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What’s wrong with me ? What’s wrong with you ? pv Nonoche :o
« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
Giovanni Vermeer
« Rend moi spécial ! »



24.11.15 23:09
Un jour commun pour un Giovanni survolté. Le soleil était encore haut dans le ciel et ça avait le don de le mettre d’une bonne humeur presque indécente. Il se pâmait avec son pantalon en vinyle noir serré, sa chemise rose et son immense boa rose également autour du cou. Son visage clownesque était impeccable bien  qu’il eut tout juste fini d’animer une fête d’anniversaire.  Se baladant dans les rues, il aperçut bientôt  dans la rue passante des cafés. Les gens étaient en terrasse profitant du soleil. Son humeur lui donnait l’impression que c’était légitime qu’il la communique à quelqu’un d’une façon comme une autre. Son don ne l’empêchait pas de s’imposer où bon lui semblait persuadé qu’il était de ne jamais être une gêne mais un divertissement agréable.  Au pire, une histoire étrange et déconcertante à raconter.  Sans réellement regarder à qui il avait faire l’homme s’installa sans la moindre gêne croisant les jambes et posant un de ses pieds sur la table.

« Je vois que tu n’es pas occupé alors je suis venu te demander comment tu allais. » Il se parait d’un sourire d’hyène de bonne humeur en disant ses mots.  La phrase suivante sonna comme un ricanement dans la bouche beaucoup trop rouge et trop large pour son visage. « C’est gentil de me demander, je vais bien aussi. »

Baissant les yeux vers sa victime, il constata que celle-ci n’avait pas encore levé les yeux de son livre. Le mécréant essayait-il de l’ignorer ? Cela n’était pas possible. On ne peut pas ignorer Giovanni Vermeer pas lorsqu’il avait décidé que vous deviez avoir une conversation avec lui. Le respect de la liberté des autres ? Jamais entendu parler. Ses doigts étrangement longs et fins se penchèrent pour pincer le livre alors qu’il le faisait se baisser.

« Hey, tête de livre, c’est à toi que je parle hein. Tu t’es jamais dit que parfois la vie ne se trouvait pas dans des ouvrages de. » Il regarda l’inscription et comme incapable de la déchiffrer, il s’interrompit. « Oh et puis on s’en moque. » Il jeta livre négligemment derrière lui en haussant les épaules. « Si tu me disais un truc que t’as pas appris dans les livres tête de linotte. Je suis sûre qu’il n’y en a pas tant que ça. » Ce qui était sûr c’était que Giovanni n’avait pas appris la politesse et le savoir-vivre dans les livres.


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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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25.11.15 18:28
Rien n'aurait dû lui gâcher son bonheur. Pour la première fois depuis avril, depuis sa chute dans cette galère sans fond, il avait eu l'occasion de se comporter en citadin normal, en Occidental ordinaire et sans histoire par le seul fait de commander un sirop de kiwi à la terrasse d'un café. Geste anodin et pourtant ô combien symbolique pour lui. C'était là le signe de sa réinsertion sociale, la preuve irréfutable de ce qu'il était parvenu à s'inscrire de nouveau dans le paysage économique – un salaire aussi maigrichon que lui et, soudain, un immense soulagement. D'autant qu'en cette journée de juin, la chaleur l'avait fait ôter son éternel pull-over pour n'arborer que son éternel t-shirt à large col, sur un jeans deux cents ans d'âge ; pour un peu, il se serait cru de retour à une époque bénie où il vaquait à ces plaisirs simples comme n'importe qui, et il aurait aimé que l'instant se fige.
Pourtant, en dépit de sa sérénité apparente, du sourire qui glissait sur ses lèvres chaque fois qu'il les trempait dans la boisson, Enoch n'arrivait pas à apaiser son esprit, à dissiper l'air anxieux qui s'était peint sur son visage dès lors qu'il avait ouvert ce bouquin d'une main craintive. Des mutations génétiques et de leurs propriétés biologiques, indiquait le titre, Petit traité à l'usage des non-initiés sur les caractéristiques modificatoires de l'acide désoxyribonucléique et leurs conséquences sur la matière corporelle des sujets atteints de ces stigmates. Rien qu'au sous-titre, le fantôme avait compris que l'on se foutrait de sa gueule, mais bon, c'était le seul ouvrage qui se rapprochait un tant soit peu de ce qu'il recherchait. Et puis, c'était un livre. Même s'il n'y apprendrait pas grand-chose – sauf sur le talent des scientifiques à se compliquer la vie en dissimulant la vérité –, c'était toujours un livre. Trop rare pour cracher dessus, alors qu'il l'avait chipé chez le dernier bouquiniste de Madison, ou peut-être du monde.

Absorbé par cette pénible lecture, sans doute trop apeuré pour lever les yeux sur le vacarme qui venait de s'écraser en face de lui, Enoch ne répondit pas. Feignit de ne pas avoir entendu. Le timbre de cette voix inconnue, le sarcasme dont elle dégoulinait, tout cela ne lui disait rien qui vaille. S'il jouait bien l'autruche, s'il se montrait assez évasif, mutique, alors l'étranger passerait son chemin, n'est-ce pas ? Ce serait une réaction logique. Or, il était loin d'imaginer que l'adjectif ne pouvait en aucun cas correspondre à l'énergumène dont les pieds dépassaient dans son champ de vision. Son attitude introvertie ne lui apporta donc qu'une nouvelle attaque, semblable à ces cas de harcèlement scolaire où le caïd de la classe fait tourner en bourrique l'inoffensif intellectuel, laquelle attaque provoqua nombre d'émotions en lui. Ce fut d'abord un éclat de peur en découvrant le faciès clownesque de l'individu. Puis l'incompréhension devant le vol plané du bouquin. La colère à l'écoute d'insultes qu'il ne pensait pas mériter. Et enfin l'angoisse. L'angoisse brute, face à quelqu'un qui l'agressait sans scrupule, capable d'envoyer valdinguer des objets et de lui balancer des ordres comme un roi bouffon. Ce mec était louche. Dangereux.
« Qu'est-ce que vous me voulez ? »
Même s'il tentait de se composer un masque neutre, le fantôme entendrait frémir sa voix. Dommage qu'il ne pût pas disparaître dans les interstices de la chaise, plutôt que de seulement se reculer dessus afin de mettre plus de distance entre le fou et lui. Surtout, ne pas croiser son effrayant regard.
« De toute manière, reprit-il avec timidité – parce qu'il pensait que ne pas répondre une nouvelle fois lui vaudrait des représailles similaires à celles subies par le livre –, les livres n'enseignent rien. Ils posent juste des questions. Ils proposent, et c'est à nous de disposer. Je... n'y apprendrais ni comment fuir cette ville ni pourquoi je ne me suis pas encore fait sauter la cervelle. » D'un geste lent, lourd de détresse, Enoch glissa les phalanges entre ses mèches claires, tirant à peine dessus comme s'il souhaitait les arracher ; sa tête était toujours là, à sa place, mais cela ne le rassura même pas. Aussitôt une envie de pleurer lui griffa la gorge, mouilla ses yeux. « Et encore moins pourquoi je vous dis cela. Vous avez mal choisi à qui parler, monsieur. »
Sauf s'il désirait s'adresser à un gosse désespéré et tendrement suicidaire.
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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« Rend moi spécial ! »



29.11.15 1:15

L’homme en face n’avait pas l’air ravi de sa présence. Giovanni s’en étonna un instant. Tout le monde l’aimait, il n’y avait pas de doutes à avoir là-dessus ! Qu’est-ce qu’il avait ce gars à réagir comme ça à une simple entrée en matière ?

« Qu’est-ce que je veux ? Je ne veux rien, j’ai déjà tout. » Il eut un sourire bouffon digne de l’imbécile heureux qu’il pouvait sembler. A cet instant, pourtant il ressemblait plus à un saltimbanque raté. Quel type de personnes pouvait bien se pavaner dans les rues dans cet accoutrement et ne pas réaliser à quel point c’était dérangeant ? Un idiot ? Un fou ? Un excentrique ? Sans doute un savant mélange des trois. En tous les cas, c’était pour le moins explosif. Ha ! Il se redressa vaguement sur son fauteuil en voyant le garçon daigner enfin répondre à sa question. Enfin ! Et dire qu’il avait failli attendre.

« Moi je sais pourquoi tu ne t’es pas fait sauter la cervelle. » Son sourire afficha la certitude de celui qui a la réponse. Goguenard, et pas peu fier de lui, il lança. « Parce que dans le désespoir de vivre, tu peux avoir l'espoir de mourir.» Le suicide ? Il se rappelait y avoir pesé il y a bien longtemps. Toutefois, sa mémoire était assez floue. La plupart du temps, il oubliait des morceaux entiers de son propre passé qu’il finissait par réécrire autrement. Son histoire après tout est toujours perçue au gré d’un biais. Lui au moins était conscient du mensonge dans lequel il se terrait. Giovanni avait conscience de son dos sans savoir exactement dans quelle mesure il affectait les gens. Est-ce que cette personne vivait avec ces tendances-là sans se l’avouer et les lui confessait ? Ou bien était-il tombé sur quelqu’un dans un mauvais jour ? Impossible de savoir. Aussi arrêta-t-il son interrogation. Cela n’avait aucun intérêt de se poser des milliers de questions sans réponses.

« Tu ne me connais pas assez pour me dire si je fais de bons ou de mauvais choix. » Sa voix avait toujours cet accent chantant lorsqu’il était de bonne humeur. Toutefois son ton se fit plus sérieux, presque conspirateur alors qu’il se penchait. « Les gens me disent des choses qu’ils ne soupçonnent pas eux-mêmes souvent. Tu n’as qu’à en profiter pour libérer tout ce que tu as sur le cœur. Je n’ai pas mieux à faire et je parle jamais de moi en général. » Ses bras se redressèrent de chaque côté comme s’il faisait une imprécation au ciel « Je suis juste cet inconnu que t’as croisé un jour, vu ? » Il remonta sur son nez des fausses lunettes de psychologue et s’assied plus sobrement faisant également mine de prendre un stylo et d’écrire sur une feuille invisible.

« Alors,  qu’est-ce qui vous rend si malheureux hein ? » Dit-il avec un air de praticien faussement intéressé très proche du réalisme d’une séance à 100 euros de l’heure. Et oui, rien que ça.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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30.11.15 21:52
Au premier abord, il l'avait trouvé loufoque. Au deuxième, inquiétant. Au troisième, mystique. Et ensuite il avait arrêté de compter, tout en sachant que chaque fois qu'il essaierait de le cerner, il découvrirait chez ce clown une facette différente, un aspect inédit de lui-même, jamais fidèle, toujours marginal, à parler sur le fil du rasoir et à marcher la tête en bas. C'était à la fois troublant et envoûtant – se dire qu'il ne pourrait en aucun cas le connaître, qu'il devrait sans cesse jongler avec les caractères qu'on lui présenterait : le poète au maquillage outrancier, le moralisateur grinçant, le grand frère inconditionnel. Malgré ses angoisses et son appréhension, Enoch le bouffait des yeux, guettant dans son spectacle de mime la seconde où l'inconnu changerait de masque, où il offrirait un nouveau soi, un fragment qui le résumerait et l'exposerait pourtant tout entier. Là se cachait peut-être son véritable talent de trublion ; les barbouillures sur sa face n'avaient pour rôle que d'illustrer ce mouvement perpétuel entre ses ombres et sa lumière.
L'espoir de mourir, allait-il déclaré. Comment le gosse devait-il le prendre ? En bon stoïcien, il  n'ignorait pas que la seule vraie question est celle du suicide et que le fait de choisir de sa mort, de décider de ce qui ne devrait pas se décider, démultipliait les perspectives avec lesquelles il pouvait entrevoir son existence. Il y avait dans cet espoir une admirable bouffée d'oxygène, un élan qui le replaçait en face de lui-même avec deux claques en prime, mais bon, c'était tout de même idiot, interprété de cette façon. Et puis, ce n'était déjà plus le propos.

