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.La cadence des émotions est une chose vraiment complexe. [Chaze] /Clos/
lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
lost in the grey urban woods



09.12.15 0:01
Dans l'épisode précédent...

Il sentait ses iris d'ébène posés sur lui, ses prunelles noires qui lui perforaient l'encéphale à la recherche de réponses qui ne tomberaient certes pas du plafond et dont il était lui-même incapable de trouver la moindre miette d'explication. Le désordre intérieur causé par sa situation, le genre à ne pas se guérir grâce à un yaourt, se faisait si violent qu'il l'empêchait de redresser la tête pour soutenir le regard de Chaze, pour amorcer une nouvelle phrase histoire de ne pas laisser la conversation finir sur ces notes aussi agressives qu'incompréhensibles. Cependant, Enoch se trouvait trop démuni pour réussir quoi que ce soit, et encore moins calmer le jeu ; à elle seule, l'exaspération qui émanait du scientifique suffisait à taire toutes ses volontés, comme si protester n'aurait fait que jeter de l'huile sur le feu crépitant soudain entre eux. Comme si même s'excuser aurait eu un effet tout inverse à celui habituel, à savoir apaiser les tensions accrochées à leurs épaules. Et tandis qu'il se morfondait sur sa bêtise, les yeux en train de se noyer dans les plis de la couverture, le gosse réfléchissait à ce fameux Bronx dont il était l'ignorant responsable à en juger par les dires du brun – et plus il y songeait, plus il se rappelait cette voix à l'arrière de son crâne, la persifleuse, avec la terrifiante impression que tout cela s'était réellement produit. Si ce n'était qu'une illusion collective, il n'y aurait pas tant de sérieux peint sur le visage de son ex-amant, ni cette lueur trouble dissimulée sous ses mots, cette nuance agitée dans ses mouvements. Mais ce ne pouvait être vrai. N'est-ce pas, que cet épisode ne pouvait être vrai ?

Le bleu à l'âme, Enoch se décida finalement à bouger. À défaut de savoir quoi répliquer, il obéissait à Chaze de manière à lui montrer sa bonne foi autant que le respect qu'il éprouvait silencieusement à son égard, et aussi parce qu'à la longue, il en avait marre de traîner nu dans des draps qui n'étaient pas les siens. Entraînant dans son sillage la moitié du dessus-de-lit, par un stupide élan de pudeur, le garçon fut néanmoins interrompu dans sa trajectoire afin qu'on lui modifia son bracelet – idée à laquelle il n'aurait pas pensé naturellement et qu'il aurait été bien incapable de mettre à exécution. D'abord inquiet en envisageant que c'était peut-être une feinte du scientifique pour prendre connaissance de ses données identitaires, il cessa aussitôt de jouer les paranoïaques devant l'attention de son partenaire et, l'air à demi-fasciné par la brève manipulation sur ce qu'il avait toujours du mal à considérer comme un téléphone-carte-d'identité, il en profita pour acquiescer à sa demande.
« Oui, je le ferai. Promis. »
Il espérait ne jamais avoir à le faire. Pourtant, c'était , guettant sous la surface. Il pouvait se voiler la face aussi longtemps que possible, planter sa tête dans le sable pour y attendre la fin de l'orage, il ne pourrait plus nier que quelque chose n'avait pas eu lieu dans cette salle de bain. Il eut même une fraction d'hésitation à l'instant d'y entrer pour récupérer ses fringues, craignant qu'il n'y découvre la cruelle vérité. Sauf que la pièce demeurait intacte, à peine embuée, lourde d'une moiteur que la petite bouche d'aération ne parvenait pas encore à dissiper. Nulle trace de tags sur les murs, nulle bariolure sur le carrelage. Un lavabo plus blanc que blanc, un miroir qui lui renvoyait son visage crayeux, avec ses yeux de pluie soulignés d'un trait bleuâtre, et puis ses vêtements ne furent que des vêtements, et qu'il enfila aussi machinalement que l'on ferme une porte sur ses souvenirs. Il ne s'était rien passé. Alors pourquoi ses certitudes n'en étaient plus ?

Ils quittèrent l'hôtel sans échanger un mot, quoiqu'Enoch saisit le regard louche du gérant lorsqu'ils traversèrent le hall de réception avant de retrouver avec un extérieur agréablement doux ; il ne se rendait compte que maintenant à quel point l'atmosphère de la chambre avait été réchauffée. Sur le trottoir, pas de taxi. Dans la rue, quelques passants indifférents. Bon. Et ensuite ? Perdu dans ses pensées, ou plutôt dans l'absence de pensées, le fantôme ne leva les yeux vers Chaze qu'au moment où celui-ci prit la parole – passage difficile des au revoir qui auraient dû être des adieux, engagement sous-jacent de rester en contact, vieille réminiscence de celui qui avait été, en 2013, l'un de ses premiers amis. Oui, à cette seconde, le brun ressemblait beaucoup à Alexander, ce jeune homme qui s'était comporté comme un grand-frère lorsque le cadet s'était trouvé mal, avec toute l'ambiguïté que leur relation avait pu contenir sans jamais s'en préoccuper outre-mesure. Alex' n'avait pas été mentionné dans la liste des Disparus ; il devait être mort depuis des lustres, au terme d'une longue vie possiblement radieuse, à son image. C'était préférable. Préférable à ce nouveau monde. Au rappel de cette amitié écourtée, Enoch sentit alors un lame lui griffer le myocarde, bien qu'il n'en montrât rien. Chaze allait disparaître à son tour, le gamin s'y était habitué, mais cela ne signifiait en rien leur séparation complète et définitive. En un sens, cet étrange mystère leur permettait de conserver un lien qu'ils n'auraient peut-être pas eu l'occasion de sauvegarder en d'autres circonstances, et cette évidence donna au petit poucet l'impression que sa griffure venait tout juste de cicatriser.
« Hm, je vais suivre vos conseils et me reposer. Après, j'essaierai de comprendre cette histoire, parce que je ne veux pas que vous me considéreriez comme un menteur... Je vous préviendrai dès que j'en saurai davantage. »
Le ton était si sérieux qu'il doutait en être l'auteur, après toutes les inepties qu'il avait prononcées naguère, quand son cerveau naviguait en eaux sombres. Cependant, il était encore loin d'être sorti de l'auberge, d'autant que l'idée de se retrouver tout seul pour découvrir ce qui lui était arrivé lui apparaissait tel un insurmontable obstacle. Il devrait être solide. Même si pour l'instant, il l'était encore moins que du coton.
« À bientôt », conclut-il alors avant de rejoindre le véhicule qui s'était garé à quelques pas, à demi-pressé de s'en remettre à son destin, à demi-réticent pour retourner à une solitude qu'il n'avait que trop cherché jusqu'à lors et qui lui sembla soudain trop brutale.

Les bruits, les contours, les parfums, tout se bouscula. Son corps même lui échappa, emporté par des bras jaillis de tous côtés, coincé entre trois silhouettes surgi du néant pour l'encercler. Il perçut un « Monte pas là-d'dans ! » qui lui frappa les tempes à la façon d'un marteau et, d'un coup, il ne sut plus pourquoi il avait voulu embarquer dans ce taxi, ni pourquoi ces poignes l'entraînaient plus loin, vers une seconde voiture, ni d'autres trucs futiles. Par réflexe, sa rétine chercha un repère où s'accrocher, mais plongé dans ce flou qui avait recouvert l'espace, il n'aurait sans doute pas su distinguer l'homme qu'il venait de quitter. « Allez, grimpe, on s'arrache ! » Nouveau coup de marteau dans son crâne ; Enoch obéit sans protester, indifférent au reste de l'univers.
Ce ne fut qu'une fois à l'intérieur de l'habitacle, assis à la droite d'un jeune barbu aux cheveux attachés en une couette haute et à la gauche d'un homme plus mûr, au faciès taillé en serpe, qu'il prit conscience de l'endroit où il se trouvait. Au volant, un trentenaire roux, l'air affable, qui dardait sur lui des yeux verdoyants à travers le rétroviseur central. Une curieuse croix pendait à la lucarne. Les sièges embaumaient la naphtaline à la chlorophylle. L'aîné du groupe lança un nouvel ordre : « Attache ta ceinture, petit. » Et Enoch, après avoir encaissé un énième coup de piolet, s'exécuta.
« Eh ben, on peut dire que tu l'as échappé belle ! Ce gars allait t'envoyer t'faire ouvrir par les chienstifiques ! lâcha le barbu en se passant les bras derrière la nuque.
Hein ?
Bah oui, qu'est-ce tu crois ? Règle d'or ; toujours connaître celui à qui tu t'adresses. Dis-lui, Zach.
Avishai a raison. On s'est renseigné sur lui et ce type n'avait pas d'intentions louables à ton sujet. C'est pour ça qu'on est intervenu. Fais-nous confiance.
Mais... ?
Il eut beau avoir envie de protester, le gamin grimaça sous le heurt du marteau puis se résigna, vaguement affolé par ce à quoi il venait d'échapper. Ainsi, Chaze avait voulu le duper ?
« Pourtant, il a appelé le taxi pour que je rentre chez moi...
C'est c'qu'il t'a fait croire ; il l'avait prévu depuis le début. Depuis que vous êtes sorti de l'hôpital, en fait. Eh oui, je sais qu'c'est dur à apprendre, mais il faut qu'tu saches la vérité.
Fais pas cette tête Enoch, t'es entre de bonnes mains avec nous ! » fit le conducteur tandis qu'il s'arrêtait à un feu rouge. Son regard glissa dans le rétroviseur, se posa sur le fantôme avec sympathie, s'obscurcit en un éclair comme s'il avait aperçu quelque chose de déplaisant et disparut enfin.

Tassé au fond du siège, le garçon ne savait plus où donner de la tête, sûrement parce que cette dernière paraissait sur le point d'exploser sous le poids des questions. Qui étaient ces gens ? Pourquoi connaissaient-ils son nom ? Pourquoi les avaient-ils espionnés, Chaze et lui, et depuis combien de temps ? Pourquoi obéissait-il sans réfléchir aux impératifs que martelait le Zachary alors que son inconscient ronchonnait à vue de nez ? Comment se faisait-il que tant de points coïncidaient mal, à la manière de lego qui ne s'emboîtent pas les uns dans les autres ? Et pourquoi, en baissant le regard sur ses phalanges qu'il serrait malgré lui, Enoch entendait un sifflement dans ses oreilles, un acouphène atroce dont la voix lui était devenue étrangement familière ?
Ils sont comme nous. Mais en différent. Ils ont d'autres comme moi à l'intérieur d'eux. Mais en différent. C'est pour cela qu'ils sont venus vers toi, pour que vos différences se mélangent, pour que nos différences se fondent les unes aux autres et s'accroissent. Ils cherchent la puissance que je puis leur donner. Ils ont besoin de toi, de moi, de nous. Ils nous veulent à leurs côtés pour accomplir mon rêve. Tu saisis, le môme ? Ils croient qu'ils parviendront à nous utiliser sauf que c'est nous qui allons les utiliser. Qu'est-ce que tu en dis ? Ils peuvent nous apprendre des choses et, ensuite, nous les retournerons contre eux. Hein, dis, ce serait terriblement drôle. Oh, de toute façon, je ne te demande pas ton avis. Je vais leur montrer.
« Tu nous écoutes, Enoch ? Bon sang, t'es paumé, j'comprends, gars. T'en fais pas, on va te guider. Tu as l'impression que tout ça te dépasse, que c'est du délire, mais on veille sur toi. Tout ira bien. Hein, Zach ?
Oui. Nous te protégerons de ceux qui essayeront de te tromper, de t'embrigader dans leurs croyances et leurs manipulations. Et je sais d'quoi j'parle. Crois-en nous et tout se passera bien.
Croire ? » balbutia le gosse, qui voyait la signification du mot s'évaporer peu à peu dans les limbes. Il voulait croire Zachary – sa voix robuste, ses gestes confiants, son allure sage lui intimaient de rendre les armes. Malgré les coups de marteau répétitifs, le discours doucereux de l'adulte enrobait ses maux dans une ouate confortable, si moelleuse qu'il s'y serait assoupi. Au fur et à mesure de la route, il s'enfonçait de plus en plus dans un nuage sirupeux, écœurant, tandis qu'une chimère se mettait à ricaner à l'orée de sa conscience, juste avant qu'il ne bascule.


*


Il se réveilla ce qui lui sembla une éternité plus tard – bien qu'il ne se fût écoulé qu'une poignée de minutes – dans ce qui était un petit appartement du cœur de Madison, tellement propre qu'on eut dit une maison-témoin pour un spot publicitaire. Allongé en travers d'un canapé, Avishai et le roux lui faisaient face en bavardant ; leur conversation se stoppa à la seconde où il ouvrit les yeux, toutefois il en capta les dernières bribes : « ...Zach a fait le plus gros, continuons à... »
Continuer à quoi ? Enoch se redressa aussi vite que la douleur derrière son front le lui permettait. Sa mine paniquée en disait long sur ses émotions, ses poumons fonctionnaient mal, ses doigts étaient engourdis. Lorsqu'il ouvrit la bouche, son timbre était plus rauque qu'au lendemain d'une angine :
« Où est-ce... que vous m'avez emmené ? Qui êtes-vous ? Et... où est Chaze ? »
Le rouquin se leva, effectua quelques pas le temps de s'allumer une cigarette, puis entama sa réponse avec assurance :
« Nous sommes dans un studio que me prête un ami, dans l'Entre-deux. Moi, c'est Neal. Tu connais Avishai – il fit un signe pour présenter le barbu –, et Zachary se repose dans la pièce d'à côté. Quant à ce Chaze, on te l'a dit tout à l'heure, mieux vaut que tu l'oublies. Il a essayé de te vendre à ses collègues à ton insu. Si nous n'étions pas intervenus, tu serais sans doute dans une cellule à attendre d'être pucé.
Pucé ? Mais pourquoi ? »
Le frisson glacial sous ses paupières, pendant que ses yeux s'écarquillent.
« Vois par toi-même ce dont tu es capable. »

Lentement, Enoch se retourna depuis sa place. Lentement, il découvrit un pan de mur jadis d'un beige neutre recouvert d'inscriptions cabalistiques. Lentement, il déchiffra les lettres, hiéroglyphes de son âme, qui avaient trouvé une toile sur laquelle s'accrocher, où se mêler les uns aux autres sur un fond bariolé, art abstrait de ses souvenirs. Là, des éclaboussures verdâtres des géométries invariables à l'aspect sylvestre – sûrement la cabane au fond des bois – ici, de hautes tours vitrifiées, identiques à un hôpital vu à travers de l'eau, plus loin, la courbure d'une clavicule anonyme d'où s'échappaient des motifs étoilés, un peu comme ceux qui ornaient la couverture de l'hôtel qu'il venait de quitter. Quelques mots, jetés à la volée sur ce panneau fabuleux, reprenaient les conversations qu'il avait eues avec le scientifique depuis le début de leurs déboires, face à Rick. L'ensemble dégoulinait sur la paroi à l'instar d'un cri de Munch.  
« Non... »
Siiiii. C'est moi. C'est beau, n'est-ce pas ? Et ça les épate, tu as vu ? Les imbéciles. S'ils savaient. Enoch fit un pas en arrière. La peinture tout entière avait des airs d'ogre, prête à le dévorer. Ce n'était pas lui qui avait fait cela. Impossible. Impossible, et pourtant...
« Non ! »
Le cri mourut entre ses dents, quand son squelette s'effondra sur lui-même.
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Chaze Ross
Chaze Ross
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11.12.15 18:42
Trois hommes surgis de nulle part. Inconnus au bataillon de surcroît. Sans doute le brun n’avait-il pas eu le temps d’admirer leurs frimousses respectives pour se faire une meilleure idée de leurs identités. En réalité, il songeait déjà à comment se débarrasser d’eux et tirer Enoch de là. Quoi que fut réellement ce dernier, il avait visiblement des ennuis. De gros ennuis. Ironie du sort, le jeune scientifique se demanda s’il n’était pas préférable d’affronter Rick de nouveau plutôt que de plonger plus en avant dans les emmerdes de son partenaire d’une journée. Assis sur la banquette arrière du taxi, les bras croisés et un ongle coincé entre les dents, Chaze passait en revue la liste, bien maigre en vérité, des solutions qui s’offraient à lui. Prendre les lascars en filature et après ? Que ferait-il une fois leur planque découverte ? Il avait cruellement besoin d’une cigarette mais le regard mauvais du conducteur lorsque le brun avait fait mine d’en porter une à ses lèvres un peu plus tôt, l’avait dissuadé de renouveler l’expérience. Il ne manquait plus que l’autre le jette sur le trottoir comme un malpropre, lui faisant ainsi perdre la trace d’Enoch. Alors que le véhicule devant eux tournait une fois de plus pour emprunter des ruelles plus sordides les unes que les autres, preuve étant qu’ils quittaient doucement les grands axes, le jeune scientifique attrapa son portable. Il n’allait pas abandonner maintenant.

« Elena ? J’ai besoin de ton aide. »

Les secondes qui avaient précédé le bip annonçant que son interlocutrice avait effectivement pris l’appel et l’instant où la voix de cette dernière résonna dans le petit appareil, furent pareilles à une éternité aux yeux de Chaze.

« Je suis au travail là. »

« Quoi ? Oui je sais mais c’est urgent. Localise-moi avec ton bracelet. »

Nouveau silence. Le brun crut entendre un soupir de l’autre côté de la ligne mais après quelques secondes d’une attente à nouveau interminable, la jeune femme reprit, de sa voix laconique :

« En effet, l’Entre Deux est synonyme d’ennuis pour toi. Alors quoi ? »

S’il en avait eu la présence d’esprit à ce moment précis, Chaze aurait probablement soupiré à son tour, de soulagement cette fois, pour l’entendre accepter. Il résuma brièvement sa situation, n’évoquant pas l’incident de l’hôpital ainsi que les événements s’étant déroulés dans la chambre d’hôtel. En clair, un ami à lui avait des ennuis et lui-même avait besoin de bras supplémentaires pour faire une percée parmi les rangs ennemis. Plutôt satisfait de son histoire, le jeune scientifique conclut sur ces mots :

« Je ne sais pas qui sont ces types, ce qu’ils lui veulent exactement, ni pour qui ils travaillent mais je dois le tirer de là. Dis à Leon que- »

« Leon est occupé ailleurs. Je contacte Raph. »

Raph ? Cet ancien Eraser qui les avait rejoint et dont la gâchette était facile ? Sans même s’en rendre compte, le brun ferma les yeux. Si cet énergumène débarquait, les choses allaient empirer. Tout comme lui, Elena le savait et le jeune scientifique ne songea pas à protester. Si elle prenait cette décision, alors personne d’autre ne devait être disponible. Inutile de lui faire perdre du temps en protestations inutiles. Le taxi s’arrêta soudain, le tirant de ses pensées. Relevant la tête, Chaze se rendit compte que le véhicule qu’ils suivaient depuis de longues minutes venait de s’arrêter le long d’un bâtiment. Par chance, le conducteur du taxi ne l’avait pas filé de trop près, si bien que les occupants de l’autre véhicule ne devaient pas s’être aperçus de leur présence.

