Une journée comme une autre qui débutera tard pour Ciel. Elle était là, avachie sur son canapé, à observer le plafond d’un air presque mélancolique. Elle réfléchissait péniblement, ayant du mal à se concentrer et à garder une idée en mains plus d’une dizaine de secondes. On lui avait donné rendez-vous à un endroit spécifique de l’Entre-Deux. Un ami avait besoin de sa dose, et elle possédait tout ce qui pourrait le satisfaire pendant quelques jours voire semaines s’il savait se contenir. En attendant l’heure fatidique, elle resta sur ce sofa peu confortable, à observer la fumée de sa cigarette flotter tranquillement dans la pièce déjà bien enfumée. La fenêtre n’était pas ouverte, la femme était plongée dans sa propre brume.

L’heure tournait lentement et pourtant, c’était déjà l’heure de partir. Pas le temps de grignoter quelque chose, elle n’avait pas que cela à faire, de toute façon. Il fallait qu’elle profite de cette journée de repos à aller arrondir ses fins de mois en s’enrichissant au détriment de la santé de ses clients. Ceci dit, tant qu’elle rapportait de l’argent, elle se fichait pas mal de ce que pouvaient faire les autres de sa marchandise ; dès lors qu’elle quittait ses mains, cela ne la regardait plus. Et puis ses amis ne venaient pas lui demander de faveurs, elle était même persuadée que ces derniers lui cachaient ce qu’ils faisaient de leur temps libre.

Discrètement, elle se faufila entre les rues et les ruelles. Ciel savait exactement où aller, où se cacher pour ne pas être embêtée. Il n’y avait personne sur le chemin, et cela semblait plus étrange qu’autre chose, car d’habitude cet endroit est plus ou moins animé, que ce soit par les gamins qui viennent jouer ou les autres qui y sèment le chaos. Elle adorait ce genre d’activités, cela rendait le quartier vivant, et c’était agréable autant à vivre qu’à observer. À chaque fois qu’elle traversait cette rue, elle se rappelait de ses nombreuses années à y faire tout et n’importe quoi. Et aujourd’hui, il n’y avait personne  pour reprendre le flambeau.

Un soupir traversa ses lèvres. Elle finit par arriver, un peu en avance, et surtout avant son client. Il fallait qu’elle installe tout, et qu’elle s’éclaire pour ne pas finir dans le noir. L’endroit semblait peu accueillant et pourtant il abritait de nombreux trafiquants de son genre de temps en temps. Quelques minutes après, c’était l’heure de l’échange. Elle tendit un paquet à l’autre, le tout en restant silencieuse. Il n’y avait pas de raisons de faire la causette, elle ne voulait pas être son pote, tout simplement.

L’autre personne acquiesça, et finit par ouvrir la bouche. Une conversation s’entama, et le sujet était évidemment la marchandise. Quelques compliments, des remerciements, un peu d’histoire, et voilà. Au final, Ciel avait craqué, elle finit par se laisser aller et taper la causette entre deux coups d’œil sur sa drogue. Elle était prête à repartir aussi vite qu’elle était venue, jusqu’à entendre un grognement retentir dans son dos. En un sursaut, elle se retourna, et, sous la surprise, son cœur se serra.

Elle n’avait aucune échappatoire, certes, mais elle semblait plus étonnée qu’effrayée. Ce visage… elle connaissait la personne qui venait l’arrêter elle et son camarade.

« Comment ? »

Aucun autre mot ne put sortir de sa bouche. Elle était bien trop choquée pour pouvoir parler proprement. L’autre restait silencieux, la respiration courte, de peur qu’il se fasse attaquer par le gros chien qui accompagnait la personne familière.

« Tu… C’est plutôt moi qui devrais te poser la question… »

Évidemment, Ciel savait ce qu’elle faisait ici. L’arrêter, c’était son devoir, certes, mais elle semblait toute aussi surprise que la seconde femme. Elle ravala très vite sa fierté, laissant les paquets de drogue aux soins de son client, avant de s’avancer doucement pour ne pas qu’elle prenne cela pour une tentative d’agression.

« On peut s’arranger… Nous sommes amies après tout, non ? »

Elle tenta tout d’abord de l’acheter ainsi, en espérant qu’elle ait une once de pitié, qu’elle puisse faire une exception malgré son devoir.

« Tu sais depuis notre dernière rencontre… Il s’est passé tellement de choses. »

Mauvaises. Beaucoup de regrets, mais qu’importe. Ciel leva les mains pour lui montrer qu’elle n’était pas armée, qu’elle ne possédait que la parole et des mains nues pour attaquer.