Il était incapable de se libérer comme on l'invitait à le faire. Après tout, la dernière fois qu'on lui avait sorti quelque chose de ce genre, « je suis cet inconnu que t'as croisé un jour », c'était pour se déresponsabiliser de s'être un peu trop libéré justement, du genre galipettes sur l'édredon. Alors non, pas une seconde fois – il ne manquerait plus que cela devînt un automatisme. D'autant qu'à y repenser, cet épisode mouvementé de la semaine précédente n'était pas sans rapport avec son état actuel ; il contenait même en germe les raisons pour lesquelles Enoch considérait qu'il ne valait plus grand-chose, et encore moins une touche d'attention. Il eut un soupir, délicat comme une agonie.
« Qu'est-ce que vous êtes ? Un saltimbanque ? Un acteur ? Un psychiatre ? »
S'était esquissé, au fur et à mesure de l'énumération, un timide sourire en travers de sa figure. Il avait omis de proposer « un fou », non parce qu'il était évident que c'était le cas, mais parce qu'il cherchait une profession, pas une nature, et qu'il n'aurait pour rien au monde cru que l'on pût résumer une âme grâce à deux minutes d'entrevue. Cependant il ne voulait pas se confier à cet étranger, ne voulait pas lui déballer ses affres temporels, sentimentaux, professionnels, médicaux, sexuels, familiaux, cette viscosité dans laquelle il s'était empêtré en se maudissant de ne pas être assez fort pour s'en tirer seul. Il ne voulait pas. Et il en avait terriblement envie.
« C'est stupide : vous avez sans doute bien mieux à faire. Je ne sais pas, des choses comme profiter du soleil, vous promener dans le parc, jeter des livres par terre ou vous faire le confident de n'importe qui croisé à la terrasse d'un café. » Il eut un instant de stupeur. Était-ce vraiment sa propre langue qui avait articulé cette phrase, gluante de sarcasme ? Il se reprit aussitôt, sans comprendre. « Pardon, ce n'était pas contre vous. »

Pour tenter d'échapper à sa maladresse, ou probablement pour éviter de réitérer cette drôle d'expérience consistant à lâcher des mots d'un coup, sans les pré-mâcher et les mâcher et les digérer et les régurgiter comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il s'adressait aux inconnus, dans le but de ne pas les choquer, Enoch quitta sa chaise – renversa aurait aussi pu faire l'affaire – afin d'aller récupérer le dit bouquin. Avant que quelqu'un ne le dérobe – aucune chance, vu le sujet – ou avant qu'on ne le houspille pour dégradations sur la voie publique, atteinte à la culture livresque ou dieu sait encore quoi, car il n'avait toujours pas eu l'occasion de lire les codes civil et pénal de l'époque. Il résista toutefois à la tentation de prendre la poudre d'escampette maintenant qu'il était debout et, par solidarité pour son verre de sirop laissé seul avec le Flamant rose, revint s'asseoir sagement, l’œuvre sur ses genoux pour palier toute attaque.
« Si je vous le raconte, vous me trouverez idiot. »
Même si au fond, un peu plus ou un peu moins...
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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« Rend moi spécial ! »



08.12.15 17:12
Giovanni laissa échapper son rire évanescent dans les airs. Il laissa onduler son index pour lui signifier qu’il n’était rien de tout ça.

« Moi ? » Son sourire bouffon s’élargit un peu. «  Moi, je ne suis rien. » Il n’avait pas l’air particulièrement affecté par cela. Au contraire, sa folie paraissait plus douce à cet instant, dotée d’une sagacité déroutante. Ses mains longilignes et démesurées se croisèrent sur son genou droit.  Se penchant légèrement, il l’observa en silence pendant qu’il articulait un sarcasme. Sarcasme qu’une personne comme le blond illuminé ne pouvait pas savoir. Trop de premier degré dans le second degré quand on nageait aussi loin de la réalité de la vie.  Le regret immédiatement prononcé lui donna une forme de sympathie pour ce garçon qui semblait engluer jusqu’au cou dans des histoires compliquées qui l’absorbaient lentement. Gio’ ne fut pas inquiet de voir l’inconnu se lever. Il allait revenir parce que l’homme possédait une chose dont celui-ci manquait cruellement : son extravagante extraversion. Par habitude, l’homme-clown savait que même s’il faisait peur de prime abord, il intriguait au second et fascinait parfois au troisième. Sur le petit verre dévorant les livres et se tortillant dans les affres de ses dilemmes mentaux, nulle doute que la phase trois allait finir par le forcer à revenir s’asseoir. Bingo ! Pensa le jeune homme alors qu’il interrompait ses réflexions pleines d’orgueil pour se retourner vers son sujet d’intérêt.

« Idiot ? Tout le monde est idiot. » Il haussa les épaules comme si c’était une évidence qui méritait d’être soulignée. « En tous les cas, il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer que tu étais en train de te dévorer lentement. Et tu sais, l’autophagie, c’est pas joli-joli ! Y’a déjà assez de choses à vouloir nous manger : les ours, les requins blancs, les baleines, les tarentules, quoique ça ça peut pas vraiment te manger mais ça veut te tuer donc ça compte un peu, les loups et je sais pas moi-même ton chat si tu crèves, il voudrait te bouffer. Du coup, t’as envie d’être ton propre prédateur ? Le mieux c’est de tout cracher comme si tu venais de manger le truc le plus mauvais du monde. Après tu bois ton verre d’eau, tu verras tout ira mieux. » Un peu perdu dans ses propres réflexions, l’homme à la folie douce, pour l’instant du moins, ne savait pas trop s’il avait été clair. Parfois, il parlait énormément mais ne savait pas s’il faisait complètement sens. Forcément lorsque la réalité se confond avec le songe, on n’est plus trop certain de rien.

« En plus, je suis venu à ta table, j’estime que ça me donne le droit à une histoire ! Je m’ennuie aujourd’hui » Il fait la pire grimace de tristesse qu’un artiste de vaudeville pourrait avoir. « Si Giovanni est triste, il fait des bêtises. » Comme handicapé par son propre corps, incapable de rester en place, il étira ses épaules en poussant un petit soupir puis posant ses coudes sur la table et croisant ses mains sous son visage, il utilisa son air le plus sérieux pour annoncer tout en remontant des lunettes imaginaires.
« Je t’écoute »  
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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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11.12.15 21:15
Entre ses phalanges devenues trop maigres à cause des privations, Enoch triturait son livre nerveusement, en ouvrait la couverture pour la refermer juste ensuite, frottait la tranche à la manière d'un tas de cartes avant un tour de magie, retournait, effleurait, pliait le bord des pages tout en écoutant l'olibrius lui énumérer le règne animal et la pyramide de la chaîne alimentaire, dont sa place était sans nul doute tout en dessous, plus bas encore que les herbivores. Et encore, il oubliait probablement tous les organismes invisibles, les virus, les bactéries, les bacilles et les parasites, bref, une joyeuse faune agressive et primaire qui n'attendait que de le dévorer sitôt sa garde relâchée. Réjouissante perspective, s'il en est. Fallait-il donc qu'il rajoute à cette interminable liste sa propre conscience d'humain, ses introspections sans fin ? Bah, ce n'est pas comme s'il n'en avait pas l'habitude, tout jeune déjà, alors que la fièvre le clouait au lit et qu'il était incapable de rien faire sinon cogiter, ressasser, s'empiffrer de considérations philosophiques. Or, il s'en rendait compte peu à peu, ce corps qui l'avait tant de fois trahi, cette carcasse qu'il se traînait sans y songer ne s'était jamais autant placée au centre de ses préoccupations que durant ces derniers mois. Et ça aussi, ça le perturbait.
Lorsqu'il releva le museau, le prénommé Giovanni avait effacé sa grimace de clown triste pour adopter de nouveau l'attitude du psychanalyste en plein office. S'il y avait quelque chose de grotesque dans ce comportement, qui contrastait de trop avec son boa rose, Enoch n'était pas assez détendu pour en rire ; au contraire, il s'interrogea soudain sur la véritable nature de l'étranger. Et s'il était un scientifique sous couverture, un Eraser venu enquêter à son insu ou un de ces barjos de la dernière fois qui voudraient exploiter son récent pouvoir ? Et si tout cela n'était qu'une douce feinte pour mieux refermer le piège sur lui ? Peu probable, cependant. Pas sûr que les instances autoritaires de Madison ait dans leur manche un as comme cet énergumène-là.

« Je... » commença-t-il enfin, avant de s'interrompre pour lancer un regard autour de lui. Personne, hormis une demoiselle qui discutait sur son holophone en grignotant un mille-feuilles aux fruits rouges. Rien qui aurait pu le compromettre, en somme. Alors, saisi d'une soudaine insouciance, le fantôme écartela ses côtes pour en extraire ses organes, sortir ses précieuses artères et ses douloureux poumons, arracher son myocarde à son socle brisé, et ses fibres exsangues qu'il jeta pèle-mêle sur la table :
« Il y bientôt deux mois, le 23 avril, des dizaines de personnes sorties de nulle part sont apparues tout à coup sur la place Narbridge – j'en étais. Les Erasers m'ont récupéré, ont essayé de m'expliquer ce phénomène qu'ils ne comprenaient pas eux-mêmes puis m'ont relâché. Comme je ne voulais pas rester en ville, par crainte des représailles, et puisque je savais que mon état m'attirerait sans doute des ennuis, je me suis installé à l'écart, quelque part en forêt, dans une cabane construite par des enfants qui ont eu la gentillesse de ne pas prévenir leurs parents ni de me jarcler. Pendant plusieurs semaines, ce sont eux qui se sont occupés de moi : ils m'apportaient à manger, me permettaient de me laver chez eux en l'absence de leurs familles, m'ont même prêté des vêtements. J'avais l'impression d'être un chien perdu que l'on planque dans son grenier pour ne pas qu'on le découvre. Mais ce n'était pas une situation tenable, pour eux comme pour moi, alors il a fallu que je trouve de quoi me débrouiller tout seul. L'un d'eux m'a proposé un travail – j'aide à la joaillerie Kliff maintenant – et les choses ont parues enfin s'améliorer. Sauf que... »
L'esquisse d'un sourire reconnaissant s'évanouit sur son visage, remplacé par la gravité de ses affres et le retour des frissons sur sa nuque.
« ...il y a cinq jours, vendredi dernier, je suis allé faire une prise de sang. Il y avait un Evolve hystérique, atteint du virus dont tout le monde parle en ce moment, qui s'en est pris à moi. Mais un scientifique a réussi à le maîtriser avant de m'éloigner... » Ellipse rougissante dans le récit. « …et il s'est produit ce truc... » Le bleu sombre de ses yeux se posa sur ses mains, comme s'il craignait soudain qu'elles n'expriment ses pensées à la place de sa langue. Ç'aurait peut-être été préférable, parce que les mots lui manquèrent tout à coup ; il ne se résoudrait jamais à utiliser le terme pour se désigner lui-même. « …Je ne suis plus un humain normal depuis. Quelqu'un m'a utilisé pour... Une expérience. Dont la réussite a attiré des convoitises. Alors je me retrouve là, avec un pouvoir qui se déclenche n'importe quand, pour je ne sais combien de temps encore, en me disant que des tarés peuvent me tomber dessus sans prévenir. Je ne suis plus en sécurité nulle part, avec ces gens qui prétendent m'aider mais qui pourraient me poignarder dans le dos au moindre relâchement. »
C'est bon, il venait à peu près de dégueuler tout le contenu de son estomac, dans les grands morceaux. Ne restait que ce relent aigre dans le gosier, qu'il tenta sans succès de dissiper avec une gorgée de sirop. Ce long discours le laissait épuisé, honteux aussi, en plus de faire resurgir ses inquiétudes enfouies. « Si vous en êtes aussi, dites-le tout de suite, que je ne me fasse pas de fausses idées. »

