine dans ma tête, j’ai les tempes en feu, je n’y vois plus grand-chose, un voile assombri ma vue. Ca va revenir, après quelques minutes… Ca va revenir… Mais en attendant je cherche presque à l’aveuglette dans mon sac la petite boite pour y ranger mes lentilles et la bouteille de produit qui va avec.
Je me détourne d’Enoch le temps de retirer mes verres de contact, déjà qu’il a eu le droit à ma mauvaise humeur, je ne vais pas en plus lui imposer la vue de ce moment peu glamour. Je les range soigneusement, puis fouille à nouveau pour dénicher mon étui à lunettes. Je les glisse sur mon nez, mais n’y vois toujours pas clair. Encore cinq minutes et ça devrait être bon.

D’une voix timide, je tente d’assouvir ma curiosité, les yeux perdus en direction de la vitre.

– Tu parlais de quoi en racontant le passage de la tempête ? En quoi tu n’es pas un humain comme les autres ?

Je réalise soudain, que moi, à sa place, je n’aurai aucune envie de parler de ça à une nana qui m’a envoyé chier quelques minutes plus tôt. Que j’aurai juste envie de la précipiter du haut de ces 77 étages ou de me casser une fois pour toute.

- Je… Je comprendrais très bien que tu ne veuilles plus m’en parler. D’ailleurs, si tu veux, je peux te laisser et rentrer…

Je ne saurai pas vraiment quel chemin prendre pour rejoindre mes pénates, mais mon bracelet fait aussi GPS, il faudrait juste que je fasse bien attention à cacher ma peau brillante sous le foulard de Steve, ce ne serait pas la première fois.
Je ne sais plus quoi faire, attendant juste un mot de sa part, me disant de déguerpir, ou alors, on ne sait jamais, qu’il n’est pas rancunier.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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03.04.16 0:25
Même s'il donnait l'impression de lui en vouloir, même s'il avait des raisons, valables ou non, de lui reprocher sa réaction quelque peu exagérée, il ne ressentait aucune hostilité à l'égard de la jeune femme, ni peine ni pitié. Elle n'était pas quelqu'un d'autre du fait de son gène ou de sa colère, et les précédents événements de la soirée l'enveloppait d'une aura presque intouchable comme si, quoi qu'elle fît, dît ou pensât, il aurait toujours de quoi se raccrocher à ces aspects d'elle-même qu'elle lui avait montrés naguère. Une Lou amusée, volontiers taquine, une Lou aventureuse, prudente et cependant facétieuse. Une Lou à la bouche cerise, rouge ravi et rouge caustique, qui s'assied à ses côtés, croise les jambes et jette des plaisanteries. Celle qui s'excuse, qui se sent de trop sans jamais l'être, celle qui fait tourner les têtes dans son sillage, ses mèches flottant dans l'air qu'elle soulève en glissant parmi les corps. Il y a tant d'images d'elle dans son crâne qu'Enoch sait ne plus avoir besoin de la regarder pour visualiser le liséré rose qui entoure son épaule, l'élégante courbure de sa semelle ou les traits du tatouage qu'elle porte au poignet, et dont il croit sans conviction qu'il représente quelque chose d'important pour elle – sinon pourquoi l'avoir gravé ici, à l'endroit même où se faufile la vie ? Et pourtant, à cet instant, il voudrait qu'elle ne soit plus là, qu'il n'y ait que l'absence et lui face à cette vitre, le silence pour tout contact ; la pâle lueur qu'il capte du coin de l'œil lui indique néanmoins que ce n'est pas le cas, et il s'en trouve rassuré. Si elle part, l'envie de descendre ces soixante-dix-sept étages sans utiliser l'ascenseur risque de lui traverser l'esprit sans personne pour l'en empêcher.
Idiot, se blâme-t-il tandis qu'il passe sa paume sur le bas de son visage en l'écoutant s'excuser. Quelle est donc cette ambiance étrange, entre elle qui se reproche une saute d'humeur aussi brusque que fugace, et lui qui tente d'imiter une pierre en train de broyer du noir ? Comment en sont-ils arrivés là aussi vite, sans voir aucun présage annonciateur de cette bourrasque qui vient de les souffler l'un et l'autre à l'extrême bout d'eux-mêmes ? Ce ne sont pourtant pas les résidus de cette tempête dont le garçon parlait il y a une minute, alors quoi ? Il voudrait lui dire qu'elle n'a pas à se faire pardonner, qu'elle peut être énervée si elle le souhaite, qu'elle peut lui aboyer dessus autant qu'elle le désire, non pas parce qu'il aime qu'on le traite comme un chien et qu'on l'engueule, mais parce que si c'est ainsi qu'elle se décharge de ses frustrations et de ses angoisses, alors il accepte de les recueillir de la manière qu'elle les lui balancera. Au fond, c'est presque une marque de confiance. La question des Evolves est un sujet délicat, et les positionnements de chacun diffèrent du tout au tout ; en lui présentant les choses avec cette violence incontrôlée, Lou a non seulement fait montre de ses opinions quant à cette réalité, mais lui a dévoilé une faiblesse qu'ils n'auraient sans doute pas abordée au cours de la discussion. Parce que l'on ne discute pas de ces vérités-là lorsque l'on rencontre quelqu'un, que l'on y soit confronté ou non au quotidien. Même si les mutants sont partout aujourd'hui, il demeure comme un tabou, un non-dit latent. Ou peut-être que les gens s'en fichent désormais, et que, à l'instar du fantôme, ils n'y voient aucune différence. Qui sait.

Lou n'en finit plus de s'excuser, accentuant le malaise invisible qui tournoie à l'intérieur d'Enoch. Il apprécierait qu'elle arrête, mais il ne bouge toujours pas, ne fait rien qui pourrait la retenir de s'épancher ainsi ; confusément, incapable de l'expliquer, il sent qu'à la seconde où il ouvrira la bouche, il lui avouera tout sans faire l'effort de passer par un conte pour exprimer ses idées, et qu'elle devra se débrouiller avec trois phrases lapidaires, lâchées d'une voix étranglée par un nœud marin dans la gorge, voici mon testament et adieu. Bien sûr qu'il ne peut pas se comporter de cette façon, pas avec elle qui remue à la périphérie de sa vision, se défausse de ses yeux pour s'emparer de lunettes qu'elle juche sur son petit nez – n'avait-il pas regardé, un jour lointain, un dessin animé dans lequel le héros adorait les filles à lunettes ? – et dont la lumière peu à peu se dilue pour ne plus se diffuser que sur sa poitrine. Elle s'est calmée, c'est déjà ça. C'est à cause de lui s'ils en sont encore à se tourner le dos ; à croire que le sale caractère est un de leurs points communs secrets.
Néanmoins, le garçon est maintenant invité à expliciter davantage son propos au sujet de cette fameuse tempête. Il ne peut plus faire marche-arrière, pas après s'être avancé si loin dans l'histoire, une histoire dont la rousse ne peut saisir tous les éléments en dépit de son intelligence. Ce ne sont pas d'indices supplémentaires dont elle a besoin, mais des faits tels qu'ils se sont produits, non édulcorés au travers de vagues images. Bien que lui-même ne sache toujours pas comment définir cet événement autrement que par des analogies, des métaphores plus ou moins naturelles afin de le circonscrire au mieux. Les réponses n'ont jamais entièrement abouti.
« Non... » En douceur, il tourne la tête vers elle, les cils brodés d'anxiété. « J'aimerais que tu restes... S'il te plaît. » Lentement, il défait sa posture, délie ses articulations pour se placer face à la rouquine. Un instant, son regard erre par-dessus son épaule, cherche un point au fond de la salle auquel s'accrocher au lieu de la fixer elle – il ignore comment il réagirait s'il lisait à son tour l'incrédulité dans ses prunelles bleues. Oui, à son tour d'endurer les interrogations, cette latence inquiète qui précède l'aveu et ses conséquences. Il hésite alors, déglutit, puis prend une inspiration et relâche le tout, pressant ses phalanges les unes aux autres.
« Tu n'as pas à t'excuser, c'est moi qui ai manqué de tact. Je n'aurais pas dû réagir ainsi. » Comment, donc ? En hurlant au monstre et en déguerpissant à vive allure ? Sûr que ç'aurait été une meilleure réaction. Bah, ce n'est pas le moment de faire de l'humour vaseux. « Cette tempête, hm... C'est... Personne n'en comprend vraiment les raisons, mais... Il faut remonter à avril de cette année pour en connaître les effets. Je ne sais pas si tu en as entendu parler, enfin si, sûrement, c'était visible partout dans la ville. Il y a eu des communiqués dans les médias, les images ont tourné en boucle pendant des semaines. Cela te dit quelque chose, les Anciens ? Ou les Disparus, si tu préfères. »

Lui n'était pas sûr de savoir ce qu'il préférait. Aucune des deux terminologies ne lui convenait. D'un côté il était considéré comme un vieux croulant – eh, deux cent vingt-deux ans, ça se fête ! – et de l'autre, comme un revenant. Et encore. Un mort. Cela dit, il était déjà qualifié de fantôme par nombre de ses connaissances, et par lui aussi de temps à autre, alors cela ne le changeait finalement pas tant. C'était juste un chouïa plus glauque que prévu. Les « Réapparus », c'était peut-être plus juste, mais ridicule.
« Est-ce que le fait d'avoir traversé deux siècles pour se retrouver dans le futur correspond à l'idée d'un humain comme les autres ? » En creusant bien, sans doute. Mais pour lui, toute la différence tenait dans cette singularité étonnante, cette distorsion de l'espace-temps qui l'avait mené ici, déboussolé. Peut-être que Lou ne le voyait pas de cette pupille-là, peut-être que cela ne changeait rien pour elle non plus. Si c'était le cas, alors il était probable qu'ils se fussent bien trouvés. Cette pensée fugitive abandonna une trace sur son visage pâle, une mince courbure sur ses lèvres, qui se voulait chaleureuse pour Lou et rassurante pour lui. Il était bizarre. Il n'y pouvait rien.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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03.04.16 20:29
Je l’entends remuer, j’ai également l’impression d’apercevoir sa silhouette se déplacer, peut-être se tourner vers moi. Vivement que j’y vois clair à nouveau, c’est assez handicapant. D’ailleurs, heureusement qu’Enoch ne voulait pas que je parte, il m’aurait été difficile de quitter les lieux sans personne pour me servir de chien d’aveugle.
Au ton de sa voix, j’ai l’impression qu’il s’est radoucit. Franchement, on ne fait pas mieux comme première rencontre non ? Ca partait pourtant bien, j’avais l’impression qu’on pourrait être comme cul et chemise, merci mamie pour tes expressions hors d’âge. Le courant était passé tout seul, enfin, de mon côté en tous cas. Et là, en trente pauvres secondes, mon éclat de voix avait trahit mon sale caractère, et son mutisme laisser supposer qu’il n’était pas en reste. Et nous voilà comme deux idiots, à essayer de recoller des morceaux pourtant à peine construits.

Mon visage reste neutre alors qu’il commence à m’expliquer ce dont il voulait me parler avant que je ne pette un câble. Je ne sais pas franchement où regarder, je ne pense pas qu’il me fixe, bien que son visage ai l’air tourné vers le mien, je ne sens pas le poids de son regard posé sur moi. Je vois l’ombre de sa tête sans en discerner les traits. S’il ne me regarde pas, c’est surement qu’il ne souhaite pas que je le scrute moi non plus. Autant me reposer les yeux pendant ce temps. Je tourne légèrement la tête vers l’immense fenêtre, tendant l’oreille en sa direction, et fermant les paupières afin de laisser mes yeux se réhumidifier.
Bon alors Enoch, quel est ce fameux secret ? Les Anciens ? Bien sûr que j’en ai entendu parler, seul quelqu’un d’enfermé dans une grotte aurait pu passer au travers du tapage médiatique que cela avait engendré. Je rouvre les yeux et me retourne vers lui. J’y vois à peine plus clair, mais ça pour une révélation, c’est une révélation…

Plusieurs expressions viennent teinter mon visage. Etonnement, quelque chose proche de l’admiration… Mes lèvres s’étirent en un sourire lorsque je discerne le sien.

– Deux-cent ans… Ca explique un certain nombre de choses…

L’espace d’un instant, je l’imagine faire du stop pour voyager de l’autre côté du pays, et deux siècles plus tard. Cette idée élargie mon sourire, puis une vilaine réalité m’apparait soudain. Je porte une main devant mes lèvres avant d’ouvrir grand les yeux, l’air presque horrifié malgré moi.

– Oh mais du coup… Tes proches…

Je n’ose pas imaginer quelle position est la pire. Sa famille pour qui il a à jamais disparu. Une mère éplorée qui se demande si son fils est mort ou perdu quelque part sur le globe, des amis qui n’arriverons peut-être jamais à se consoler de sa disparition… Ou lui, qui sait sans la moindre hésitation que tous ceux qu’il a aimés sont morts il y a plus de cent ans. Et qu’il les a abandonnés, contre son grès, certes, mais abandonnés quand même. Je m’en voudrai surement à mort à sa place. Et j’en voudrai aussi à la terre entière, à tous ces gens qui sont à l’aise dans leur époque, alors que moi j’aurai atterri ici, pommée, et seule.