« Ça vous f’ra 150 dollars l’ami. » lâcha le conducteur en se tournant vers lui.

« 150 ?! C’est du vol ! »

« June ? Qui est avec toi ? »

Pris entre deux feux, l’intéressé soupira avant de virer l’argent de mauvaise grâce sur le compte du taximan. Evidemment, il n’avait pas du tout prêté attention à la route, ni depuis combien de temps il était dans ce maudit taxi. L’important était que l’autre suive ses directives et piste le second véhicule. Et à présent, il en payait le prix. Jamais, de toute son existence, il n’avait payé autant pour une course en taxi…

« Personne. » lâcha-t-il en sortant du taxi afin de poursuivre plus librement sa conversation. « Transmet lui cette adresse :  52, Carvanhas Street. Cinquième étage. »

De là où il se trouvait, le brun pouvait effectivement voir les silhouettes des kidnappeurs s’activer de l’autre côté des vitres sales de leur repaire. Si jamais l’un d’entre eux s’avisait de jeter un coup d’œil par la fenêtre… Le taxi démarra quelques secondes plus tard, tandis que le jeune scientifique s’allumait une cigarette. La nervosité le gagnait de plus en plus. Il n’osait pas imaginer ce qui se tramait à l’intérieur.

« C’est fait, je lui ai envoyé un message. Il arrivera sous peu. En attendant, gagne du temps. »

Leur conversation se coupa sur ce conseil bienvenu. Chaze esquissa un sourire tordu, qui ressemblait davantage à un rictus qu’autre chose. Gagner du temps hein ? Et comment il était supposé faire ça ? Elena ne lui avait pas donné d’estimation en termes de minutes avant l’arrivée de la cavalerie. Bien sûr qu’il lui faisait confiance, tout comme il ne remettait pas en doute le besoin de Raph d’intervenir, curieusement. Mais suivant l’endroit où ce dernier se trouvait, s’il arrivait une demi-minute en retard…

« Fais chier. »

A peine entamée, la cigarette goûta au béton du trottoir. Le jeune scientifique pénétra dans le hall de l’immeuble. Dire que même avec ses fringues habituelles, il faisait un peu tâche dans le décor. L’endroit était sale, insalubre et étrangement désert. Ce qui dans le fond, n’était pas pour lui déplaire. Il n’avait pas la moindre envie de justifier son droit de passage auprès de quelques petits merdeux issus d’un gang. Prudemment, le brun prit les escaliers, tendant l’oreille pour guetter le moindre bruit suspect. Il n’avait pas d’armes, autres que ses poings, ce qui lui paraissait dérisoire si jamais ses adversaires étaient armés. Une fois devant la porte de l’appartement présumé, Chaze hésita entre forcer la porte en question ou y aller avec diplomatie. Son cerveau trancha pour la seconde possibilité et il frappa – fort tout de même – contre le bois. Il s’était presque attendu à demeurer sur le palier, ignoré des occupants des lieux mais non, la porte finit par s’ouvrir, pour dévoiler un jeune barbu aux cheveux attachés en une couette haute d’après ce qu’il pouvait en juger. L’autre avait l’air aussi surpris que lui, avant que la méfiance n’apparaisse rapidement sur ses traits.

« Que- ? »

« Bonjour. Je suis passé récupérer mon ami. »

Dire que son ton était devenu affable, tout comme son expression, alors même que la situation n’avait rien de normale entre eux. La tension était palpable et il aurait parié que son interlocuteur aurait à choisir entre s’emporter contre lui ou bien lui claquer la porte au nez. Au lieu de quoi, le brun aperçut un nouveau visage derrière le barbu, par-dessus l’épaule gauche de ce dernier. Sans doute le cerveau du trio qu’il avait vu plus tôt, en train d’embarquer Enoch de force. Pourquoi cette impression ? Le rouquin avait ce regard qu’ont ceux qui évaluent le danger qu’incarnent leurs interlocuteurs. En d’autres termes, il se demandait jusqu’à quel point le jeune scientifique représentait une menace pour eux.

« Ton ami tu dis ? Je ne crois pas. Mais on ne refuse jamais un peu de compagnie quand elle se présente à nous. Allons Avishai, laisse donc notre homme entrer. »

Avishai. Le nom s’imprima dans un recoin obscur de son esprit, prêt à l’emploi. Malheureusement, les trois syllabes n’évoquaient strictement rien pour Chaze et il se surprit à espérer l’arrivée rapide de son complice improvisé. Encore plus une fois que la porte se referma dans son dos après qu’il eut fait quelques pas en avant. Des trois hommes, il n’en restait plus que deux. Un bon point pour lui. Cependant, il ne s’agissait pas des moins vigoureux du trio et le brun doutait d’avoir l’avantage bien longtemps s’il en arrivait à déclencher une bagarre. Détail étonnant : l’endroit était bien plus propre qu’il ne l’aurait imaginé en découvrant le reste de l’immeuble. Et dans un coin de cet appartement trop neuf pour vraiment l’être, il aperçut la silhouette recroquevillée du garçon, reconnaissable entre toutes en raison de sa chevelure ivoire. De toute évidence, Enoch paraissait en état de choc et lorsque le regard du brun se détacha de lui pour survoler le mur situé sur sa droite, il en comprit la raison. Quel que fut la raison véritable de l’apparition de ses graffitis, elle venait de frapper de nouveau. Bien malgré lui, Chaze déglutit, difficilement.

« Impressionnant n’est-ce pas ? Je comprends pourquoi toi et tes blouses blanches vous vouliez l’étudier de plus près. Dommage qu’on soit arrivé à temps. »

« Pardon ? »

Pris de court, le jeune scientifique dévisagea son interlocuteur sans comprendre. Sur le moment, il ne comprit pas l’origine de ces accusations, pas plus que leur contenu même. Mais tout devint soudain plus clair lorsque le rouquin reprit la parole, arguant haut et fort que ses collègues devaient être déçus de voir un si joli cobaye leur filer entre les doigts. Que c’était dégueulasse de sa part d’avoir trompé un garçon aussi innocent qu’Enoch. Innocent mais pas trop non plus. Chaze se répéta le mot en boucle dans sa tête, en même temps que les images de leur étreinte fugace repassaient devant ses yeux. Non, Enoch n’était pas innocent. S’il conservait un visage juvénile, il avait perdu une partie de sa naïveté. Il restait simplement un gosse perdu, balayé au milieu des affaires de grandes personnes. A cette idée, le brun esquissa un nouveau sourire. Il ne ressentait plus aucune crainte à cet instant, tout juste, de la pitié pour ces personnes qui s’agitaient dans l’ombre, tout comme lui, essayant d’étendre leurs propres idées telle l’araignée tissant sa toile.

« Et vous êtes parvenus à faire avaler ça à un gosse ? C’est très noble de votre part. Pour qui vous travaillez ? Et pourquoi lui ? Qu’est-ce que vous lui avez fait ? »
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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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12.12.15 12:42
Tout était faux dans cette histoire. Du sol au plafond, des semelles au sommet des fronts, rien n'était ni authentique ni sincère. Rien qu'un ramassis de mensonges, un incessant va-et-vient de tromperies entres des entités plus ou moins dupes les unes des autres. Seul, perdu au sourd milieu de ce vacarme, seul demeurait Enoch, les bras étreignant son propre torse comme si quelque monstre menaçait d'en sortir, tremblant sans pouvoir s'arrêter sous le regard reptilien de Neal. Si tous paraissaient ravis de sa performance, à commencer par le capricorne lové au fond de sa conscience, le gamin avait envie de hurler d'effroi face à cet obscène tableau de ses souvenirs ; en provenance directe de sa mémoire, nul doute que les éléments qu'il devinait çà et là – l'incandescence à l'extrémité d'une cigarette, la céramique d'une salle d'opération, une poignée de mèches brunes – appartenaient à ce qu'il avait eu l'intention de taire, voire d'effacer aux yeux du monde, et voilà que se produisait l'inverse, que s'exposait sous son regard effaré ce qu'il aurait plus que tout souhaité camoufler. Encore que ce n'était pas le pire.
Se découvrir Evolve, comprendre que Chaze avait eu raison de s'énerver et que cette voix dans ses tympans n'était pas un bête acouphène ou les conséquences d'un pouvoir extérieur, ça, c'était le pire. Se retrouver soudain de l'autre côté de la barrière, devenir l'animal curieux que quelques fanatiques désiraient s'approprier avait de quoi l'affoler outre-mesure, ce dont il ne se priva guère. Ses iris troubles glissèrent d'un visage à l'autre à la recherche de réponses qu'il n'aperçut point, d'une explication qui avait trop tôt disparue derrière l'éclat malsain de leurs orbites. Il tenta néanmoins d'articuler une question, un comment ? qui ne parvint pas à franchir son larynx ; les syllabes s'asséchaient au fond de sa gorge avant même qu'il put les formuler. Par ailleurs, il ignorait que cette aphasie momentanée faisait partie du contrecoup infligé par son don, et que la seule horreur engendrée par la situation ne suffisait pas à tuer ainsi son vocabulaire. Voyant l'embarras du garçon, ce fut Avishai qui prit la parole :
« Ne t'inquiète pas, c'est normal que tu te sentes paniqué. Mais nous allons... »
Des coups à la porte l'interrompirent. Surpris plus qu'irrité, l'homme interrogea aussitôt Neal du regard sur la marche à suivre dans cette situation, avant qu'un mouvement du menton ne lui indiquât d'ouvrir. À l'observer, le rouquin avait quelque chose derrière la tête – peut-être même s'attendait-il à cette visite, certain d'en tirer le meilleur pour ses décisions futures. Et effectivement, il ne se démonta pas en entendant le timbre de Chaze retentir depuis le palier.

Enoch quant à lui ne bougea pas, bien qu'il captât l'apparition du scientifique du coin de l'œil ; les bouleversements qui l'avaient précipité à terre n'en finissaient plus de l'étouffer, et il se savait incapable de réagir intelligemment, ou ne serait-ce que pour signaler sa présence. Un fragment de son cerveau comprenait toutefois ce qui se tramait autour de lui, et notamment les propos qui s'échangeaient à quelques pas de lui, cet affrontement qui se solidifiait en douceur entre le nouveau venu et les deux complices. Encore parasité par les ordres de Zachary, le fantôme hésitait encore à rendre sa confiance à son ancien partenaire – quoiqu'on l'ait lui arrachée de force et non à la suite d'une discussion raisonnable, ce qu'à l'évidence il ignorait. Avec les paroles de Neal qui abondaient en ce sens, Chaze lui apparaissait maintenant davantage comme un agent double, un papillon chatoyant qui l'avait séduit pour mieux le piéger ensuite en retournant le motif sur ses ailes. C'est du moins ce que sous-entendait le roux lorsqu'il prétendait que son interlocuteur n'était qu'à la poursuite de son cobaye en titre, lancé à ses trousses pour l'étudier et non le sauver de quelques brutes qui en auraient voulu à son innocence. Alors, à l'instant où la réplique du brun fusa dans la pièce, Enoch daigna s'arracher à son apathie et relever la tête vers celui dont il ne déterminait plus les intentions. La posture de Neal, elle, fut plus tranchante :
« Travailler ? Tu te prends pour un détective sur la piste de malfaiteurs ? Ha, non, tu n'y es pas du tout ! » Il haussa les épaules avec une nuance insolente pendant qu'Avishai s'en retournait auprès du petit poucet et se positionnait derrière lui. « Nous ne lui avons rien fait, à moins bien sûr de considérer que porter secours à quelqu'un est un acte répréhensible... Ce garçon a besoin d'aide, nous la lui proposons. »
D'un mouvement leste, le rouquin glissa dans le dos du scientifique et referma la porte sans un son. Il se réjouissait d'avance de l'affrontement que ne tarderait pas à se matérialiser entre eux, car il connaissait les règles autant que les cartes distribuées, et il se savait entouré d'un duo de rois – dont l'un recouvrait toujours ses forces dans la pièce mitoyenne – tandis qu'il représentait l'as, un atout pique qu'il dévoilerait en temps voulu. « Chaze, c'est cela ? reprit-il enfin tout en revenant au centre de l'espace. C'est courageux de venir jusqu'ici... Ou imprudent. Mais puisque tu es là, autant que je t'explique les choses. »

Peu à peu, Enoch s'extirpait de sa morne passivité. Son cerveau aménageait de nouveau les repères autour de lui, les présences plus ou moins étrangères, les odeurs et les aboiements de son instinct qui lui conseillait de ne pas tergiverser dix mille ans et de prendre la poudre d'escampette dès qu'il en aurait l'occasion, éventualité plus simple à concevoir qu'à appliquer dans les circonstances actuelles. Sur le mur qui lui faisait face, là où il avait naguère peinturluré son vécu avec une rapidité à faire pâlir le plus zélé des artistes de rue, les couleurs s'estompaient progressivement, les traits fuyaient leurs contours, pareils à une étoffe glissant sur une surface de verre ; bientôt il ne demeura plus rien qu'une vague nuance bleutée, elle aussi agonisante dans l'écru du crépi d'origine. Pas une goutte de peinture, pas une griffure au pastel. Tous les occupants de l'appartement avaient eu les yeux rivés sur le processus, cependant que la bête intérieur avait ronronné une nouvelle fois. Ce n'était pas mon meilleur, celui-ci. Il va falloir que tu apprennes davantage si je veux pouvoir me surpasser, mon p'tit cageot, que tu t'instruises, que tu absorbes des informations sinon je vais dépérir, ce serait triste, tu ne laisseras pas ça arriver, hein, tu ne laisseras pas ton nouvel ami se ratatiner par manque de matériaux ? Allez du nerf, pantin, gorge-toi de ce qui va être dit, écoute, retiens, récupère tout ce qui pourra me nourrir, et j'offrirai ces merveilles au monde à ma façon, je vais les bluffer, tu vas voir, oh oui tu vas voir la gloire qui nous attend !

« Nous avons appris ce matin qu'un scientifique associé au département d'Études Evolviennes avait l'intention de tester sur un civil sa dernière version d'un sérum pro-créateur de mutation. Tu sais que ce genre de produit est parfois utilisé sur les Erasers lorsque le contexte le nécessite, et ce sous haute surveillance. Mais cet homme, Dr Schrödinger, souhaitait interroger les réactions d'un sujet en milieu dit ''permissif'', c'est-à-dire non-soumis à des impératifs d'ordre professionnel – en l'occurrence, visant la sécurité et la protection des citoyens. À cette fin, il a dressé une liste des candidats potentiels dont le profil autoriserait cette expérimentation : personne seule, sans liens familiaux, de préférence chômeur, type marginal... Bref, un sujet dont le rapport à notre société serait, disons-le, minime, sinon inexistant, ce qui lui permettrait d'en suivre l'évolution sans risquer d'attirer le regard. Or... »
Au fil de son monologue, Neal s'était déplacé dans la pièce, avait flâné vers une table nue sur laquelle il avait laissé traîner deux doigts dont il s'était ensuite frotté l'extrémité, comme si une poussière invisible s'y était déposée, avait longé le canapé sans s'y asseoir pour finalement se camper devant Enoch. Là, il fit mine de s'accroupir mais préféra se tourner de trois-quarts vers Chaze, de sorte qu'ils formaient un alignement presque parfait : le brun proche du seuil, le roux à quelques pas, le gosse et enfin Avishai, posté au fond à l'instar d'un vigile – il aurait porté un costume et une oreillette que l'illusion aurait été impeccable. Une lueur amusée, presque tendre, flirta dans l'iris vert de l'orateur quand il croisa ceux du fantôme, trop bouleversé par cette démonstration pour oser intervenir.
« Notre Enoch correspondait en tous points à ce que Schrödinger désirait. D'autant que, comble du hasard, il devait se rendre à l'hôpital pour un dépistage aujourd'hui même. N'est-ce pas ? »
La question ne s'adressait à personne en particulier. Pure rhétorique, lancée en l'air par un maître de cérémonie dont la trajectoire, au fur et à mesure de son discours, avait dérivée selon un nouvel axe. En effet, l'apparition de Chaze, loin de le distraire ou de l'ennuyer, pouvait promettre un dénouement plus réjouissant encore que ce qu'il avait prévu à l'origine, et ce grâce à sa connaissance des personnages. Neal n'était pas homme à organiser des rapts sans s'informer de son terrain et des protagonistes ; ainsi, alors qu'Enoch n'incarnait qu'une marionnette à tête de bois, manipulable à bon gré, le scientifique oscillait entre deux perspectives avec lesquelles le rouquin se devait de jouer. Si l'une l'emportait sur l'autre, il n'aurait qu'à redresser le gouvernail et reprendre le vent dans ses voiles. Quoi qu'il se passât il se trouvait en position de force, et ce indépendamment de ce qu'il savait être sa puissance souterraine. Par conséquent, tout lui appartenait dans cette partie d'échecs.

« Il a donc sauté sur l'occasion. Il avait tout calculé, tout coïncidait, sauf qu'au dernier moment, un élément imprévu s'est imposé... » Sa main décrivit une arabesque en direction de Chaze, comme s'il attendait de lui qu'il lui fournît la fameuse réponse. Rick.
Le grain de sable dans l'engrenage, le rat coincé dans la machinerie et qui, broyé dans les rouages, oblige le mécanicien à revoir ses plans. L'intervention de Rick n'avait été envisagée par aucun des camps de ce remarquable complot : Schrödinger avait juré en découvrant son cobaye lui échapper avant qu'il pût s'enquérir de la réussite de l'inoculation du sérum et eux, le trio qui convoitait celui-ci, avaient dû revoir leur programme d'interception. En un sens, cela les avait arrangé, car dès lors que Chaze avait éloigné Enoch de l'hôpital, ils avaient pu préparer son enlèvement plus sereinement, voire avec une facilité accrue. Une légère modification de logistique, une rapide recherche informative sur le brun – et la découverte de quelques surprises au passage – et paf ! Ça fait des Cocopops. Une belle réussite, vraiment.
« Notre seul tort serait donc de vouloir accompagner et soutenir ce garçon dans sa nouvelle existence. Maintenant que tu sais, Chaze, qu'est-ce que tu vas faire ? T'y opposer ? Ou nous aider ? »
Son œil brilla d'un feu glacé. Un vert d'émeraude.