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Giovanni Vermeer
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17.12.15 18:13

Ha ouais, les fameux gens qui étaient arrivés on ne sait comment. C’était une histoire cool, Giovanni se rappelait l’avoir entendu mentionner. C’était peut-être la seule information de l’année qu’il avait retenu. Lui-même aurait bien aimé  apparaitre quelque part. Un nouveau monde à découvrir, c’était à son âme de rêveur et d’explorateurs qu’on parlait directement là. Pourtant l’autre n’avait pas l’air de trouver ça cool, voire même ça avait l’air de l’avoir perturbé.

« Wow, je suis presque sûr que j’ai vu un reportage sur ça à la télévision » s’exclama-t-il alors que sa bouche faisait un parfait « O » d’émerveillement. L’idée d’imaginer ce petit être chétif manger ce qu’on lui apportait dans une petite cabane lui donnait l’impression d’avoir en face de lui un enfant sauvage qu’on aurait essayé d’apprivoiser. C’était quelque chose qui n’aurait sans doute pas plu à Giovanni en revanche, l’homme était beaucoup trop extravagant pour se contenter de se cacher dans une petite maisonnette. Il aurait fini par la redécorer à son goût. Nul doute que les petits bienfaiteurs auraient fini par le foutre à la rue. Le garçon en conclut que c’était bien qu’il ait un petit chez lui et que l’histoire de ce type ne soit pas la sienne. « Malgré tout, dans tout ton bazar, t’as eu un peu de pot, je trouve. » Il hocha la tête comme pour se donner raison à lui-même. Observer le clown énoncé un fait avéré, c’était comme observer une créature emberlificotée dans un piège qui tente de s’y soustraire : décousu et gesticulant. Cela pouvait avoir quelque chose de fatigant pour les yeux.

« Attends, attends, y’a un truc qui colle pas dans ton histoire. Ou alors j’ai encore raté un épisode mais il s’est passé quoi entre le moment où le scientifique maitrise le mec malade et toi tu te retrouves sujet d’une expérience ? Même moi, et pourtant, dieu seul sait que je suis pas la logique incarnée,  j’arrive à voir qu’il y a une sorte de blanc scénaristique. » L’homme-clown ne savait que trop bien ce que c’était que d’avoir un don qu’on ne maitrisait pas.  Le sien ne l’avait jamais été et ne le serait probablement jamais. L’espace d’un instant, il compatit donc. En écoutant l’histoire une première fois, le blond avait été tenté de lui répondre « C’est tout ? franchement qu’est-ce que tu fais une montagne de rien. » mais à présent le petit avait créé une espèce de connexion avec lui. Alors pour changer, il n’avait pipé mot. Néanmoins, la remarque l’accusant à moitié d’être un traitre fut divertissante.

« Ce gars » Il se montra en rigolant un peu. « C’est bien la première fois qu’on me prend pour quelqu’un d’important tiens.. » Ce petit lui semblait plus sympathique avec le temps qui passait. Il avait conservé une sorte d’innocence malgré les événements. « Je t’aurais bien proposé de rester chez moi mais ce serait dangereux pour toi. » Il avait émis cette remarque à voix haute sans réelle intention de la dire à Enoch, c’était plutôt une réflexion à haute voix. Si le blond avait été un peu plus attentif, peut-être se serait-il simplement tu. « Au fait, c’est quoi ce don qui a l’air de te perturber tant que ça ? » Giovanni considérait son propre don comme une sorte de malédiction, il n’avait jamais réellement rencontré de personnes affirmant avoir des pouvoirs. Aussi était-il très curieux d’avoir d’autres exemples. Qui sait peut-être lui rendrait-il le sourire si celui-ci en venait à lui demander quel genre d’aptitudes il possédait. L’animateur n’avait pas pour habitude d’en parler mais il avait l’impression qu’on pouvait faire confiance à ce jeune homme qu’il avait interrompu dans sa lecture. Or, l’excentrique était également un homme d’impulsivité alors il écoutait sa première intuition. La solitude était une chose qui faisait écho douloureusement dans le cœur déjà lourd du jeune homme. Se rappeler son propre statut le fit se sentir assez mal brusquement. Son esprit était volage, il passait de la joie à la tristesse en un si court laps de temps que même lui avait parfois bien du mal à suivre. Ses traits se fermèrent alors lentement et son visage débonnaire devint plus sombre et plus mélancolique.

« C’est une bien triste chose que d’être seule. » Il lui vint à l’idée que l’état d’esprit général de son vis-à-vis déteignait peut être lentement sur lui. C’était malheureusement difficile de savoir ce qu’il ressentait de ce que les autres lui faisaient ressentir. Une larme unique coula sur sa joue mais le maquillage resta  à sa place car il était waterproof. Un clown qui pleure est une image bien trop ancrée dans la réalité pour ne pas susciter de l’émotion.
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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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19.12.15 14:07
En une seconde, il saurait. Il saurait s'il devait lever les poignets, baisser le menton et entendre les sirènes des fourgons de la milice, les cliquètements des menottes autour de ses tendons, le cri déchirant de sa liberté enfuie. Il saurait si Giovanni le pointerait du doigt pour le railler, le prendre en pitié ou le dénoncer, si cette étincelle de confiance qui brasillait au fond de son thorax était condamnée à être mouchée sans procès ou avivée en douceur, avec de réconfortantes confidences offertes en retour. Crispés sur son livre, les doigts d'Enoch se heurtaient nerveusement dans l'attente du verdict tandis que ses rotules, sur le qui-vive, se préparaient à se détendre d'un bond pour l'emporter au loin. Pourtant il n'eut rien à faire de tout cela car la réaction si neutre du géant rose, lancée ainsi qu'une critique de film au sortir de la salle, pardon je me suis endormi à l'instant où le policier rentre dans la baraque et puis après?, témoignait de son acceptation des faits et non de son rejet. Il était logique, la curiosité aidant, qu'il veuille donc connaître le contenu de ce fameux blanc que le fantôme avait découpé dans son récit. Pour se protéger lui, pour protéger le scientifique, pour protéger sa propre incompréhension de ce qui s'était produit dans cette pièce moquettée, au dessus-de-lit bleu nuit. Le garçon ne répondit pas, le regard ailleurs. Que ce trou narratif reste en place et, avec un peu de chance, tout le monde l'oublierait.
À la table d'à côté, la demoiselle termina son mille-feuilles, sa conversation holographique et s'en alla payer, isolant les deux hommes. Ce qui était préférable au vu de leur discussion, un tantinet plus sérieuse que le menu du dîner avec la belle-famille de dimanche prochain ; alors qu'il écoutait sa tension cardiaque ralentir peu à peu, soudain Enoch redirigea son attention vers son interlocuteur – avait-il bien entendu ? Qu'est-ce qui le surprenait le plus, entre l'invitation spontanée de ce dernier ou la mention du mot « dangereux » ? Parce que, vraiment, qu'est-ce qui pourrait être plus dangereux dans la maison d'un clown que le clown lui-même ? Sans rire. Enfin, qu'importe ses raisons, puisque le petit poucet savait qu'il aurait refusé, moins à cause de son embarras naturel qu'à cause de ses précédentes expériences en terme de proximité humaine. Moins il se rapprocherait de quelqu'un et mieux ce serait, et ce ne seraient pas ces derniers mois qui lui donneraient tort.

La question du don se posa bien qu'il n'eût pas le temps d'en chercher la réponse, occultée par l'étonnant revirement d'émotion du grand blond. Était-ce une vraie larme qui dégringolait sur sa joue trop fardée ou plutôt un de ces tours d'illusionniste, un passe-passe de cirque ? Était-ce un réel sentiment qui venait de faire surface à l'improviste ou au contraire un émoi factice, lâché pour susciter quelque aveu empathique ? Non, non, cela ne correspondait pas à avec la jovialité de ce monsieur, avec son humour qui n'avait rien de méchant ; à cette vision, Enoch sentit deux mains venir essorer les tissus de son myocarde, les serrer pour en faire jaillir tout son sang et le laisser blême, maladroit, mais plein d'une étrange sympathie pour ce quelqu'un qui, contrairement à lui, semblait ne pas aimer la solitude.
« Hé, ne soyez pas triste... Personne n'est jamais seul... » essaya-t-il dans un murmure, cependant qu'il se penchait à peine vers son vis-à-vis, glissant ses phalanges par-dessus la table. « Je vais vous montrer... quelque chose. »
Les mots paraissaient se bloquer dans sa gorge, aussi évita-t-il d'en prononcer davantage. Ce qu'il s'apprêtait à faire servirait de discours, en somme, même s'il n'avait pas les moyens de montrer une foule de fantaisies. Après avoir obtenu son pouvoir, il s'était mis en tête d'apprivoiser la sale bestiole qui le représentait, d'en comprendre les mécanismes et d'en dompter les élans. Il avait demandé de l'aide à qui pourrait l'entraîner sans le trahir, c'est-à-dire Anselme, qui prit son rôle de professeur à cœur – bien entendu, en cinq jours il ne fallait s'attendre à aucun miracle, mais Enoch avait poussé le zèle jusqu'à ne penser qu'à cela, à s'évertuer à contrôler ce qui était incontrôlable et il en voyait déjà, au prix d'une douleur lascive, d'infimes résultats. Certes, chaque fois qu'il tentait de produire un effet, sa voix disparaissait, son crâne se changeait en gong et il devait s'estimer heureux s'il ne plongeait pas au royaume des songes pour les trois heures suivantes, néanmoins le jeu en valait la chandelle ; il y avait quelque chose de grisant dans ces découvertes, dans cette quête du possible, qu'il souhaitait perpétuer.