- Bon sang, je suis tellement désolée Enoch…

J’aurais envie de faire quelque chose, rien que de m’imaginer perdre bêtement tout ce qui forme mon petit monde, ma zone de confort, ma famille, mes amis, mon job, même le satané chat des voisins qui s’invite chez moi en passant par la fenêtre de la salle de bain, la simple idée de perdre tout ça d’un seul coup pour me retrouver catapultée deux siècles dans le futur, ça me fend le cœur. Mais qu’est-ce que je peux bien faire ? A part un câlin en lui frottant le dos, je ne suis franchement pas d’une grande aide.
Et puis là, à m’apitoyer sur son sort alors qu’il semble avoir réussi à faire avec, au moins un minimum, je n’aide vraiment pas. Je me reprends, étire à nouveau mes lèvres en un sourire radieux et tente un air enjoué et un brin d’humour.

– Moi qui pensais être plus vieille que toi. Finalement tu me bats à plate couture.

Je plisse les yeux, le voile sombre se dissipant enfin, mes pupilles s’accoutument à nouveau à la luminosité ambiante, et à celle que je dégage encore. Mes paupières papillonnent un instant. J’ai toujours l’impression dans ces moments là, que je vois pour la première fois, comme un enfant qui découvre le monde. Mes yeux se perdent sur les traits d’Enoch. La lueur dorée qui émane de moi s’accroche sur sa peau blême, se reflète dans ses yeux clairs, entre le bleu et le gris, comme un ciel d’été après l’orage, elle souligne l’arrête de son nez, ses pommettes, ses tempes, les plis de ses lèvres et sa mâchoire anguleuse, avant d’être finalement balayée par ses mèches pâles.
Je tends une main vers lui pour lui attraper le menton entre deux doigts, un léger sourire aux lèvres, et fait doucement pivoter sa tête, dans un sens puis dans l’autres afin d’observer les nuances de ma lumière sur son visage. C’est beau.

– Ma lumière te va bien.

Je relâche son menton, laissant retomber ma main sur mes genoux, le regardant comme une toile sur laquelle se dessine un art éphémère au fil de ses mouvements et des nuances de ma luminescence, rythmées par les battements de mon cœur.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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04.04.16 17:21
Elle répète après lui, deux cents ans, et soudain cela ne paraît plus aussi long ni aussi loin, deux siècles prononcés à un mètre de lui, tellement proches qu'il pourrait les toucher du bout des ongles si les mots étaient faits de matière solide, ils ne le sont pourtant pas mais c'est tout comme, ils flottent, papillonnent dans l'air environnant, voguent sur des modulations invisibles. La voix de Lou qui les dessine depuis ses poumons lumineux, qui les transforme presque en une broutille, une plaisanterie – il lui aurait dit qu'il sortait d'un monastère tibétain qu'elle aurait sans doute réagi de la même matière, à l'exception près qu'elle ne l'aurait peut-être pas approché depuis le début parce qu'il n'aurait plus eu aucun cheveu sur le haut du crâne. Léger détail, vraiment. Quoi qu'il en soit, elle ne s'offusque pas, ne se moque ni ne raille en le traitant de menteur ; elle se contente de sourire, trop bref sourire que le garçon n'a que le temps de voir glisser sur son visage avant qu'elle ne dissimule sa bouche derrière le bouquet à cinq tiges rehaussées de vermeille qu'est sa main. Le constat qu'elle énonce le surprend en retour. Il n'imaginait pas que ce point fût le premier sur lequel elle s'arrêterait, tant il existe d'éléments plus intéressants vers lesquels l'esprit se tournerait. À moins qu'il soit seul à considérer ses « proches » comme un dommage collatéral, quelques silhouettes à l'horizon. Son père avait disparu sans laisser d'adresse alors qu'il n'avait que six ans. Quant à sa mère, elle l'avait élevé avec la distance maladroite de celle qui n'en possède pas l'instinct, et s'il avait dû se construire avec cet amour bancal et mal assuré, il ne lui en voulait pas particulièrement. Elle était cette étrangère qu'il affectionnait néanmoins, cette statue sans chaleur qui posait sa paume glaciale sur son front enfiévré, tandis que les maladies d'hiver lui ravageaient le corps.

« Tu n'as pas à l'être, ajoute-t-il juste après qu'elle s'excuse une nouvelle fois. C'est du passé. » Et le dire ne le blesse pas. C'est à peine si ses traits s'évaporent un peu plus, emportés par une mélancolie qui n'a rien de douloureux, pas maintenant, plus maintenant puisque Lou est là, là est Lou, et qu'il ne sent plus seul.
Doucement, il prend conscience du changement d'atmosphère. Finie l'hostilité contenue, la méfiance insidieuse qui s'est infiltrée malgré eux dans leur langage. Au fil des secondes déposées sur leur chevelure, ils se redécouvrent une affinité que, l'espace d'un instant, ils ont cru perdue sous une morosité inattendue. Mais elle est là de nouveau, elle rayonne toujours au creux de l'humour dont la rouquine fait preuve, arrachant à Enoch un bref rire. Si elle savait ! Cependant, il n'est pas sûr que ce soit un compliment que d'être comparé à un fossile – pour en avoir déjà fait l'expérience de la part d'un inconnu, il y a quelque chose de vexant dans cette remarque cocasse que la jeune femme, elle, parvient à enrober d'une authentique légèreté.
À peine se remet-il de sa joie que le regard de son interlocutrice, ou plutôt l'infime inclination qu'elle exécute dans sa direction, le ramène à un sérieux de circonstances. Rien de grave, non, juste il se raidit face à cette paume qu'elle approche de lui, se fige à la manière d'un renard qu'un bruissement proche pétrifie jusqu'à l'os, réflexe farouche dès lors que l'on rentre dans son espace vital sans qu'il n'en soit le demandeur. À cet instant, elle lui rappelle une petite taupe gênée par l'éclat émanant de son propre torse, et qui tend ses paluches devant elle afin de se repérer, tâtonne dans le flou de sa rétine à la recherche de motifs connus, agrippe ce qui se trouve à sa portée – un caillou, une brindille, un menton. Ça le chatouille. Si cela avait été le jeu bien connu, il aurait perdu presque aussitôt mais, plutôt que de rire de ce contact, il s'évertue à ne rien dire, crispé malgré lui comme un modèle dont on rectifie la posture pour qu'il capte au mieux l'éclairage avant les premiers coups de crayon. Il espère ne pas rougir trop fort. Que son trouble ne se distingue pas trop sur le haut de ses pommettes, alors que déjà Lou défait sa prise, retire ses doigts de sa peau et qu'il baisse la tête, puis rabat une mèche incolore derrière son oreille tout en peinant à réprimer un sourire neuf.
« Un partout, donc. Match nul. » Quand bien même ce ne serait pas une compétition pour désigner qui serait le plus tordu des deux.

Alors, mu par une brise imperceptible, poussé par deux paumes éthérées dans son dos et tiré en avant par une lueur dont la nature lui échappe encore, Enoch se soulève, soutenu par ses poignets qu'il ancre à la surface du sol, il se hisse avec délicatesse, la respiration réduite à un ruisseau que dilue l'attention. Il tangue un peu en lui-même, à demi conscient de ses gestes, tandis que sa vision s'étrécit au fur et à mesure, filtrant l'univers à travers l'embrasure de plus en plus ténue de ses paupières ; les néons de Madison s'estompent dans les ténèbres, la silhouette de Lou se confond avec sa lumière jusqu'à s'y dissoudre et sa chevelure enfle, s'envole, se déploie au point de noyer l'espace, le rouge partout, le feu de forêt qui recouvre le moindre morceau de chair, le moindre atome. Avec, au doux milieu de cet océan tissé de flammes dans lequel il tremperait bien les doigts, les reliefs d'une terre pâle, constellée de taches de rousseur, qu'il accoste en silence. C'est là, sur la colline d'une joue que raye l'ombre des cils, quelque part entre la chute d'une tempe et une bouche coquelicot, que le garçon pose ses lèvres. Ni timide ni conquérant, juste une caresse, de quoi interrompre le vol du temps, de quoi faire s'entrechoquer ses poumons et trébucher son cœur.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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04.04.16 23:27
Mais dis donc, je ne rêve pas, il rougit ? Et ce petit mouvement là, replacer une mèche derrière son oreille… Sa gêne est flagrante, ça m’en brûle presque les yeux, mais je dois avouer que c’est touchant, et un peu flatteur également. Je ne peux réprimer un sourire franchement amusé en le voyant ainsi.
La soirée est en train de prendre une tournure à laquelle je ne m’attendais absolument pas. J’étais sortie de chez moi pur faire plaisir à mon frangin, ou plutôt à son coloc, pour essayer de me sociabiliser un peu en dehors des collègues de labo et des infirmiers de l’hosto, un tout petit peu de socialisation… Franchement, juste papoter quelques heures avec des gens que je ne reverrais certainement jamais. Et puis je me suis laissé tenter à suivre un parfait inconnu, dans la rue, de nuit. C’est tout à fait inconscient. Puis dans une tour déserte si on en oublie le gardien, passer par la porte de derrière en plus, comme des voleurs. Jimmy, en bon père de famille, aurait surement envie de m’enfermer dans une autre sorte de tour, gardée par un dragon, pour la décennie à venir, histoire que je réfléchisse un peu à mes actes. Et par-dessus tout, c’est moi qui vais chercher le contact. Sérieusement, Lou ? C’est quoi ça ? Une crise d’ado tardive ?

Oula, il ne faut pas que je rêvasse de trop, il y a du mouvement en face de moi. Enoch s’approche, doucement, les yeux mi-clos. Mon cœur rate un battement. Je ne connais que trop bien ce genre d’approches. Ah mon dieu je m’emballe, mon cerveau tourne à mille à l’heure, et pourtant ne fait que brasser de l’air. Je le vois s’approcher, doucement, trop doucement, ça s’éternise. Il est si près à présent que je le vois flou. Est-ce que ce jour est à marquer d’une pierre blanche ? Le jour où, pour la toute première fois, Enoch embrassera une fille ?
Ses lèvres finirent enfin par se poser… Sur ma joue ? Pardon ? Un problème de visée peut-être… Le jeune homme me fait revivre mes années de primaire. Assis sur de la moquette, à s’embrasser sur les joues. Voyons Enoch, nous sommes tous les deux majeurs et vaccinés, on peut peut-être dévier un chouïa… On ne va pas jouer les prudes.

Son geste est touchant et m’arrache un sourire, bien que je me sente un peu frustrée. Je laisse une de mes mains remonter le long de son bras pour aller se perdre sans sa nuque, fourrageant à la naissance de ses cheveux, jouant avec quelques mèches. Tournant doucement la tête, je pose mon front contre le sien, le regardant par-dessus la monture de mes lunettes.
J’incline la tête, sans précipitation, moi aussi je vais laisser les choses s’éterniser, chacun son tour, il n’y a pas de raison pour que ce soit toujours les mêmes qui s’amusent.
J’ai les joues en feu, mon buste s’allume d’avantage, me donnant encore un peu plus chaud. De là où il est, Enoch doit certainement le sentir lui aussi. Encore quelques petits centimètres… J’ai le souffle court, souffle qui soudain se bloque alors que je sors de cette demi-transe. L’oreille aux aguets, je me redresse presque imperceptiblement, pour m’éloigner du bruit parasite de la respiration du garçon.

Un son métallique nous parvient, étouffé par la double porte séparant la pièce du couloir.

– T’entends ?

Un murmure, discret, pour ne pas couvrir l’écho du ronronnement de l’ascenseur. Quelqu’un monte. Quelqu’un ? Non, le gardien. Qui d’autre si ce n’est lui ? Il doit certainement faire une ronde, après-tout, c’est son travail, on ne peut pas l’en blâmer… Que nous arriverait-il si on nous dénichait ici ? Des problèmes certainement, pour nous deux, et pour son ami qui lui a donné le code de la porte de derrière.
Si ça se trouve, l’homme ne montera pas jusqu’ici… C’est cela, espère ma grande, pourquoi s’embêter à faire 76 étages pour finalement s’arrêter avant le dernier ? Ce serait comme faire tout le chemin pour embrasser quelqu’un et finalement s’arrêter à trois millimètres de ses lèvres. Ridicule.

Sous la double porte, on peut voir la lumière du couloir s’allumer. Merde.
Je récupère le foulard abandonné sur le sol, l’enroule précipitamment autour de mon cou, le laissant retomber sur ma poitrine pour cacher une lueur qui trahirait bien trop rapidement notre présence. J’attrape mon sac dans une main, celle d’Enoch dans l’autre, et me relève en catastrophe pour l’attirer jusqu’à l’autre bout de la pièce, près de l’amoncellement de meubles de bureau.

