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Cessez-le-feu à l'aube de l'affrontement [PV Ruben E. Ashter] [Terminé]
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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05.09.15 22:59
Un œil nerveux suivit l’échange entre les deux complices improvisés au cours de la nuit. Le jeune hackeur savait qu’il devait garder la tête froide, tâche rendue difficile à cause de la migraine qui tambourinait par vagues irrégulières contre les récifs formant l’intérieur de sa boîte crânienne. A tout moment, il s’attendait à ce que le carrossier ne s’emporte, tirant les voisins des bras de Morphée, ameutant les foules dans le seul et unique but de nuire à leur petite entreprise. Il n’en fut rien. Un mot arracha Sulkan à sa torpeur, ravivant sa crainte d’une éventuelle descente aux Enfers : milice. Il leur avait échappé de justesse cette fois, ce n’était pas pour leur tomber bêtement dans les bras. Sa bouche s’ouvrit pour former un o, signe évident d’un début de contestation mais les regards dirigés vers lui firent refermer aussi sec ladite bouche.

« Connasse. Salope. Traîtresse. Profiteuse. »


La liste était longue et se repassait en boucle dans les recoins les plus sombres de son esprit, occupant en partie celui-ci pour l’empêcher de trop penser à la douleur. Le garçon n’en décolérait pas. Dire qu’elle avait carrément proposé à l’autre armoire à glace d’entre en contact avec la milice s’ils mettaient trop de temps ! Et sous son nez en plus ! Bon sang, il n’était pas encore une machine lui-même ! Pour qui elle se prenait d’estimer toute seule le temps que prendrait son petit trafic ? Il fallut tout de même l’écho d’une menace bien réelle, la concrétisation de la peur qui lui nouait les entrailles pour que le déclic se fasse enfin. Cessant subitement toute rumination intérieure à l’encontre de son acolyte de fortune, le jeune hackeur sentit très distinctement les battements de son cœur s’accélérer dans sa poitrine. Il battait la chamade, tant à cause de la peur que de l’effort soudain qu’avait occasionné le brusque changement d’allure. Et maintenant ? Ils étaient pris au piège, condamnés à une course folle entre les taudis de l’Entre deux, avec l’espoir vain d’échapper à leurs poursuivants, surtout avec la puce de l’Evolve. Et surtout… Si elle se faisait prendre, incapable de rentrer avant l’heure fixée avec Mace, le garçon pouvait dire adieu à sa propre liberté. Bonjour emmerdes, ça faisait longtemps tiens !

Le murmure de son interlocutrice faillit être masqué par la véritable fanfare qui se déroulait à l’intérieur de sa cage thoracique. Par chance, ce ne fut pas le cas et Sulkan lui jeta un regard en biais, lequel prit rapidement la direction de l’endroit qu’elle lui indiquait. Un passage illégal ? Devant le ronronnement du moteur qui se faisait de plus en plus proche, le jeune hackeur n’hésita qu’une seconde ou deux avant de lui emboîter le pas. La proximité du plafond et des murs autour d’eux accentuait un sentiment de claustrophobie, heureusement vite chassé de l’esprit respectif de chacun des fuyards. Tous deux connaissaient ce genre de lieux pour y avoir mis régulièrement les pieds. Les galeries marchandes souterraines étaient des lieux de passage en journée pour les habitants de l’Entre deux. A l’abri des regards, les petits commerces indépendants survivaient…et les trafiquants aussi. D’aussi loin que remontent ses souvenirs au sein de cette ville, le garçon ne se rappelait pas être passée par celle-ci, certainement trop éloignée de son studio. Il préférait ses jumelles, plus proches. Aussi laissa-t-il l’Evolve le guider une fois à l’intérieur. Cette dernière n’hésita pas une seule seconde et il crut bientôt voir le bout du tunnel, retrouver l’air frais bien que pollué, de l’extérieur.

Sauf qu’une exclamation retentit non loin d’eux, faisant piller net son guide du moment. Sulkan ne vit pas arriver l’arrêt de la jeune femme et lui rentra dedans, non sans jurer faiblement au passage. Son anglais à couper au couteau, enrobé d’accent russe ne passerait pas inaperçu dans le coin. Et ils désiraient tout sauf attirer l’attention sur leur petit couple dans un tel endroit. L’arrivée de l’inconnu acheva de l’irriter. Le garçon ne se cacha pas pour le détailler de la tête aux pieds, à grand renfort de coups d’œil sceptiques quant à la dégaine de leur interlocuteur. Ou plutôt celui de son guide puisqu’il s’adressa directement à elle, d’une manière trop familière pour empêcher le trafiquant de relâcher chacun de ses muscles, les uns après les autres. Il nota cependant le nom du type en question dans un coin de sa tête. Le genre d’informations qui pouvait lui servir dans un avenir plus ou moins proche dans les bas quartiers de l’Entre deux. En revanche, il apprécia un peu moins de voir l’intérêt que semblait lui porter le grand gaillard. Aussi méfiant qu’un chien errant, Sulkan était prêt à montrer les crocs, restant toutefois à bonne distance de l’étrange énergumène alors que l’Evolve constituait en une barrière humaine entre eux. Il ne s’était pas attendu à un tel compliment sur sa personne, si seulement on pouvait parler de compliment en l’occurrence…

« Euh… Merci… » lâcha-t-il du bout des lèvres alors que ses mains venaient machinalement rabattre la capuche du sweat sur la tignasse verdoyante qui ornait son crâne.