Entre eux deux, à la surface de la table, le fantôme jeta furtivement une poignée de trait. Du bout des doigts comme d'un crayon, il dessina une longue patte, un corps plumeux surmonté d'un immense cou recourbé et, à l'extrémité, une tête fine au gros bec – l'oiseau tenait sa seconde patte recroquevillée sous son ventre et son œil visait loin, comme s'il guettait l'arrivée d'un congénère. Son plumage pastel débordait un peu des contours, à la manière d'un gribouillis d'enfant, mais l'on reconnaissait sans mal un flamant rose affublé d'un large sourire, de la taille d'une main, qui regardait Giovanni tel un ami. Satisfait, Enoch fit un geste pour retirer sa paume, en vain ; l'effort avait troublé sa vision, son front n'était qu'une plaque de souffrance qui le faisait grimacer, et il n'eut que le temps d'apercevoir sa création s'effacer comme de la craie soufflée avant de s'écrouler tête première sur la table, inconscient.
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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03.01.16 16:28
Giovanni fut bien vite agacer par les tourments incontrôlables de son cœur. C’était éreintant au quotidien. Une part de lui aurait voulu savoir quelle était la véritable nature de ce qu’il ressentait. Toutefois, cela étant impossible, la frustration se contentait de revenir parfois allant et venant comme tout le reste dans ce cœur pétri d’imperfections. Aussi simplement que ça, Giovanni ne fut plus triste. Lorsqu’il entendit Enoch lui dire de ne pas être, il avait failli répondre qu’il n’était jamais triste. Ce n’était pas possible qu’un clown soit triste. C’était risible, ironique et pathétique. Reprenant une contenance, basée sur rien d’autres que ses sauts d’humeur intempestifs, l’homme regarda avec attention ce qu’on voulait lui montrer. Ses yeux s’agrandirent comme ceux d’un enfant alors qu’il regardait le petit flamand rose prendre vie sous ses yeux. Impossible de penser qu’il ait pu être déprimé juste auparavant devant ce spectacle. C’était fascinant. Tellement que pendant plusieurs minutes, il en oublia qu’il avait la faculté de parler.

Pour une raison inconnue, le blond avait l’impression que c’était une représentation de lui-même qu’il contemplait. Peut-être était-ce à cause de son boa rose qu’il arborait fièrement autour du cou ou de l’allure dégingandée de l’animal. Toujours était-il que cela ne le laissa pas indifférent. Autre chose ne le laissa pas de marbre. Bientôt, l’animal s’évapora pour laisser place à un individu qui avait l’air de s’être évanoui. Giovanni lâcha un petit piaillement très viril de surprise et se redressa pour aller observer la bête qui était inconsciente. Comme s’il avait peur que la personne sursaute et la morde, il s’approcha à pas de loups. Prenant une fourchette qui trainait sur la table, il appuya sur la joue avec. Aucune réaction. Sortant un crayon noir pour le maquillage, il tenta de le réveiller en lui dessinant des petites moustaches de chaque côté. Il fut déçu de voir que ça ne marchait pas mais fut tout de même content car c’était amusant. Finissant la rouflaquette du bout de sa moustache improvisée. Le clown se dit avec une étonnante logique qu’il était impossible de laisser le garçon là. En plus de cela, il voulait revoir le flamant au moins une fois. Giovanni ne se dit qu’il aurait été plus sage d’appeler les urgences. La logique et lui ça ne faisait pas bon ménage.

Sans plus de cérémonie et étonnamment fort par rapport la taille et l’allure longiligne qu’il affichait, il attrapa sa rencontre du matin pour la ramener chez lui. De lui-même Giovanni ne l’aurait sans doute pas proposé. Les circonstances étaient toutefois différentes aujourd’hui avec le petit qui semblait très largement dans les vapes. Le chemin lui sembla plus long et plus difficile que d’ordinaire avec un poids à porter mais il ne se plaignit pas une seule fois. Franchissant enfin la porte de son appartement, il oublia bien vite la réflexion qui lui soufflait qu’il avait du paraitre étrange. L’homme-clown n’en était pas à sa première représentation publique de bizarrerie. Lestement, il posa le petit lecteur sur son lit et le laissa là un court instant. Revenant avec une immense trousse de maquillage, il décida de s’occuper un peu en attendant que la belle au bois dormant se réveille. Il passa un peu d’ombre à paupières sur ses yeux clos, alternant les couleurs, il réussit un magnifique smoky eyes dont toutes les femme seraient jalouses. Il fallait dire que l’inconscient avait tout de même des traits délicats. Ses longs cils rendaient l’effet encore plus réussi. Un peu de fond de teint pour cacher les imperfections qui restaient sur cette peau de lait puis il passe un beau rouge à lèvres carmin pour compléter le tout. Enoch serait content de voir comme il avait été embelli à son réveil. Maintenant, il ressemblait à un mini Giovanni.

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Enoch Livingston

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08.01.16 20:48
Encore une fois tu n'en as fait qu'à ta tête. Ça fait à peine cinq jours que nous nous côtoyons et déjà tu t'imagines m'utiliser à ton gré, pour les beaux yeux de quelque gigolo échappé de l'asile – tes talents relationnels m'étonneront toujours. Faudrait peut-être que tu penses à consulter. Et tu es content de toi ? Parce que pas moi. Non mais franchement, c'était quoi ce truc ? C'était quoi ce plumeau de chiottes au long cou que tu nous as gribouillé là, ce balai radis qui ne ressemble même pas à un pigeon écrasé ? Ma nièce ne ferait pas mieux si j'en avais une, quelle horreur, j'ai honte. Oh, garde tes excuses veux-tu, ni le délai ni ta condition débile ne pourront justifier ton incompétence, et encore moins ta satisfaction. Tu l'as fait sourire ? Bien, fabuleux, j'en suis outrageusement ravi. Ce n'est même pas médiocre, c'est moins que ça. Et maintenant que je t'ai coupé l'herbe sous le pied pour préserver ma dignité, on peut savoir ce que tu comptes faire ? Tu ne sais même plus où tu es !
Si, il sait très bien où il est. Les jambes enfoncées dans la vase jusqu'à l'aine, de mornes saules défeuillés tout autour de lui, des flaques de mousses et de lichens en guise de végétation aquatique ; nul doute, il est au royaume de la Chimère. Mais son corps, son vrai corps, lui, il n'en a pas la moindre idée. Vaguement, il avait senti qu'on le touchait, qu'on appliquait de fines pressions sur son visage et que, durant ce qui lui avait paru un interminable moment, ses quatre membres s'étaient retrouvés pendus dans le vide, comme s'il s'était endormi sur une branche en les laissant retomber, jeune aï assoupi sur son eucalyptus mouvant. Le reste, néant. Cependant il ne s'en affolait guère, parce les effluves qui parvenaient à franchir les voiles de son inconscient indiquaient sans mal que la personne demeurée le plus proche de lui avait traîné un peu trop longtemps au rayon femme du Sephora des galeries Lafayette. Quand bien même le fantôme ignorait tout de ces enseignes, jusqu'à leur nom.

Il s'éveilla à la manière des brumes au zénith, soulagé de quitter les marécages de ses songes et pourtant un soupçon inquiet par avance de découvrir l'endroit où on l'avait emmené. En tête des destinations probables quoique anxiogènes figurait l'hôpital, ce qui à l'évidence ne l'arrangeait pas du tout ; aussi fut-il rassuré que la première chose qu'il aperçut fut l'intérieur d'une chambre qui n'avait rien des cellules blafardes des cliniques, avec, à droite de son champ de vision, un épouvantail rose en train de le veiller en silence. Pas de blouse blanche et niet les miliciens. Une chance. Même sans connaître avec précision sa localisation ou l'ensemble du décor, Enoch devina où il avait été transporté.
« Pardon pour le dérangement... » bredouilla-t-il alors, tandis qu'il se redressait sur son séant.
Bizarre, cette texture sur sa bouche. La colle dont le contrecoup avait enrobé sa langue avait-elle migré sur sa lippe au cours de sa somnolence ? Du revers de la main, le garçon vint l'essuyer et se figea aussitôt en décelant sur sa peau une traînée rougeoyante, satinée, telle une bouillie de coquelicot – sans doute avait-il fait déborder le rouge à lèvres sur sa joue au passage, mais il ne s'en rendit compte qu'ensuite. D'abord il regarda Giovanni avec de grands yeux égarés, cherchant à lire sur son visage clownesque une explication à cette plaie florale. Est-ce que le géant l'avait... ? Réflexion stupide. Il n'y croyait pas. Et de toute manière il eut sa réponse assez vite, à l'instant où il distingua son reflet dans le petit miroir collé au fond de la boîte de maquillage, ouverte à un mètre à peine du lit où il reposait. Ce qu'il y vit lui arracha un cri furtif. Impossible toutefois de s'y tromper, de se cacher la vérité, puisque lorsqu'on rentre en collision avec une silhouette à travers une glace, il est avéré qu'il s'agit le plus souvent de soi-même. Enfin en l'occurrence, le doute était toujours permis ; était-ce vraiment lui, cette poupée aux airs de Charlie, cette princesse de fond de tiroir qui s'était barbouillé les paupières au charbon prune ? Et cette bouche carmine, aux rougeurs désormais brouillées aux commissures ? Il oscilla entre quitter au plus vite cette demeure de fou et rire devant cette farce absurde. Mais la faiblesse ayant vidé le flacon de poudre d'escampette, il pencha en faveur du rire.

Ce fut davantage une grimace, un sourire jaune sous le cosmétique pourpre, muant ensuite vers une gaieté nerveuse qu'il dissimula derrière sa paume. Ridicule. Il était grotesque et cela le faisait rire – un garçon au féminin, voilà ce en quoi Giovanni l'avait transformé, un garçon-fille, gracile et maladroit. S'il ne s'était pas reconnu, peut-être même se serait-il trouvé mignonne, mais son genre véritable rendait le tout trop farfelu pour être joli. Piètre beauté baroque. Avec un éclat de malice coincé dans la gorge, il lâcha quelques mots privés de destinataire :
« C'était donc pour cela que venir ici était dangereux... »
Pour la virilité, seulement. Il avait ainsi fait la connaissance d'un fétichiste du maquillage. Un artiste amateur de dessin sur peau – tant que ce n'était que le visage qu'il peinturlurait – avec une sacrée dose d'humour. Enoch se rassura tout seul ; c'était toujours mieux que d'avoir été transféré à l'hôpital. Là, au moins, il n'avait pas à baliser pour son don. Et il n'était même pas allergique au khôl.
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Giovanni Vermeer
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23.01.16 16:21

Giovanni riait déjà sous cape comme un enfant. Il trouvait que le maquillage avait été bien réalisé. Sage comme une image, il s’était assis dans un coin pour le veiller. N’importe qui qui serait entré dans cette pièce aurait d’abord remarqué l’énergumène qu’il était avec son accoutrement avant le maquillage d’Enoch. Toutefois, une fois que cela aurait été fait, c’était une image qui aurait sans doute du mal à s’effacer. Les traits délicats du garçon se prêtaient bien à cette ambivalence. C’était avec taquinerie mais sans méchanceté que le blond s’était livré à cet exercice de maquillage. Une main était posée sous sa joue. Ses yeux se perdaient dans la contemplation distraite de la personne en face de lui qui était inerte. Il avait hâte de lui montrer ce à quoi il s’était employé pendant que son ami fortuit se trouvait dans les limbes à se battre contre dieu seul sait quel monstre.