Après la mission d’infiltration, voilà la partie de cache-cache. Je me glisse sous une table, tirant sur la main de mon compagnon d’infortune pour qu’il m’y suive. A quatre pattes, je rejoins un coin reculé, dissimulé par les piles de chaises et le ficus en plastique.
A quatre pattes sous la table… Cette soirée est décidément pleine de surprises. J’ai envie de rire devant le ridicule de la situation. Je regarde Enoch, les yeux pétillants de malice, et lui vole un baiser. On ne va tout de même pas se laisser distraire par la ronde du gardien.
Ceci étant fait, je peux réintégrer ma place, cachée derrière le ficus, serrant ma veste autour de moi pour étouffer ma lumière.

La porte d’ouvre. Au ras du sol, je ne vois que les pieds du fameux gardien, dans des rangers visiblement peu confortables, et le faisceau d’une lampe torche qui parcourt la pièce.


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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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05.04.16 23:24
Le temps n'est pas suspendu, tel un oiseau de papier au plafonnier d'une chambre, un astre brodé au firmament. Le temps n'est pas suspendu, non, il ne tient pas quelque part entre avant et après, entre le trop tôt et l'un peu tard – il s'est juste arrêté. Complètement. Il n'existe plus, réduit à une seconde infinie, si élastique qu'elle ne peut atteindre l'horizon, et l'horizon à son tour se veut trop lointain pour laisser l'éternité s'y accrocher. Quelle est donc cette impression, ce flottement étrange qui rend le monde à sa plus extrême acuité ? Ainsi proche du visage de Lou, Enoch peut presque entendre le frémissement de son épiderme qu'un muscle vient tendre sous l'œil, apercevoir la plus infime nuance de roux dans sa frange ou les variations brunes de ses cils. Une dizaine de centimètres plus bas, la luminescence éclaire sa gorge, les irradie tous deux par-dessous, et cela dessine des ombres chinoises sur leur figure qui masquent mal les rougeurs du garçon sur sa peau naguère livide.
Il ignore pourquoi il agit de la sorte, avec cette pudeur, cette délicatesse. Peut-être parce qu'il a été trop habitué à prendre selon ses désirs et à être pris selon ceux des autres, peut-être parce que jusqu'à lors, il n'avait eu affaire qu'à d'incontrôlables impulsions, le genre furieuses, de celles qui vous arrachent à votre torpeur pour vous précipiter au devant des pires erreurs. Et il ne voulait pas penser à la rouquine comme à une erreur, une faute, une déviation d'un parcours prétendu sage. S'il s'était comporté avec elle comme il l'aurait fait avec un homme, c'est-à-dire avec cette indolence sauvage, cette vitalité rageuse, il n'aurait pu la regarder une nouvelle fois dans les yeux sans y voir la bizarrerie de son attitude, cette atroce brutalité qui couvait au fond de lui et qu'il tenait à lui dissimuler du mieux possible. Jamais. Elle ne devra jamais découvrir que lorsqu'on le mord, il tente de mordre plus fort par crainte de se faire dévorer, et qu'il s'immerge dans ces flux, ces lignes de force avec une avidité qui confine à la démence. Avec elle, il souhaite être normal. Être lui, et non pas cet animal habité d'instincts défensifs, cette bestiole qui grogne et jappe dans l'attente qu'on lui empoigne le collier. Il se sent libre de demeurer dans cet état tranquille, car ce n'est pas elle qui le poussera à dévoiler ses fêlures – trop attentionnée pour lui chercher la petite bête ? Pas sûr. En tout cas, il espère.

Un frisson ondule sur son échine à mesure que Lou fait remonter ses doigts jusqu'à sa nuque et, tandis que son cœur bat à tout rompre, à sauter sur la moquette pour y danser la gigue, le garçon n'ose même plus respirer tellement il pressent le rapprochement suivant. Il a le temps de le voir arriver, de le sentir courir le long de ses vertèbres et de se pétrifier en conséquence ; cette cicatrice pourpre qu'il a admiré bouger toute la soirée, cette fleur sanguine qui dissémina joie et colère, s'ouvrira-t-elle davantage en rencontrant ses lèvres que l'émoi colore à peine ? Est-ce qu'il y goûtera des effluves de framboise, un relent de vodka, ou bien les saveurs de karité d'un rouge à lèvres ? C'est sûrement différent de la bouche d'un garçon, nue, rustique, qui ne s'embarrasserait pas de cosmétique – ce qu'elle a expérimenté elle aussi. En lui, le désir se mêle à une curiosité affolée.
Ils n'auront pas l'occasion d'aller plus loin. Alors qu'il essaye toujours de garder son calme, le soudain recul de la jeune femme signe le retour à la réalité. Aussitôt le temps reprend son cours, l'éternité se fracture, et Enoch, qui croit bêtement être responsable de cet arrêt sur image, va pour s'excuser quand on l'invite à tendre l'oreille. Ce qu'il exécute, de mauvaise grâce. Et en effet, il y a bien un son bizarre, comme un ronflement continu, étouffé, ou des grincements peut-être. Type ascenseur. Dam. Ils comprennent à la seconde de quoi il s'agit, sans avoir besoin d'échanger un regard. Enfin, de qui, plutôt. Ils sont faits comme des rats s'ils ne bougent pas. Tous aux abris, branle-bas-de-combat ! Une planque. Vite. Mais où ? Il n'y a rien d'autre dans cette pièce qu'un ficus cadavérique et un entassement de chaises. Amoncellement qui semble parler à Lou, puisqu'elle l'entraîne dans cette direction juste après avoir camouflé son torse sous les pans d'un foulard noué à son cou ; il la suivra à l'aveugle, à tâtons entre les pieds des meubles, évitant tant bien que mal de constater qu'elle lui présente ses fesses en se faufilant parmi eux. Certes, un peu tard. Mais la décence y était.

N'eusse été l'ombre menaçante du gardien, l'escapade lui rappelle les constructions de son enfance, lorsque avec deux fauteuils et un drap il se créait la cabane de ses rêves, à l'intérieur de laquelle il passait de longs après-midis à lire et dormir, à se moucher aussi, autant qu'à esquiver les antibiotiques qui jalonnaient ses hivers et les sorties à la messe du dimanche. Qu'est-ce qu'il avait pu passer comme temps dans ces espèces de palais dérisoires, encombrés d'albums et de kleenex, enroulé dans un plaid qui finissait fatalement par surchauffer ! Il en avait sué, surtout quand sa mère retirait son toit pour faire la lessive et qu'il était découvert là, fautif, un atlas sur les genoux, et que pour échapper à la griffe maternelle il roulait contre le mur. En vain. Il n'avait pas compris qu'il pourrait se plaquer autant que possible contre la paroi du fond, elle n'avait qu'à tendre le bras pour le cueillir par le fond de la culotte et l'emmener bouffer du papier chez le curé. Parfois, il avait été con. Ou bien, peut-être cherchait-il juste à attirer l'attention de celle qui ne savait pas lui en donner assez, quitte à feindre la bêtise. Il était trop vieux désormais pour s'interroger sur ses maladresses d'enfant.
Par ailleurs, le geste de Lou le ramène au présent. Il ne s'y attendait pas du tout, du tout du tout, et un instant il demeure bloqué, ébahi d'avoir raté l'instant pour un souvenir ancestral. Est-ce bien un goût de mûre qu'il flotte sous son nez ? Bah, c'est sans doute mieux ainsi que de se regarder dans le blanc des yeux, grignotant millimètre par millimètre sans jamais se toucher. Au moins la barrière est tombée, c'est fait, il a embrassé une fille, bon sang, personne ne l'aurait cru, pas même lui, pas même la cervelle tout là-haut qui en lui donnant forme songeait déjà qu'il échouerait dans les lits d'autres mecs et – oh non, ce n'est pas du tout sa genèse, oublions.
Sans un bruit, cependant qu'un faisceau blafard balaye la salle, Enoch se rapproche de la rousse. Non pour récupéré son baiser, et quelques autres au passage, mais pour faire obstacle à la lumière qu'elle diffuse au moyen de son maigre corps. En se serrant à elle, en se serrant contre elle, il tente de contenir son rayonnement afin qu'il n'apparaisse à travers une béance malheureuse entre les chaises. Ce serait fâcheux qu'ils se fassent prendre à cause de cela. Une fois, deux fois, la lampe torche lave l'espace de son rayon blanc. Le garçon écoute le raffut causé par son myocarde, diminue au maximum sa respiration pour qu'on ne puisse plus l'entendre et patiente ainsi, agenouillé face à Lou, les bras en arceau autour de sa tête, le menton chatouillé par sa chevelure. Oh, prière qu'elle ne se mette pas davantage à briller ! Prière que l'autre zouave se barre ! L'endroit est plein de poussière – il a envie d'éternuer.

D'interminables secondes coulent, durant lesquelles le gardien fait quelques pas, inspecte les vitres, rallume et éteint les écrans avec un bruit étonné, puis ressort. Ne manquerait plus qu'il ferme à clef. Il ne va pas le faire, n'est-ce pas ? Il ne va les enfermer là, à son insu, avant de quitter la tour jusqu'au lendemain matin ? Non. À la place, il emporte son cône lumineux et disparaît dans le couloir qui ne tarde pas à clignoter, puis replonger dans l'obscurité à son tour alors que l'ascenseur redescend. Il n'est pas seul à redescendre, d'ailleurs ; il en va de même pour le rythme cardiaque du fantôme, qui en profite pour relâcher la pression, se détacher du mur auquel il a crocheté ses paumes et s'effondrer en arrière, non sans emporter Lou avec lui. La moquette accueille son dos avec mollesse, ses bras encerclant les épaules de la rouquine comme pour la conserver près de lui, mais trop bas pour qu'elle puisse le regarder dans les yeux – là où elle se trouve, il n'y a que des clavicules blanches, la courbure d'un cou où palpite une artère, et les ombres jouant avec les os. Elle pourra toutefois sentir les quelques doigts qui lui caressent les cheveux le temps de recouvrer une respiration apaisée, les yeux perdus dans la contemplation du plafond entre une barricade de chaises. Ça fait ko-blok, ko-blok, ko-blok contre ses tempes.  
Et il éternue, sa main libre en protection.
« On l'a échappé belle. »
Tu l'as dit, bouffi.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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07.04.16 15:26
Dans le noir, terrée près du mur, je tente de bloquer ma respiration, de retenir mon souffle pour ne pas faire le moindre bruit. Le gardien n'a pas spécialement l'air de chercher quelqu'un, et heureusement parce que notre cachette est médiocre, mais si on pouvait éviter d'attirer son attention, ce serait tout de même préférable.
D'ailleurs, de là où je suis, je n'arrive pas à voir si je dissimule correctement la lumière qui émane de ma poitrine. D'ailleurs, avec le stress, j'ai bien peur qu'elle s'intensifie. Sauf que bon, un t-shirt, une veste, et un foulard, je ne vois pas ce que je pourrais rajouter pour faire une couche supplémentaire. Enoch par contre, semble bien avoir une idée. Il n'est pas bien gros, mais son corps ferait tout de même un magnifique pare-soleil. Enfin, je suppose que c'est pour cela qu'il m'enserre de ses bras, et pas seulement dans le but de me faire un câlin. Pas que je sois contre, loin de là, mais ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour penser à cela.

Son corps tout contre le mien, j'arriverai presque à sentir son cœur battre tellement il me serre. Je ne devais vraiment pas bien cacher ma lumière. Écrasée entre le mur et le garçon, je sens une bouffée d'adrénaline inonder mes veines. La peur d'être découverts, ne sachant pas ce qu'il nous attend si on nous trouve ici, et en même temps l'excitation de cette partie de cache-cache improvisée.
Je glisse mes bras autour de la taille du jeune homme, suivant du regard les mouvements du faisceau de la lampe torche, et les pas de son propriétaire. Mes poings se serrent autour du tissu de sa chemise alors que j'observe le gardien "jouer" avec l'interface des fenêtres. S'il se retourne maintenant et éclaire l'empilement de meubles, il risque fort de nous remarquer. Si Enoch s'éloigne et que ma lumière perce la nuit, on est cuits. Je m'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage. J'hésite entre enfouir mon visage dans son cou pour ne plus voir les faits et geste de l'envahisseur, ou continuer, en apnée, à le scruter, refusant de le quitter des yeux, telle une araignée sur le plafond de ma chambre avant que je n'éteigne pour dormir. Mes yeux ont choisi pour moi, je ne le quitterai pas du regard tant qu'il sera dans mon champ de vision.