L’autre n’était peut-être pas totalement clean comme disent les gens d’en haut, mais il venait de souligner un point important : la couleur de ses cheveux risquait d’attirer encore plus les regards sur eux. En temps normal, ça ne le dérangeait pas, au contraire, il aimait être le centre de l’attention au sein d’une foule sans visage. Saut qu’il avait eu sa dose de rencontres douloureuses ou bien fortuites pour les prochains jours à venir. Pour l’heure, son cerveau le relançait sur sa mission première et ce qui en découlait de manière logique : conduire cette femme chez lui, modifier le bracelet et retrouver la paix. En théorie seulement. Laissant le soin à l’Evolve de mettre un terme à la conversation qui se profilait outrageusement – une chance que l’autre, Cody, comprit assez vite – le jeune hackeur la suivit sans plus tarder jusqu’au prochain croisement, adressant un vague signe de la tête à leur interlocuteur fugace. Arrivé à cet emmêlement du destin, ce nœud de possibilités qui pouvait les conduire droit à la mort – ou pire encore – ou vers une liberté précaire, Sulkan détailla les alentours avec attention. Son instinct lui commandait de retrouver l’air libre qui agitait silencieusement le bâtiment au-dessus de leurs têtes, cinglant de manière invisible l’immeuble pour finalement y laisser sa trace, des années plus tard. Mais sa confiance lui conseillait de demeurer dans les galeries souterraines. Dangereux si une patrouille décidait de pénétrer par l’une des nombreuses ouvertures reliant les points de vente entre eux. Sauf que le risque d’en rencontrer une sous terre était toujours moins élevé qu’en surface. A condition de savoir se repérer et d’aller vite.

« Où s’trouve l’hôpital ? » interrogea-t-il soudain à l’intention de la jeune femme.

Une fois qu’il eut la réponse, vaguement évoquée par un mouvement du menton dans la direction demandée, le garçon tenta de se représenter le plan de la surface au-dessus d’eux. Si l’imposant bâtiment blanc était vers le nord-est – couloir de droite – alors il ne restait plus qu’à prendre celui de gauche, sans tenir compte des deux autres restants, y compris celui par lequel ils étaient arrivés. Cette fois, Sulkan passa devant pour guider à son tour l’Evolve. Doucement, il retrouvait ses repères. L’enchaînement de dédales lui parut de plus en plus familier. Il marqua toutefois une brève pause au moment d’atteindre une sortie, afin de s’assurer que la voie était libre. Ils débouchèrent alors dans un quartier légèrement moins glauque et triste que la plupart de ceux de l’Entre deux. Une sorte de tampon constitué d’habitations diverses pour tempérer les bas quartiers, de ceux, plus riches, régulièrement visités par la milice pour s’assurer de l’ordre. Là-bas, nulle question d’arrestations en masse, le plus souvent transformées en interrogatoires injustifiés. Les patrouilles se révélaient être de simples banalités puisqu’aucun incident majeur n’était à déplorer depuis plusieurs années. A l’inverse de l’Entre deux, générateur de crapules aux yeux de la population.

« On y est presque. » lâcha simplement le garçon après quelques minutes de marche passées à raser les murs tout en tendant l’oreille pour guetter la prochaine patrouille.

Un quelconque dieu païen de la chance dut progresser à leurs côtés, puisqu’ils n’entendirent plus les crissements de pneus caractéristiques des véhicules de la milice. Ils étaient parvenus à leur échapper, une fois de plus ! Le destin s’était révélé cruel à plusieurs reprises mais n’avait pas toujours le dernier mot dans l’histoire. Sulkan dépassa plusieurs maisons avant de pénétrer dans une petite cour, laquelle donnait sur un ensemble d’habitations : des studios ou des appartements à première vue, serrés et entassés les uns sur les autres. Ils se répartissaient sur trois étages distincts en comprenant le rez-de-chaussée, et on accédait à l’étage suivant en empruntant un escalier qui se trouvait toujours sur la droite des portes. Un tel attroupement de logements n’avait qu’un seul but, visible par tous : l’économie de l’espace au détriment du confort des résidents. L’effet tampon dira-t-on. Les classes moyennes s’y entassaient en attendant de pouvoir acquérir meilleur bien immobilier et ce type de logement convenait à la majorité. Sans un mot, le jeune hackeur emprunta aussitôt l’escalier pour atteindre le premier étage. Il s’arrêta devant la seconde porte des cinq qui s’alignaient sur une même rangée, toutes identiques, ne laissant aucun indice quant à la nature du logement qui se trouvait derrière. Studio ou appartement ? Faites tournez la roue et obtenez votre gain ! Dans le cas du garçon, il s’agissait d’un studio. Petit, étriqué mais dont le seul luxe constituait en une salle de bain avec baignoire. Ce n’était pourtant pas ce qui avait décidé l’intéressé de venir s’enterrer ici…