Spoiler:

Ciel avait peur. Et cela pouvait se lire dans ses yeux… Elle n’arrivait pas à garder son calme, et pourtant, c’est ce qu’il fallait faire dans ce genre de situations. Les mains toujours levées, elle tremblait légèrement. Le chien aux pieds de son ancienne amie devait sûrement sentir sa crainte, elle lui jeta donc un regard assez agressif avant de retourner fixer l’autre femme. Elle se remémorait de nombreux moments, autant les bons que les mauvais, en compagnie de cette dernière. Et là, qu’est-ce qu’elle faisait ? Elles étaient un peu ennemies, étant donné que Ciel était en parfaite illégalité. Elle espérait vraiment pouvoir s’en sortir avec pas ou peu de pénalités, profiter de leur lointaine relation était probablement la meilleure chose à faire – ou la pire…

Mais que s’était-il passé exactement entre son départ et maintenant ? De l’eau a coulé sous les ponts, et Ciel s’était enfoncée dans la mauvaise voie au point de ne plus pouvoir en sortir. Ce qu’elle voyait, depuis le fond de son trou ? Un peu de lumière. Mais elle n’avait pas la force d’escalader. Elle écouta attentivement sa question, un peu surprise. Elle ne le savait donc pas ? Ses avertissements, Ciel les avaient complètement ignorés. Elle voulait à l’époque suivre sa voie, mais elle ne s’attendait absolument pas à ce que cela finisse ainsi. Elle s’était mise dans la merde pour rien, elle qui aurait pu avoir une vie normale et heureuse. Mais la voie de la drogue et des choses illégales l’avaient rattrapée, c’est pour cela qu’elle était ainsi. Elle n’osait répondre pour le moment, regardant complètement impuissante l’arrestation du gars à ses côtés.

Le pauvre… Il semblait complètement paniqué. Au début, il ne s’était pas laissé faire, mais très vite il finit par tendre directement ses mains pour se faire menotter. Ciel savait qu’il était à deux doigts de prendre la fuite, vu la gueule qu’il avait, mais il préféra limiter les dégâts. Faute avouée est à moitié pardonnée, non ? Il devait probablement se dire ça. Et, non, cette fraude ne serait probablement jamais effacée de leur casier.

« Je… J’ai été complètement manipulée… », Dit-elle d’une voix presque cassée.

Elle ne voulait pas tout dire, mais il fallait qu’elle s’explique. Alors elle serra les poings, s’éloignant légèrement pour aller s’adosser à quelque chose qui manquait de tomber en poussière. Elle réfléchissait à quoi dire, quoi faire, de toute façon il n’y avait pas trente-six mille solutions, il fallait qu’elle avoue, ou qu’elle se fasse coffrer. De toute façon, elle se disait que peu importe ce qu’elle disait, elle se ferait arrêter elle aussi.

« Tu le sais sûrement mais je suis partie avec des gens qui n’avaient pas forcément d’intentions. Mais tout adolescent est un peu con, surtout à cette époque. »

Elle marqua ensuite une énième pause, redressant la tête, les bras croisés et ramenés tout contre elle. En se remémorant ce qu’elle avait vécue, elle s’était mis à sourire, un rictus mitigé entre le bonheur et la tristesse. C’était vraiment bizarre à voir, et elle se griffait légèrement le bras, ne pouvant pas regarder la femme dans les yeux.

« Et puis il y a eu la Red Week… Un vrai carnage. Et j’ai regretté d’y avoir été… J’ai même failli finir derrière les barreaux après ça ! »

Un vrai sujet tabou. C’était un peu comme jouer à pile ou face. Elle était restée assez évasive pour ne pas se faire prendre, même si elle savait que ça n'allait pas la sauver. Mais elle était totalement à sa merci, elle ne pouvait ni fuir, ni se battre. Elle en tremblait, elle craignait de finir dans le mal. D’un simple regard, Ciel finit par implorer Lexus de l’épargner. Elle ne voulait pas la forcer, mais elle pouvait bien faire une exception, non ?

« S’il te plaît… Si je fais ça c’est… Pour me faire oublier ? »

Alors là, c’était une vraie blague. Elle savait pertinemment que ce genre de chose était plus que punissable.

« J’ai un vrai travail sinon, et ça ne va pas plaire à mes potes s’ils l’apprennent… »

Ce qu’elle voulait, c’était de continuer à profiter de la vie. Elle stressait à tel point qu’elle en retira son bonnet rapidement, avant de le jeter au sol en grondant. Merde.