Relégué au rang d'auditeur immobile, Enoch n'avait pas loupé la moindre miette de la démonstration, traversant des émotions aussi brusques que diverses sans que nulle ne fût accueillante. Même s'il pouvait désormais espérer que son ancien partenaire ne fût pas à la solde d'un savant fou, et soulagé d'apprendre qu'il rejoindrait peut-être ceux qui semblaient lui vouloir du bien, sa confiance demeurait fragile, prompte à se fracturer sur quelque révélation de dernière minute, sur quelque virage de conscience à cent quatre-vingt degrés. Et si Chaze refusait de s'allier au groupe ? Et s'il était véritablement aux ordres de Schrödinger ? Et si Neal n'était pas celui qu'il paraissait être ? Et s'ils étaient tous les pions ignorants d'un jeu plus vaste encore ?
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robotic engineering
Chaze Ross
Chaze Ross
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12.12.15 19:37
Tout chez son interlocuteur lui déplaisait : le ton, l’attitude, la gestuelle… La tronche ? Sans aller jusque-là, Chaze se méfia instinctivement du rouquin. Il savait qu’il venait de mettre les pieds dans un nid de vipères, le moindre écart bousculerait le semblant de politesse que l’un et l’autre s’efforçaient de placer entre eux. Les conventions n’étaient pas faites pour s’éterniser et le jeune scientifique n’était pas dupe au point de ne pas sentir à quel point sa présence ici dérangeait. Son interlocuteur avait une vision intéressante des choses, malheureusement pour lui et ses complices, ils déformaient légèrement la réalité. Savoir l’autre homme si proche d’Enoch, vraisemblablement incapable de bouger pour le moment, n’était pas pour lui plaire, cependant, Chaze ne put tenir sa langue plus longtemps :

« Lui proposer son aide en le séquestrant ici ? Curieuse façon de procéder venant de la part d’honnêtes citoyens pourvus de bons sentiments. »

L’ironie colorait les derniers mots de sa remarque, acerbe dans son ensemble et son regard soutint celui du barbu, toujours posté dans le dos d’Enoch. Pour l’heure, son interlocuteur présumé avait jugé plus utile de fermer la porte derrière lui, puisque son complice, probablement pas très malin et tout juste bon à suivre les directives venant d’en haut, n’avait pas jugé bon de le faire avant cela. Par chance, l’ordre hiérarchique qui unissait ces deux-là n’était pas bien difficile à deviner. Non, ce qui inquiétait le brun se résumait en deux choses : les intentions du cerveau présumé de la bande et l’emplacement du troisième individu. Il n’était pas dans la pièce - à moins qu’il n’ait le pouvoir de se rendre invisible ? – et son arrivée à lui ne l’avait pas fait rappliquer. Etait-il sorti ? Pourtant, le jeune scientifique n’avait croisé personne tandis qu’il empruntait les escaliers. Autre détail inconfortable pour lui : son nom. Cet enfoiré connaissait son nom. Inconsciemment, son regard se posa sur la silhouette recroquevillée sur le sol, aux pieds du barbu. Est-ce que la gosse avait lâché son nom par mégarde ? Ce ne serait pas étonnant et il ne pouvait pas l’en blâmer. Si c’était là tout ce que son interlocuteur savait de lui, cela lui allait aussi bien. Sauf que tout ne pouvait pas être aussi simple et que les insinuations précédentes de ce dernier avaient laissé entendre que le trio en savait davantage sur lui que Chaze l’aurait espéré au premier abord. Tant pis, il ferait avec. Officiellement, il n’avait rien à se reprocher. Et si les choses devaient mal tourner, avant ou suite à l’intervention de Raph, alors aucun de ces trois-là ne devait s’en sortir vivant. Cette conclusion amère s’imposa à lui. Comment justifier qu’un honnête scientifique, membre du bureau technologique se retrouve à trafiquer avec des hors-la-loi ? Bien que passablement dérangés, la parole de ces trois-là risquait de lui coûter cher par la suite. Alors, acte courageux ou imprudent de sa part ? Le brun esquissa un sourire étrange.

« Si vous saviez à quel point l’imprudence me colle à la peau… » lâcha-t-il, en éternel moqueur.

Soutenant le regard du rouquin, Chaze prêta davantage attention aux explications fournies par ce dernier. Et pour le coup, il ne fut pas déçu de ces révélations ! Si le début lui laissa penser que son interlocuteur nageait en plein délire, la suite revêtit malheureusement une allure plus crédible que jamais. L’annonce d’un tel sérum le fit se raidir alors qu’une partie de lui-même refusait de l’admettre. Mais ce fut lorsque le nom tomba que le jeune scientifique perdit des couleurs. Soit le rouquin avait de bonnes informations et savait en faire un usage personnel, soit, et le pire était à craindre, il disait vrai. Le Dr Schrödinger était une pointe dans le domaine des mutations. Mais de là à ce qu’il soit lui-même responsable de l’état d’Enoch, à cause de ce sérum… Cette découverte lui donna le vertige, en même temps que des sueurs froides. Cela faisait trop d’informations à digérer en même temps. A supposer que la plus insignifiante d’entre elles fut vraie… D’un autre côté, comment expliquer l’apparition de ces graffitis chez un individu ignorant tout du phénomène en lui-même ? Les paroles de son interlocuteur glissaient sur lui, mordant son être alors que le jeune scientifique essayait de remettre de l’ordre dans ses pensées. Heureusement que le mouvement du rouquin, en entrant dans son champ de vision, lui permit de sortir de la torpeur dans laquelle il était tombé depuis les premières révélations à ce sujet. Tout concordait, évidemment. A tel point que le hasard ne pouvait même plus être à l’œuvre sans attirer la suspicion du brun.

« L’Evolve fou… » souffla-t-il.

Sa voix lui parvint de très loin, comme si elle ne lui appartenait pas. Plus rauque qu’à son habitude, à moins que ses oreilles ne lui jouent un nouveau tour ? Alors Enoch aurait servi de cobaye à ce scientifique déjanté ? Son dépistage n’aurait été qu’un prétexte pour lui injecter le sérum en question ? S’il avait pu le faire sans risque, Chaze aurait fermé les yeux pour encaisser le choc de la révélation. Ce gosse ne méritait pas de vivre pareille expérience… Il en ressortirait traumatisé à vie, rien de plus. Oui, vu sous cet angle, les intentions du trio paraissaient être les plus louables qui soient. Si, effectivement, le gosse avait viré Evolve, monstre parmi les hommes, sans le savoir et plus important encore, sans le vouloir, alors quoi de mieux qu’une bande de dégénérés pour l’aider à affronter cette nouvelle existence ? Le jeune scientifique ouvrit la bouche une première fois, avant de la refermer, cherchant ses mots. Finalement, il fit quelques pas dans la pièce, se dirigeant vers la fenêtre. L’espace d’un instant, il donna l’impression d’avoir complètement oublié l’existence des trois personnes dans la même pièce, pour laisser courir son regard en contrebas, victime d’une chute vertigineuse, pour fixer l’endroit d’où il était arrivé plusieurs dizaines de minutes plus tôt. Dire que le taxi s’était garé là, entre ce tas d’ordures et ce drôle de lampadaire nouvelle génération… Chaze s’arracha tout aussi brutalement à sa méditation que lorsqu’il y sombra, arpentant la pièce dans sa largeur, sans jamais atteindre le mur en face, faisant aussitôt demi-tour, une expression concernée collée sur le visage. Ignorant les regards tantôt suspicieux, tantôt agacés de ses interlocuteurs, le brun répéta la manœuvre à plusieurs reprises, faisant quelques fois mine de vouloir prendre la parole, se ravisant dans la foulée. Finalement, il retrouva une expression plus familière, celle de quelqu’un qui sait pertinemment qu’il vient de commettre une erreur mais qui trouve le courage de l’avouer.

« Je crois que je vous dois des excuses en fait… »

Tandis qu’il parlait, le jeune scientifique vint se placer de l’autre côté de la table que le rouquin avait tantôt caressé en un geste désintéressé. Nullement pressé d’en arriver au fait, Chaze passa une main dans ses cheveux avant de contourner le meuble pour se rapprocher de son interlocuteur. Son regard se posa sur le plafond, une fraction de seconds, le temps pour lui de se faire la réflexion qu’il aurait bien besoin d’une cigarette à cet instant précis, avant de replonger pour croiser celui, émeraude, du rouquin.

« Parce que, voyez-vous, vous prenez le temps de bien m’expliquer votre plan en détails alors que moi, je n’avais qu’un seul but en venant ici : gagner du temps. »

Sa main libre se porta à hauteur de son torse et s’activa de telle sorte à donner l’illusion qu’il tirait quelque chose de l’intérieur de sa veste. Quand son bras se détendit enfin, en direction du rouquin, le pouce était levé, l’index rivé sur la personne de son interlocuteur, tandis que les doigts restants étaient repliés ensemble au creux de sa paume. La lueur dans les iris du brun n’avait plus rien d’affable. Son regard s’était fait dur et froid, comme il l’était en de très rares occasions.

« Voilà ce que méritent les enfoirés de votre espèce. Bam ! »

Mimant le geste à la parole, sa main eut un soubresaut, comme si une détonation imaginaire venait de se produire. Le reste du corps du jeune scientifique pivota sur lui-même en direction de la porte, en même temps que le bras retombait mollement le long des flancs de l’intéressé. Sauf qu’au lieu d’aller au bout du mouvement qu’il avait lui-même lancé, Chaze parut revenir brusquement sur sa décision, pour offrir une belle droite à son interlocuteur. Et puis merde. Du temps, il en avait suffisamment gagné. Autant qu’il l’avait pu. Un juron lui passa au-dessus de la tête. Le rouquin avait titubé en arrière mais déjà, il dardait un regard mauvais sur sa personne. Les représailles étaient pour bientôt. Le brun avait déclenché les hostilités et du coin de l’œil, il vit le second homme bouger à son tour. Deux contre un. Le combat promettait d’être piquant. Enfin, surtout pour lui. Tout se passa très vite, trop à son goût. La situation lui échappa complètement, il dut bien le reconnaître. Et alors qu’il pensait que c’en était fini de lui, la porte d’entrée s’ouvrit à volée pour venir se fracasser contre le mur. Un géant jaillit à l’intérieur, méconnaissable, en raison des lunettes de ski qu’il portait sur le haut du visage, en plus d’un keffieh, lequel masquait la partie inférieure du celui-ci. Capuche rabattue sur la tête, rien ne laissait filtrer le moindre indice sur son identité. A première vue, on aurait pu le confondre avec un randonneur à en juger par son drôle d’accoutrement jusqu’à ses rangers noires, sauf que le nouveau venu pointait précisément deux flingues droit devant lui. Autre détail étrange malgré tout : il était recouvert de mousse.

« Bougez plus mes poulets ! » croassa-t-il de derrière le keffieh.

Une détonation partit et le corps du barbu tomba lourdement au sol. De la fumée s’échappait mollement du pistolet tenu par la main gauche de Raph, la plus à même à atteindre le malheureux.

« J’ai dit : bougez plus mes poulets ! D’autres suicidaires ? Toi là, fais pas l’con ou j’te promets que j’t’envoie rejoindre ton p’tit camarade en enfers ! »

La menace s’adressait bien entendu à la seconde personne dont il ne connaissait pas le visage, à savoir, le rouquin, visiblement sur le point d’en finir avec Chaze. D’ailleurs, l’ex Eraser parut découvrir la présence de ce dernier qu’à partir de ce moment précis.

« Ah t’es là Chaze ! Excuse le retard, j’me suis trompé d’appa’tement, c’est qui l’est vaste l’cinquième étage ! J’ai dérangé une vieille dans son bain, j’te raconte pas l’merdier ! Pardi j’ai bien cru d’venir aveugle ! »

Raph. Dans toute sa splendeur. Le brun le dévisagea sans y croire. Même s’il venait de lui sauver la vie, il n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles. Raph quoi.

« Tu t’bouges oui ou merde ? Et c’est qui c’mioche ? L’type en question ? Aller on s’arrache les amoureux ! J’ai pas qu’ça à faire ! » vociféra-t-il de plus belle.

Malgré le tissu qui couvrait sa bouche, sa voix perçait avec force dans tout l’appartement, obligeant Chaze à se remettre debout. En effet, mieux valait pour eux qu’ils s’éloignent d’ici. La détonation allait ameuter le voisinage, si ce n’était pas déjà le cas avec les probables hurlements de la vieille voisine et s’il voulait laisser le champ d’action nécessaire à son camarade, le jeune scientifique savait qu’il jouait à présent contre le temps. Jurant encore une fois devant les méthodes de Raph – efficaces malgré tout – le brun s’approcha d’Enoch, réfugié dans un coin de l’appartement. Sans même essayer de deviner ce que le gosse pensait de lui, d’eux, de tout ce merdier, Chaze lui attrapa le bras pour le remettre debout de force. Et sans attendre qu’il se débatte ou ne proteste, le jeune scientifique le jeta sur son épaule. Enfin, il était prêt à partir. En arrivant au niveau du nouveau venu, le brun lui souffla :

« Merci. Je te laisse le reste. »

Ce à quoi l’intéressé répondit par un hochement de tête à peine perceptible compte tenu de son accoutrement bizarre. C’était malheureusement le prix à payer pour opérer en toute discrétion dans cette ville. Chose qui n’était visiblement pas le fort de Raph de toutes évidences. Chaze dut puiser profondément dans son énergie et la volonté de mettre un pied devant l’autre sans perdre l’équilibre et ainsi dévaler les escaliers en sens inverse, entraînant le garçon avec lui. Manquait plus qu’il se rompe les os après en avoir autant bavé ! Une fois à l’extérieur de l’immeuble, il continua de marcher, Enoch toujours jeté en travers de son dos. Oh il pouvait bien dégueulé autant qu’il voulait, l’insulter, se débattre… Il ne le lâcherait pas. Ce gosse était un aimant à problèmes à lui tout seul ! Le jeune scientifique avait l’intime conviction que s’il le déposait sur le sol, lui rendant ainsi sa liberté, le gamin serait capable de se faire happé par le premier réseau de trafics d’organes du coin ! Non, mieux valait qu’il le raccompagne jusqu’à chez lui, ou même ailleurs. C’était plus sûr vu le quartier et les gens peu fréquentables qui peuplaient Madison. Il avait merdé une fois, il ne comptait pas répéter la même erreur. Pourtant, marcher à vive allure, un garçon sur l’épaule, ce n’était pas l’idéal pour rester discret, aussi Chaze se résolut à le reposer par terre, serrant toujours son bras pour éviter qu’il ne s’éloigne de lui. Bien que dans les faits, Enoch n’était certainement pas en mesure de courir bien loin. D’un geste de la main, le brun fit s’arrêter un taxi et poussa la tête blanche à l’intérieur, avant de s’adresser au conducteur.

« Conduisez nous à cette adresse. Merci. »

Le sentiment désagréable de remercier un peu trop souvent son entourage lui vint mais le jeune scientifique le chassa rapidement de son esprit. Il s’écroula sur le dossier de la banquette arrière, épuisé. Physiquement et moralement. Oh il ne s’en faisait pas pour Raph. Mais si le trio s’était renseigné sur lui, alors pas question d’emmener Enoch chez lui. Trop risqué. En désespoir de cause, il ne restait que la planque de leur organisation. Chaze se surprit à croiser les doigts pour que Leon ne s’y trouve pas. Il aurait alors toutes les peines du monde à expliquer la venue du gosse dans leurs quartiers. Et plus l’énergie pour le faire non plus.

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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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12.12.15 23:47
La peur et la nausée lui collaient aux tripes, se disputant la plus grande part de douleur à l'intérieur de ses entrailles. Crainte de la réponse de Chaze face au dilemme imposé et vertige du précédent emploi de son pouvoir, survenu tardivement mais avec une brutalité accrue, qui lui mit le cœur au bord des lèvres. De surcroît, l'interminable manège du scientifique rajoutait à l'étrangeté de la scène, à la suspension imposée à l'espace ; le temps lui-même semblait s'être arrêté pour laisser toute amplitude nécessaire à la réflexion, de quoi jauger cent fois le pour et le contre avant de prononcer sa décision. Toutefois, si Neal et Avishai s'impatientaient peu à peu sans pour autant énoncer leur irritation à haute voix, Enoch endurait le même supplice puissance mille, certain qu'il ne s'agissait de rien d'autre que du choix de son avenir, proche et lointain. C'est d'ailleurs ce à quoi le scientifique devait songer lui aussi, puisqu'il était évident que de cette alternative découlait leur sort à tous les deux. Se vouer à cette bande d'excités était-il vraiment la solution ? Parce que, plus le gosse observait les mimiques de son ancien partenaire et plus il se disait que, par il ne savait trop quel abominable miracle, ce dernier se mettait à pencher du côté du trio. Cependant, un détail le chiffonnait toujours, une impression qu'il ne parvenait pas à traduire et qui le laissait dubitatif quant au dénouement de cette affaire. Pourquoi cette gestuelle exacerbée lorsqu'il suffisait d'un mot pour donner son aval, d'un hochement de tête pour les précipiter dans la tourmente ? De toute manière, quel que fût le résultat de cette attente, le gamin se jura de suivre la même direction que le brun – quelque chose au fond de lui l'enjoignait à lui donner raison, une réminiscence de l'attention qu'il lui avait témoigné sans doute – car c'était son instinct qui s'exprimait ainsi, et il n'aurait su lui résister.
Les premiers mots tombèrent avec le tranchant d'un couperet, schlac, droit sur le silence. Aussitôt un rictus fleurit sur le visage de Neal, un de ces rictus vainqueurs par avance et qui ne présagent rien de bon pour les vaincus. Jusqu'à ce que, à peine d'une seconde plus tard, la crispation ne meure sur son faciès courroucé. Ce qu'il avait d'abord pris pour une rédemption n'était en réalité que les prémices d'un refus, une feinte grotesque dans laquelle il s'était vautré par excès de prétention, et qui le faisait à présent voir rouge à travers ses iris verts.
« Du temps ? » interrogea-t-il, s'étranglant presque de s'être fait rouler de la sorte. Sur ses gardes, il regarda Chaze s'emparer d'un objet invisible dans son veston, méfiant puis détendu en comprenant que celui-ci ne possédait aucune arme, et pour un peu il aurait laissé s'échapper un ricanement malgré le sérieux de son adversaire. Hé, qu'est-ce qu'il croyait, ce blouseux ? Que son numéro de flic sous le manteau l'impressionnerait ? Lui, Neal ? Sans rire. Il ne perdait rien pour attendre, le brunet. Il ne comprendrait pas sa douleur.