Il finit son tour, quitte la pièce et réintègre l'ascenseur. Le ronronnement mécanique se fait de nouveau entendre, Enoch desserre son étreinte, se laisse tomber sur la moquette, m'entrainant avec lui dans sa chute. Je lâche un long soupire de soulagement, recommençant à respirer normalement. Nos jambes sont emmêlées, j'ai un bras coincé quelque part entre une épaule qui ne m'appartient pas de le sol, me redresser me semble difficile, pas que j'en ai spécialement envie remarque. Je sens des doigts se promener dans mes cheveux, mes lèvres s'étirent en un demi sourire. On dirait la position de deux amants se reposant après une folle nuit d'amour. Et pourtant...
Un éternuement me fait sursauter. A tes souhaits.
Je repenses à l'absurdité de la situation, à la tournure qu'à pris cette soirée à laquelle je me suis rendue, un peu contrainte et forcée, à l'enchainement d'épisodes bizarres, l'infiltration, la dispute, le camouflage... Je laisse échapper un éclat de rire, rire un peu nerveux au départ, puis plus franc. Je ne saurais pas trop l'expliquer d'ailleurs, mais tout ça me semble totalement irréel. Un type d'environ 220 ans, et une nana ver-luisant, cachés dans la plus haute salle de la plus haute tour d'une ville de fous remplie de mutants, de leurs défenseurs, et de leurs détracteurs. Même pour un scénario du mauvais téléfilm du dimanche après-midi, ça ne passe pas. Autant regarder Derrick.

Je laisse ma main libre parcourir la clavicule que j'ai sous les yeux, la découvrir du bout des doigts. Sa peau blanche est colorée de la même lueur dorée que précédemment. Je fronce un sourcil. On a tout de même découvert que ma source lumineuse est radioactive, je n'aime pas trop l'idée d'y exposer quelqu'un d'aussi près, même si on n'a pas encore déterminé la toxicité de la chose pour les autres. Je me concentre, régule ma respiration, essaie de ne me concentrer que sur ça, au rythme du tambour battant dans la poitrine juste sous mon oreille. Petit à petit, la lumière disparait. L'effort m'a donné un coup de chaud, et je sens que mon ventre proteste, gronde. D'un autre côté, si je n'avais rien fait, la douleur serait pire demain matin. J'ai un petit sourire satisfait qui se tort bien rapidement alors que je retiens une toux. un gout ferreux m'emplit la bouche. C'est dégueulasse. Il n'y a pas d'autre mot. Je gigote un peu, libérant ma main jusqu'alors bloquée entre Enoch et la moquette et la passe au bord de mes lèvres pour vérifier qu'il n'y a rien d'autre que d'éventuelles traces de rouge à lèvre.
Cette main nouvellement libérée va se promener sur les côtes du garçon, sentant le textile sous la pulpe des mes doigts, et le relief de son corps à travers.

- On reste ici toute la nuit?..

Autant une proposition qu'une question, autant pour lui que pour moi. Je n'ai pas envie de quitter les lieux, mais surtout parce que je m'y trouve en bonne compagnie, et en même temps on aurait bien plus à découvrir dehors.
J'appuie mes deux mains sur son torse, dénoue mes jambes des siennes, et glisse les genoux jusqu'au sol. A califourchon sur son bassin, je pousse sur mes bras pour me redresser, pour le regarder, me mettre dans une position un peu plus confortable... Mais avant tout, je me mange à l'arrière du crâne le toit de notre cabane de fortune. Je geins et en me laissant retomber sur lui. Même les meubles de bureau ne veulent pas que je me défasse de notre étreinte. Ou alors, je suis simplement maladroite et tête en l'air. C'est une autre possibilité. Plus plausible d'ailleurs.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



11.04.16 17:38
Il ne se rend pas bien compte de ce qu'ils font, de ce qu'il fait ou plutôt de ce qu'il laisse faire ; n'a pas conscience de toute cette faune qu'il autorise malgré lui à investir son monde, son univers. Il se tient là, allongé sur sa doline, les bras croisés sous sa nuque et les jambes étendues dans l'herbe folle, pieds nus, à peine rafraîchi par l'ombre d'un prunier en fleurs, il ne pense à rien qu'à ces nuages filant au loin, fuguant au gré du vent qui les emporte à nouveau et qu'il se dit cette époque-là n'est pas si pénible finalement, elle n'est pas si différente que la précédente, juste un peu plus saugrenue. Mais alors qu'il constate cette évidence, que le foehn n'en finit plus de souffler et le vulpin de s'agiter, il ne remarque pas les chenilles qui escaladent ses côtes et rampent sur ses hanches, ne distingue pas les iules qui remontent le long de ses jambes, les coléoptères sur ses paupières et les papillons nichés au creux de ses pavillons. Aveugle aux fourmis grouillant dans ses bras jusqu'à l'extrême pointe de ses ongles. Sourd aux libellules voletant d'une synapse à l'autre – chaque centimètre d'épiderme se retrouve pris d'assaut par une myriade de vies étrangères, un peuple miniature qui en recouvre la surface et s'y déplace si doucement qu'il peine à en soupçonner les mouvements.
C'est là, pourtant. Cela n'a pas encore atteint son myocarde, ne s'est pas encore insinué dans ses ventricules et franchi les valves donnant accès au précieux organe. Néanmoins, c'est là, lové dans la courbe d'une artère, prompt à saisir le flux sanguin pour être injecté dans le muscle, prompt aussi à se heurter à la herse. La possibilité d'y rentrer est toujours plus infime que celle de n'en jamais voir les forteresses internes, cependant une fois introduit auprès des Sentiments qui y siègent en grands monarques, il est très dur de quitter les lieux définitivement. Enoch le sait. Et même si, sur le moment, il n'a pas le recul nécessaire pour comprendre ce qui se trame dans sa poitrine, même s'il ne suspecte pas une effraction aussi terrifiante, car invisible et indolore, il sait trop bien que Lou, comme peu avant elle, a déjà traversé le pont-levis pour réclamer une audience auprès des rois. D'ailleurs ils tergiversent depuis plusieurs heures déjà. Ils discutent, se chamaillent et échangent sur les raisons de sa présence en ces lieux si souvent clos. Ils l'inspectent et chafouinent sur sa nature – une fille, ça a le mérite de la rareté ! – rouspètent sur les mauvaises signalisations dans le château – les amis, ce n'est pas l'aile nord ? – s'interrogent sur le temps qu'il faudra avant qu'ils ne lui prêtent allégeance – l'aurore n'est pas encore levée, camarades, touchons du bois. Branle-bas-de-combat dans la citadelle. Et le garçon, qu'un charançon dans la gorge vient de faire éternuer, percute finalement à ce qui lui arrive.

Est-ce l'aria de leurs positions, l'embarras de la situation ou les aléas de sa condition ? Il ne saurait dire. Pas le temps de remercier la rouquine pour les souhaits qu'elle lui prodigue que déjà, Enoch cesse de lui caresser la crinière comme on le ferait d'un félin alangui en travers de ses genoux. Qu'est-ce qu'il lui a pris ? Certes, si le geste lui avait déplu, elle n'aurait sans doute pas attendu pour en faire la remarque et se dégager – ou le dégager, dans la mesure de l'espace disponible autour d'eux – mais tout de même. Il a agi sans réfléchir, un réflexe tactile qui lui ressemble si peu et qui, toutefois, trouve ses origines dans une évolution naturelle de ses rapports humains. Il y a deux ans, il ne fallait pas lui demander chose pareille ; hors de question de se coller ainsi à quiconque, tous sexes, toutes races, à poils, plumes ou écailles, confondus. Il avait érigé des remparts plus haut que l'Everest en vue d'esquiver ces rapprochements. Pour tout, et surtout qu'on ne le touche pas. Cette stratégie du dos creux, qui constitue à cambrer au maximum la colonne pour échapper au contact, lui avait bien entendu valu reproches et désagréables rumeurs, lesquelles avait-il évitées en accentuant encore davantage la cambrure, tant physique que psychique. Les bruits de couloir avaient fait leur beurre de cette mise à distanciation sans qu'il cherchât à les éventer, parce qu'ils seraient toujours plus supportables que l'inconfort, les désagréments qui l'envahissaient dès lors qu'on l'effleurait. Puis il avait rencontré des personnes qui, soit qu'elles eurent la patience de l'apprivoiser, soit qu'elles l'attrapèrent de force, lui enseignèrent que le cinquième sens n'est pas le plus vil, et qu'il est en définitive celui qui contient le meilleur des relations. Le pire, aussi. Mais pour peu que l'on sache en doser les usages, l'on devient capable d'en retirer d'incomparables souvenirs. Et Lou, sans nul doute, appartiendra à ce cercle restreint, trié sur le volet et sous les chaises, de ceux qui l'auront marqué de cette inoubliable manière.
Néanmoins, le garçon essaye de se reprendre. Elle a beau rire, la jolie rousse, lui est trop perturbé pour se laisser aller à ce genre d'euphorie soulagée ; ne ressent-elle donc pas de gêne à être ainsi affalée sur un inconnu, de deux cents ans son aîné ? Non. Elle s'en fiche – elle a compris que ce n'est pas ce type de gosse perdu qui lui ferait du mal. Sauf que le dit gosse, tout timide et maladroit qu'il est, n'en reste pas moins un homme, avec ses mécaniques et ses pensées, et maintenant qu'il a dévalé sa colline pour se retrouver dans le monde réel, les effets concrets de leur posture enlacée menacent de se dévoiler. Si Lou ne paraît pas pressée de se démêler, allant même jusqu'à lui chatouiller les os, lui craint de devoir l'obliger pour des raisons qui le troublent rien que d'y songer. La poisse. Ses joues s'empourprent déjà, tandis qu'il s'en veut de penser à ces choses. Triviales. Primaires. Il a l'impression d'être un animal que l'on pousse à sortir de sa caverne au beau milieu du printemps, lorsque tous ses congénères batifolent depuis des lunes dans les champs. Il ne veut pas penser à ça, pas maintenant, pas ici, pas avec elle. Ce serait lui manquer de respect. Pire que tout, il ne veut pas qu'elle le considère comme n'importe quel autre garçon, de ceux qui n'auraient pas refusé une telle invitation et qui, à en croire les stéréotypes, se seraient empressés d'en profiter. Parce que, sincèrement, quand une belle fille en short s'assied jambes écartées sur votre bassin après avoir sous-entendu qu'elle migrerait bien ailleurs avec vous, bah, navré pour la poésie, mais il y a des neurones qui se perdent. Et Enoch ne fait pas exception à la règle.

Cela dit, il lui en reste suffisamment pour commander à ses membres – et les bons, pas l'autre, le dernier qui sert à jouer les adultes – de se redresser à l'instant où un bruit mat se fait entendre ; Lou vient à son tour de perdre quelques neurones, et le fantôme se retient de rire en la voyant retomber sur lui, envoyant plutôt sa paume frotter doucement à l'endroit de la future bosse.
« Évitons juste de finir à l'hôpital, d'accord ? » lance-t-il pour plaisanter, même si la tête n'y est pas. Il faut qu'elle s'en aille, qu'il lui dise gentiment de se déporter, qu'elle ne le prenne pas comme un affront à ses charmes. Il faut qu'il lui avoue sa confusion, qu'il ne peut aller plus loin en dépit du lien qu'il s'épanouit entre eux, que quelque chose le bloque, l'effraie, le tétanise presque et que, même s'il est incapable de comprendre exactement de quoi il s'agit – triste subterfuge pour ce qu'il pressent pourtant au plus profond de lui – cela ne signifie pas la fin, la conclusion. Terminus, la passagère est invitée à descendre. Non, non, ce n'est pas ça. Alors quoi ? C'est bien de sa faute si, avant l'interruption du gardien, ils auraient pu se découvrir ; c'est bien lui qui a initié le geste, l'ouverture par laquelle un essaim d'abeilles s'est infiltré. Et maintenant que cela bourdonne dans ses tempes, que cela tourbillonne derrière son sternum, il est pétrifié. Pas assez toutefois pour ne pas la relever doucement, les deux mains sur ses épaules, alors qu'il fuit son regard.  
« Hum, Lou. Je dois te dire... » Voilà qui commence mal. Phrase typique des mauvais départs.
Il s'interrompt pourtant, distrait par une lueur verte qui ne tient pas de l'Evolve – à coup sûr elle provient de son bracelet, mais au lieu de l'éteindre en le tripotant, un peu à l'arrache, il se rate ou n'importe quoi, et un faisceau sensiblement bleuté jailli entre leurs deux visages.
« Ouais, 'Noch, j't'appelle pour savoir où... t'étais... »
La tête d'Anthony, que l'hologramme dessine en moins mate, marque un temps d'arrêt. Il a l'air de bidouiller un truc sur son poignet, ses sourcils se froncent, se défroncent, puis il se met à rire comme un imbécile, visiblement ravi de ce qu'il vient d'apercevoir. L'image est cependant trop étroite pour observer, à ses côtés, autre chose que des épaules et les bouts de cheveux de ceux qui doivent l'entourer à ce moment.
« Dire que j'me faisais du souci pour toi ! Oh, quoique... » Des éclats de voix autour de l'étudiant parviennent, hachés, aux oreilles du couple et brouillent la fin de la phrase. En un éclair, Anthony couvre la transmission avec sa main, laissant tout juste le temps à Enoch de discerner une étincelle surprise dans le regard de son ami, puis des rais de lumière gigotent un peu, découpant des images comme sur une pellicule usée ; lorsque l'écran redevient entier, le frère de Nolan siffle un « J'ai rien dit, t'as du souci à t'faire ! » avant d'être bousculé – ou de laisser sa place, il ne saurait faire la nuance – à une autre figure que l'Ancien ne reconnaît pas. Sans doute parlera-t-elle mieux à Lou.
« Qu'est-ce qui se passe, ici ? Toi, qu'est-ce que t'as fait à ma sœur ? »
Oh, Steve. La poisse bis.