« Tu ne m’as pas dérangé. »
répondit-il avec une certaine gaieté. « Non pas que je souhaite qu’on s’évanouisse plus souvent devant moi, enfin si c’est devant la beauté de mon maquillage ça me va, mais tu as été un invité tout ce qu’il y a de plus correct. » Forcément, lorsqu’on était endormi, il était peu probable de déplaire à son hôte mais c’était une ironie que le garçon n’était pas assez entrainé pour déceler. « En tous les cas, je suis content que tu sois finalement éveillé. » Le blond n’avait pas l’air de se soucier de l’air étonné du garçon et pourtant, il observait très attentivement, presque scolairement, le moindre de ses mouvements. On ne faisait pas une bêtise sans espérer une réaction de la part de son vis-à-vis. Autant dire que le clown ne fut pas déçu.  Tout d’abord ses yeux de biche qui l’observaient sans comprendre et puis brusquement, la prise de conscience, la petite victime qui se rue sur le miroir le plus proche. Ce petit piaillement fut une douce musique à ses oreilles, une mélopée adorable qui lui donna presque envie de lui faire un petit câlin. La dernière partie le surprit en revanche. Riait-il vraiment avec lui de son ridicule ? Gio’ avait l’habitude qu’on se moque de lui, pas qu’on rit avec lui. L’espace d’un instant sa blague lui revint au visage comme un boomerang. Un étrange sentiment de fierté naquit au creux de son esprit  alors que le petit faisait une constatation réaliste.

« Disons que c’est compliqué de vouloir rester avec moi. Les bouffons ça n’amuse qu’un temps. » Lacha-t-il amer malgré lui. Toutefois, ça n’était pas voulu, lorsqu’il prenait ce ton, c’était presque comme si quelqu’un d’autre prenait sa place et parlait pour lui. Néanmoins loin de s’en formaliser, le géant ridicule reprit son attitude nonchalante, s’excitant à l’idée de montrer son œuvre au garçon qui allait sans nul doute l’apprécier à sa juste valeur. Ce n’était pas envisageable dans son esprit que l’autre le traite de fou et s’enfuit. Disons, que pour une fois, il serait réellement touché que cette douce créature peinturlurée soit en colère avec lui. Il ne réalisait pas encore que c’était déjà incroyable qu’il ne le fut pas déjà.


« J’ai une surprise à te montrer. Viens avec moi. »
Quittant son séant, il laissa le jeune homme prendre le temps nécessaire pour le suivre.  Ils pénétrèrent dans un salon décoré avec extravagance mais une harmonie étrange des couleurs qui rendaient le tout supportable. En réalité, on n’aurait pas pu imaginer une meilleure représentation de l’imagination de l’être polymorphe qu’était ce clown. Une fois dépassé la pièce, ils se trouvèrent dans un petite salle qui avait pour particularité d’avoir une belle exposition à la lumière naturelle. Des pots de peinture se battaient contre des tubes de peinture fermés, et des pinceaux qui avaient l’air d’avoir connu de meilleurs jours. De nombreuses toiles s’entassaient un peu partout, abstraites pour la plupart, c’était le travail des couleurs qui rendait l’émotion du peintre. Du moins, l’émotion que l’amuseur de galerie cherchait à rendre. Ce lieu lui permettait de respirer un peu lorsqu’il ne pouvait plus s’exprimer car les mots ne suffisaient pas. Un havre de paix lorsque la douleur menaçait de le détruire de l’intérieur et que la souffrance le rendait un peu plus flou. Parfois cependant, il peignait des choses plus joyeuses ou plus douces, des instants de pur bonheur comme pour ne jamais les oublier. Un tableau était posé sur le chevalet. La dernière œuvre du peintre-flamant. Les traits permettaient de voir l’ébauche d’un visage mais dilué dans l’eau. Personne n’aurait pu réellement le reconnaitre, malgré tout, les lèvres barbouillées d’un rouge flou et les  paupières closes teintés de pourpre apportaient autant une impression de sérénité que de doute. L’être était indécis quant à sa véritable nature, non pas d’être homme ou femme, mais plutôt d’être ou de ne pas être. C’était son moi profond qui souffrait du silence quant à la nature de son âme. Sans bien y penser, presque inconsciemment, l’artiste avait recrée ce qu’il constatait de l’état d’esprit d’Enoch.

« Tu exprimais tellement de choses en dormant que je n’ai pas pu me retenir de faire une toile. J’espère qu’elle te plait. » sous-entendu, si elle ne te plait pas, je  la déchirerais jusqu’à ce qu’il n’en reste rien car j’aurais trop honte



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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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27.01.16 11:31
Décidément, cette haute silhouette dégingandée passait maîtresse dans l'art de sauter d'une humeur à l'autre, d'un coq joyeux à un âne battu, et ce sans prévenir de nulle façon ; son interlocuteur – cutrice – aurait presque eu du mal à suivre s'il n'avait pas déjà eu affaire à ce genre de renversement, de volte-face émotionnelle avec lui-même. Quelque chose chez ce clown était triste. Une petite boîte à musique dans le cœur qui déversait, de temps à autre, une plainte furtive, une mélodie en si mineur. Ce qu'il annonçait avec un sérieux chagriné prouvait pourtant bien qu'il n'était pas toujours ce « bouffon » dont riait tout le monde, et qu'il était on-ne-peut-plus capable d'être lucide, voire réaliste, non seulement sur sa personne mais surtout à l'égard de ses congénères humains. Or, cette faculté d'analyse ne s'apparenterait jamais, dans l'esprit d'Enoch, à un défaut. Cela dit, il comprenait que quiconque ne soit pas à même de vivre avec un tel personnage tous les jours, et qu'il faudrait pour y parvenir une certaine dose d'adaptabilité et de patience ; il croyait cependant que l'effort était possible, que pour qui voulait s'en donner la peine, l'amitié du géant bariolé serait aussi étrange que précieuse, indéfinissable quoique pérenne. Et si personne n'avait jusqu'à lors tenté l'expérience sans jeter l'éponge aussitôt, lui souhaitait s'essayer à son tour. Après tout, qu'est-ce qu'il avait à perdre ? Les débris poreux de sa masculinité ? L'assurance de ne pas être déguisé en fée rose dès qu'il s'endormait ? Si ce n'était que cela...
Museau baissé, de retour vers son reflet qui le perturbait toujours, le petit poucet évita de répondre à ce qu'il considérait comme une de ces réflexions invisibles, dépourvue de destinataire réel. Il n'aurait pas su quoi dire pour réconforter Giovanni de toute manière, d'autant que celui-ci semblait avoir aussitôt éludé le commentaire pour reprendre son attitude habituelle, relâchée, avant de lui proposer une nouvelle attraction. Bien qu'embarrassé par une telle spontanéité de la part de son hôte, le garçon ne déclina pas l'invitation, à la fois curieux et pris d'un enthousiasme qu'il savait ne pas être le sien mais auquel il ne pouvait guère s'opposer. Il finit alors de s'essuyer la bouche contre le dos de sa main, conservant la poussière mauve sur ses paupières à défaut de savoir comment l'enlever sans s'en répandre en plein dans les yeux – il demanderait à une fille, un jour, la façon de faire pour ne pas se rendre aveugle tous les matins – et quitta la lit avec appréhension. Le monde tanguait légèrement autour de lui, les murs ne paraissaient plus très droits et le sol ondulait à l'instar d'un lac de bois, pas assez pour le faire basculer par-dessus bord mais suffisamment tout de même pour qu'il hésitât une seconde avant d'avancer les jambes. La sensation se dissipa vite néanmoins, et il put suivre le clown là où il le désirait.

Une esthétique fantasque se dégageait de l'appartement, représentation matérielle de son propriétaire. En douceur, comme s'il craignait d'abîmer l'air en se déplaçant, Enoch glissa jusqu'à la pièce étroite et lumineuse dans laquelle s'était rendu l'homme et demeura un instant sur le seuil, fasciné par les lambeaux éclatants que le soleil projetait sur les parois. Les gouttes de peinture qui coulaient le long des pots brillaient de vernis, les tubes plus ou moins écrasés par l'usage mêlaient leurs étiquettes barbouillées et les pinceaux, de taille et de grosseur variées, jonchaient ce monde pareils à une forêt miniature ; des vapeurs flottaient encore dans l'espace, des relents de fibres cirées et de gomme qui seyaient trop bien à cet atelier. Surpris et honteux, le fantôme laissa filer son regard sur les quelques toiles dont on apercevait le sujet, ou plutôt les nuances seules puisqu'il était impossible de discerner les contours d'éléments connus – Giovanni ne peignait ni des natures mortes ni des portraits mais des sentiments, et rien n'est plus évanescent et volatil qu'une émotion. Les figer sur un cadre était un défi au-delà d'une simple tentative d'expression, et un instant le garçon contempla toutes ces créations en se disant qu'il n'aurait pas assez d'une vie pour décrypter ce que le peintre avait voulu traduire. Est-ce que cela était nécessaire, au fond ? C'était juste beau, il s'en contenterait. C'est alors que le clown lui présenta sa surprise, la fameuse, non sans l'accompagner d'une brève explication. Enoch se sentit rosir. Même sous son fond de teint, cela devait se voir.
Il fit un pas pour se rapprocher du tableau. Des taches pastel, déposées çà et là, dessinaient un visage paisible, suspendu entre le sommeil et l'incertitude, perdu quelque part entre ciel et terre. Il n'avait pas l'impression de se trouver face à un double, à un jumeau de peinture, mais davantage à un miroir de papier, une représentation éthérée de lui-même, près de s'évanouir dans la trame. Soudain le froid s'insinua sous sa peau et il se prit les bras dans le vain espoir de se protéger. En reposant les yeux sur son portrait, il remarqua que les traits s'effaçaient peu à peu, qu'un voile blanc venait recouvrir l'ensemble de la toile jusqu'à en étouffer toutes les couleurs, insidieusement. La Chimère faisait de nouveau des siennes.
« Tu exprimais tellement de choses en dormant », et puis quoi encore ? Il n'a jamais vu l'intérieur de ta caboche, cet oiseau-là, parce que ça ne ressemble pas à ça du tout là-dedans, c'est tout vide, vide, vide, il ne s'en est pas rendu compte ? C'est blanc, tellement qu'on dirait que tu n'existes pas, alors une toile vierge c'est mieux pour te représenter, crois-en mon expérience. Je te le ferai disparaître, ce gribouillis, et toi avec, faudrait pas que tu penses que tu aies de l'importance, t'es rien je te l'ai déjà dit, t'es rien du tout, disparais ! Enoch crut défaillir.
« Arrête ! » cria-t-il tandis qu'un nœud se resserrait à l'intérieur de sa gorge. « Arrête, je ne veux pas disparaître ! » Ni du tableau, ni de nulle part, d'ailleurs. La peur portait sa voix, la noyait de tristesse. S'il avait eu un couteau sous la main, il l'aurait sans doute enfoncé dans la toile, ou peut-être dans son crâne pour en extraire l'animal, pour en chasser la parasite qui racontait ces calomnies auxquelles il était trop sensible. Affolé, il jeta sur Giovanni un regard plein de douleur, puis se prit le visage dans les mains afin d'y relâcher un sanglot, à l'abri derrière ses paumes et son maquillage. Il poussa un maigre gémissement. « Je ne veux pas disparaître... » Disparu sous l'effroi.
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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22.02.16 19:37

Giovanni s’était attendu à énormément de réactions. On ne pouvait pas prévoir comment les gens allaient réagir face à leur propre reflet. Toutefois, celle-là lui parut totalement incompréhensible. D’ailleurs, ses yeux s’ouvrirent plus grand alors que le garçon commençait à crier. Que devait-il arrêter ? C’était difficile de le savoir. L’homme était plus que perplexe. Il restait muet à observer la scène, concluant qu’il devait détester, pour lui parler ainsi. Arrête de peindre peut être ? Cette pensée le rendit triste de façon incommensurable. La seconde phrase le fit sortir de sa rêverie. Disparaître ? Soudain le blond réalisa avec grande intelligence qu’Enoch  se trouvait actuellement en train d’avoir un débat mental avec lui-même. La réaction lui parut encore plus incompréhensible. Maladroitement, le garçon reçut dans ses bras le fantôme qui ne se contrôlait manifestement qu’avec difficultés. Ne sachant pas trop quoi réponde, il se contenta de balbutier.