Le roux n'eut pas l'initiative. Alors qu'il voulut se jeter sur le scientifique, ce fut le scientifique qui jeta son poing sur lui, lui décochant un coup qu'il reçut en plein visage, le faisant reculer d'un pas.
« Bâtard d'humain... » cracha-t-il aussitôt, une main sur sa joue meurtrie, prêt à sauter au cou de son adversaire. Avishai aussi s'était rapproché d'un bond, abandonnant la surveillance d'Enoch qui en profita pour s'écarter de ce qui ne tarderait pas à devenir un ring de boxe improvisé ; son regard terrorisé tenta de choper un élément du décor, un vase, un cendrier, n'importe quoi qui put lui servir d'arme et dont il put essayer de frapper l'un des agresseurs si l'occasion se présentait, mais il ne trouva rien qu'un angle de mur où se terrer, espérant que son soutien moral et muet suffirait à encourager Chaze. Heureusement pour ce dernier, il n'en eut pas besoin car un second combattant fit irruption, jailli du couloir comme un diable de sa boîte. Le fantôme sursauta si fort qu'il en rata une pulsation. Ce fut probablement le cas de tous les occupants de l'appartement, à l'exception du responsable bien entendu, dont l'arrivée remarquée autant que remarquable pétrifia moins les quatre lascars que les deux guns qu'il pointait à l'aveuglette. Ami ou ennemi ? Un tir partit à la seconde même, neutralisant le barbu – pure discrimination pileuse. Ami.
Sa dégaine, tout droit sorti d'un gag de Tarantino, ne fut cependant pas seule à perturber les autres personnages. Même si le keffieh qui lui couvrait la mâchoire étouffait légèrement sa voix, ses menaces atteignirent toute personne qui aurait dû se sentir visée et Neal, contenant sa rage avec difficulté, fut contraint de s'immobiliser. Un comique. Un rigolo sans aucun sérieux, qui le mettait en joue et en échec dans le même temps, la situation avait de quoi l'énerver au plus haut point. S'il avait pas eu ce canon pointé sur lui, prompt à faire feu au moindre battement de paupière, peut-être que le rouquin n'aurait pas gardé la pose et se serait précipité à l'attaque, certain de son avantage. La façon dont la situation était en train de lui échapper l'excédait – il avait tout préparé, tout goupillé au millimètre près, et un quidam moussu s'amusait à tout faire foirer sans même paraître s'en rendre compte. Il allait lui faire bouffer son humour de merde. Et tant pis pour le scientifique, tant pis pour son ancienne proie recroquevillée dans un coin que l'on emportait à l'instar d'un sac à patates ; son regard ne se détachait plus du géant à la capuche parsemée de bulles parfum pêche, guettant l'instant propice pour lui arracher la jugulaire.
Enoch, quant à lui, n'eut ni le temps de raisonner ni l'envie de le faire. Aussi docile qu'un paquet de pois chiches, aussi paniqué qu'un chaton que l'on agite au-dessus de l'eau du bain, il couina lorsque Chaze le chargea sur son épaule, pour le principe plus que par réelle protestation, vaguement conscient qui n'aurait pas son mot à dire durant les opérations et qu'il valait mieux pour lui se la fermer pour ne pas finir jeté dans la première poubelle du coin. Le heurt lui coupa le souffle, et tous ceux qui suivirent quand le scientifique se mit à bouger martelèrent désagréablement son estomac déjà secoué. À plusieurs reprises, le gosse essaya de se redresser, de prendre appui à l'envers sur le dos du brun de façon à relever le buste, mais c'était peine perdue ; tout au plus réussissait-il à griffer le tissu avant de retomber mollement, acceptant en fin de compte ce statut de poids mort qui le résumait si bien depuis le début de leur rencontre. Leur fuite lui laissa d'ailleurs tout le temps de réfléchir, quand bien même il désirait seulement s'abandonner à cet homme qui l'emmenait sans explication, fermer les yeux et se laisser ballotter par la marche rapide.

*

« Alors, Weasley, tu tires ou tu pointes ? » railla Raph à travers son keffieh, les flingues toujours dirigés vers le rouquin. Celui-ci jeta un œil discret sur Avishai à terre puis revint sur son ennemi et, soudain, sortit à toute vitesse une langue bifide d'entre ses dents.
« Les deux, bouffon ! » La balle partit au même instant, par un réflexe fulgurant, mais Neal avait bondi plus vite encore ; sa brusque détente n'avait rien d'humain, lui-même n'était plus humain – se délestant de ses vêtements comme de son enveloppe humanoïde, c'était un serpent qui venait de jaillir à l'assaut du géant. Le reptile visa directement la tête, comme monté sur ressort, avec la volonté de mordre pour y injecter son venin malgré l'épaisseur des tissus qui recouvraient l'ex-Eraser. Heureusement, celui-ci réagit aussitôt et, d'un mouvement du bras, cogna l'animal avec la crosse de son arme ; Neal se rétablit quelques mètres plus loin tandis que Raph le replaçait dans son viseur avec un rire bref.
« Ouh, la sale bête ! Ça explique pourquoi t'étais si laid ! »
Ce fut le moment que choisit Zachary pour sortir de la chambre, alerté par tous ces bruits. L'usage répété de son pouvoir durant leur trajet en voiture jusqu'à l'immeuble l'avait fatigué et, afin de recouvrer ses ressources, il s'était allongé pendant que, en théorie, ses complices s'occupaient d'enrôler leur victime. Or il avait compris que les choses avaient dérapé et, quittant son repos improvisé, avait décidé de prêter main-forte à Neal. Cela dit, dès qu'il passa la porte, Raph ne le loupa pas, même si cela nécessitait de quitter des yeux le serpent ne serait-ce qu'une seconde. Une seconde de trop. Le reptile, saisissant l'opportunité, se rua entre les jambes du géant, qui esquissa un pas de bourrée savoyarde pour éviter la morsure.
« Dégage d'là ! »
Sitôt dit, sitôt fait. Même si ce n'était qu'une injonction rhétorique, Neal préféra la fuite à la semelle d'une ranger en travers du corps ; par ailleurs, il savait que l'ennemi ne lui laisserait pas le temps de planter ses crocs dans son mollet pour lui inoculer son venin. Non, mieux valait qu'il batte en retraite pour cette fois. Il reviendrait. Vite. Il n'en avait pas fini avec ces connards d'humains. D'un balancement de la queue, il s'échappa sur le palier, rampa précipitamment dans les escaliers et disparut dans un trou de mur alors que Raph, lancé à sa poursuite, jurait et l'insultait. Trop tard. Le rouquin avait filé à l'anglaise.
« Merde. 'Faut qu'je prévienne le Chaze. »

*

Le Chaze en question, pendant ce temps, profitait du moelleux de la banquette arrière d'un taxi pendant qu'Enoch, bras refermés autour de son torse, n'osait croiser son regard. Il fallait bien qu'il dise quelque chose pourtant, mais rien ne lui paraissait approprié. Les derniers instants passaient en boucle dans son crâne, les scènes à l'identique, de plus en plus claires, avec tous ces aveux qu'il avait avalés comme autant de couleuvres, et dont il ne revenait pas. Un Evolve. On avait fait de lui un Evolve. Il n'aurait jamais cru que cela fût possible. Shane était un Evolve. Fredigan était un Evolve. Anselme et Faustine étaient des Evolves. Mais lui ? Il n'était qu'une expérience. Une putain d'expérience. La vérité lui collait des baffes en continu, et il avait tellement mal que les larmes sourdaient au bord des cils sans se résoudre à en dégouliner. Un nœud de fer serrait sa gorge. Et les façades défilaient de l'autre côté des vitres, des immeubles par dizaines, des commerces miteux, des poteaux électriques et des trottoirs envahis de passants indifférents ; jamais la vie ordinaire ne lui avait semblé si lointaine. Pourrait-il un jour y prétendre de nouveau ? Pour le moment, il s'en sentait trop violemment écarté.
« Heu... Merci... D'être venu me chercher. » L'effort pour prononcer ces quelques mots lui laissa le gosier aussi sec qu'un buvard neuf. Dans un autre contexte, la même phrase aurait pu être adressée par un enfant à son père à la sortie de l'école. Ce qui était loin d'être le cas présentement. Il aurait aimé s'excuser aussi, et pas qu'une fois, plusieurs milliers sans doute, mais il se souvenait de ce reproche que le brun lui avait adressé dans la chambre d'hôtel, comme quoi il s'excusait trop, alors il se tut. Mais en silence, il quémanda le pardon de la planète entière pendant que les rues succédaient aux rues et les croisements aux croisements.

Le véhicule se stoppa finalement devant un bâtiment qui n'avait rien à envier à tout les autres. Les mêmes vitres crasseuses, les mêmes gouttières rouillées ; une carte postale de l'Entre-deux comme on en voyait partout. Il ne s'en plaignait pas, puisque l'étroit local où il avait récemment pu élire domicile était fabriqué d'une manière similaire et il s'y était habitué. Cela dit, dès qu'il posa un pied à terre, la nausée qu'il s'était efforcée de refouler tant bien que mal remonta jusqu'à la glotte et il se pencha au-dessus d'une bouche d'égouts pour y dégobiller une bile jaunâtre, affreusement acide, en remplacement de son estomac vide. Le renvoi le força à tousser, cracher maladroitement ce qui lui brûlait l'œsophage et les derniers résidus dans sa bouche, avant qu'il ne se redressât pour s'essuyer le menton d'un revers de manche. Ça, c'est fait. Maintenant, si vous le voulez bien, il n'avait plus qu'à mourir.
Oh non, pas tout de suite, il nous reste tant de choses à voir, à faire, à montrer au monde. Tu ne vas pas abdiquer après tout ce que tu as traversé ! La vie continue, t'es en un seul morceau, je suis là aussi, ne te laisse pas abattre. Bon, d'accord, ces gars n'étaient pas nets, je le savais, mais l'histoire ne s'arrête pas là pour autant et, crois-moi, ce n'est pas ça qui va m'arrêter, foi de moi ! Lève la tête, lombric, mettons-leur-en plein la vue.
« Où sommes-nous ? » demanda Enoch, avec l'étrange impression de se répéter – et pour cause, c'était la troisième fois qu'il posait la question depuis le début de la journée. Alors, d'un geste prudent, il vint agripper le poignet de Chaze. La peur de le perdre, de se perdre, c'était pareil au fond, revenait le tarauder. S'ils se séparaient encore, dieu sait ce qu'il pourrait advenir ; un monstre bionique, une invasion d'extraterrestres, tout était possible après tout, et tout le terrifiait. Pourtant, il n'osait regarder le scientifique en face, par honte de son comportement sûrement, par désarroi aussi, et ses phalanges serraient, serraient fort, incapables de faire mal à cause de leur fragilité.
« Gardez-moi avec vous. Je vous dirai tout ce que vous voudrez, mais laissez-moi rester avec vous. » Est-ce qu'il avait vraiment dit ça ? « S'il vous plaît. » Ah, c'est mieux.
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robotic engineering
Chaze Ross
Chaze Ross
robotic engineering



13.12.15 12:39
Mauvaise idée le taxi. A présent qu’il se laissait aller contre le moelleux de la banquette arrière, le jeune scientifique doutait de parvenir à sortir du véhicule une fois leur destination atteinte. Quand bien même c’était préférable à l’optique de marcher jusqu’à la planque, avec le garçon sur le dos, Chaze laissait son regard suivre les changements opérés dans le décor, de l’autre côté de la vitre ternie par plusieurs centaines de respirations avant la sienne. Bien sûr, il n’avait pas été stupide au point de donner l’adresse précise de leur planque, au cas où le Gouvernement aurait l’envie de suivre ses faits et gestes, comme ça, sans raison valable. Aussi il lui faudrait encore mettre un pied devant l’autre quelques minutes avant de goûter finalement au repos du guerrier, bien mérité cela dit. Pour l’heure, le brun fixait sans réellement voir. Il aurait aussi bien pu être témoin d’un fait extraordinaire – encore un – que Chaze n’aurait pas sourcillé. De surcroît, il n’avait pas jeté un regard en direction du second passager, ne sachant pas vraiment à quoi s’attendre. Jusqu’à quel point le gosse avait gobé les propos de ses ravisseurs ? Lui-même ne savait pas encore où commençait la part de vérité et où elle s’achevait, au profit du mensonge, plus ou moins grotesque. Peut-être même qu’Enoch avait appris à faire confiance à ces types, aux drôles de méthodes ? Et s’il lui reprochait de l’avoir arraché à ces geôliers, devenus bienfaiteurs provisoires à ses yeux ? Pire, condamnerait-il la mort du barbu, certes expéditive et indépendante de la volonté du jeune scientifique, mais néanmoins criminelle au regard de la loi ? Tant de questions demeurées sans réponses pendant de longues minutes d’angoisse silencieuse, si bien que les premiers mots qui franchirent les lèvres d’Enoch résonnèrent comme une hallucination auditive. Merci ? Sans y croire, Chaze tourna lentement la tête en direction de son interlocuteur. Nul ne pouvait être certain à 100% de l’honnêteté d’une personne mais en cet instant, le garçon renvoyait exactement l’attitude de quelqu’un qui attendait le pardon, peu importe la forme que prendrait celui-ci. Alors à défaut de trouver les mots justes pour le lui accorder, le brun se contenta de poser une main sur la tignasse ivoire, caressant machinalement celle-ci. Pardon accordé.

« 40 dollars. » lâcha la voix laconique du conducteur, quelque part au loin.

Tiré de sa torpeur, le jeune scientifique reprit sa main pour virer la somme demandée. Ah, il s’en souviendrait de cette journée ! D’abord l’Evolve fou, puis sa première fois avec un homme, le trio de fanatiques dégénérés et enfin, la somme exorbitante qu’il avait placé dans l’industrie des taxis. Au moins, ils ne feraient pas faillite à cause de lui… Chaze sortit le premier, soudain pressé de retrouver l’air frais, vivace. L’accalmie avait cessé, dorénavant, il fallait faire face, une dernière fois. Il ne pouvait décemment pas abandonner Enoch à son sort après l’avoir tiré de ce merdier. Ce serait irresponsable de sa part. En parlant de ce dernier, le brun sursauta en entendant un horrible gargouillis, que son esprit assimila bientôt à autre chose. Il ne fit même pas l’effort de réprimer une grimace de dégoût mais ne trouva pas l’audace de faire une remarque là-dessus. Après tout ce qu’il venait de traverser, le renvoi gastrique était presque inévitable pour qui n’avait pas l’estomac bien attaché. Alors Chaze attendit patiemment que le gosse termine ce qu’il avait commencé, développant presque une once de pitié à son égard. Le taxi démarra quelques secondes plus tard, lui autorisant par la même occasion de lui répondre en toute franchise, loin d’une paire d’oreilles indiscrètes :

« Là où tu seras en sécurité. »

L’idée de lui révéler l’existence de cette organisation luttant contre le Gouvernement en place lui avait brièvement traversé l’esprit. Mais après tout ce qu’Enoch avait entendu, le jeune scientifique ne voulait absolument pas en rajouter une couche, celle de trop, telle la goutte d’eau venant faire déborder le vase et plongeant son interlocuteur dans l’hystérie maladive qui aurait dû survenir bien plus tôt. Chaze ignorait quand son être tout entier craquerait, se révoltant contre ce qu’on avait fait de lui et contre toutes ces affirmations ou encore ses décisions que l’on prenait sans le consulter une seule fois. Enoch incarnait la parfaite bombe à retardement à ses yeux, mieux valait le prendre avec des pincettes. Le brun levait le bras pour venir frapper à la porte du taudis qu’ils devaient rejoindre quand la prise du garçon le figea net. Instinctivement, il reposa les yeux sur lui, soudain mal à l’aise. Et si son interlocuteur exigeait des réponses ? Précisément à cet endroit ? Ce n’était ni le lieu, ni le moment pour le faire ! Et pourtant, il ne voulait pas non plus l’embarquer de force à l’intérieur. En son for intérieur, Chaze aurait l’impression de ressembler à ses ravisseurs. Le moins que l’on puisse dire, fut que le brun tomba des nues, une seconde fois en peu de temps, lorsqu’il entendit les propos de la tête blanche. Sur le moment, il ressentit une irrésistible envie de rire mais le sérieux de la situation l’en empêchait.

« Ça me paraît évident non ? Seul, tu t’attires sans cesse des ennuis. » répondit-il, en s’autorisant un vrai sourire pour la première fois depuis de longues heures.

Les coups résonnèrent contre le bois et l’attente suivit, habituelle désormais. Le jeune scientifique retournait sa langue dans tous les sens à l’intérieur de sa bouche, cherchant vainement quelque chose à ajouter pour meubler le silence qui venait de s’installer entre eux. Un petit quelque chose pour rassurer le gamin. Vite.

« Rien ne dit que t’es devenu un Evolve. Alors ne baisse pas les bras. »

La porte s’ouvrit à cet instant, partiellement puis totalement une fois qu’Elena l’eut reconnu. Avec un soulagement non dissimulé, Chaze apprécia de constater qu’elle était également la seule personne présente ici. Sans doute que d’autres affaires tenaient Leon et sa bande éloignés de la planque. La jeune femme referma la porte après qu’ils furent entrés tous les deux, les détaillant des pieds à la tête.

« Où est Raph ? »

« Resté derrière. »

Inutile d’employer plus de mots pour expliquer ce que cela sous-entendait. Elena le comprit aussi et se contenta de hocher la tête, reportant son attention sur Enoch.