Spoiler:
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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13.04.16 23:12
J’ai mal au crâne… Autant à cause du coup que je viens de prendre que de ma lumière trop vive un peu plus tôt. Il serait fâcheux que je me fasse une migraine maintenant. Il n’y a rien de pire pour vous plomber une soirée. Sauf que moi, cette soirée, je veux la passer avec Enoch. Les doutes ne sont plus franchement possibles. Ici ou ailleurs, à divaguer dans les rues ou à se raconter des contes d’enfants, peu importe. J’ai juste la folle impression d’être tombée sur un oiseau rare que je n’ai aucune envie de laisser s’envoler, ce serait une perte déplorable.
Je l’ai vu réprimer un rire lorsque je me suis cognée. Un frémissement au coin des lèvres, un sourire retenu, pour ne pas me vexer sans doute. Ce demi-sourire semble être une chose assez rare, comme ces fleurs qui éclosent au petit matin et fanent à la nuit tombée, contrairement à moi qui sourit largement pour un oui ou pour un non, l’ondoiement des lèvres d’Enoch n’est pas une denrée aussi abondante, ce qui la rend plus précieuse.
Je ferme les yeux, posant mon front sur son torse, laissant en ce qui me concerne mes lèvres s’étirer largement. Je profite de ces gratouilles dans mes cheveux, en lieu et place de ce qui sera surement un beau petit hématome d’ici le lendemain matin. Je me sens tout à fait stupide, comme lors de ces premières amourettes de collège, lorsque l’on découvre pour la première fois ce que c’est que de se laisser approcher par un autre, quelqu’un n’appartenant pas au cercle familial. Je me rappelle de la sensation d’avoir le cœur tellement léger qu’il risquerait bien de s’échapper sans que l’on ne s’en rende compte, des fourmillements dans la poitrine dès que deux mains s’effleurent. J’ai envie de rester là des heures à revivre tout doucement ces petits souvenirs de sensations presque oubliées.

Enoch plaisante, me sortant de la rétrospective diapo qui se tenait dans mon crâne. Au pire, j’ai une carte de fidélité… Ce n’est pas faut, mais il a tout de même raison, éviter le voyage à l’hosto est surement une bonne idée. Le passage aux urgences se dispute la première place des façons de pourrir une soirée avec la migraine mentionnée plus tôt.
Ses mains quittent ma crinière pour venir m’attraper par les épaules, un geste bien trop sérieux si on considère la situation actuelle. Je me laisse guider jusqu’à me redresser, me décoller de lui, m’assoir sur la moquette, en tailleur, attendant de connaitre la raison qui l’a poussé à m’écarter. J’étais bien moi pourtant…
Mes yeux tentent d’accrocher les siens, mais il fuit mon regard. Oh merde, ça ça sent mauvais. « Je dois te dire »… Il n’a même pas le temps de mettre fin au suspense, interrompu par son bracelet. Foutue technologie.
Je me fais des films, imagine les 101 scénarios possibles. Qu’allais-tu me dire Enoch ? « Je dois te dire »… Que je suis gay ? Marié ? Un extraterrestre venu d’une autre planète ? Non, ça il l’aurait certainement dit, ce n’est pas si différent des 200 ans de latence on ne sait où dans l’espace-temps. Alors quoi ? Je le fais chier ? Il me trouve pesante et tente de trouver une façon de me le faire comprendre sans que je ne me vexe ? Il ne m’apprécie pas ? C’est parce que je suis une Evolve c’est ça ? Ou parce que je suis rousse ?
Non mais de pire en pire, je divague complètement, m’imaginant des possibilités plus farfelues les unes que les autres. Et avant tout, je me sens frustrée. Frustrée et grognon du coup. J’ai l’impression d’être une gamine a qui on a injustement enlevé son doudou.

L’air un peu renfrogné, je lève les yeux pour regarder l’hologramme qui s’agite entre nous. Le champ est large, je dois certainement apparaitre de l’autre côté de la communication. Ah, vu l’air benêt que prend l’interlocuteur d’Enoch, plus de doute possible, je suis bien à l’image. Allez, on vire cette moue revêche, et on fait bonne figure. Bah tiens, le jeune homme a l’air un instant bien content de ce qu’il voit, comme si l’Ancien venait de pécher un gros poisson.
Quelques perturbations à l’image, mais la communication ne coupe pas. Bientôt, c’est le visage de mon frère qui apparait face à Enoch. Et merde… Les problèmes. Tel un chien mal luné mon cadet se met à aboyer. Tiens tiens… Ne serait-ce pas une occasion en or de passer mes nerfs pour diluer un peu ma frustration ? Et puis, il n’y a pas de raison pour qu’Enoch se prenne le courroux de mon frère sans aucune raison.
Je m’approche de lui, histoire de me retrouver au centre du cadre et affiche mon plus beau sourire figé, le sourire de combat, sourire semi-carnassier qu’il est censé bien connaître depuis le temps.
Ne me séparant pas de mon ton le plus aimable, la bataille peut commencer.

–Hey, Stevie, mon poussin, qu’est-ce que tu dirais de t’enquérir de l’état de ta sœur en lui demandant directement ?
- Putain Lou, qu’est-ce que tu fous ? T’es où ? Ah, en ce qui le concerne, pour le ton aimable, on repassera.
– Bah écoute, on s’est introduit à moitié par effraction dans un lieu qui nous est interdit, et là, on se cache sous des chaises pour éviter les problèmes… Je hausse les épaules, comme si je venais de lui annoncer que j’achète des pommes au marché. Ce qui est bien lorsqu’on tente de faire marcher Steve, c’est qu’il fonce la tête la première dans toutes les perches que l’on peut lui tendre.
- Te fous pas de moi. Tu ferais bien de rentrer.
J’ouvre de grands yeux ébahis. Comment peut-il espérer me faire faire quoi que ce soit en me parlant sur ce ton ?
– Si je voulais passer ma soirée sous le joug d’une quelconque autorité patriarcale, j’aurais accompagné Jimmy à une de ses sorties bridge… Tu sais, je suis une grande fille, je peux m’occuper de moi tout seule… Le ton monte. Bien que mon volume sonore reste au même niveau, ma voix vibre d’un énervement que seul mon frère sait déclencher.
-Si seulement tu ne t’occupais que de toi… Il désigne Enoch d’un geste de menton. J’en reste bouche bée, sidérée par son comportement de petit prince insupportable. Il en retourne maintenant à sa victime de départ. Ecoutes bien mec, s’il lui arrive quoi que ce soit, je te retrouve et te fais bouffer tes… Je le coupe avant qu’il ne puisse en dire plus. Le ton aimable n’est maintenant plus de rigueur.
– Mêle-toi de ton cul et fous-moi la paix gamin ! Retourne à ta fête et occupe-toi plutôt de tes invités, on est en train de se donner en spectacle. Je m’interromps, gênée par une toux intempestive. Encore ce même gout métallique. Je me racle la gorge alors que l’expression furibonde de Steve passe à un air inquiet. Comme une mère qui sait discerner les différents pleurs de son gosse, lui a reconnu la toux de sa sœur. Toux due à la bioluminescence, à la radioactivité qui consume tout doucement des petites parties de mon corps au hasard. Dans ses yeux noirs qui, jusqu’à présent, reflétaient alcool et colère, on voit à présent un air soucieux. Soucieux de ma santé certainement, et du fait que, s’il a bien deviné, je me suis allumée devant un homme que je connais à peine.
Il se radoucit, s’adressant tour à tour, à moi, puis à Enoch.
-Tu m ‘envoies un message quand tu es chez toi, ce soir, demain, je m’en fous, mais tu me tiens au courant. Changeant d’interlocuteur, il reprend avec son air de dur à cuire. Et toi, tu prends soin d’elle jusqu’à ce qu’elle soit rentrée. Compris ?!

Je soupire longuement en me frottant le front du plat de la main. Mais qu’il est chiant à vouloir jouer l’homme de la maison. Qu’il aille souler son autre sœur plutôt que de s’acharner sur moi. Il n’y a rien de plus gênant au monde que cet espèce d’ordre là « tu prends soin d’elle », et puis quoi encore ? Il était à deux doigts de me dire, je ne sais plus moi, qu’il est gay ou père de famille, au choix, bref, qu’il ne veut certainement plus avoir affaire à moi, et le voilà à se faire prendre la tête par mon frère. Géniale la soirée.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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14.04.16 11:31
Alors qu'il s'apprête à se faire passer un savon par un gars qu'il ne connaît ni d'Ève ni d'Adam, pas du tout conscient de ce que les frères, même cadets, peuvent infliger à ceux qui maltraitent leurs sœurs chéries, Enoch espère qu'il pourra reprendre son aveu sans trop de mal une fois cette discussion tassée, histoire de ne pas laisser Lou dans de trop grandes expectatives. Peut-être qu'elle s'imagine déjà qu'il va lui sortir ces phrases toutes faites que trois siècles de cinématographie ont introduites dans le langage courant au point de les rendre insipides, qu'il s'agisse de la manière de larguer une fille en dix leçons ou au contraire de lui jurer ses sentiments éternels, genou à l'appui et poème de Rimbaud sur le cœur. Enfin, ce serait sans compter sur le fait qu'elle pourrait mal le prendre s'il lui demandait d'être son Verlaine – et il tient trop à sa main pour tenter le coup des yeux revolver. À moins qu'elle ne sombre en plein scénario catastrophe, au cours duquel elle le découvrirait séropositif, enchaîné à un père proxénète et forcé de tapiner auprès de riches veufs qu'il cambriolerait une fois la petite mort accomplie pour payer sa dose d'héroïne. Sûr qu'il ne serait pas le premier garçon à vivre ce genre de cauchemar, mais enfin, ce n'est pas le cas et Zarathoustra merci. Il n'ose même plus la regarder tandis qu'elle se rapproche pour rentrer dans le cadre holographique. Se faire tout petit, invisible. Avec un peu de chance, le Steve comprendra qu'il est plus probable que ce soit elle la plus à même de lui faire du mal, et non l'inverse. Par ailleurs, le garçon remarque qu'ils ne se ressemblent pas franchement, si ce n'est pas du tout – détail qui l'étonne sans qu'il ne s'y attarde.
À demi en retrait, Enoch écoute, un soupçon contrit, la conversation qui ne manquera pas de s'envenimer. Cependant, même s'il se sent fautif sans être capable de le justifier, savoir que Lou pourrait se faire sermonner à cause de lui l'énerve assez, quand bien même il ne comprendrait pas pourquoi, à son âge, son frangin veille encore tant à la chaperonner. L'Ancien se serait-il comporté ainsi avec sa sœur aînée, dans le cas où il en aurait eu une ? Il l'ignore. Ou peut-être est-ce dû au fait  qu'elle est Evolve et donc supposément plus fragile que la normale ? Foutaises. D'eux deux, elle est probablement la moins faible. Il doit y avoir des raisons plus profondes qu'il ne saisit pas, est incapable de saisir, et en fin de compte cela ne l'intéresse pas tant, trop occupé qu'il est à dissimuler son sourire sous prétexte de baisser la tête par repentir à l'instant où Lou décrit leur localisation. Elle n'y va pas par quatre chemins, la demoiselle, sans gêne aucune ; et si Steve perdrait son sang-froid devant pareille nonchalance, l'investigateur de cette escapade, lui, s'en amuse à mi-geste. Toutefois il se reprend aussitôt, avec ce sérieux agacé qu'ont les élèves envoyés malgré eux dans le bureau du proviseur pour écoper d'une punition générale. Même s'il laisse la grande fille gérer toute seule et qu'il pressent un certain malaise le gagner, Enoch se retient de répliquer à la seconde où l'attention se reporte de nouveau vers lui. La menace le crispe légèrement, ses sourcils se froncent au-dessus de l'éclat marin de ses iris ; le frérot s'attendait-il à ce que son éventuel beau-frère lui demande Vous permettez, Monsieur, que j'emprunte votre sœur ? Nous ne promettons pas d'être sages, comme vous ne l'êtes sûrement plus à votre âge, sans penser au mariage ? Voilà qui serait drôle. Voilà aussi qui lui ferait irrémédiablement bouffer ses.