« Tu n’es pas en train de disparaître. » C’était la constatation la plus pure et la plus réaliste que l’homme conservait en stock. Que dire de plus à ce petit bonhomme qui semblait si travaillé par ses démons intérieurs présentement. Une main chaude et anguleuse passa dans le dos de la créature fragile. « Et alors, on a un gros chagrin ? » C’était comme ça qu’il commençait toujours lorsqu’il voulait réconforter un gosse qui pleurait. Il y en avait toujours un pour avoir peur de son grand corps ou de son faciès de clown. Heureusement pour lui, bien qu’il fut terrible avec les gens, il était excellent avec les enfants. « Tu ne peux pas disparaître tant que quelqu’un ne t’oublie pas. » Ces paroles sensées représentaient textuellement ce que l’homme pensait. Le soir il s’endormait en imaginant les enfants qui repenseraient à cette soirée d’anniversaire, alors il était certain que jamais il ne se désagrégerait car ces enfants ne l’oublieraient jamais vraiment. Le blond avait l’habitude de faire une sérieuse impression même lorsqu’il se contentait de vouloir passer une soirée tranquille dans un bar. Systématiquement, quelqu’un ou quelque chose allait l’entraîner dans une histoire rocambolesque. Giovanni demeurait la seule personne au monde qui pouvait raconter une péripétie incroyable qui commençait par « Hier je mangeais une salade et… »

« De plus, tant que ce tableau restera tel qu’il est alors lui au moins ne sera pas altéré, non ? » Lentement, pour ne pas brusquer le petit oiseau tout perdu, il l’emmena pour le faire s’asseoir sur le canapé. Les couleurs des pièces le rendirent un peu plus serein. Le trouble du garçon pourtant commençait un peu à se glisser en lui de façon insidieuse. S’il aimait bien quelqu’un, ça prenait moins de temps. Pour l’instant, c’était juste une sobre empathie mais avec le temps qui passait, cela pouvait aller jusqu’à dépasser la crise première. A présent, légèrement angoissé par cette perspective, il partit dans la cuisine laissant le garçon prostré sur lui-même. Lestement, il attrapa un sachet de tisane, mit de l’eau à chauffer et repartit avec le tout vers le salon. L’homme avait fait en sorte d’être le plus rapide possible. Dans son esprit, une boisson chaude apaisait les cœurs blessés. Celui-là paraissait pour le moins endommagé. Ignorant superbement l’état dans lequel il se trouvait précédemment, il s’assied à ses côtés comme si de rien n’était.  Sirotant sa propre tasse de thé, il se brûla un peu la langue et commença à tousser de façon comique. Soufflant compulsivement sur le sujet de sa brûlure, il reposa finalement cette dernière sur la table basse.

« Qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure ? Genre.. parce que j’ai rien compris du tout. Et d’ordinaire, c’est moi que personne comprend. » Ses bras longilignes s’étendirent sur les rebords du canapé alors que par la fenêtre le soleil filtrait délicatement. Aucun doute sur le fait que ce garçon était tout de même un drôle d’énergumènes. « Ne bois pas ta tisane tout de suite, c’est trop chaud au fait. » Comme si ce dernier avait pu rater le comique de situation dont l’homme avait été victime quelques secondes auparavant. C’était malgré tout important de prévenir contre les dangers d’une extrême chaleur. On n’était jamais trop prudent.
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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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23.02.16 22:07
Il l'entendait rire de ses frayeurs comme une démente, fourrager sa conscience pour se repaître de son épouvante ; même yeux clos derrière ses paumes, il la voyait en gloire face à lui, triomphante, avec sa queue squameuse qui fouettait l'air tel un éclair bleuté. Ce qu'elle observait la réjouissait tant et tant qu'elle pensait ne jamais s'en lasser, et ce malgré les rares impulsions compassionnelles qu'elle avait pu ressentir au cours de la semaine précédente, alors qu'ils se confrontaient dans la Cabane. À cet instant il lui tapait sur le système à se comporter comme n'importe qui, à faire comme si elle n'existait plus sous prétexte qu'il venait de rencontrer un autre être humain, moins intéressant qu'elle pour sûr, après tout, les hommes n'étaient qu'un estomac orgueilleux capable de se reproduire, pas davantage, alors en retour elle prenait un malin plaisir à lui rappeler sa bestiale présence, à le sanctionner pour sa négligence et, n'eût été ce géant multicolore, elle l'aurait sans doute harassé jusqu'à le jeter à genoux. Mais malheureusement pour elle – et heureusement pour ses rotules à lui – Giovanni fit preuve du réflexe adéquat, étonnant au regard de ses réactions habituelles, et la tendresse de son geste suffit à repousser la Chimère dans les limbes ; Enoch en oublia même de protester contre ce contact, en oublia de tirer de nouvelles larmes. Et de réfuter l'aspect puéril de la situation, aspect que ne manqua pas de souligner le clown. Abruti, grogna le monstre en s'évaporant avec le vernis blanc de la toile. Peu à peu, les couleurs réapparurent, la blancheur se dissipa, trop pure, trop vide, pour restituer les nuances originelles de ce portrait délicat, tandis que le grand blond achevait de consoler le fantôme. Ce dernier renifla, frotta ses yeux terrifiés d'un revers de manche et le suivit alors, docile, jusqu'au canapé où on le fit asseoir.

Plus mou que servile, le garçon avait acquiescé aux réflexions de son hôte sans y adhérer entièrement, trop angoissé qu'il était par la perspective que, un jour ou l'autre peut-être, plus personne ne saurait se souvenir de lui. Car qu'est-ce qui constituait l'essence de la mémoire, sinon le temps consacré à la personne en face de vous, cette durée d'apprivoisement réciproque, cet échange mutuel de petits riens et de titanesques apocalypses ? Y avait-il assez travaillé ? Les gens qu'il ne côtoyait plus auraient-ils recueilli suffisamment de lui-même pour perpétrer son image ? La question méritait d'être posée, puisqu'elle était à la base de son inquiétude, et néanmoins, en présence de Gio, elle se mettait à fondre comme glace au zénith. D'ailleurs, l'Ancien acheva de la liquéfier dans la tasse de tisane brûlante que lui servit son compagnon bariolé, tandis qu'il supprimait de son visage toute trace de sa précédente crise.
Un instant, le gamin contempla les clapotis ambrés du breuvage qu'il faisait tourbillonner doucement, réfléchissant sur la manière la plus simple d'expliquer à son voisin pourquoi d'un coup un tel cri, surgi de ses tripes, salé et violent. Dans sa brusquerie, il avait dû effrayer le gentil géant ; le mieux était donc de s'excuser en premier lieu. Ensuite, il aviserait, comme toujours.
« Pardon. Je t'ai sûrement fait peur... Tu te rappelles ce dont je t'ai parlé, au café, au sujet de l'expérience de vendredi dernier ? Depuis que ce pouvoir est mien, il y a cette voix qui n'arrête pas d'intervenir, elle commente chacune de mes phrases, le moindre de mes actes. Elle voit tout, écoute tout, et le dénigre, le méprise – et ses épaules frémirent en prononçant ces mots – parce qu'elle sait que cela me blesse. Elle s'en amuse. Un temps, cousu de colère envers lui-même et sa faiblesse. Il se tourna dès lors vers Giovanni, à demi, mais doutait que son anxiété trouvât un écho chez celui-ci. « Personne n'est à l'abri de ses couleuvres. » Mais à la seule éventualité que la Chimère lâchât une médisance au sujet du clown, Enoch sentait la contrariété gonfler dans son thorax. Il souffla sur sa tisane, autant pour la refroidir que pour calmer les prémices de sa nervosité.

« Parfois, elle me laisse créer ce que je désire, comme le flamand de tout à l'heure. Et parfois, elle s'empare de tout. Mais toujours, toujours... Elle me fait peur. » Annoncer sa vulnérabilité, il le savait, n'était pas sans risque. Même si c'était la première fois qu'il se confiant ainsi à quelqu'un, il n'ignorait pas qu'elle rôdait dans un recoin de son crâne, prête à le railler une nouvelle fois, à laisser baver son dégoût sur son âme mise à nu. Cependant, Enoch ne pouvait s'empêcher de parler. Était-ce la bienveillance naturelle de Giovanni ? Sa faculté à mettre en confiance son entourage ? Aucune idée. Et il s'en foutait. Juste, il parlait. Cela lui faisait du bien, le rendait un peu honteux, certes, à l'évidence plus apaisé. Après avoir bu une gorgée, le spectre lança ses iris sur les pierres bleues qui éclairaient la figure du clown, osant un timide sourire : « Ta peinture est magnifique. Elle en était jalouse et a voulu la faire disparaître. J'espère que tu ne m'en veux pas. C'est difficile d'expliquer quelque chose qui semble aussi... incompréhensible. »
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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06.03.16 19:56

Giovanni comprenait. Comme il comprenait. Sans qu’Enoch puisse réellement le savoir,  le blond avait compris l’importance du silence par son absence. Lorsque les gens se déchainaient devant lui balayant la poussière du sol de leur morosité, lui entendait leurs désirs comme si on les lui dictait. Muet, incapable de faire quelque chose, la braise de ses yeux se consumait laissant une opale vide brillante comme un œil de chat mais sans vie. Silencieux, stoïque, sans sourire, son regard glissait sur les déviances des autres comme un vent soyeux sur une peau nue.  Sans attaches, il subissait parfois ces voix, le silence s’évaporait alors en volutes argentées pour ne revenir toujours qu’après le crépuscule de son entendement et l’avènement de sa déraison. Ainsi posé au bord d’un gouffre abyssal, un pied dans le vide, une force mystique le retenait de choir dans l’igue qui abritait le Styx.

Giovanni n’avait eu peur qu’un instant. Lorsque les explications vinrent pour résoudre le mystère naissant, il s’apaisa. Son humeur se voulait étrangement constante depuis quelques heures. Suspendu dans l’espace, au milieu des myriades de mots lancés par son petit acolyte efféminé, une pesanteur suave le transporta dans un océan de calme.

« Une voix d’une telle agressivité doit être douloureuse. » supposa-t-il concentré sur ses propres réflexions. « C’est méchant de se moquer ainsi. Elle doit être bien malheureuse elle aussi. » Une main distraite se posa sur son menton alors que le clown triste employait toute la force de son esprit pour clairement énoncer ses élucubrations psychologiques. « Les serpents sont inoffensifs si on sait comment les attraper. Et puis, d’après un reportage que j’ai vu sur discovery channel, les couleuvres ne sont même pas venimeuses. Donc, si on y réfléchit, c’est parce que tu en as peur justement qu’elle te fait mal. » Le venin qui se coulait traitreusement dans les veines du petit fantôme présentait tous les traits de la fantasmagorie d’une essence profondément ancrée dans la peur. Bien qu’il n’aurait jamais pu le formuler ainsi, car il manquait clairement du vocabulaire,  la perception de l’animateur se révélait fréquemment juste en ce qui concernait les traitrises qui pourrissaient de l’intérieur les âmes nobles.