« Et lui ? Tu sais que- »

« Oui je sais. Mais je n’ai pas eu le choix. Tu peux lui faire une prise de sang ? »

Devant l’air inquisiteur de son interlocutrice, le jeune scientifique soupira :

« On lui a injecté un sérum pro-créateur de mutations. Il faut qu’on sache ce qu’il en est. Il est possible que son organisme le rejette, dans le cas contraire, il deviendra un Evolve. »

Le choc de la révélation revêtit la forme d’une lueur plus vive – celle de la surprise – dans les iris d’Elena. Cependant, elle n’était pas femme à parler pour ne rien dire, à commencer par de vaines protestations ancrées dans un déni profond, aussi elle fit signe au garçon de la suivre. Elle le conduisit dans une pièce adjacente – la même qui avait accueilli Chaze des mois plus tôt – et le fit s’allonger sur un lit de fortune. Conscient que l’inquiétude devait ronger Enoch, le brun resta dans le champ de vision de ce dernier, comme si sa seule présence pouvait dissiper toutes les peurs de la tête blanche. Professionnelle, la jeune femme s’active aussitôt, lâchant quelques mots du bout des lèvres pour rassurer – à sa manière – son patient improvisé. Une vibration se fit sentir dans la poche du jeune scientifique. Quand il le réalisa finalement, il porta le portable à ses yeux. Raph.

« Toi tu attendras. »
maugréa-t-il en pensées avant de remettre la petite machine à la place qui était la sienne.

Pendant ce laps de temps, Elena poursuivait ses faits et gestes. Elle préleva un peu de sang sur le gosse, devenu livide entre temps et entreprit d’analyser l’échantillon ainsi récolté. Certainement les minutes les plus longues de leurs existences respectives, à l’exclusion de la jeune femme, qui demeurait de loin, la moins concernée des trois. Le brun pour sa part, envisageait tous les scénarios possibles et imaginables. Evolve ou non, Enoch allait avoir besoin d’une solide protection. Car il doutait que le trio de ravisseurs soit le seul sur le coup. D’autres allaient vouloir tenter leur chance, pire, lui injecter une nouvelle dose de ce prétendu sérum si jamais le test se révélait négatif. Mais vers qui se tourner ? Qui serait assez fou pour croire leur récit sans les arrêter ? Les raisons étaient nombreuses qui plus est : enlèvement, chantage émotionnel, meurtre… Et si jamais le garçon était devenu l’une de ces créatures encore incomprises par le reste de la société humaine ? Il allait avoir besoin d’aide pour vivre cette nouvelle existence, faite de dangers encore inconnus pour quelqu’un qui avait grandi en tant qu’humain bien fait de sa personne. Allait-il accepter d’être pucé et étudié ? Ou au contraire, choisirait-il une vie libre, avec les risques que cela incluait ? Chaze était le mieux placé pour le renseigner à ce sujet. Leur job à eux c’était de dépucer les Evolves trop lents à la détente, dans l’espoir de leur garantir une vie meilleure. Mais de là, à lui promettre de quitter la ville ou tout simplement de vivre sereinement quelque part… La porte d’entrée s’ouvrit à la volée, les faisant tous sursauter. Un désagréable sentiment de déjà-vu…

« Putain Chaze ! Tu vas décrocher bordel de merde ? »

« Content de te revoir aussi Raph. » ironisa l’intéressé, ce qui n’eut pour tout effet de d’agacer un plus le nouveau venu.

« Tu te fous de moi connard ?! Attend un peu que j’te- »

L’ex Eraser n’eut pas l’occasion de mettre ses menaces à exécution que la voix d’Elena, autoritaire et ne laissant pas la place à la contestation, se fit entendre, coupant ainsi court à la querelle puérile qui s’annonçait entre eux.

« La porte Raph. »

Sa colère retombée, soudain embêté, le colosse grommela quelque chose entre ses dents et pivota sur lui-même pour aller refermer la porte. Par chance, la rue n’était pas très fréquentée.

« Si Leon avait été là, il serait déjà raide mort. »


Passé ce bref moment de répit entre eux, Chaze se décida le premier à remettre de l’huile sur le feu :

« Et donc ? Pourquoi t’es là ? »

« Ta gueule ! Ces mecs étaient des putains d’Evolves ! L’un d’eux a réussi à filer. »

Des Evolves ? Même sans cette intervention, le jeune scientifique l’aurait deviné. L’expression remplie de haine du rouquin lui repassa devant les yeux. Il se souvenait que trop bien des mots qu’il lui avait adressés juste après que le brun l’eut frappé. Et ce n’était pas surprenant compte tenu de la nature de la pseudo relation qu’ils prétendaient vouloir nouer avec Enoch… Non, ce qui l’inquiétait davantage c’était…

« Lequel ? »

En dépit du regard  courroucé que la jeune femme lui jetait, Raph s’autorisa un crachat avant de répondre :

« L’rouquin. Mec, t’aurais vu ça. Il s’est changé en serpent sous mes putains d’yeux ! »

C’était ce qu’il redoutait. Le plus dangereux du trio – et encore, il n’en avait aperçu que deux – était en fuite. Animé par la rancœur et la haine qu’il portait aux humains, et plus particulièrement au brun compte tenu des récents événements. Chaze soupira en se massant le nez, sentant le regard de la jeune femme posé sur lui. Malheureusement pour l’intéressée, il ne voyait pas quoi lui répondre pour le moment. Déjà avoir les résultats des analyses et ensuite… Et bien, il aviserait. Comme toujours.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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13.12.15 19:02
En sécurité. La belle affaire. Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir signifier, en sécurité ? Parlait-il de la même sécurité qu'avaient arguée les trois précédents lascars, tout sucre tout miel, pour mieux justifier son expéditive expédition sur la planète des barjos aux pouvoirs ? Ou bien sous-entendait-il plutôt le confort bien-pensant, l'ordre grégaire et aveugle, la dictature fielleuse quoique ronronnante de ce qu'était devenue Madison au cours de ces deux derniers siècles ? Le retour du cynisme. Bonne nouvelle en soi – le petit poucet allait mieux pour oser se permettre une critique pareille, bien qu'il la tût derrière sa détresse silencieuse et ses yeux de chaton abandonné dans un carton sale. Après tout, ce n'était pas entièrement sa faute s'il s'attirait sans cesse des ennuis, ainsi que le lui rappela Chaze ; ce n'était guère de sa responsabilité s'il existait là-haut, il ne savait trop où, une créature qui avait décidé de lui en vouloir et de transformer sa vie en enfer, à peu de choses près. Qu'importe le nom qu'on eût pu lui donner, le destin sans doute, un destin féminin, il l'aurait parié, car il est de notoriété publique que les femmes sont sournoises et perfides à l'instar des vipères. Néanmoins, ce qu'il avait fait pour concentrer sur sa personne autant de malheurs, il n'en avait strictement aucune idée. Un mauvais coup du sort. Si mauvais qu'il lui avait permis, soit dit en passant, de faire la rencontre du scientifique ; aurait-il dès lors préféré suivre un morne quotidien, s'enliser dans les banalités d'un ordinaire minable au cœur d'une ville outrageusement capitaliste et perdre peu à peu le sens que d'aucuns donneraient à la vie, sans aucune chance de côtoyer un jour de telles personnalités ? Le soupçon était permis.
Le coin de sa bouche eut à peine le temps de s'étirer en réponse à l'approbation du brun qu'ils se présentèrent devant une porte, Enoch en retrait, laissant son compagnon le guider dans ce qu'il devinait être le bas-fond des bas-fonds de la cité. L'ultime pépite de la boîte de Pandore, le joyau dissimulé sous l'amas de crasse dans lequel il avait plongé peu de temps auparavant. Enfin, rien n'indiquait véritablement que ce qui se trouvait de l'autre côté de la paroi fût porteur d'espoir – tout du moins l'imaginait-il avec une confiance d'enfant, une crédulité inquiète qu'il espérait en valoir le coup. Sinon, que lui resterait-il ? À qui serait-il encore capable de se fier à l'avenir, maintenant qu'il n'était plus l'humain de la veille ? D'autant que ce n'était pas le maigre réconfort induit par le conseil du scientifique qui l'aiderait à surmonter les épreuves futures.

La silhouette qui leur ouvrit n'était certes pas aussi imposante que celle du colosse qui s'était porté à leur rescousse, cependant elle fit une certaine impression sur le garçon tant il se sentit passé aux rayons X lorsqu'elle posa les yeux sur lui. Visiblement, elle n'appréciait guère de découvrir un ennui supplémentaire à taille humaine, comme si le brun n'était capable que de lui rapporter ce genre de souci qu'elle devrait rajouter à la liste déjà exhaustive des risques encourus par son activité. Enoch se fit aussi minuscule que possible, un lot d'excuses plein la gorge, prêtes à l'emploi, alors que les deux complices l'introduisaient dans la planque. Docile, le gamin suivit la demoiselle dont il ignorait le patronyme – mais si c'était une collègue de Chaze, il se devait de lui obéir – tout en enregistrant le moindre détail concernant l'agencement des pièces et de l'ameublement, tellement succinct qu'il n'eut même pas de quoi remplir un timbre-poste. L'endroit n'était certainement pas un lieu de vie, encore moins un bouge sordide où se pratiquaient des exactions plus douteuses les unes que les autres ; tout ou presque était rangé dans des casiers, des placards, rien de personnel sur les surfaces et aucun décor aux murs, rien qui pût dire que le lieu appartenait à quelqu'un en particulier. Personne d'extérieur à la bande qui officiait ici ne devait savoir ce qui s'y tramait, ne devait récolter un indice sur les créatures qui s'y regroupaient ; pour quoi faire, mystère.
En silence, Enoch s'installa sur le fils hybride d'un lit de camp et d'un brancard que lui présentait la rousse, avant de lui tendre un bras osseux où, dans le creux du coude, un point violacé témoignait de sa prise de sang matinale. Avec une dextérité de professionnelle, la femme tâta la pliure, appuya sur la veine qui n'en avait pas besoin pour ressortir, bleue sous blanc, et s'adressa au gosse tout en s'emparant du matériel nécessaire à ses intentions.
« Détends-toi ou tu auras mal » précisa-t-elle juste avant de placer l'aiguille au bord de l'épiderme. Le garçon glissa un regard trouble en direction du brun, posté dans l'encadrement de la porte ; mais si cette vision ne le calma pas, elle lui permit de se distraire la seconde dont profita Elena pour lui enfoncer la seringue dans la veine, ne lui arrachant qu'une mince grimace. Aussitôt, le liquide s'écoula dans le contenant, d'un rouge si puissant qu'il était surprenant qu'il appartînt à un individu souffrant d'anémies régulières. Puis la rouquine retira l'aiguille, plaça un morceau de gaze là où une goutte rebelle perlait sur le bras d'Enoch en lui demandant de presser le coton un moment et, finalement, plaça l'échantillon prélevé dans une machine miniature, de celles qui séparent les double-hélices d'ADN de ce liquide pourpre qui nous traverse en continu. Ce fut l'instant que choisit le tonnerre pour frapper en la personne de Raph.

L'échange qui s'ensuivit entre les deux hommes de la pièce donna au fantôme la sensation d'avoir quitté les fous pour atterrir chez d'autres fous, mais fous d'une manière différente, sensation qui s'estompa rapidement au profit d'une frayeur sourde, étendue à tous ses membres tel un fluide glacial. Comprenant bientôt que, si l'un des trois précédents Evolves s'était esquivé, les deux autres se trouvaient probablement inertes sur le sol d'un appartement inconnu, Enoch s'interrogea sur les méthodes du géant qui venait de baisser sa capuche de commando et de relever sur son crâne ses lunettes de skieur ; est-ce qu'il les avait tués ou juste – juste – assommés ? Qu'est-ce qui était le mieux, à savoir que dans le premier cas, ils devraient composer avec deux cadavres sortis de n'importe où et, dans le second cas, il fallait s'attendre à des représailles peu ou prou opportunes ? Le dénommé Neal est donc un serpent. Pas qu'au sens métaphorique du terme. Il était un authentique reptile, avide de vengeance de surcroît, qui ne tarderait pas à faire de nouveau entendre parler de lui, c'était certain. Tout le monde dans la planque le pressentait, Chaze le premier. C'était comme apprendre qu'un loup menace la bergerie, un loup que nul n'a vu ni entendu, mais qui rôde non loin et sévit dans l'obscurité, guettant son heure pour décimer le plus de têtes. Un frisson mordit la nuque d'Enoch, alors qu'Elena se focalisait sur le résultat des analyses, l'œil collé à la lentille d'un microscope. De longues secondes s'écoulèrent, durant lesquelles Raph n'en finissait plus de maugréer sur l'infect lézard qui lui avait filé entre les jambes, avant que l'unique femme du groupe ne prît la parole pour imposer le silence :
« O.K., j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que le petiot ne restera pas dans cet état. Il y a bien eu altération du gène, mais la synthèse ne s'est pas opérée en profondeur.
C'est-à-dire ? » questionna timidement le principal intéressé, qui jusqu'à présent n'avait pas ouvert la bouche. La rousse darda sur lui un regard grave, puis désigna le microscope au brun afin qu'il prît lui-même conscience de ce qu'elle s'apprêtait à expliquer, autant au gosse qu'à ses collègues.
« C'est-à-dire que, dans le cas de l'utilisation d'un sérum pro-créateur, l'organisme ne se modifie pas de façon irréversible comme c'est le cas chez les Evolves de souche. Le gène revêt la forme de la mutation sans la conserver sur le long terme, ce qui confère une capacité ultra-humaine qui n'est que temporaire, par un jeu d'illusion chimique. Tu le sais, Raph, les Erasers recourent parfois à ce procédé, mais la dose est infime afin de neutraliser les contrecoups et de ne cibler qu'un laps de temps réduit. C'est là que tombe la mauvaise nouvelle. »
C'est là qu'Enoch déglutit.
« Je ne peux pas connaître le taux de concentration du sérum, ni la quantité inoculée. Ce peut être une goutte ou un flacon entier, et quand bien même ce serait une goutte, elle pourrait contenir plus de molécules actives que dans un verre plein. Seul celui qui a produit l'agent chimique peut savoir quel en a été le dosage. »
En d'autres termes – mais elle se garda bien de l'énoncer à haute voix – ils étaient baisés.

Ingérer ces informations, étrangement, ne désespéra pas le gamin. Peut-être le fait de savoir que ce  n'était qu'un état éphémère le soulagea suffisamment pour qu'il ne se mît pas à maudire ce Schrödinger, quand bien même il le maudissait malgré tout, mais dans une moindre mesure, et qu'il existât une solution à son problème. En somme, il devait juste être patient. Patient et prudent. Ne pas attirer l'attention sur lui – trop tard –, ne pas se balader avec un écriteau « Mutant » au-dessus de la gueule – hum, trop tard aussi – et surtout, surtout, ne pas abuser de son pouvoir – à voir, puisque le capricorne semblait atrocement affamé de sa propre puissance. Oui, en définitive, les choses n'étaient pas si noires ; le gris s'était même soudain illuminé d'une nuance rassurante.
« Putain, si j'récapitule, on a un Evolve en carton, un scientoche taré et trois branques dont un lézard qui s'terre on n'sait trop où. Quelqu'un m'rappelle pourquoi j'ai quitté la milice ? » grogna Raph en guise de désapprobation.
Alors, ce fut au tour d'Enoch de faire entendre sa voix. Lui qui jusque là s'était tenu à l'arrière pour ne pas gêner les grands penseurs, lui qui avait avalé les renseignements comme une oie qu'on gave pour les fêtes de fin d'année, lui qui avait été bringuebalé de tourments en tourments au gré de son calvaire pour finalement se retrouver là, objet de convoitises qui le dépassaient, entraînant dans ses affres un homme qui n'avait eu pour seul tort que de lui venir en aide contre un mutant hystérique. Ne devait-il pas, enfin, prendre ce qui lui avait fait défaut depuis tout ce temps, récupérer la part de responsabilité qui lui revenait de droit et de devoir, et cesser d'être un fardeau pour tous ces gens qui paraissaient prêts à se déchirer sur son sort ? Assez de tout. Assis sur le lit, les poings serrés sur ses cuisses, son cerveau se mit en branle à toute vitesse jusqu'à faire éclore une décision, peut-être la plus lourde qu'il avait dû prendre depuis son arrivée dans ce monde.
Bien, mon cageot, c'est ça, accepte la réalité, accepte-moi, tu sais que tu ne peux plus fuir, qu'il n'y a aucun recoin où te cacher de moi, ils te l'ont dit, à quoi bon attendre que je disparaisse ? Tu ne pourras pas me contenir longtemps, tu en es incapable, trop faible, ton esprit est trop faible, admets-le, depuis le début tu n'as fait que retarder l'échéance et te voiler la face. Faux ? Temporaire ? Foutaises ! Je suis, car je suis éternel, rien ne s'oppose à ma nuit, accepte-moi, imprègne-toi de moi jusqu'à l'os, dans la moindre de tes fibres, donne-moi ta conscience, offre-moi ta volonté que je la  boive jusqu'à la lie ! Voudrais-tu continuer d'être ce poids mort, ce danger ambulant, la princesse à sauver ? Peuh, tu me fais pitié. Tu ne me mérites pas, tu n'es pas digne de ce pouvoir, de ma puissance. Tu n'es qu'un insecte entre les crocs d'une vipère, voilà ce que tu es, minable rampant, déchet !
– Ta gueule.