La nuance hostile dans la voix de la rouquine sonne la fin des politesses acerbes. Entre exaspération et sobriété, celle-ci remet sans ménagement son cadet à sa place, ce à quoi il aurait sûrement renchérit si elle ne s'était pas interrompue pour cracher un morceau de son poumon – tout à coup, la colère s'efface au profit de l'inquiétude qui se peint sur le visage des deux garçons à la fois. Néanmoins, Enoch est le plus proche, alors c'est à lui que revient le privilège de se tourner vers elle pour s'enquérir de son confort ; s'est-il montré trop insouciant quant à un possible contrecoup ? Elle ne lui a pas décrit en quoi il consistait, mais il va sans dire que ce type de symptômes a toutes les chances de découler de sa luminescence. Et si elle est restée allumée plusieurs minutes déjà, ce n'est pas bon signe. Il aurait dû être plus prudent, plus attentif. L'absence de dangerosité du don l'a induit en faute, comme si par effet réciproque, le prix à payer n'était pas non plus dangereux. Erreur. Soudain, il n'entend plus la méfiance de Steve de la même oreille. Il comprend son souci et, lorsque ce dernier lui commande de s'occuper de la jeune femme jusqu'à ce qu'elle ait atteint son domicile, il ne peut qu'acquiescer gravement, par réflexe autant que par volonté. Oui Monsieur. Comptez sur moi Monsieur. Arrêtez de m'agresser comme ça Monsieur. Un « compris » s'échappe de sa gorge serrée, que le frère fait suivre d'un grommellement qui signifie qu'il a tout intérêt à obéir s'il tient à la vie. Puis la conversation coupe, replongeant l'espace dans une pénombre silencieuse et rassurante. Enoch relâche un soupir de soulagement. Où en étaient-ils ? Ah oui, je dois te dire...
Il n'est plus certain de vouloir encore lui dire, après cet intermède costaud. Non pas qu'il craint que Steve ne mette sa menace à exécution s'il apprend que Lou n'est pas rentrée saine et sauve, simplement ils se sont séparés, écartés par l'intervention d'un autre individu, et cette présence entre eux a sectionné le fil sur lequel l'Ancien marchait, un pas après l'autre, afin d'atteindre la rousse. Il n'a pas chuté de très haut, cependant, il lui fut aisé de regagner le bord de la falaise ; mais à présent il doit recommencer, relancer la corde entre eux, et il redoute de manquer son coup. Il le faut bien, pourtant. Plus il attendra et plus il lui sera difficile de jeter ce pont, de le franchir tant qu'il est encore temps et qu'ils ne se sont pas enfoncés dans une inextricable jungle. Mettre les choses au clair avant qu'il ne soit trop tard. Le passage douloureux de la traversée du gouffre – s'il réussit à renforcer les fibres qui les relient l'un à l'autre, il aura vaincu ses propres frayeurs, et alors le véritable voyage débutera. S'il échoue, il n'aura plus qu'à ramasser les miettes broyées dans le fleuve aux crocodiles, trempé jusqu'aux os par sa bêtise. Faire preuve de cette même sincérité qu'il attend chez les autres.

« Il s'inquiète vraiment, n'est-ce pas... » commence-t-il tout en ne sachant pas où poser les yeux. Ils sont encore sous leur amas de chaises, leur cabane improvisée au toit de laquelle ils se cognent sans vergogne, et l'endroit est peut-être plus propice aux mystères que la rue dehors et ses longues avenues éclairées. « Est-ce que cela ira ? » Oh, il croit que cela ira. Qu'au vu de sa précédente réaction, elle a horreur qu'on la prenne pour quelqu'un de vulnérable, la pauvre victime d'un pouvoir inutile qu'elle n'a pas souhaité. Être traitée comme une humaine et qu'on ne lui rappelle pas tous les jours qu'elle doit faire attention, sans doute est-ce là l'un de ses désirs premiers, un de ses vœux les plus chers. Enfin, il n'est pas à sa place, pas dans son crâne. Si elle ne lui dit rien, il ne pourra pas savoir. C'est pourquoi lui décide de lui dire, même si cela doit rompre le lien qui vient de s'établir entre eux, même s'il risque d'y perdre gros. Ses phalanges s'en vont se tordre maladroitement les unes contre les autres au-dessus de ses rotules.
« Et pour ce que je voulais te dire... Hm. C'est difficile à exprimer. » Ne te moque pas s'il te plaît. Ne me juge pas trop vite. N'aie pas ce dégoût gribouillé sur le visage. « Je... n'ai jamais été proche de quelqu'un, proche par envie, par plaisir. Ou plutôt, je ne l'ai jamais été de façon raisonnable, si tant est que sentiments et rationalité puissent se mêler. C'est déjà arrivé, si, mais je ne savais pas l'interpréter, je n'arrivais pas à comprendre, et il se peut que je n'y arrive toujours pas aujourd'hui. Ces choses-là me paraissent encore souvent étranges, quand elles ne débouchent pas sur une inévitable violence, alors je ne sais pas comment réagir, comment bien réagir lorsque j'y suis confronté. Et je ne veux pas que tu aies à pâtir de ces failles. »
Des images se bousculent à la lisère de sa cervelle. Il ne les revoit que trop clairement, ces personnes qui s'imposèrent dans son espace vital, qu'il autorisa inconsciemment à pénétrer son monde qu'il croyait intangible et, quand un ogre en piétinait la tranquillité sans scrupule, un brun aux odeurs de cigarette et de riz cuit y replantait de hauts cyprès. Et quelque part dans ce même univers, une poignée de monarques bavards et bravaches s'apprêtent à couronner une demoiselle à la chevelure de flammes, dont les yeux bleus brillent d'une clarté royale.
« En allant à cette soirée, je n'imaginais pas une seule seconde qu'il me faudrait les avouer à quiconque, parce que personne ne m'aurait intéressé, parce que ce n'aurait pas été nécessaire, et encore moins attendu. Sauf que je me suis trompé. Je me suis trompé car tu y étais, et que depuis le début il y a eu cette envie d'être proche de toi que je n'ai pas comprise, que je ne comprends toujours pas, mais qui est là. C'est cela qu'il fallait que je te dise – c'est sans doute prématuré, tu penses peut-être que je raconte n'importe quoi ou que je ne suis pas net, et tu aurais raison. Mais je préfère que tu le saches, pour que tu ne prennes pas mal certaines réactions dues à cette confusion, à mes inaptitudes. Si cela te dérange, tu peux me le dire. Je ne t'en voudrais pas. » Il préférerait d'ailleurs qu'elle parte en courant plutôt qu'elle reste, écœurée quoique trop gentille pour l'avouer, et que la suite soit cousue d'une hypocrisie embarrassée, d'une fille qui ne veut pas blesser un garçon bizarre qui lui tend une lettre. Ce sera mieux ainsi. De toute manière, il est trop tôt pour parler de sentiments ; ce ne sont que des lueurs furtives, des étincelles agréables le long du sternum, rien d'irréparable.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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17.04.16 0:15
Ça me rend folle de voir que mon frère continue à penser qu’il me faut un homme pour veiller sur moi. Sérieusement, si en rentrant, on se faisait agresser, je serais certainement plus à même de nous protéger tous les deux plutôt que de laisser Enoch gérer la situation. C’est pas contre lui hein, mais je dois dire que son petit gabarit ne laisse pas imaginer une puissance folle… Et puis, les hommes n’osent pas franchement, entre eux, frapper là où ça fait mal, alors que pourtant, rien de tel qu’un bon coup de genou bien placé, ou écraser un pied d’un bout de talon. Les femmes sont fourbes quand il s’agit de se défendre dans la rue…
Cependant, si sur ce même chemin du retour, je tombe dans les pommes ou m’écroule en m’époumonant, je ne pourrais pas faire grand-chose seule… Et puis, vas monter les escaliers si t’arrive plus à tenir sur tes pattes. Bon, bref, il est temps de laisser mon égo de côté et de me sentir plutôt flattée de l’intérêt qu’ils me portent tous les deux. Alors qu’ils étaient tous deux plus que tendus quelques secondes plus tôt, les voilà avec la même lueur d’inquiétude au fond des yeux. A cause d’une toux. Pour Steve ça se comprends, il m’a vue partir à l’hosto un bon nombre de fois, et dans des états souvent peu glorieux, mais pourquoi Enoch semble tout aussi inquiet ? Lui ne sait pas, il n’a pas de raisons de s’alarmer ainsi ? Ou peut-être est-ce de voir mon frangin passer de furie à maman poule qui lui a mis la puce à l’oreille… Vas savoir.

Ils semblent être tous deux d’accord pour finir. Si ça se trouve, cet épisode pourrait bien être le début d’une entente cordiale entre eux. Comme des chiens qui se rencontre dans la rue, s’aboient dessus, se reniflent, et finissent pas gambader joyeusement côte à côte. Mes comparaisons sont de pires en pires.
L’un d’eux coupe la communication. Ce n’est pas plus mal ? Je n’avais pas franchement envie d’être chaperonnée par mon petit frère. Surtout que maintenant, m’attend un moment surement peu agréable. Qu’avait-il donc à me dire ?
Mon cerveau tourne à toute allure, dérivant dans tous les sens, s’imaginant les pires scénarios à nouveau. Je me tourne vers lui, le regardant fuir mon regard à nouveau. S’il a l’air de s’inquiéter ? Oh oui, et pas qu’un peu, c’est légitime d’ailleurs, mais ça devrait aller, de toute façon il faut que ça aille. Un sourire désabusé, je lui réponds, légère.

– C’est une vraie Drama Queen, tout va bien.

Plutôt crever en silence que d’avouer une faiblesse d’une nature aussi ridicule que celle-ci. Surtout qu’on a plus important à penser. La fameuse révélation… Quelle est-elle ?
C’est partit. Je l’écoute, les yeux rivés sur son visage, accrochés à ses lèvres, en suivant tous les mouvements, et pourtant, je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’il me dit là. Il me parle bien de sentiments n’est-ce pas ? Un envie d’être proche de moi.
Je pique soudainement un fard, espérant que le peu de luminosité de la pièce cachera cette gêne. Effectivement, ce genre de déclaration est peut-être un peu prématuré. La lueur revient furtivement au creux de ma poitrine, petite étincelle que je chasse en fermant les yeux et respirant calmement.

Je m’étais juré il y a une paire d’année de ne jamais trop m’attacher à un humain, trop dangereux, et puis, cette bribe d’incompréhension dans leurs yeux par rapport à mon pouvoir, c’est chiant. Il n’y a pas d’autre mot. Ou peut-être que ça me fait peur, tout simplement. Et voilà qu’en l’espace de quelques heures, il est en train de faire voler en éclats mon plus vieux principe.
D’un côté, je pense que ça m’aurait arrangé qu’il me dise ne plus vouloir me revoir, pour je ne sais quelle raison, je n’aurais pas eu à me prendre la tête ainsi.

C’est à mon tour de baisser les yeux, cherchant à mon tour quelque chose à lui répondre. Comment pourrais-je lui dire quoi que ce soit alors que mon propre cerveau semble patauger dans la sciure quand je me repasse ses paroles ?
Une nouvelle quinte de toux. Je me détourne, tire un mouchoir de ma poche pour le poser sur mes lèvres, attendant que ça se calme. Cette fois, je ne garde pas le gout métallique en bouche, profitant du bout de tissu pour y lâcher l’espèce de fluide rougeâtre à la saveur âcre.
Quelques longues secondes passent avant que je ne puisse ranger le mouchoir et reposer les yeux sur Enoch. Une de mes mains me masse le ventre sans même que je n’y pense pendant que l’autre s’élève jusqu’à la joue du jeune homme. Une caresse du bout des doigts.

– Ca ne me dérange pas. C’est assez inattendu… C’est à mon tour d’avoir le regard fuyant. Je ne sais pas quoi lui dire, la gorge un peu serrée, un peu gênée, n’arrivant pas moi-même à faire le tri dans ce que je peux bien ressentir. On peut aussi laisser les choses se passer et voir ce qui nous attend…

Une remarque autant pour moi que pour lui. Arrêter de se prendre la tête et vivre au jour le jour. Carpe Diem…
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



19.04.16 0:50
Il réfléchissait trop, toujours, encore, pour savoir si c'était oui ou si c'était non, s'il fallait dire blanc quand il pensait noir et noir quand il pensait blanc, pour apprendre comment réagir à une catastrophe qui aura lieu dans trois siècles et oublier la course à faire le lendemain. Ce n'est pas nouveau, cette manière qu'il a de tourner des éléments dans tous les sens pour se créer des problèmes, et de secouer des problèmes pour en faire des points de détail sans importance ; connaître le nombre de sommets de la Cordillère des Andes ainsi que leur altitude est primordial, mais trouver l'itinéraire le plus rapide pour traverser Madison et c'est le drame, le non-sens le plus complet – pourquoi s'y rendre si vite lorsque l'on peut flâner le long du boulevard Roosevelt, traverser le square des quatre-vingt-neuf présidents américains, faire un détour par la galerie thaïlandaise et s'arrêter sous l'arche de la guerre du Groënland ? On louperait l'essentiel. Cependant les gens normaux ne pensent pas ainsi, ils ne se posent pas tant de questions et ne visent que ce qui les intéresse, alors Enoch doit faire avec ce cerveau rempli d'interrogations, il doit continuer de fouiller dans ces fibres qu'il lance partout et nulle part, ces perturbations qui le happent, l'agitent et le recrachent en proie à tout un tas de réflexions. Son crâne tel une tringle où s'accrochent les symboles interrogatifs, des tonnes et des tonnes, à n'en plus savoir qu'en faire, alors il réfléchit, trie, réfléchit, trie, il essaye de dégoter des réponses pertinentes, des réponses qui conviennent à tous, au cas par cas, et là il se retrouve empêtré dans un nœud qui lui semble indémêlable et dont il vient à peine de tirer une ficelle en expliquant à Lou qu'il désire être près d'elle. Alors il n'ose même pas songer au nombre de cordes qui risquent de s'ajouter si un jour, plus tard, il lui avoue qu'elle lui plaît vraiment, qu'il aimerait bien que toute cette histoire aille plus loin et qu'ils n'y mettent jamais le mot fin. L'apocalypse intellectuelle.