« Elle n’est qu’un spectre qui se nourrit de toi pour exister. Si tu la combats, elle mourra. Si elle meurt, tu es libre. » Le sérieux de cette affirmation contrastait avec la bonhomie habituelle du faciès si délicatement ridicule du bouffon de service. Le flamand désirait contacter cette émanation du malin qui semait la détresse dans le jardin secret de son nouvel ami. Son poing percuterait alors son visage avec la force d’un ouragan. Le coup se répercuterait dans toute la bête jusqu’à ce qu’elle vibre de l’intérieur. Terrorisée qu’on ambitionne de la terrasser, les cercles vérolés qui lui servent de regard s’ouvriraient d’effroi. La chose connaîtrait la terreur et bientôt se fondrait dans l’oubli de tous en se désagrégeant en étoile de poussière.  

« On a tous une chimère en nous. Moi aussi tu sais. »
Le secret vivait en lui depuis tant d’années. Personne n’avait jamais su. Les autres se confiaient toujours pour se libérer d’un poids sur lui, sans imaginer à quel point le géant qui ne payait pas de mine porterait les ténèbres de leurs cœur jusqu’à ce qu’un coup final le terrasse. Les géants finissent toujours par mourir. Ils sont différents alors ils périssent. Belle morale que cella-là. Toutefois, Giovanni n’était pas Goliath et Enoch n’était pas David. Le garçon compris que le temps des confidences se profilait.  Une main chaleureuse et fantomatique réchauffa son épaule droite. Une voix aussi douce qu’un songe l’incita à continuer pour dévoiler l’horrible secret du flamand géant.

« Ma chimère à moi sont celles des autres. A mon contact, leurs inhibitions disparaissent et ils réalisent leurs plus grands fantasmes, les plus interdits, les plus tabous. J’ai vu de ces choses, si seulement tu pouvais l’imaginer. » Il rit las, plus amusé depuis longtemps par ces inconstances. « En échange de leur libération, ils m’entravent. J’attrape les troubles psychologiques comme on attraperait un rhume.  Parfois, j’ai entendu des voix me parler, d’autres j’ai rangé compulsivement tout par lots de quatre. Ma vie est ainsi depuis toujours je pense. Parfois même quand je suis moi, je ne sais plus si je suis moi. Est-ce que ça c’est plus compréhensible ? » Tout ce laïus à haute voix lui apparut comme plus fou que lui-même. Malgré tout , il lui apparut curieusement évident que ce petit être peinturluré ne le jugerait pas de la même manière que tout le monde. En cet instant, ils partageaient tous les deux un lourd tribut. Ses lèvres se redressèrent en une tentative de réconfort. « Je rencontrerais sans doute ta folie un jour aussi tu sais.  

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lost in the grey urban woods
Enoch Livingston

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08.03.16 0:08
Aussitôt ses lèvres closes qu'il avait laissé son regard s'abîmer une nouvelle fois dans les profondeurs de sa tasse, comme si la tisane qu'il faisait frémir entre ses paumes lui révélerait quelque réponse sibylline à force de la contempler. De toute évidence, il lui faudrait encore un ou deux millénaires d'exercices prophétiques pour parvenir à distinguer quoi que ce soit dans une boisson chaude, aussi mystique fût-elle ; or, il était déjà incapable de prédire ce qui lui tomberait dessus demain, voire l'heure prochaine, alors ses ambitions de pythie fantomatique devrait être revues à la baisse. Tant pis, il avait raté sa vocation. Du bout des poumons, il souffla de nouveau sur le liquide en un mouvement délicat, quand bien même son esprit tourbillonnait encore, nauséeux par ses précédents aveux. Cependant les réflexions de Giovanni l'étonnèrent, et il releva la tête comme pour s'assurer qu'il avait bien entendu, qu'il ne s'était pas trompé sur cette surprenante sentence : elle doit être bien malheureuse elle aussi. Malheureuse, elle ? Si toutes les personnes insatisfaites faisaient montre d'autant de violence et de cruauté verbale, alors le monde serait véritablement une vallée de larmes. Parce qu'il était impossible qu'elle fût triste en se révélant si mauvaise, sans doute pas – le gamin se voilait-il la face en refusant d'admettre cette hypothèse ? – il avait assez enduré ses humeurs de reine et ses attitudes despotiques pour ne plus lui attribuer la moindre faculté d'empathie. Pourtant. Le clown venait d'instaurer un doute, une infime incertitude qu'il continua de développer pour lui conférer un caractère probable, sinon évident.
Oui, il avait peur. Oui, elle le terrifiait, ce reptile gigantesque, cette créature mythologique, mais il n'avait jamais réfléchi à la manière de l'œuf et de la poule sur les raisons de cette épouvante. L'avait-il craint par instinct, par mécanisme de défense, ou bien avait-elle commencé par le brutaliser jusqu'à ce qu'il en vînt à la redouter au plus profond de son cartilage ? Il haussa les épaules intérieurement. Cela n'avait guère d'importance ; les faits étaient là, implacables, abrutissants. Il n'avait pas su comment l'attraper, et en retour elle avait resserré ses anneaux autour de son cou afin de l'asphyxier inexorablement. Il avait échoué à la combattre, à la vaincre, si bien qu'elle avait pris possession de son âme tel un territoire à conquérir. Désormais, elle y régnait en maître. Une gorgée de tisane se coinça dans son gosier – il toussa au creux de sa main. Les paroles de Giovanni, loin de le réconforter, le faisait se sentir encore plus honteux face à ses faiblesses.

Le sujet dériva cependant, ce qui permit au fantôme de respirer davantage tout en écoutant la discussion s'assombrir un peu plus. Jamais il n'aurait cru que le grand flamand, que cette entité multicolore, joyeusement talentueuse, pût faire preuve d'une telle gravité. Non qu'il en aurait été incapable, mais simplement que cet aspect-là détonait trop par rapport à son faciès peinturluré et à ses manières emphatiques. Sans ciller, Enoch écouta ses tourments, tel un écho lugubre sur les parois de sa propre caverne. Et s'il avait pu entretenir une suspicion sur la nature génétique de son compagnon, les déclarations de celui-ci achevèrent de dissiper le brouillard ; pour autant, sa réaction ne fut pas aussi méfiante que d'ordinaire, sûrement puisqu'ils partageaient, à cet instant, des maux identiques. Que dire qui les aurait chassés ? Quels mots à poser sur ces douleurs pour les apaiser ? Même son rire, auparavant si franc, si net, sonnait usé, poli par des affres plus incontrôlables qu'innombrables.
« Je comprends » répliqua-t-il, d'une voix plus sévère qu'il ne l'aurait souhaité. Connaître la vérité sur le géant rose le plaçait face à ses ridicules soucis, éphémères de surcroît, et il se sentit idiot de ses pâles bleus à l'âme. En comparaison, Giovanni endurait ces contre-coups depuis l'âge de déraison, et il ne pouvait se rassurer sur aucun délai de prescription ; il était atteint à vie, sans possibilité d'esquive. Un courage immense grondait sous son enveloppe décalée, une résistance que personne n'était capable de déceler au premier abord – seul avec ses démons, avec ses chimères par milliers, une par tête, plus la sienne. À côté, celle d'Enoch se noyait dans la foule des démences en libre circulation dans les rues de la ville. « Pardon, je ne savais pas. Tu dois me trouver geignard à paniquer ainsi face à un monstre unique, alors que tu en supportes tous les jours depuis des années. Que pour toi, c'est... ton quotidien. Enfin... tu n'as pas peur d'eux ? Ils ne t'effraient plus ? » Affecté, l'Ancien repose sa tasse, se redresse et exécute quelque pas dans le salon, le crâne en proie à de soudaines résolutions qui cognent contre son squelette. Il aimerait des conseils, des mises en garde, des méthodes pour dompter sa Chimère, pour la faire taire. Pourtant il sait que ce serait une piètre tentative. Il n'est pas assez fort. Il ne le sera jamais. Mais ce qui l'angoisse le plus présentement, l'inquiétude qui lui happe le larynx au-delà de toute chose, est que Giovanni subisse à son tour les assauts de sa propre Créature, en usant malgré lui de son don.
« Je ne veux pas que tu la rencontres. J'ignore ce qu'elle pourrait te dire d'odieux, les insanités qu'elle te balancerait au visage selon son plaisir. Ce n'est pas sain. » Même si au fond, sa plus grande peur n'est peut-être pas de contaminer le damoiseau avec sa psychologie détraquée, mais que ce dernier puise à l'intérieur de lui, à son insu, les secrets les mieux gardés et les mieux enfouis de son inconscient.
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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27.08.16 16:18

On ne disait pas bien souvent à Giovanni qu'on comprenait sans que celui-ci pense qu'on tentait de lui faire avaler des couleuvres. Il s'était résigné à penser que les adultes mentaient comme ils respiraient. Il ne croyait qu'à la sincérité des enfants et à la beauté de leur candeur. Enoch lui évoquait un enfant-tantôt homme-tantôt femme. Il n'avait pas une identité propre qui le rendait rigidement enfermé dans un cadre. Le pantin appréciait cette idée qu'il ne s'appartenait qu'à lui-même sans qu'il en eut bien conscience. Le blond ne se serait pas dit malheureux ou défavorisé par la vie. Les choses ne se faisaient pas selon ce schéma de pensée factuel. Son existence était ponctuée de tristesse mais la joie venait toujours finir par faire surface. Il s'attardait sur la beauté du monde plutôt que sur ce qui constituait une nuisance. Malgré cela, il aurait du admettre, s'il avait tenté de se psychanalyser un peu, qu'il ne ressentait pas le besoin de socialiser outre mesure avec le monde actuel. Giovanni aimait sa bulle bien qu'elle le laissa sur le bord de la route de l'existence tel un chien au moment de l'été abandonné par des propriétaires indélicats.

Brave bête qu'il était pourtant, l'homme remuait toujours la queue au passage d'un nouvel humain qui lui semblait digne d'intérêt. Fidèle et enthousiaste, il savait donner cette affection qu'il ne recevait de personne. Il se laissa couler un peu plus dans le coussin se lovant dedans comme s'il câlinait une gigantesque bulle de coton.