« Chaze. Je ne dois pas rester ici. Ce n'est pas une question de tort ou de raison – tout le monde a raison. Vous avez raison quand vous dites que je ne suis pas en sécurité, Zachary avait raison quand il parlait de croyances et de manipulations, et vous, Raph... – il buta sur le nom, par crainte d'offusquer son propriétaire en faisant preuve d'autant de familiarité – vous avez raison de parler de putains d'Evolves. Parce que, même si ce n'est que pour un temps, c'est ce que je suis devenu. » Il eut un soupir abîmé, comme un sanglot d'effroi qui serait mort dans sa gorge avant de s'épancher. Étrange la façon dont les choses s'étaient assombries tout en s'éclairant, un clair-obscur qui rehaussait son caractère profond, sa nature insoupçonnée ; enfin, la gravité des circonstances donnait à sa voix une densité qui lui avait fait défaut jusqu'à lors, une force latente qui n'avait attendue qu'une brisure pour imploser. En un sens, il ne s'agissait plus de gémir sur le viol de ses gènes, de geindre sur l'agression féroce qu'on avait imposée à son corps et son esprit : ceux-là lui appartenaient encore, et personne n'avait à s'en estimer le dépositaire sans son consentement. Son âme, ses choix. Point.
« Vous n'avez pas à prendre de tels risques. Rien de bon ne peut sortir de cette histoire et je n'ai pas à vous y impliquer plus que ce que je n'ai déjà fait. Quoi que vous fassiez ici, qui que vous soyez, tous,  personne ne doit être en mesure de faire de mes ennuis les vôtres. »
Et même si c'était un peu tard pour le dire, et très égoïste, il le pensait sincèrement.
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robotic engineering
Chaze Ross
Chaze Ross
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24.12.15 14:26
L’intervention d’Elena survint au bon moment, tirant justement le jeune scientifique de ses pensées, toutes plus pessimistes les unes que les autres concernant l’évasion du rouquin présumé Evolve. Chaze reporta son attention sur son interlocutrice, comme le reste des personnes présentes dans la pièce, après que l’irruption bruyante de l’ex-Eraser ait monopolisé à la fois les oreilles et les regards des occupants de la planque. Bien malgré lui, le brun se raidit sous l’afflux de nouvelles tensions quand Elena prit la parole, s’attendant à tout, le meilleur comme le pire, surtout le pire en fait, même s’il n’était pas défaitiste de nature, loin de là. Et après quelques secondes d’anxiété croissante, vint enfin le soulagement, sous la forme d’un léger soupir franchissant les lèvres du jeune scientifique. Apprendre que l’altération du gène d’Enoch ne serait pas permanente était une bonne chose. Mais quelle était la mauvaise nouvelle dans ce cas ? La réponse ne tarda pas à s’imposer à lui, en bon esprit cartésien qu’il était. Le brun n’eut pas besoin d’entendre les explications d’Elena pour connaître la raison du problème : le dosage, bien évidemment. Tandis que la jeune femme prenait le temps de détailler le problème auquel ils étaient tous confrontés à présent, Chaze s’approcha du microscope pour observer lui-même l’altération provisoire qui s’était opérée chez le garçon. Dire que cette déformation des molécules, en forme et en couleur, invisible à l’œil nu et si minime en apparence, aurait de lourdes conséquences sur le quotidien d’Enoch dans les prochains jours… Le jeune homme serra les dents en se reculant du microscope puis fit quelques pas dans la pièce. Son regard se posa furtivement sur chacun des occupants des lieux, essayant d’apporter un début de réponse rassurance à son cerveau, une illumination quelconque, en vain. Le soulagement, qui s’était peint sur le visage du garçon une fraction de secondes auparavant, venait de s’envoler aussi rapidement qu’il s’était installé dans son esprit, tandis que le doute s’imprimait une fois de plus sur ses traits, probablement pour un long moment.

Quelques minutes plus tôt…

Payer. Ils devaient tous payer. Ces enfoirés d’humains. Oser le ridiculiser de la sorte ! Avishai et Zachary y avaient laissé leurs peaux. Les yeux exorbités, le regard fou, l’Evolve s’était empressé de suivre – à bonne distance tout de même – l’homme masqué qui avait assassiné ses deux compagnons sous ses yeux. Ils n’étaient rien d’autres que des pions, comme tous les autres d’ailleurs mais en faire de bons petits soldats prenait du temps, beaucoup de temps. Neal ne pouvait pas se permettre de les perdre aussi facilement ! Et puisqu’il était déjà trop tard pour eux, l’Evolve restant comptait bien récupérer le fruit de ses durs labeurs en la personne d’Enoch. Pourquoi pas s’autoriser quelques minutes pour contempler l’agonie de ce grand brun aussi par la même occasion. Oh oui, il en mourrait d’envie. Sitôt qu’il avait échappé au fou masqué et armé, le serpent avait discrètement rejoint la voiture, stationnée un peu plus loin. Ce lourdaud, dans sa bêtise, n’avait pas imaginé un seul instant qu’il puisse être venu en voiture. Quel idiot. Tout juste bon à se faire remarquer et à jouer aux cowboys. C’était de l’histoire ancienne tout ça ! Neal se félicita d’avoir toujours quelques affaires de prévue pour ce genre de situation et il dégotta de quoi s’habiller dans le coffre du véhicule, ce qui lui évita, pas la même occasion, de rouler à poil. Non pas que ça le gênait plus que ça ou même que son arrière train supportait mal le cuir des sièges. Disons simplement qu’être arrêté pour conduire sans le moindre vêtement, en jouant les nudistes de manière détournée, n’était pas pour lui plaire, résultant en une perte de temps qu’il se serait bien évité. Ce fut à ce moment-là qu’il le vit sortir. Sifflant de colère, Neal se cacha aussitôt, avant de mettre le moteur en route. Il ne perdait rien pour attendre. Et même s’il ne le conduisait pas directement au gosse et au brun, l’Evolve se faisait une joie malsaine à l’idée de lui arracher l’information en question.

Retour au moment présent…

D’eux tous, ce fut Raph le premier qui brisa le silence, lourd de sens, qui venait de s’installer entre eux. Le brun avait eu beau chercher quoi dire, autant pour meubler que pour détendre l’atmosphère – si toutefois, c’était possible – l’ex-Eraser fut plus rapide que lui. Avec son tact légendaire, il exprima de vive voix ce que tout le monde pensait, résumant la situation présente en quelques piques bien senties qui se destinaient aussi bien à certaines personnes présentes qu’à d’autres, disons, plus lointaines et non concernées directement par les événements. Sa réplique arracha un soupir à Chaze qui se passa une main sur le visage. L’analyse de la jeune femme laissait clairement entrevoir une note d’espoir : les effets du sérum ne seraient qu’éphémères, il leur suffisait d’attendre. Oui, attendre, mais pendant combien de temps exactement ? Tous avaient une vie, enfin, presque tous ici mais le brun ne s’imaginait pas remettre Enoch entre les mains de l’ex-Eraser. D’eux tous, ce dernier était très certainement le mieux placé pour le protéger mais comment dire… Question de principe. Elena avait déjà suffisamment donné de sa personne pour venir jusqu’ici et faire des heures supplémentaires dans cette activité bénévole et criminelle qu’était leur petit groupe pro-Evolves. Le jeune scientifique ne voulait pas lui en demander davantage. Il ne restait plus que lui, avec sa bonne volonté désespérante, sa nature de casse-cou au grand cœur. Oui sauf que si les trois lascars avaient pu se renseigner sur lui comme il le redoutait, alors savoir où il habitait serait un jeu d’enfant après avoir obtenu son nom… Chaze se doutait qu’en remettant les pieds chez lui, avec le rouquin dans la nature, c’était prendre le risque d’une visite surprise et remplie de mauvaises intentions à son égard… En clair, Enoch ne serait en sécurité nulle part. Constat qui le désespérait.

Son prénom, dans la bouche du garçon, lui fit baisser les yeux en direction de l’intéressé, toujours assis sur le lit de fortune aménagé par le groupe. Dans ce simple mot, le brun pouvait sentir toute la gravité de la situation du point de vue d’Enoch lui-même. De tous, il était le plus concerné par toute cette histoire – il en était même au centre – et jusqu’à présent, il n’avait eu que très peu – voire pas du tout ! – son mot à dire là-dedans. Chaze ouvrit la bouche pour protester, cherchant toujours quoi lui opposer comme arguments mais les mots qui suivirent son prénom lui clouèrent le bec. Si même Enoch se mettait à reconnaître à quel point sa situation était désespérée… Le silence qui suivit cette déclaration fut agité d’une nervosité à peine palpable, laquelle avait gagné ses trois interlocuteurs sans distinctions, y compris le dénommé Raph, soudain pris de court que celui qu’on voyait comme le gosse paumé, énonce de manière aussi claire et calme, O combien il les avait foutu dans la merde. Elena chercha le regard du brun, l’expression grave et solennelle. Le jeune scientifique comprit qu’elle partageait l’opinion d’Enoch. Il n’était pas un Evolve reconnu, encore moins pucé. Leur champ de compétences se limitait à cela depuis le début. Si leur leader avait été présent, cela ne faisait aucun doute qu’il aurait refusé de venir en aide au garçon. Trop dangereux, trop risqué, trop imprévisible, trop différent de ce qu’ils avaient l’habitude d’affronter. En effet, il était encore temps de faire marche-arrière, de recracher le gosse dans la rue, l’abandonner à son sort au prix d’une grande claque amicale dans le dos après lui avoir souhaité bon vent et croiser les doigts discrètement pour qu’il s’en tire. Oui, tout cela était possible, bon nombre d’individus auraient sauté sur l’occasion, à présent que le coupable présumé leur fournissait l’occasion rêvée de se dégager de toute responsabilité le concernant. Oui sauf que…

« Pas question. »

Fronçant les sourcils, l’ex-Eraser s’était tourné vers lui, beuglant déjà une succession de termes plus fleuris les uns que les autres pour exprimer une incompréhension teintée de désaccord, ce que Chaze balaya d’un signe de la main, avec pour objectif, de lui intimer le silence comme seule la jeune femme savait le faire.

« Je crois qu’on est déjà tous les trois suffisamment impliqués dans l’histoire pour espérer s’en sortir sans problèmes. Le rouquin n’en a pas fini avec moi, je suis prêt à parier qu’il cherchera à me retrouver. S’il a pu obtenir mon nom, alors dénicher mon adresse sera un jeu d’enfants. Tu veux vraiment nous aider ? Mets ton égo de côté et reste ici. Tu seras certainement plus en sécurité que nulle part ailleurs dans cette ville. Raph ? »

L’intéressé parut surpris d’être interpellé par le jeune scientifique mais rapidement, son caractère de ronchon prit le dessus tandis qu’il lâchait un informel :

« Ouais ?

« Le rouquin t’a suivi jusqu’ici ? »

La question prit tout le monde de court, à commencer par l’ex-Eraser lui-même. La surprise, une fois encore, se lut sur son visage, alors qu’il ouvrait et refermait la bouche à plusieurs reprises, comme le poisson dans son bocal.

« Comme j’le saurais ! L’bestiau s’est carapaté par un trou d’souris. J’doute qu’il ait pu aller suivre mon bolide. »

« Ils sont arrivés en voiture. Il a très bien pu se faufiler dedans, reprendre forme humaine et te suivre de loin jusqu’à la planque. »

L’indignation se vit sur le visage de son interlocuteur, incapable de reconnaître l’éventualité de la chose. Mais l’expression soucieuse d’Elena, d’ordinaire, impassible, lui confirma à quel point ses craintes étaient fondées.

« Alors c’est décidé. On reste ici et on attend qu’il se pointe. Des objections ? »
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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25.12.15 18:54
Il avait pris sa décision, une décision plus grave que le gémissement d'une étoile, et il s'y tiendrait. Dans son encéphale ravagé par les doutes et l'angoisse, il ne possédait que cette ancre-là, cette résolution qui jusqu'à lors n'avait guère trouvé d'issue par laquelle s'exprimer, et maintenant qu'il était parvenu à lui donner une portée suffisante, il n'était pas question de revenir sur sa volonté, dusse-t-elle être guidée par la peur ou n'aboutir qu'à des ennuis supplémentaires. Cerclé par ces trois adultes bien plus au fait des spécificités de l'époque, Enoch se sentait comme un poisson rouge en sachet, coincé dans son millilitre cube d'eau, à observer la Trinité profane tergiverser sur les dimensions de l'aquarium, sinon la puissance de la chasse d'eau ; avait-il fait une erreur en se montrant aussi déterminé à les quitter ? À vue d'œil, il s'agissait néanmoins de la solution la plus prudente pour la majorité – sauf lui – car en les abandonnant sur l'heure, il brouillerait les pistes pour Neal et, semblait-il, conserverait le trio d'éventuelles représailles. Oui mais voilà. Si le serpent préférait régler ses comptes avec Chaze plutôt que de le poursuivre, lui ? S'il favorisait l'attaque pure, la confrontation brusque afin de se débarrasser des gêneurs d'abord et ensuite, seulement, se lancer à sa recherche ? Personne ne pouvait prévoir sa réaction. Enragé qu'il était, le rouquin ferait sans doute passer sa revanche individuelle avant ses objectifs humanistes, ou plutôt evolvistes si l'on se remémorait ses insultes à l'égard des humains, et la sublimissime solution du fantôme ne serait finalement qu'un désastre plus violent encore. Il avait pris sa décision, pourtant. Mais en dépit de l'approbation tacite de la savante et du justicier masqué, ce fut le brun qui eut le premier mot.
Il mit ainsi du sens sur ce qui tracassait Enoch, d'une façon tellement pragmatique qu'elle en frôlait la désespérance. Parce qu'il avait aidé ce qu'il considérait comme une gosse perdu, parce qu'il s'était préoccupé de sa sauvegarde et n'avait pas voulu le lâcher, l'oublier sitôt ses affaires achevées et tirer un trait sur leur rencontre, Chaze était devenu la cible à abattre d'un reptile fou, celle d'une vengeance à sang-froid, et il gardait cependant un calme presque olympien. Le gamin le soupçonnait toutefois de camoufler les craintes qui l'étreignaient derrière ses airs autoritaires, de traduire en ordres le trouble qui l'habitait, mais en aucun cas il ne lui en aurait fait le reproche. Au contraire il courba l'échine aussitôt, même si cela demandait de jeter aux ordures ses précédentes convictions, et demeura à sa place, embarrassé par ce branle-bas-de-combat qui se préparait, sans trop savoir s'il devait s'imposer en renfort ou s'écraser dans un coin pendant que les opérations guerrières s'effectuaient. En quelques phrases, le scientifique prit le commandement de la troupe alors que celui-ci aurait plus légitimement échoué entre les mains de la force armée dans de telles circonstances, à savoir Raph ; de fait, personne ne broncha lorsqu'il fallut opposer une objection, car malgré les opinions divergentes sur le sort d'Enoch, tous reconnaissaient en Chaze le pouvoir décisionnel qui leur était nécessaire dans ce contexte. Ne pas bouger. Attendre qu'il se pointe. Soit. Et ensuite ?

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour remonter jusqu'à l'immeuble faussement déserté de leur planque, larguer son véhicule dans une ruelle adjacente, inspecter le terrain et réfléchir à un programme. Depuis qu'il avait utilisé une première fois son don, sa nuque le tirait légèrement et son squelette entier crissait lors de ses déplacements, nonobstant il savait qu'en se transformant de nouveau cette arthrose passagère disparaîtrait en même temps que sa peau d'humain. Il ne prévoyait pas d'entrer par effraction, de forcer la porte d'entrée ou encore de feinter les occupants – surtout ce lourdingue de shérif à cagoule –, pas besoin, il lui suffisait de ramper par une ouverture, une voie d'aération, n'importe quoi, de se faufiler à l'intérieur et de les terrasser furtivement, un croc par-ci, une morsure par là, quelques sifflements bien sentis et les voilà réduits à trois misérables loques en train de se vomir dessus, les veines saccagées de poison, le cortex en bouillie. Joie. Cela leur apprendrait à descendre ses compagnons, des Evolves aux pouvoirs intelligents, utiles quoiqu'un peu fragiles, et à l'humilier, lui, Neal par surnom d'emprunt, en plein durant sa chasse. Il les bousillerait avec un plaisir féroce. Et pour cela, il se délesta de sa forme humaine depuis un renfoncement, retrouvant les sensations familières du béton contre ses écailles, du sol contre son ventre, et se hâta de glisser entre deux barreaux d'un conduit, direction leur grotte secrète, leur futur tombeau.

Un long moment de silence s'ensuivit, moment durant lequel le quatuor se renvoya des regards sérieux, trop sérieux, sur le qui-vive, écoutant le moindre soupir qui leur serait étranger pour sauter sur l'intrus responsable.
Je ne leur donne pas trois minutes. Des bouffons qui se prennent pour des monarques, telle est leur véritable nature, n'es-tu pas d'accord ? Notre collègue en peau de croco' va les prendre à revers, si vite qu'ils n'auront même pas le temps de comprendre où il a frappé. Mais tu seras sauf grâce à moi, c'est-y pas beau, il ne te touchera pas puisque je suis là, tu devrais me remercier, franchement, tu aurais été balancé dans le même sac sinon, une victime de plus, et tu continues de me bouder ? Ingrat. Je te préserve de la mort et tu me rejettes, me renies ? Naaan, attends de voir, attends d'être le dernier debout et tu comprendras. C'est aussi ça, le pouvoir, la force. La loi du plus rusé. Tu passes entre les mailles du filet, tu échappes au trépas, déjoues les pièges, côtoies les vainqueurs. Les meilleurs. Avec moi, tu seras dans le camp des victorieux, de ceux qui dominent, ceux qui accomplissent leurs désirs. Pourquoi tu t'obstines à vouloir rester chez les médiocres, les moins-que-rien, de pauvres humains qui croient toujours qu'un don est une malédiction ? Moi, je suis ta protection. Je suis ta sécurité. Ne les écoute pas, n'écoute pas cette belle gueule, c'est moi ton gardien, moi et uniquement moi. Et retiens bien ce précepte, le seul qui vaille au monde : ce que les puissants veulent, les puissants l'obtiennent. Quel que soit l'enjeu.
Un tintement métallique, comme une pichenette contre une casserole, sonna la fin de leur tranquillité. Le son provenait de la pièce d'à côté ou, plus précisément, d'un entre-deux, dans la paroi peut-être, ce qu'analysa sur-le-champ Elena :
« Il est dans les murs. Le conduit d'aération.
Plus pour longtemps », grimaça Raph en sortant un flingue qu'il pointa vers la plaque grillagée du local, prêt à tirer à la seconde où il y apercevrait un reflet luisant. Ce serait au plus rapide. Mais la rousse l'en dissuada au quart de tour, dans un chuchotement qui trahissait la tension.
« Attends, rien n'indique qu'il va sortir par là. Et ce n'est ni l'endroit ni le moment de vider tes cartouches n'importe comment. »

Une nouvelle fois, la maîtrise de la jeune femme sur l'excitation de l'ancien milicien fit ses preuves, et la nécessité d'être discret au vu de leurs activités illégales revint en mémoire de ce dernier ; hors de question de trouer le mur à cause d'un ennemi invisible, de risquer de rameuter tout le voisinage et de faire une croix sur leurs sombres occupations. D'autant que, à l'instant où le point final tomba, un glas de verre de l'autre côté de la paroi capta leur attention. Le reptile avait-il, en pénétrant dans la planque, choqué deux béchers ? Ses méandres rugueuses avaient-elles heurté un bocal quelconque pendant qu'il serpentait jusqu'à ses proies ? Qu'importe en fût la raison, elle fit naître chez Enoch une solution qu'il s'empressa de mettre en pratique sans demander l'avis de ses complices. « J'y vais. »
Et tant pis si Chaze essayait de le retenir, si Elena jugeait qu'il était inconscient, si Raph le traitait d'abruti. S'il se mettait en première ligne, ce n'était guère par sens du sacrifice, encore moins par esprit cavalier ; il ressentait une peur bleue à l'idée d'ouvrir la porte qui donnait sur la salle mitoyenne et de tomber nez à nez avec un boa, un cobra royal ou un mamba noir, un de ces montres qui tuent une vache en vingt secondes ou avalent un caïman vivant en entier, sans mâcher, pour le digérer durant des jours. Nature, charmante nature qui a créé pareils animaux. Non, vraiment, le garçon avait une frousse terrible de ce qui l'attendait de l'autre côté. Mais pour une fois, une première et dernière fois, il avait pris au mot ce que la Chimère lui avait soufflé avec cynisme, à savoir que Neal ne le toucherait pas puisqu'il le considérait des leurs. Il espérait juste ne pas avoir à regretter de lui avoir fait confiance sur ce coup – de toute façon, il serait trop tard pour lui en vouloir s'il était mordu, car la fièvre et le délire le prendraient trop vite pour qu'il puisse la maudire sur dix générations. L'heure était à l'action, pas à la réflexion, et agir de suite apporta à Enoch le courage suffisant, à moins que ce ne fût la folie, pour saisir la poignée et se dévoiler dans la béance.
« Neal ? Si c'est moi que tu veux, je suis là. Montre-toi ! »
N'eût été ce frisson dans la voix, il ne s'en tirait pas trop mal. Il ne distinguait pourtant rien : pas la moindre écaille, pas la moindre vibration vipérine. Aucun bruit. Le rouquin n'avait peut-être pas prévu cette configuration, et même s'il s'était caché derrière la porte, trop épais pour traverser en-dessous, il se retenait encore de filer entre les jambes du fantôme pour atteindre son ennemi. Alors, le gosse saisit l'opportunité, conscient qu'il n'aurait pas de seconde chance. La première phase de son plan se déroula donc extrêmement vite. Pas le choix. Il n'avait pas envisagé une phase deux.