Osera-t-elle encore le regarder sans lui rire au nez, après cela ? Au fond, c'est la seule et terrible question qui tourbillonne à l'intérieur de sa caboche sitôt sa bouche refermée. La toux de Lou ne lui a pourtant pas échappé, et malgré la pénombre qui absorbe jusqu'au moindre éclat lumineux, le garçon accuse un vent d'inquiétude que disperse un frôlement sur sa joue. La rouquine lui cache des choses, des choses qu'il n'ose approfondir parce qu'il sait trop bien que cela a un rapport avec son pouvoir et que, à en juger par sa précédente réaction – dont il était seul responsable, certes – elle ne voudra pas lui en parler. Ou bien elle en niera les réelles conséquences, reléguant le tout à la case des faits sans importance. Ou bien elle lui dira que oui, c'est vrai, elle se désintègre de l'intérieur à chaque fois qu'elle s'illumine et que, si elle use de son don ne serait-ce qu'une minute de plus, elle redeviendra poussière comme dans l'Ecclésiaste. Et ce sera horrible. Non, il se raconte encore n'importe quoi ; cette peau sur son visage le perturbe, lui arrache un frisson ; les minces lueurs du dehors font ressortir plus intensément les prunelles de la rousse et les ondoiements de sa chevelure. On dirait un feu de joie au cœur des ténèbres. Un instant, Enoch pense qu'il voudrait rester ici toute la nuit, qu'il ne se lassera jamais de ce contact, de cette douceur inattendue contre son visage, mais il sent toutefois que son corps réagit mal, que quelque chose tire et lutte à l'intérieur de lui, qu'il voudrait s'enfuir avant qu'il-ne-sait-quoi dérape. Comme un vieux souvenir aux contours estompés qui, en parasitant la silhouette de Lou, fait resurgir un trouble qu'il avait cru recouvert par le bien-être.
En douceur, il vient couvrir de sa paume la main de la jeune femme, la décroche et referme ses phalanges autour, à la manière d'un oisillon fébrile. Les paroles de celles-ci ne l'ont pas rassuré pleinement, il demeure trop d'incertitudes, cependant il acquiesce à ce simple commentaire qu'elle prononce, là où perce un semblant de promesse, une invitation à un lendemain, où naît un nouveau jour – là où finit la nuit. Ce qui les attend. Dur de se projeter dans l'avenir quand on sait que pour l'une, la réalité se borne à une ville enclose, et pour l'autre le quotidien n'est qu'une difficile survie. Ne s'illusionnent-ils pas eux-mêmes, en admettant que les choses peuvent se passer tranquillement et laisser fleurir des sentiments dans ce climat hostile ? Est-ce qu'elle le supportera toujours lorsqu'il refusera de prendre part aux débats des Pros et des Antis ? Est-ce qu'il saura la défendre si des Erasers s'en prennent à elle, est-ce qu'il pourra la soutenir si son contrecoup lui lamine l'organisme ? C'est bien beau, les premiers émois, mais leur condition respective ne se rappellera-t-elle donc pas à eux plus vite que prévu, venant terrasser leurs efforts comme un courant d'air un château de cartes ? Rien que d'y songer, c'est à se demander si tout cela en vaut la peine. La peine d'aimer.

« D'accord. » Le mot, auquel le silence a conféré une solennité insolite, paraît résonner dans la pièce, sous les chaises où ils se trouvent toujours abrités. « Je suis curieux de voir », lâche-t-il avec un demi-sourire. Pas qu'un peu. Une litote, bien entendu, qui trahit avec trop d'évidence sa confusion – sûr qu'il est impatient de savoir ce que leur réserve le futur, dusse-t-il être sombre et incertain ; s'il tient sa main dans la sienne, il y croit, tout ira bien.
« Et si nous retournions prendre l'air ? On commence à étouffer, ici. » Et ce n'est pas pour lui fausser compagnie ou lui adresser un quelconque reproche déguisé ; ils ont juste traînés suffisamment longtemps dans cette pièce pour en avoir fait le tour, par conséquent il est grand temps pour eux de descendre de la tour. Toutefois, le souci n'a pas quitté Enoch, qui s'empresse de rajouter à l'intention de la chercheuse :
« Tu peux t'appuyer sur moi si tu as des vertiges. Et tu me diras si tu veux te reposer ou bien rentrer, je te raccompagnerai. Sauf si tu es trop fatiguée pour... » Woops. Il se retient à temps de finir sa phrase, de lancer sans y réfléchir que la Tour Parabolique étant sise à la frontière entre le centre-ville et l'Entre-deux, ils sont probablement plus proches de chez lui que de chez elle, mais non, c'est une mauvaise idée, et quand bien même Steve la drama queen aurait proclamé qu'elle pouvait découcher... C'est toujours une mauvaise idée. Alors pour camoufler sa bêtise, le garçon rebrousse chemin d'un coup sec, libère ses doigts pour se glisser entre les pieds des chaises et ressortir hors de leur abri d'infortune, non sans s'étirer en se relevant ; il ne s'en était pas rendu compte, mais se tasser pour rentrer dans l'espace exigu lui a mis la colonne en pelote, si bien qu'il fait craquer ses vertèbres avec des petits bruits d'os et un soupir apaisé. « Tu t'en sors ? » questionne-t-il ensuite en se retournant, à l'adresse de la rouquine.
L'extérieur l'appelle, qui lui nettoiera les neurones de tous ces miasmes corrompus. Dehors, ils pourront se remettre à parler de tout et de rien, à s'inventer des destins qui ne leur appartiennent pas, ou plus, ils se poseront des questions sans queue et se répondront sans tête, ce sera l'été de nouveau, et demain leur tendra les bras.
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Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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19.04.16 23:04
L’espace d’un instant, je crois qu’il va juste chasser ma main de sa joue. Je dois avouer que ma réponse est pour le moins légère, mais je ne peux pas lui promettre des choses que je ne sais pas moi-même. Ce doit être perturbant. Il n’a pas l’air d’être un garçon qui se confie facilement, bien au contraire, et pour toute réponse à sa déclaration, je lui ai dit « laisse donc couler, on verra bien ». J’avoue que c’est décevant.
Ses doigts se referment autour de ma paume, ma peau peine à se décoller de la sienne, j’aurais aimé garder le contact. A vrai dire, j’aurais aimé un peu plus de contact… J’ai les joues en feu, plus j’y pense, et plus notre situation actuelle me frustre. Une petite voix s’égosille dans mon crâne, tentant peut-être de se faire entendre à l’extérieur. Elle réclame des bras autour de moi, des lèvres contre les miennes, se serrer l’un contre l’autre jusqu’à en avoir le souffle coupé… A la place de ça, je ne peux que lui caresser le pouce avec le mien.

Ses mots résonnent dans le silence environnant. J’aurais tellement voulu lui en dire plus au lieu de le laisser dans cette sorte d’infinie inconnue.
« Curieux de voir » ? Je hausse un sourcil interrogateur. De voir ce qui nous attend ? Il semble aimer se projeter. A sa place, j’aurais plutôt été impatiente de vivre nos prochains moments de partages. D’ailleurs, en parlant de partage… Serait-il possible, sans vouloir offenser personne, de recommencer ce premier baiser que je lui ai volé dans « le feu de l’action » lorsque nous étions à deux doigts de nous faire prendre par le gardien ? J’aimerai bien gouter à ses lèvres sans avoir à me presser ou à me soucier de quelconques ennuis.
Je tente une toute petite approche, remuant doucement sur la moquette, mais j’ai à peine le temps de bouger qu’il me propose de sortir. Ah. Acoquinage avorté. J’aurais peut-être une autre chance plus tard. Je ne vais pas le brusquer au risque de le faire fuir. Bien bien bien… On va prendre l’air. Ca ne nous fera pas de mal, ça me permettra peut-être de calmer ce coup de chaud qui rend mes joues écarlates.

Un mince sourire étire mes lèvres alors qu’il semble s’inquiéter à demi-mot de mon état de santé. Visiblement il a compris que lorsque je me déplace, ce n’est jamais sans mon égo, et que celui-là n’apprécie pas franchement que l’on démasque ses faiblesses, même si elles sont grosses comme une maison.
Il ne termine pas sa phrase, se détournant de moi pour quitter notre cabane. Trop fatiguée pour ? Pour quoi ? Ca ne se fait pas de laisser les gens avec un suspense comme ça. Je n’ai pas la moindre idée de ce à quoi il peut bien penser.
Alors qu’il chemine parmi les pieds de chaise, j’essaie d’avoir l’air discrète en le regardant avancer à quatre pattes devant moi. Je dissimule comme je peux un sourire en coin en m’extrayant à mon tour. Une de mes jambes rappe contre le petit cache en plastique antidérapant d’un siège, je sens que mon collant s’y accroche, avant de revenir épouser mon mollet. Moi qui pensais réussir à garder mes bas intacts pour toute la soirée, ça semble cuit.

Enoch vient s’enquérir de mon état d’avancement.

– Ouais ouais, ça va…

En réalité, je galère pas mal, trainant d’une main un sac finalement bien encombrant. Je finis enfin par me redresser, sentant en me mettant debout, une ou deux colonnes de mailles de mon collant se défaire une à une, comme une série de dominos alignés entrainent leurs voisins dans leurs chutes. Une bande de peau trop claire tranche à présent avec le noir du nylon. Je tends à mon tour les mains vers le ciel, me dressant sur la pointe des pieds afin d’étirer mon dos au maximum, puis me penche en avant jusqu’à ce que mes mains puissent raser la moquette et mon front reposer sur mes genoux. Un long soupir d’aise plus tard, je me redresse, un peu vite, devant à présent faire comme si de rien n’était alors qu’une série de petits points noirs assombrissent ma vision.

Le sac sur une épaule, je glisse une nouvelle fois mon bras sous celui d’Enoch, l’entrainant avec moi pour reprendre dans le sens inverse le chemin que nous avions emprunté un peu plus tôt. L’ascenseur, les couloirs, la porte de derrière, et nous voilà à nouveau au pied de la tour.

Ma main libre n’a pas quitté le creux de mon ventre durant toute notre escapade, faisant de temps à autre de petits vas-et-viens, comme une caresse afin de rassurer un petit animal. Ne t’inquiètes pas, tout va bien, on ne va plus s’allumer pour ce soir, repose toi, tout ira mieux après une bonne nuit de sommeil…
Fermant les yeux, je laisse aller ma tête en arrière, le visage tourné vers le ciel profitant de l’air frais sur mes joues pour apaiser le feu sous ma peau. Rouvrant les yeux, j’ai tout le loisir d’admirer à nouveau cette quantité de points noirs dansant dans mon champ de vision et assombrissant le paysage. J’aimerais ne pas m’appuyer sur le jeune homme, ne pas m’en servir de béquille, mais il n’y a rien à faire, j’ai une espèce de sal vertige qui revient dès que je pense que ça va mieux. Si ça se trouve, ça n’a rien à voir avec la luminescence, c’est peut-être juste un petit peu d’hypoglycémie, une petite chute de tension… En attendant, je ne pette pas la forme.

– Enoch.. ?

C’est bien beau de l’apostropher, et maintenant ? Lui avouer que j’aimerai bien me faire escorter jusqu’à un endroit tranquille et confortable, où si possible j’aurais de quoi grignoter ? Lui demander de me trouver un banc histoire que je puisse me débarrasser de mes talons qui me privent d’une précieuse surface spécifique pourtant essentielle à un bon équilibre ? Ou alors peut-être lui dire que cette soirée en sa compagnie m’est très agréable et que j’aimerai qu’elle dure le plus longtemps possible ? Les trois à la rigueur si je ne peux pas me décider…
Je devrais au moins lui dire la première possibilité. Je me souviens de l’air désespéré de mes parents lorsqu’ils se rendaient compte, trop tard, que j’étais dans un état lamentable mais que je n’avais voulu en parler à personne. Le pire c’est certainement de réaliser que ce genre d’épisodes n’est pas arrivé qu’une fois.

Mes yeux cherchent un endroit sur lesquels se poser, zigzaguant entre les taches sombres, espérant qu’elles se dissipent. J’ai les jambes en coton.
Ca fait combien de temps que je l’ai invectivé à présent ? Peut-être bien trente longues secondes.

– J’ai un petit coup de barre.