" Un monstre peut être plus effrayant que des milliers s'il est vraiment très méchant." Ragaillardi il se redressa minaudant un combat imaginaire contre une bête pluricéphale quelconque. " Je vais lui botter les fesses moi s'il est méchant avec toi." Il avait un air de détermination touchante qui contrastait avec sa bonhomie mais on ne pouvait pas douter de sa sincérité. Il arrêta ses simagrées un court instant pour focaliser son regard dans celui d'Enoch. " Je n'ai pas peur des autres. On peut se battre contre les autres. J'ai peur de moi." Dans son esprit à lui, les autres n'étaient pas du tout responsables de la situation qui l'affectait. Né avec ce don qu'il n'avait pas choisi, il avait fini par s'en accommoder en se disant que ça devait lui avoir été destiné quelque part. Néanmoins malgré les années, il avait toujours peur de finir par blesser quelqu'un ou peut-être même pire le tuer. C'était pour cela qu'il avait bien peu de contact avec le monde extérieur excepté les enfants. Encore jeunes, ils n'ont pas assez connu les vicissitudes de la société pour en avoir créer des déviances. Il se pourfendit d'un sourire, parce qu'il ne savait faire que ça lorsque la situation lui semblait terriblement mélancolique. "Je ne connais pas beaucoup de gens alors je n'ai que peu de problèmes. La saloperie qui t'habite ne me connait pas encore si elle croit qu'elle pourra m'insulter sans que je me défende." Giovanni avait conscience de parler sans doute un peu à tort et à travers mais il voulait tellement rassurer Enoch et profiter de sa présence. La folie ne lui faisait pas aussi peur que l'abandon. Depuis de nombreuses années, le clown se sentait seul sans vouloir se l'admettre clairement. Une présence avait réchauffé un peu son coeur. Il avait envie de peindre son appartement de milliers de couleurs bariolées et de dessiner des arc-en-ciel pour célébrer cet avènement qu'il voyait comme une renaissance. " Je n'ai pas l'habitude que quelqu'un reste aussi longtemps avec moi ? Est-ce que tu ne vas pas trouver une excuse pour t'enfuir ? On a l'habitude de me dire que je suis étrange. Je ne sais pas bien pourquoi mais toujours est-il que je n'ai pas beaucoup d'amis voire personne à part Monsieur Flamand." Tout fier il sortit de derrière le canapé une peluche d'un mètre de haut qui représentait un flamand rose. Il la serra fort contre lui satisfait et pas dérangé par le regard d'une autre personne pour se livrer à ses bouffées d'affection incontrôlables.

Finalement, il se retourna vers Enoch. " Si tu promets de rester un peu avec moi, on repeindra tous les murs de l'appartement de toutes les couleurs. Ce sera super joli ! "
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Enoch Livingston

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Enoch Livingston
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21.09.16 21:31
Jusqu'à présent il avait eu peur pour lui, de la manière la plus égocentrique qui fût. Il avait eu peur de ne pas être assez fort, qu'Elle le cannibalisât à petit feu, peur de devenir fou à force de l'entendre le dénigrer nuit et jour, son timbre rauque et lacérant en écho dans le crâne, indéfiniment. Il enviait les autres de ne pas être contraints de l'écouter, de ne pas subir ces interminables assauts psychiques ; l'angoisse l'étreignait seul et ses craintes étaient toutes entières retournées vers lui. Et puis, voici qu'un dadet adorable lui faisait part de la probabilité qu'il endurât les même tourments pour que le fantôme se sentît bête – bête, faible et capricieux. En quelques mots, il était remis à sa place, pas méchamment, non, mais avec assez d'évidence pour qu'il se gardât de lâcher de nouveau la moindre plainte.
C'est ça, tais-toi, de toute manière ça ne m'aurait pas fait dégager plus autant. Je suis coincée pour un bon bout de temps si tu veux mon avis, alors ce n'est ni un passage en ronflette sur un divan de psychanalyste ni une séance d'atermoiements sur l'épaule d'un clown qui va y changer grand-chose. Cela dit, je suis curieuse de savoir comment il réagirait, le taré, si je m'invitais dans ses synapses, discrétos tu vois, l'air de rien... Ah, il serait sans doute moins chiant que toi, plus coloré, plus vivant ! Toi t'es tout moche et morbide, c'est à se demander ce qu'il te trouve, franchement. S'il veut de l'art, du Beau, il n'a qu'à me peindre moi, et non pas utiliser ses toiles pour un modèle aussi fade. Ça donne des croûtes, après. Tout juste bon pour se torcher. Nah, quel gâchis !
L'attaque aurait pu abrutir davantage le garçon si Giovanni, pétillant contre son coussin, ne venait de s'improviser chevalier bariolé pour voler à son secours – et pourfendre deux ou trois piafs invisibles traversant la pièce incognito. C'était si naïf, si spontané, si bienveillant qu'Enoch se surprit à sourire, juste avant de se reprendre aux nouvelles paroles du grand blond, les deux flaques de leur regard l'une dans l'autre.

Rien n'indiquait qu'on ne fût pas capable de se battre contre soi. Sans doute était-ce plus difficile, toutefois. Peut-être qu'en apparence, cela semblait insurmontable à beaucoup d'individus et, en effet, se combattre de l'intérieur est potentiellement la plus grande bataille que l'homme aura jamais à endurer ; qui peut se targuer d'en être sorti vainqueur ? Il est aisé de lutter contre autrui, par les mots, par les gestes, de déchirer l'obstacle à coups de traîtrise ou de machette, de l'égorger, de faire couler le sang et les larmes. Mais soi ? Est-ce qu'on a jamais peur de se blesser soi-même quand l'on sait que cela ne résoudra rien ? Si encore les résultats suivaient. Si l'on savait que pour chaque coup que l'on se donne, la Bête recule un peu plus. Mais non. Elle se camoufle, change de refuge, s'abrite et se niche plus profondément encore, elle enfle même à la manière d'une entorse, d'un trauma, sans lâcher prise. Teigneuse. Acharnée. Le fier flamand pouvait bien souligner qu'il ne connaissait pas assez de personnes pour souffrir de leurs névroses, il suffisait d'une seule, un seul esprit assez tordu pour que... Enoch secoua la tête. Il ne voulait pas penser à cela. Il ne voulait pas être celui contre lequel Giovanni se battrait, que ce fût pour le sauver de sa Chimère ou n'importe quoi d'autre.
« Je ne lui permettrai pas de t'insulter », affirma-t-il en guise de remerciement, même si c'était déjà trop tard. Il le taisait juste. Au moins ne l'avait-elle pas encore assailli en propre.
Quant à la suite du discours, l'Ancien hésita entre la flatterie et l'exploit. Sa présence était-elle vraiment agréable ou bien n'était-ce dû qu'à la comparaison d'avec d'autres fréquentations, plus sombres et moins encourageantes ? Le joyeux drille ne risquait-il pas de se fourvoyer sur l'âme du gamin, bien moins lumineuse qu'il n'y paraissait pour qui en découvrait les recoins silencieux ? Ce dernier ne méritait pas tant d'espoir, il le savait, pourtant la candeur du peintre l'émouvait sans qu'il ne pût se l'interdire. Après cinq jours à entendre un monstre médire en permanence sur lui, la moindre gentillesse lui transperçait le cœur avec force, presque brutalement, et lui donnait envie de s'incliner devant la créature qui lui aurait ne serait-ce que proposer un thé. De fait, il aurait dû s'incliner mille fois déjà. Mais comme il n'était pas doué pour cela, entre beaucoup d'autres choses, il décida de rester ; c'était là la marque de toute sa gratitude.
« Tu es étrange, oui. Je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose, pourtant, au contraire. Tu es certainement la personne la plus drôle et la plus sensible que j'ai rencontrée. » Oh, il espérait que son interlocuteur ne prît pas mal cette réflexion. Il s'était exprimé avec sincérité, cependant l'honnêteté est à double-tranchant et il s'avère qu'elle brise souvent les gens plus rapidement que n'en sont capables les mensonges. Dans le cas présent, Enoch ne pensait pas du tout à mal. Pour lui, l'étrangeté couplée à la sympathie était une qualité rare, trop rare d'ailleurs, et il était bien content d'avoir fait la connaissance d'un aussi resplendissant oiseau. Même si celui-ci lui avait repeint le visage version poupée de porcelaine. Et en parlant de repeindre... Comment refuser une telle invitation ?
« Si tu acceptes, je veux bien rester et t'aider à décorer ton appartement. Je suis nul en peinture, par contre, donc ce ne sera peut-être pas très beau. Même Monsieur Flamand tiendrait mieux un pinceau que moi ! »
Avec, au choix, une réponse affirmant que Monsieur Flamand était un oiseau et par conséquent qu'il lui était impossible de tenir un pinceau entre ses serres. Ou qu'il était une peluche, accessoirement, entraînant une conclusion similaire. Dans les deux cas, il en riait déjà.
Adieu tracas et terreurs, bonjour aplats et couleurs.
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« Rend moi spécial ! »
Giovanni Vermeer
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29.09.16 10:45
« C’est toujours dans ce en quoi on croit être nul qu’on est le plus surprenant » répondit-il avec son sourire énigmatique habituel. Il était difficile de savoir ce qui se tramait dans son esprit. Certains jours, c’était noir d’autres c’était multicolore et la plupart du temps les couleurs ne faisaient même pas partie du spectre des couleurs visibles par un être humain. Il réfléchit un court instant à la proposition que Monsieur Flamand aide à faire la peinture. « Tu ne connais pas M. Flamand toi. » Il se pencha pour murmurer mettant sa main devant sa bouche pour lui parler à l’oreille. « Il a essayé une fois mais il est complètement nul alors il a abandonné. En même temps, tu imagines bien que tenir un pinceau avec le bec, ce n’est pas facile. » Il se redressa l’air de rien prenant cette attitude de l’enfant qui vient de murmurer une bêtise à son copain mais qui tente de faire l’innocent. Giovanni ne connaissait pas l’hypocrisie, il en était bien incapable car il ne savait même pas mentir. Lorsqu’il tentait de se comporter comme un adulte, c’était l’enfant qui ressortait de manière criante comme s’il voulut le protéger.

Il fronça les sourcils apparemment pris dans une intense réflexion. Il se pencha vers Enoch le contemplant sous toutes les coutures. « Tu as beaucoup d’amis ? » demanda-t-il à brûle-pourpoint. La question ne se voulait pas vexante. En réalité, il n’avait pas réfléchi à comment la formuler pour que ça ne paraisse pas comme un jugement. Le clown ne réfléchissait pas particulièrement avant de parler comme Enoch avait sans doute pu le constater auparavant. Il se laissait complètement guidé par son instinct. « Je pense qu’avant d’aller acheter de la peinture, on devrait te trouver un M. Flamand. C’est trop bien parce qu’après il est toujours avec toi quand t’as besoin de lui. Pas comme les êtres humains. » Giovanni repensait à sa sœur et à sa mère. Sa mère qui n’avait jamais su être là pour lui et dont il avait été obligé de s’ostraciser pour abandonner enfin d’aller voir machin-psychologue ou truc-psychanaliste comme s’il était cassé. Sa sœur dont il avait décidé de s’éloigner car sa présence la rendait étrange, délirante et foncièrement différente de ce qu’elle était. Giovanni avait été trahi plus que de coutume car les membres même de sa famille s’étaient retrouvés loin de lui. L’homme avait trouvé son équilibre dans ce monde des rêves qui était le sien. « Après, je ne sais pas si tu es prêt, ça demande du temps de trouver un compagnon qui nous ressemble. Je ne sais pas encore du tout quel animal totem t’irait bien même si je suis en train d’y penser intensément. » Il prit un air concentré exagéré pour bien montrer qu’il réfléchissait avec toute la force de son petit cerveau fatigué et abîmé. « Tu voudrais une mésange ? Ou alors peut être un mignon petit chaton tout blanc ? Je ne sais pas c’est un choix véritablement difficile. Tu as un avis toi ? » Enoch devait se demander comment le fil conducteur de la conversation se faisait dans la tête de cet épouvantail qui semblait toujours pouvoir trouver une idée farfelue au milieu d’une conversation farfelue qui partait déjà de base d’une rencontre farfelue. « et évidemment quand tu auras choisi, c’est moi qui te l’offrirait. Ce sera un symbole. »
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