Bondir vers une surface. S'emparer du verre qui y trône. Appeler l'Evolve encore une fois. Le chercher dans l'espace. S'inquiéter de ne pas le discerner dans les ombres. Puis déceler un mouvement non-humain. Le cri de l'instinct. Se retourner. Apercevoir une furtivité couleur de terre. Viser. Jeter le verre, non pour qu'il touche la bête, mais qu'il explose en milliers d'éclats jusqu'aux pieds du trio. Le fracas fait crisser l'animal qui se raidit, se replie sur ses anneaux, jure dans la langue des serpents. Ce n'est pas une espèce qui se dresse. Condamnée à onduler seulement. Les bris au sol la gênent, elle ne peut avancer sans s'y déchirer les flancs. Et rage. Ils sont si près, les trois, si près qu'elle aurait pu leur régler leur compte en trois battements de cils, mais il y a cette mer de coupures, cet océan de lames translucides, et elle s'oblige à faire volte-face, à se couler dans un coin, invisible, jusqu'à ce qu'un nouveau projectile s'écrase contre le mur au-dessus d'elle et qu'une pluie de cristaux se disperse partout. Blam. Sa queue fouette l'air, furieuse, se contracte quand un aiguillon se coince entre ses plaques. Même sans l'entendre, on peut comprendre qu'il les agonit tous, et plus particulièrement le traître, le freluquet qui s'est carapaté derrière sa table et qui le canarde comme il peut avec ce qui lui tombe sous la main. Pas sûr qu'il rembourse le service à boisson. Tant pis. C'est tout ce qu'il a trouvé pour empêcher l'hybride de s'attaquer aux humains. Lui non plus ne paie rien pour attendre. Trahison. Il est du côté de la sous-race. Une fois, deux fois, la vipère montre les crocs. Si elle est acculée, elle ne leur fera pas le plaisir de se rendre. Qu'ils approchent. Tant qu'elle sera en vie, elle ne baissera pas sa garde.
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Chaze Ross
Chaze Ross
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26.12.15 22:38
Pas d’objections donc. Ou alors, elles demeurèrent silencieuses, bloquées et retenues au fond de la gorge de ses trois interlocuteurs. Tant mieux. Le brun ne s’imaginait pas affronter de refus pour la simple et bonne raison qu’il ne possédait pas tellement d’arguments à leur opposer en définitive. La tension, elle, demeurait, plus présente que jamais, exacerbée par les directives du jeune scientifique, le silence contraint qui s’imposait à deux de nouveau et… Le tintement métallique les prit tous par surprise. Certainement qu’aucun d’entre eux ne s’attendait vraiment à ce que le reptile se présente à eux aussi rapidement. Chaze jura entre ses dents, sans un bruit. La jeune femme et l’ex-Eraser furent les seuls à échanger quelques mots, en chuchotant presque, comme par crainte que leur cible ne puisse les entendre. Ce qui était, dans le fond, parfaitement justifié. Le brun avait misé sur le besoin de Neal d’assouvir sa vengeance, le poussant ainsi à commettre une erreur fatale. Mais c’était sans compter sur l’intelligence redoutable de l’Evolve, notamment motivée par l’humiliation sans précédent qu’il venait de subir suite à l’intervention du jeune scientifique. Non vraiment, Chaze aimait de moins en moins cette situation. Et lorsque le garçon prit les devants, il crut qu’il allait s’étouffer. Son regard sombre se posa sur la silhouette frêle qui s’avançait déjà vers la ligne de mire, le point de non-retour. Trop loin pour l’atteindre et lui empoigner le bras pour le retenir, le brun chercha de l’aide sur les visages de ses complices. Tous furent déstabilisés par l’initiative d’Enoch et ce dernier saisit sa chance, parfaitement conscient qu’il n’en aurait pas d’autres.

« Enoch no- ! »

Trop tard. La porte s’ouvrait et à défaut d’apporter la lumière, elle déversa autour d’eux, un doute enveloppé de ténèbres. Et si ce simple geste venait de tous les condamner ? Offrant l’ouverture qu’attendait le reptile cloué au sol ? Raph pivota sur lui-même, se positionnant en trois-quart, un pistolet toujours rivé sur le mur d’où était provenu le son métallique quelques minutes plus tôt, tandis que le second était à présent pointé sur le sol, disparaissant peu à peu dans les ténèbres de la pièce. Chacun retint sa respiration aux propos du garçon. Elena croisa le regard du jeune scientifique, fronçant les sourcils avec l’expression de quelqu’un qui désapprouve très clairement, ce à quoi Chaze répondit par une mimique grimaçante. D’eux tous, il était celui qui avait le moins envie de le voir se livrer de la sorte. Déjà, par principe, après tout ce qu’ils avaient entrepris pour le sauver, le gosse ne pouvait pas les renier. Pour cela, le brun lui en voulut. Sincèrement. C’était comme cracher sur leurs efforts, même si Enoch devait voir les choses sous un angle différent, une tentative désespérée pour les protéger tous, faute d’avoir la volonté et la force d’affronter l’Evolve. Ensuite, parce qu’il doutait sincèrement que ce très noble sacrifice – parce qu’il n’y avait pas d’autres mots pour qualifier l’entreprise d’Enoch – parvienne à calmer le serpent fou. Même après avoir récupéré son cobaye, Neal ne leur pardonnerait pas d’avoir foutu autant le bordel, en plus d’avoir tué deux de ses complices. C’était un peu trop, il fallait être aveugle pour ne pas l’avoir encore compris. Quelles que soient réellement les intentions du garçon, Chaze se tenait prêt. Et tout s’accéléra soudain. Le bond du gosse, insoupçonné jusqu’alors, les bruits de verre que faisaient les bocaux en se fracassant les uns après les autres, les sifflements de colère du serpent mélangés à ceux d’Elena, mécontente du destin tragique de son matériel. Pourtant, force était de reconnaître que les lancers d’Enoch, à défaut de toucher leur cible, parvenaient à tenir la bestiole rampante en échec. Le jeune scientifique finit par comprendre quel était le but recherché, autre que celui d’effrayer leur adversaire, lequel pensait les prendre par surprise.

Neal sifflait sa colère. Acculé dans un coin par les débris de verre qui se multipliaient trop vite à son goût, il cherchait encore un moyen d’attendre ses cibles. Malheureusement pour lui, les voies qui s’offraient à lui disparaissaient les unes après les autres, à mesure que les fragments transparents et tranchants s’amoncelaient sur le sol. Son champ d’action se réduisait, les possibilités aussi. Alors, il tenta le tout pour le tout. S’il avait perdu l’effet de surprise, il lui restait la vitesse. De serpent, il redevint homme, nu bien évidemment. Heureusement pour le reste des personnes présentes, elles n’eurent pas le temps d’apercevoir quoique ce soit de ses bijoux de famille. Plusieurs choses s’enchaînèrent : l’Evolve souleva la table et la lança sur l’ex-Eraser. Ce dernier, surpris, n’eut d’autres choix que réceptionner l’objet du mieux qu’il put, pour ne pas finir écrasé en dessous. Ainsi neutralisée, la gâchette folle n’était plus une menace. Mais le temps jouait contre lui : déjà, un énième bocal en verre volait dans sa direction et Neal dut baisser la tête d’urgence, évitant l’objet de justesse tandis que celui-ci venait se fracasser sur le mur derrière lui. Dans le feu de l’action, il s’autorisa même un sourire narquois en direction d’Enoch, comme pour lui faire réaliser son échec cuisant. Ce fut tout ce qu’il put voir de l’Evolve, avant que ce dernier ne reprenne sa forme de serpent, en bondissant dans la direction du jeune scientifique. Le bond lui épargna d’avoir les flancs déchirés par les débris de verre, même si certains d’entre eux lui entaillèrent la plante des pieds dans les secondes qui précédèrent la transformation. S’il va le cou et la nuque pour y planter profondément ses crocs venimeux, Chaze eut au moins le réflexe de repousser l’assaut. Le serpent dévia de sa trajectoire, rageant de plus belle à l’idée de retrouver le contact humiliant du sol mais le poignet du brun entra dans son champ de vision alors qu’il chutait toujours un peu plus en direction du sol. Sans perdre un instant, l’animal s’y fixa solidement, injectant son venin dans la seconde, alors même que le jeune scientifique hurlait de douleur et de surprise mêlée. Le pire n’avait pas été évité pour autant. Une chance que la seule femme du groupe ait eu le bon réflexe : Elena s’approcha à vive allure de l’étrange binôme mi-humain, mi-animal et saisit le serpent au niveau de l’arrière de la tête, à l’opposé des crocs venimeux. D’une simple pression, elle lui fit lâcher prise avant de le lancer contre le mur le plus proche avec force :

« Raph ! »

Débarrassé depuis peu de la table, l’ex-Eraser ne se le fit pas répéter deux fois : d’un tir bien ajusté, il explosa la tête du reptile encore sonné par sa rencontre brutale avec le mur. Le sol jusqu’à présent parsemé de débris de verre devait désormais compter avec les résidus visqueux de chair de serpent. L’heure n’était pas à l’émoi devant la contemplation de la dépouille fumante, le corps de l’adversaire abattu. Elena n’accorda pas un regard au cadavre, son inquiétude était dirigée vers le brun, dont le visage avait changé de couleur.

« Assis toi et serre ton poignet pour limiter la propagation du poison. Toi là ! Enoch, va me chercher ma trousse dans l’autre pièce ! Vite ! »

Le temps était compté. Même avec les bons gestes, mieux valait ne pas traîner. Si la bestiole avait tenu à mordre, alors le venin devait être puissant. Mortel sans doute. La rousse ne perdit pas de temps et sortit une petite bouteille – dont l’étiquette comportait un autre de ces noms barbares – ainsi qu’une seringue. Elle remplit la seconde et la planta sans hésiter dans le bras découvert d’un Chaze grimaçant et grelottant. Le souffle court, elle lui prit son pouls, comptant les battements puis les secondes avec angoisse, qui finit néanmoins par s’atténuer à mesure que le rythme cardiaque redevenait normal. Ils avaient évité le pire malgré tout. Constatant le regard inquiet du garçon – celui de Raph était indéchiffrable compte tenu de la présence des lunettes de ski – la jeune femme s’autorisa un haussement d’épaules.

« Simple baisse de température. Un effet secondaire de certaines morsures. Le sérum a fait effet mais tu vas te sentir encore un peu nauséeux. » expliqua-t-elle en reportant son attention sur le brun vers la fin.

Fidèle à elle-même, Elena avait retrouvé son flegme légendaire et rangeait son matériel, soigneusement. Elle demanda à Raph d’aller leur trouver une couverture, quitte à faire le tour de leur bastion ou retourner dehors en évitant les éventuelles questions tournant autour du raffut qu’ils avaient causé avant de s’en prendre au jeune scientifique dans la foulée :

« Tu as eu de la chance que je sois venue ici directement après le travail. Tu aurais fait quoi sans le sérum ? Tu es inconscient Chaze. »

Dire qu’elle le grondait à présent comme une maman inquiète pour son fils, chose qu’elle était un peu au sein du groupe, toujours à en reprendre un entre l’ex-Eraser et le brun. Bientôt, ce fut même au tour d’Enoch d’avoir à essuyer sa dose de reproches :

« Et toi tu vas me ranger ce bazar. L’idée était bonne. » s’accorda-t-elle cependant avant de reprendre. « Mais tu as détruit mes outils de travail. Une chance qu’ils étaient vides. »

A ce moment, Raph revint de la voiture, ayant finalement déniché une vieille couverture. Il l’apporta à la jeune femme qui ne tarda pas à envelopper Chaze avec, lequel grommela.

« Je ne vais pas en mourir… »

« Tu as failli. Alors tes remarques stupides, tu les gardes pour toi. » répliqua sèchement Elena.

Cela coupe court à toute nouvelle tentative de la part du brun pour éloigner de lui, le bout de tissu puant répondant vaguement au digne nom de couverture. Depuis quand traînait-elle dans la voiture de l’ex-Eraser ? A quand remontait sa dernière lessive ? Qu’est-ce que son propriétaire légitime avait entassé dessus depuis tout ce temps ? Le jeune scientifique préféra ne pas y songer. La douleur au poignet était encore vive mais il fit de son mieux pour ne pas le montrer. Sous ses yeux, Raph et Enoch s’activaient pour remettre un peu d’ordre autour de lui, sous le regard attentif de la seule femme du groupe. Les minutes passaient, par plusieurs dizaines. Une heure s’écoula, peut-être plus. L’ex-Eraser insista pour emporter le cadavre avec lui. Son trophée comme il l’appelait. Ce que personne ne lui refusa. Déjà, l’odeur se répandait dans la planque et Elena fut ravie – sans le montrer – de le voir repartir avec vers de nouvelles aventures. Nul ne voulait savoir ce qu’il adviendrait de la dépouille. Elle insista néanmoins pour prélever quelques échantillons utiles pour son travail.

« Comment croyez-vous que l’on produise ces sérums d’après vous ? » interrogea-t-elle en guise de justifications.

De tout ce qui s’était produit au cours de cette longue, très longue journée, ce n’était certainement pas la chose, voire la pratique la plus dégoûtante qu’ils eurent tous les quatre l’occasion de voir. Une fois Raph reparti, ils restèrent ainsi, en silence. D’eux tous, ce fut le brun qui rompit celui-ci le premier.

« Enoch… Viens ici… »

Attendant que le garcon accepte et soit assez près de lui, Chaze se délesta de la couverture dont l’odeur faisait empirer ses nausées. Il avait parfaitement conscience du regard désapprobateur de la rousse sur lui et pour couper court à de nouveaux reproches de sa part, il attrapa le bras d’Enoch et l’attira contre lui, entre ses bras.

« Une seconde de plus à avoir ce truc sur moi, à sentir ces effluves atroces, et je vomissais. Il va me tenir aussi chaud que cette couverture, si ce n’est pas plus. »

Seul un soupir franchit les lèvres de son interlocutrice devant ce spectacle. Elle devait au moins reconnaître que le stratagème fonctionnait et Elena les laissa ainsi, retournant dans la pièce d’à côté pour dresser le compte de ce qui avait été cassé et qu’il faudrait se procurer de nouveau.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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27.12.15 11:55
Après tape la taupe, Enoch venait d'inventer un nouveau concept ludique, déconseillé avec les flûtes à champagne de la belle-mère, sobrement intitulé fracasse la vipère. À jouer de préférence chaussé de semelles épaisses, en l'absence des parents ou de toute personne présentant des troubles épileptiques, dans une pièce close pourvue d'un sol rigide – carrelage ou béton dans l'idéal – et prévoir des verres en quantité suffisante. Le principe ? Éclater le rampant sans le toucher. Peut-être ce jeu-là aurait-il fait fureur dans les soirées dégénérées des étudiants californiens lorsque, un peu trop éméchés, ils se seraient mis à désigner un bizut pour imiter le serpent et à lui balancer toute sorte de projectiles. En attendant, le garçon ne s'amusait pas du tout, lui ; il n'avait qu'un nombre limité de bocaux à disposition, sachant qu'il culpabilisait chaque fois qu'il en envoyait un valdinguer contre le mur puisqu'ils n'étaient pas les siens, et les tremblements frénétiques de Neal lui causaient de longs frissons depuis son poste de lancement. Il n'était pas phobique des serpents pourtant, plutôt fasciné au contraire, mais celui-ci contenait l'âme d'un homme dangereux, d'un malade qui avait juré la perte de trois humains, et le simple fait de penser à ce qui aurait pu se produire s'il l'avait suivi dans son délire suffisait à terrifier le fantôme jusqu'à l'os. Et s'il l'avait cru ? S'il avait acquiescé à l'offre du rouquin pour lui venir en aide, pour lui apporter un soutien durable ? Où se trouverait-il à présent, entre une grange sordide en périphérie dans laquelle il apprendrait à haïr les êtres normaux et un sous-sol obscur où des Evolves embrigadés s'entraînerait jour et nuit à maîtriser leur don de manière agressive ? Il chassa l'éventualité au bruit d'un verre qui explose. Pas besoin de réfléchir à ces dimensions parallèles : il était là, derrière sa table, et nulle part ailleurs.
Une table qui finit par s'envoler elle aussi, agrippée sans ménagement par un roux en tenue d'Adam – scène qui perturba Enoch à tel point qu'il la raya instantanément de sa mémoire – avant de se renverser sur Raph, lequel fut contraint de la rattraper pour ne pas terminer en pancake. Par mécanisme, le gamin lança un verre supplémentaire sans pouvoir chiffrer combien il lui en restait – un, deux tout au plus ? Le sol était jonché de débris, d'éclats qui s'enfoncèrent dans la voûte plantaire du mutant enragé, puis dans ses flancs écailleux. La dextérité avec laquelle il maniait sa métamorphose était impressionnante, fulgurante, imparable. Cela semblait aussi simple que de se délester d'une mue ; l'épiderme disparaissait, réapparaissait, fuyant comme un ruisseau, et Neal semblait danser d'ondulation en ondulation, de sifflement en sifflement, n'eussent été la rage de sang et la soif de vaincre. Sa vivacité porta d'ailleurs ses fruits, car il parvint à sauter sur Chaze à la faveur d'une seconde d'inattention et, ciblant la peau fine de son poignet, y enfonça ses crocs en un éclair. Le cri du scientifique fit écho à l'horreur ressentie par Enoch qui, seul à l'autre bout de la pièce, ne distinguait de l'affrontement que des mouvements désordonnés et brouillons. Il s'était empêché de revenir leur prêter main-forte, non par couardise – quand bien même il n'était pas téméraire pour un sou – mais parce qu'il craignait d'envenimer les choses avec sa maladresse, de renverser dans le mauvais sens la situation et de faire perdre l'avantage au camp des gentils. Et puis, Elena s'était montrée des plus efficaces, combinant avec l'ex-Eraser la précision et la force de frappe, afin d'achever le monstre d'une balle en pleine tête. La détonation ne surprit personne. Le coup, nerveux, fit son œuvre. Et le gosse ravala un hoquet de dégoût.