Doux euphémisme.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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20.04.16 18:28
Une dernière fois il regarde la vue, une dernière fois il admire la myriade de lueurs qui dessinent la silhouette nocturne de Madison – pour un peu, il la trouverait presque belle cette ville, ou bien est-ce la présence de Lou non loin qui donne cette nuance inédite aux choses, une sorte d'éclat nivéal qu'il n'avait découvert nulle part jusqu'à présent. Peu importe finalement, du moment qu'il peut entendre ces légers frottements contre la moquette, les bruissements du nylon sur la feutrine du sol, et détourner les yeux pour ne pas donner l'impression qu'il la fixe en train de sortir d'une position gênante, à quatre pattes à deux mètres de lui. En revanche, il se retourne dès qu'elle se remet debout, l'observe s'étirer à la manière d'un chat, d'une souplesse exquise qui lui tire une mine stupéfaite ; s'il essayait de l'imiter, ses poignets s'arrêteraient au niveau de ses rotules, et ce serait déjà bien car il craindrait trop de rester coincé dans cette position. Ou de se déplacer une vertèbre. Elle a sûrement dû être gymnaste ou pratiquer une activité du genre par le passé, à moins qu'elle ne le fasse toujours, ce qui expliquerait sa façon de ramper sous les meubles sans se cogner partout comme une patate arthritique. Une seconde, il se demande ce qu'elle fiche ici, ce qui a pu lui passer par la tête pour qu'elle accepte d'aller avec lui, de quitter une soirée au cours de laquelle rencontrer des jeunes hommes intéressants et prometteurs est plus simple que bonsoir pour l'accompagner au sommet d'une tour où ils se sont retrouvés à deux doigts de finir en cellule jusqu'à l'aube pour tentative d'effraction d'un bâtiment public. Et même s'il est un peu tard pour se poser la question, il se la pose quand même, une de plus il n'est pas à cela près, sans dénicher d'autre explication plausible que le fait que, quelque part, elle doit au moins être aussi imprévisible que lui. Ce qui, étrangement, le rassure.
Autant surpris que ravi, il accueille le bras de la rouquine sous le sien et la laisse les guider vers la sortie – chacun son tour – constatant dans l'ascenseur que, si la poitrine de Lou s'est enfin éteinte, ce n'est que pour en faire migrer la chaleur dans ses joues, qu'elle a rosées malgré l'absence de poudre. Une idée sur le coupable, il se retient de lui parler, regarde ailleurs durant le temps nécessaire à la descente, moins par gêne que pour éviter de remonter les yeux le long du filage de son collant, maille par maille, jusqu'à buter contre l'ourlet de son short. De mieux en mieux. Non seulement il la kidnappe, mais en plus il ne la rendra pas dans le même état qu'à l'origine ; est-ce que Steve va lui passer un savon pour si peu ? Ce serait idiot qu'ils s'accrochent pour un bête accroc. Promis, elle n'a rien, elle est intacte, ne me tue pas s'il te plaît.
Ils évitent soigneusement le gardien, refont le chemin en sens inverse sans être inquiétés, disparaissent dans l'ombre du bâtiment en abandonnant derrière eux quelques timides rapprochements, deux ou trois contacts confus et une sensation d'incomplétude, d'inachèvement. Tant pis. Toujours, Enoch s'en souviendra – jamais il n'oubliera cette nuit.

Son nom l'arrache à sa mémoire en construction.
« Oui ? » répond-il en venant la dévisager. Que se passe-t-il ? Un souci ? Une lubie ? Un ovni ? Un battement d'angoisse glisse sur ses traits lorsqu'il constate qu'à la lumière des réverbères, ses rougeurs se sont évanouies pour faire place à une pâleur soutenue, différente de celle de sa teinte naturelle, et que cela ne présage rien de bon. S'il en déduit la raison presque aussitôt, le garçon se traite d'imbécile et d'inconscient en guise de rédemption par avance, attendant d'écouter la suite de l'apostrophe. Rien n'arrive, pourtant. Ou bien plus tard qu'il ne l'imaginait. Loin de s'affoler n'importe comment, il patiente jusqu'à ce qu'elle parle, qu'elle exprime ce qui ne va pas, car peut-être ses justifications diffèrent-elles de ce à quoi il songeait juste avant. Et pour preuve, elle prétexte un petit coup de barre. On ne la lui fera pas. Pour endurer régulièrement malaises et anémies depuis qu'il a vu le jour, l'Ancien déchiffre sans mal les symptômes d'une prochaine baisse de tension. Au moins parle-t-elle toujours, ce qui est plutôt bon signe. Pour le reste, il ne peut se prononcer et remue sa cervelle pour dégoter la meilleure solution à ce problème : la ramener chez son frère ? Ils sont bien à un quart d'heure de l'appartement, davantage désormais puisqu'ils seront ralentis par l'état de Lou. L'allonger sur un banc et attendre que cela passe ? Vu l'heure, cela craint un peu, d'autant qu'il n'est pas sûr que le coup de barre mette les voiles en deux minutes. Appeler les pompiers ? Ils ont probablement d'autres chiens à fouetter, et Enoch ne voudrait pas la placer dans l'embarras en l'obligeant à passer tout un tas de tests – ses doses régulières engendrées par son statut d'Evolve lui suffisent sans doute. Alors quoi ? Bon, il reste le dernier recours, l'atout trèfle dans la manche, celui qu'il espérait ne pas utiliser aussi vite, ou du moins pas dans ces circonstances quelque peu urgentes ; il ne devrait même pas réfléchir en la voyant ainsi, mais c'est délicat tout de même, et puis il n'a jamais mangé beaucoup de viande quand il était petit. Le rapport ? Tout de suite.

« Tu peux me donner ton sac, je vais le porter. Ce sera déjà cela en moins. » Sauf erreur, il ne s'écroulera pas sous vingt grammes de stick à lèvres, une tablette portable et, éventuellement, des paquets de mouchoir. Ce qui est mal connaître le contenu d'un sac de fille... Mais tout ceci relève du détail technique. Tendant la main pour récupérer le monstre, il le charge sur son épaule droite, le positionne de façon à ce qu'il ne lui scie pas l'articulation, avant de s'accroupir devant Lou en lui tournant le dos, qu'il arrondit au maximum. « Et je vais te porter aussi. Hisse-toi assez haut si possible et laisse tomber tes bras devant, que je puisse agripper tes mains par-dessous tes genoux. L'équilibre sera plus solide et ce sera plus simple pour moi. Je pourrai tenir juste ce qu'il faut. » Avant de m'écrouler comme une loque. Non, à dire vrai, juste ce qu'il faut pour atteindre son palier. Ensuite, il s'écroulera comme une loque.
« Tu vois la rue qui part à droite, avec l'agence touristique à l'angle ? continue-t-il en lançant son index dans la direction. Jusqu'au carrefour, puis deuxième à gauche. C'est là où j'habite. C'est moins loin que chez ton frère, mais je ne te l'ai pas dit tout à l'heure parce que... je ne voulais pas que tu croies... » Des trucs, oui, pour rester poli. Comme si cela ne lui avait pas traversé le ciboulot une seule fois. « Enfin, si cela te gêne ou quoi que ce soit, je peux essayer de te ramener jusqu'à chez toi. Cela dépend de comment tu te sens. »
Rarement a-t-il eu la sensation de s'enfoncer dans un guet-apens. Ce moment ajoute une nouvelle occasion à son palmarès. Pourtant, en dehors de ce mince décalage, il ne s'imagine pas une seconde qu'il s'engage sur une pente dangereuse ; chez lui, chez elle, chez Steve, en haut d'une tour, c'est du pareil au même, tant qu'elle récupère des forces et se repose, tant que la blancheur de son visage s'estompe sous des reflets plus vifs. Si cela ne tenait qu'à lui, il ferait une bêtise dans le simple espoir d'apercevoir de nouveau se colorer son museau. Oh, et dernier détail, au cas où elle lâcherait la phrase qui tue ; non, Lou, tu n'es pas grosse, et non, je ne suis presque pas aussi faible que j'en ai l'air.
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evolve
Lou Sullivan

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Lou Sullivan
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20.04.16 23:25
Mes yeux se ferment d’eux même, des bouffées de chaleur de bonne envie de m’allonger sur le sol pour profiter de la fraicheur du bitume, et pourtant, je sais que si je m’allonge, je ne me relèverai pas avant de longues heures. C’est ça qu’il me faudrait en fait, une petite sieste et un peu de sucre… Un peu de bouffe et ça repart, c’est toujours comme cela que j’ai fonctionné, je ne vois pas pourquoi ça devrait changer aujourd’hui.

La voix d’Enoch me parait un peu lointaine, j’essaie de le regarder, de déchiffrer son expression, d’y discerner du souci, ou au contraire, une assurance rassurante. Mais je n’y vois rien. Le monde est flou, les bâtiments dansent autour de moi, j’ai l’impression d’avoir pris une grosse cuite, c’est exactement ça. Mes prunelles ne peuvent s’arrêter sur rien de stable pour me permettre de garder l’équilibre. J’ai l’impression que quelque chose oppresse ma poitrine, que je ne tiendrai pas sur mes jambes le temps de rentrer… Mais il est hors de question pour que je reste ici en attendant que ça passe… Quoi que, c’est peut-être ce qu’il y a de mieux à faire. Je ne sais pas, je ne sais plus. Mon cerveau pédale dans le sciure, j’ai la nette impression qu’aucune de mes réflexions n’aboutit.

Il me propose de prendre mon sac. Je ne rechigne pas, lui donnant toute ma vie contenue dans une simple besace en cuir qui doit bien peser son poids.
Mais… Qu’est ce qu’il fout ? Il s’accroupi devant moi, lâchant mon bras au passage. Privée de ma précieuse béquille, je ne sais plus à quoi me retenir, le mur le plus proche me semble bien loin, et vraiment, mes jambes ne font pas le poids.
Il propose donc de me porter… Bien… Je laisse échapper un gloussement, cette idée me semble tout à fait ridicule. Lui, avec son tout petit gabarit,  va me porter jusque je ne sais où ? A qui pourrait-on bien faire croire ça ? Je ne doute pas qu’il puisse me soulever, mais il ne tiendra jamais la distance, même jusqu’à son petit chez lui qui semble bien près d’ici par rapport aux autres appartements dans lesquels il pourrait me ramener.

Je suis son doigt du regard, mais je dois avouer qu’il m’est impossible de distinguer la fameuse rue. Trop loin, trop flou, trop sombre. Je veux m’éloigner de lui, me détourner, lui laisser croire que mon « Tu n’as pas besoin de me porter. » peut être crédible. A peine un pas sur le côté que je sens mes jambes se faire la malle. Je perds l’équilibre, m’effondrant à moitié sur lui, me rattrapant à ses épaules. Les mains tremblantes, je soupire, capitulant devant ma propre incapacité à supporter mon propre poids. Je glisse mes jambes autour de sa taille, passant mes bras autour de son cou pour commencer, puis les laissant choir comme il me l’a conseillé.
Je pose ma tête contre son crâne, fermant les yeux. Le monde ne s’est pas arrêté de tourbillonner, j’ai l’impression que je pourrais le lâcher à n’importe quel moment et tomber sans fin comme dans un mauvais rêve.
Il faut quand même que je lui réponde. Un petit effort.

- Va où ça t’arrange, le moins loin pour toi.

Ma voix me parait lointaine. J’enfouie mon visage dans ses cheveux, laissant mon esprit vagabonder, cherchant la dernière fois que je me suis sentie comme cela. Je crois que c’était lors des dernières vacances de Noël. J’ai d’ailleurs fait une peur bleue à une amie de la famille venue passer les fêtes avec nous.
Ça avait commencé au réveil. En me levant, j’avais ce fameux sentiment de m’être redressée trop vite. Ça ne m’avait pas empêchée de monter dans la cuisine dans le but de prendre un petit déj, parce que le petit déjeuner c’est le repas de plus important de la journée. J’ai monté les escaliers comme on escalade l’Everest. J’ai trouvé mon père dans la cuisine, s’inquiétant de mon teint pâle, même pour moi. Après une longue pause assise à ma place, la tête dans les mains, les coudes sur la table, me plaignant d’avoir trop chaud, en plein mois de décembre, j’ai fini par écouter son conseil et retourner me coucher. Je m’accrochais à la rampe dans les escaliers, une vraie descente en rappel, manquant plusieurs fois de dévaler les escaliers en ratant une marche. Enfin en bas, je croisais l’amie de la famille. Un « non pas trop » comme toute réponse à son « ça va ? » et je me retrouvais allongée par terre sans me rappeler de comment j’avais atterrit sur le carrelage. Arriver jusqu’à mon lit fut encore une autre histoire. J’ai finalement passé la journée allongée devant un nombre incalculable de séries avec une tension au raz des pâquerettes.
J’espère sincèrement ne pas rejouer le même épisode avec Enoch.

– Je suis vraiment désolée de te faire subir ça…

D’une toute petite voix, blottie au creux de son cou, dissimulée par ses cheveux. Je m’en veux réellement.
J’ai hâte que l’on arrive, hâte de m’allonger, qu’enfin tout s’arrête de bouger autour de moi.
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