Il demeura ainsi planté ce qui lui parut une éternité, pendant que les images filtraient au ralenti sur sa rétine. La bouillabaisse du reptile parmi les morceaux translucides, l'odeur de la poudre, de la mort, des sueurs froides qui frisent sur les nuques, ce dosage inédit d'adrénaline pure, le shoot du siècle et le cœur qui tambourine à l'arrachée. Sans l'ordre d'Elena, il serait peut-être resté encore longtemps debout, les doigts crispés sur ses manches à se demander si tout cela était bien réel, s'ils avaient vraiment défoncé le crâne d'un serpent-humain, si Chaze allait mourir, mais il ne pouvait pas mourir, n'est-ce pas, hein qu'il n'allait pas mourir, impossible, que quelqu'un le sauve, au secours, mais la savante lui jeta un impératif, annula sa pétrification et Enoch s'empressa de lui apporter ce qu'elle désirait avant de se reculer pour lui laisser l'espace nécessaire à ses soins. La gorge nouée, il l'observa inoculer le sérum antipoison dans le bras du brun, prêt à obéir à tout nouveau commandement qui permettrait de le guérir plus vite. Les mots de la rousse, en réponse à son inquiétude, lui firent alors l'effet d'une goulée d'oxygène après une crise d'asthme ; il se sentit respirer de nouveau, comme s'il s'était interrompu une minute complète en attendant le verdict. La baisse de tempérance expliquait la mine blafarde du mordu, qui recouvrerait vite ses 36,8°C réglementaires grâce à la couverture de Raph. D'ici là, le petit poucet se plia sans protester au rangement de la planque. Après tout, il était responsable du bordel en question, et il était donc normal que ce fût à lui de nettoyer ces innombrables tessons, de remettre la table à sa place – quoique ce fut l'ancien milicien qui s'en chargea en fin de compte, puisqu'il avait des muscles, lui au moins –, laissant à Enoch l'art du balai et de la pelle pour récolter les éclats. Il évita dans un premier temps de s'approcher de la dépouille du reptile puis, une fois que le colosse s'en fut emparé, essuya les dernières traces de sang avec un mouchoir.

Il leur fallut du temps pour faire disparaître toute preuve du désastre qui s'était produit. Sous l'œil un peu vitreux d'un Chaze en convalescence, les trois lascars encore debout réarrangèrent les pièces sinistrées alors que l'Evolve malgré lui ressassait leurs précédents exploits. Pour avoir entraperçu l'efficience de Raph au sujet des flingues, il ne doutait pas que c'était la plus simple des choses à faire. Tout le monde le sait, lorsqu'on laisse un ennemi en vie, il revient tôt ou tard se venger. En l'occurrence, celui-là était venu tôt, très tôt, directement après le début des hostilités, et il avait été convenu par tous que l'éliminer à son tour était la meilleure décision. Meilleure. Un bien grand mot. Il lui avait tiré une balle dans la cervelle sans lui laisser le temps de s'en tirer. La loi de la jungle, oui. Enoch se persuadait qu'ils avaient agi par nécessité. Tuer ou être tué. Si cela n'avait pas été Neal, cela aurait été le brun, le géant ou la rouquine. Faire un choix. Il n'avait pas à s'en vouloir. Alors pourquoi ce sentiment d'avoir tort ?
Quand il ne resta plus rien de leur épopée contre l'Hydre de Lerne que le parfum rance de la couverture de Raph et deux trous caverneux sur le poignet de Chaze, ce premier prit congé de la troupe le cadavre au bras, cadavre qui, curieusement, avait conservé ce qui était encore possible de sa forme de serpent au lieu de se retransformer en homme, ce qui serait sans doute plus aisé pour le transport, et personne ne s'y opposa, pas plus qu'on ne s'opposa à la récupération de certains fluides par Elena afin de nourrir sa production de sérums. C'était bizarre que de voir ces restes sanguinolents servir d'éléments de constitution d'un antidote, peu avant d'être cloués sur un panneau à l'instar d'un trophée de chasse par un mec assez dingue, ainsi qu'ils le supposaient sans s'en convaincre véritablement. Entre temps, Enoch avait trouvé refuge sur une chaise, immobile et muet, soulagé de ne plus être au centre de l'attention, anxieux des conséquences que cette folle journée avait eu sur le trio de l'Entre-deux. Parfois, il posait ses iris marins sur le brun, cherchant à déceler une nuance plus colorée sur son visage en signe d'un prompt rétablissement, et les retirait juste après, mal à l'aise de pouvoir y lire une souffrance qui lui était imputable. Il s'étonnait par ailleurs que personne ne l'ait encore mis dehors maintenant que le danger était écarté, que personne n'ait tout bonnement songé à le virer, comme si l'ancienne injonction du scientifique tenait toujours, désormais partagée de façon unanime, même par celle qui avait été une première fois d'accord pour le foutre sur le trottoir. Pas de quoi se foutre de lui-même dehors, néanmoins. Il se jura ainsi que tant qu'il ne serait pas certain que son ex-compagnon ne craignait plus rien, il resterait sur place.

Bon, pas tout à fait à cette place-là précise, puisque Chaze lui demanda de s'approcher, requête qu'il s'empressa d'exécuter avec des scènes d'agonie plein la tête. Pitié, qu'il ne se mît pas à lui souffler ses dernières volontés, à lui raconter son enfance entrecoupée de quintes de toux souffreteuses, à lui confier l'impossible tâche de retrouver sa nièce au douzième degré, seule héritière connue à laquelle il léguerait sa collection de fausses dents (?) et son ficus prénommé Bobby, et... Oh. Enoch ne comprit pas ce qui venait de se passer, pourquoi il s'était d'un coup collé au brun en remplacement de cette couverture dégueulasse qui avait laissé quelques relents âcres sur ses vêtements, pourquoi comme ça, pouf, sans prévenir, avec son corps qui ne résiste pas et son esprit qui s'apaise aussitôt. Il ne comprit pas mais ne s'en préoccupa guère, réprimant une contestation en écoutant la justification bancale de l'intéressé ; c'est vrai qu'il était froid, le brun, plus froid que lui en tout cas, fait rare, il grelottait même, alors, moins par volonté curative que par envie, le gamin l'étreignit en retour. Assis en travers des genoux du scientifique, les bras enserrant sa taille et le museau contre son épaule, Enoch huma ces effluves caractéristiques de cigarette mêlés à ceux, plus subtils et presque familiers, du riz cuit ; aussitôt il entendit les pulsations de son cœur repartirent de plus belle, le sang colorer à peine ses joues juste avant de prendre la parole, sans oser relever la tête :
« J'espère que je sens meilleur qu'elle... » Et le bruit d'un sourire, fragile, qui s'évapore. « Vous avez risqué votre vie et la leur à cause de moi... Si vous étiez mort, je ne me le serai jamais pardonné. » Certes, mais il était là, sain et sauf, c'était tout ce qui importait. Même la Chimère s'était tue, le bec cloué par le sentiment de paix qui régnait à l'intérieur du fantôme, tandis qu'il appuyait son front sur la clavicule du brun. Après le flot d'émotions qu'il avait encaissé depuis le début de la journée, cette parenthèse hors du temps lui paraissait presque irréelle, fugitive, et il craignait qu'en rouvrant les yeux, elle ne s'effaçât définitivement de ses souvenirs. Étrange comme cette proximité qu'il détestait avec les autres, à cet instant, lui plaisait au point qu'il ne souhaitait plus la rompre. Il s'écarta pourtant un chouïa, de quoi plonger dans le regard de Chaze – près, tellement près – et trébucher du myocarde.
« Merci. »
Lorsque la vérité est dite, qu'y a-t-il d'autre à dire qui la vaille ? Cette phrase, vieille réminiscence d'un passé disparu. Et la vérité tenait en ce mot unique, prononcé du bout des lèvres, avec prudence, trop sacré pour le balancer à tout va et n'importe comment, solennel à outrance.
« Je rembourserai Elena pour son matériel, promis. Et s'il y a quelque chose que je peux faire pour vous... Dites-le-moi. » Autre que de jouer les bouillottes parlantes, bien entendu.
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robotic engineering
Chaze Ross
Chaze Ross
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03.01.16 23:41
Quelques mots troublèrent le silence, pourtant redevenu serein, qui régnait sur le trio restant. Un timbre de voix encore pas tout à fait familier aux oreilles du brun malgré les heures qui s’accumulaient depuis la première fois où leurs regards s’étaient croisés, l’un parfaitement terrorisé et l’autre pas très sûr de lui en dépit d’une confiance qu’il s’efforçait d’afficher. Oh il s’en était passé des choses depuis lors, dont certaines demeuraient dans un brouillard flou, volontairement ou non, dans un recoin de l’esprit du jeune scientifique. Ce fut tout de même cette voix en question, ou alors les propos qu’elle entonna, qui firent éclater de rire Chaze. Ce n’était pas l’un de ces rires jaunes comme on en entend parfois. Le brun s’esclaffait pour de bon, évacuant à sa manière la tension accumulée pendant ces dernières heures. A vrai dire, le jeune scientifique ne s’était pas attendu à un commentaire pareil de la part d’Enoch. Aussi, la franchise, couplée au sens de l’humour du garçon, achevèrent son interlocuteur. Dans le bon sens du terme. Mieux valait rire de tous ces incidents plutôt que de se lamenter dessus, en imaginant l’avenir d’un œil sombre. Rien n’était gagné d’avance, le brun le savait mieux que quiconque. Mais curieusement, le fou rire amena avec lui une lueur d’espoir. Non, tout n’était pas terminé. Et malgré les difficultés, ils continueraient d’avancer. Telle était la nature humaine. Restait à savoir s’ils allaient se fracasser contre un mur invisible, lequel surgirait dans une heure, un jour ou une année… Et pour cela, il fallait vivre, tout simplement.

Le rire de Chaze s’estompa doucement, à la fois sous le regard surpris pour réprobateur de l’unique femme du groupe, puis totalement quand les propos suivants du garçon franchirent ses propres lèvres. Décidément, ce gosse avait le chic pour passer d’un sujet léger, à un autre, plus sérieux et grave. Dans le fond, le jeune scientifique ne pouvait pas le lui reprocher. S’il s’était retrouvé à sa place, il ne faisait aucun doute que le brun aurait éprouvé le même sentiment d’impuissance, impuissance qui conduisait inéluctablement au remord d’impliquer des innocents dans un combat qui ne les concernait pas et qui pourtant, n’aurait pu bien se terminer sans leur aide. Chaze se savait dépourvu de ce talent inné qu’ont certaines personnes, disons, plus pédagogues ou psychologues – il ne voulait froisser aucun spécialiste en la matière – et qui trouvaient les mots justes pour rassurer. En l’occurrence, Enoch avait besoin de l’être. Et lui répéter sans cesse les mêmes phrases toutes faites n’aurait servi à rien. Alors le jeune scientifique leva les yeux en direction du plafond, scrutant un instant les lignes sales qui se dessinaient ci et là, traduisant de possibles dégâts des eaux survenus au cours des mois passées. Leurs locaux n’avaient pas la réputation d’être chaleureux et salubres mais au moins, on pouvait y trouver refuge. Comme c’était présentement le cas.

« Tu n’as pas à tout prendre sur tes épaules Enoch. Chacun ici a choisi de s’impliquer dans l’affaire, même Raph. Tu n’as pas à te sentir coupable de ce qui est arrivé ou même redouter le pire en te pensant responsable… On est les seuls responsables de nos choix et nous avons fait les nôtres en acceptant de t’aider. »

Avant même qu’il ne le réalise, sa main s’était posée sur le haut de la tête du garçon, caressant doucement ses cheveux couleur ivoire. Une habitude du passée peut-être. Chaze ne préféra pas se plonger dans ses propres souvenirs, risquant ainsi de s’abîmer dans des réflexions silencieuses, par crainte de s’égarer complètement, loin de la réalité et du moment présent qui requérait sa totale implication.

« Et puis, je ne suis pas mort ! Alors ne te bile pas comme ça ! »

« Complètement idiot. » marmonna Elena non loin d’eux.

Pourtant, l’ombre d’un sourire flottait sur ses lèvres tandis qu’elle les épiait du coin de l’œil. C’est vrai qu’ils étaient mignons, même en étant deux hommes avec une légère différence d’âge. Heureusement qu’Enoch accepta sa version des faits, non sans oublier de le remercier au passage. Après les risques qu’il avait encourus pour sa petite gueule d’ange, c’était la moindre des choses ! L’idée même qu’il puisse vouloir rembourser la jeune femme pour les dommages causés à son matériel, amusa le brun. En présence de la principale intéressée, il se garda bien de faire une réflexion comme quoi ce n’était pas vraiment nécessaire car même après avoir frôlé la mort de près, il n’était pas exclu qu’Elena lui fasse la misère. Elle était même très douée dans ce domaine. Ce fut d’ailleurs cette dernière qui répondit à la place du jeune scientifique.

« Oublie le remboursement. Je peux m’en procurer gratuitement. »

Et le pire dans tout cela, c’était en partie vrai ! Grâce à son travail, elle pouvait s’approvisionner en instruments d’opération, même destinés à un usage sur animaux, ainsi que des bocaux en verre, bien que ceux-ci étaient plus rares et difficiles à emporter sans éveiller le moindre soupçon à l’égard de la principale intéressée. Chaze soupçonna son amie, de volontairement déculpabiliser le garçon, à sa manière. C’était bien sa façon d’agir : Elena avait beau paraître froide à première vue, elle était une personne de confiance, presque tendre lorsque l’on creusait loin et bien. Cependant, d’un regard, la jeune femme lui fit comprendre qu’elle lui laissait le soin d’annoncer la partie la plus délicate du discours.

« Si tu veux vraiment nous aider, alors ne parle jamais de cet endroit à personne. Cela t’attirerait des ennuis, ainsi qu’à nous… Surtout à nous en fait. »

« Je peux toujours lui ouvrir le crâne pour lui effacer la mémoire de ces dernières heures. »

Sa proposition ne fut évidemment pas bien accueillie par ses deux interlocuteurs, dont chacun la gratifia d’un regard en biais, une expression réellement différente sur leurs visages respectifs, poussant ainsi l’intéressée à se rétracter dans son idée de base.

« C’était juste une idée hein. »

« Ce qu’Elena essaye de dire, c’est que… Nos activités ne sont pas très bien appréciées du Gouvernement et… Moins ils en savent et mieux on se porte. Ah mais on ne fait pas exploser de bombes ou quoi que ce soit hein ! » s’empressa-t-il de se justifier, pensant sincèrement que ses propos pouvaient être mal interprétés.

Cependant, il finit par soupirer, de moins en moins à l’aise dans la teneur du discours qu’il était en train de faire. Alors, le brun passa une main dans ses cheveux, essayant de trouver le meilleur moyen de clore le débat.

« Le plus simple, c’est que tu oublies ce qui s’est passé une fois qu’on t’aura ramené chez toi. Tu t’en sens capable Enoch ? »

La culpabilité l’assaillait de nouveau rien qu’à croiser le regard de chiot battu de son interlocuteur. Ils savaient de quoi étaient capable ces gens qui avaient pris le garçon pour cible. Ce qu’ils ignoraient toujours, c’était l’organisation à laquelle ils appartenaient et surtout, combien ils étaient réellement. Si jamais, ils avaient des informations sur eux tous, à l’exception de Raph et d’Elena dans le meilleur des cas, alors Enoch ne serait pas plus en sécurité chez lui qu’une fois dehors, à sillonner les rues de Madison. Et le laisser ici était hors de question. D’une, Leons n’approuverait pas – tout comme il leur passerait un savon à tous les deux s’il apprenait qu’un étranger avait mis les pieds ici sans son accord – et l’endroit n’était pas spécialement aménagé pour y vivre plusieurs mois. Quelques jours à la rigueur, le temps de dépanner, rien de plus.

« A moins que… Tu ne viennes chez moi ? »

Et comme pour anticiper l’enthousiasme – feint ou non – de l’intéressé, Chaze rassembla le peu de talent de comédien qu’il possédait pour prendre un air autoritaire, lequel ne lui allait pas du tout.

« Je te préviens, mon appartement est un véritable capharnaüm. Je n’y mets jamais les pieds alors… Ne te réjouis pas trop vite ! »

Dans quelle galère il s’engageait à présent ? Malgré cette question silencieuse qui s’inscrivit dans son esprit au moment de proposer son logement comme refuge, le jeune scientifique ne put réprimer un sourire quand Enoch lui sauta au cou, littéralement parlant. Même Elena affichait un petit sourire en coin. Après tout, ce n’était peut-être pas si terrible. Il n’était pas membre de la section d’études des Evolves. Et il pouvait feindre l’ignorance si jamais quelqu’un dénonçait le garçon. Cependant, Chaze comptait bien faire en sorte que personne ne découvre l’existence des étranges pouvoirs de l’intéressé. D’une certaine façon, il se sentait responsable de lui.

« Dans quoi je m’engage moi ?... Et si ça tournait au concubinage ? Oh mon Dieu, si j’avais su que je virerais de ce bord… »



Telles furent les dernières pensées d’un homme au grand cœur, dont la principale préoccupation à l’heure actuelle où ces lignes furent rédigées, était de déterminer son orientation sexuelle. Un fardeau bien futile compte tenu des aventures qui l’attendaient.
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