« Touche à rien. Et-»

« Bon retour chez vous ! Souhaitez-vous mettre à jour l’application « décoration murale d’intérieur » ? De nouveaux modèles sont disponibles, venez vite les- »

« La ferme Ely. »

Bien qu’interrompue grossièrement dans son monologue habituel, l’IA ne se formalisa pas de l’impolitesse de l’occupant du studio. Son avatar trembla légèrement, déversant une lumière agressive dans la pièce et ce, malgré que l’unique ampoule du plafond venait d’être allumée, dévoilant l’intérieur de l’habitat d’un étudiant lambda, quelque peu à cheval sur l’hygiène : restes de plats à emporter – bien que moins nombreux qu’à l’accoutumée – vêtements sales roulés en boule dans un coin de l’unique pièce à vivre... Seuls les deux impressionnants écrans d’ordinateurs entourant une tour sur le bureau situé tout de suite sur la gauche, le long du mur une fois que l’on mettait un pied dans le studio, contrastaient avec le reste du décor. Le programme observa un temps d’arrêt, analysant les paroles du garçon dans le but d’y déceler une quelconque requête. Et comme d’ordinaire, aucun résultat concluant n’en ressortit.

« Je regrette, je n’ai pas compris votre demande. Souhaitez-vous- ? »

« Mise en veille. »

Cette fois, l’image se troubla. Les contours tremblèrent une dernière fois avant qu’il ne disparaisse complètement. Ce qui arracha un soupir à Sulkan. L’IA n’était pas méchante, elle n’avait pas d’amour propre ou de libre arbitre, et elle l’aidait au quotidien. Seulement, il n’était pas d’humeur à supporter son intelligence limitée et ses annonces répétées en boucle. Il se tourna alors vers l’Evolve. Son visage laissait voir sa fatigue mais le plus dur était derrière eux à présent. La suite ne résulterait qu’en une succession de manipulations qu’il avait d’ores et déjà effectuées une bonne centaine de fois depuis son arrivée dans la ville. La routine en quelques sortes.

« Le bracelet. »
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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08.09.15 17:07
Cet aparté inattendu n'avait pas réussi à la distraire de ses pensées moroses. En d'autres circonstances, la compagnie de Cody était d'une incomparable fraîcheur, l'homme étant adepte des impromptus et des gestuelles théâtrales ; par quelques mouvements du bassin, il était capable de vous étirer les zygomatiques jusqu'au bout de la nuit, et en échange d'un simple verre de kawa, sa drogue fétiche, il transformait la réalité en un champ des possibles. Oh, il avait déjà dû en découdre avec les miliciens, mais sa gouaille de bouffon des rues était toujours venue à bout des interrogatoires et on l'avait relâché avec un soupir d'affliction, sans savoir si sa bonhomie était une stratégie d'esquive ou un trait naturel inaltérable. La réaction de Tête verte attestait ce talent singulier, car ce n'aurait sûrement pas été Ruben qui lui aurait fait rabattre sa capuche sur sa tignasse en récoltant en prime un remerciement, ça non. Par ailleurs, elle n'avait même pas songé jusqu'à lors que cette couleur criarde pouvait alerter les mecs louches, et cette découverte la contraria. À elle seule, cette infime preuve de négligence servait de sonnette d'alarme sur les autres bévues qu'elle avait peut-être commises auparavant, quoiqu'elle refusa toutefois de céder aux sirènes de la paranoïa et ne changea pas son apparence d'un iota.
L'hôpital. Curieux repère pour quelqu'un qui, depuis les prémices de leur rencontre, freinait des quatre fers pour ne pas y mettre les pieds, considérant ce lieu comme l'antichambre du mal ou le boudoir des enfers. Elle-même n'y voyait rien de répugnant, au contraire ; là-bas croupissait depuis trop longtemps un enfant pour qui elle risquait son intégrité à cet instant, un cloaque qui l'attirait irrésistiblement mais dans lequel elle refusait de pénétrer avant d'avoir obtenu ce qu'elle désirait. De toute manière, aurait-elle voulu qu'on l'aurait refourguée à l'entrée par quelque gardien impavide, dont le doigt pointé signifiait qu'il n'y avait pas de place pour une Evolve aussi dangereuse dans leurs locaux. Elle soupçonnait – à raison – que la véritable explication concernait l'état de Warren, ou plutôt son statut d'Ancien couplé à celui de mutant incontrôlable, et se perdait en conjectures sur ce que les médecins lui avaient fait depuis qu'il s'était retrouvé enfermé là-bas. Ce qu'elle craignait le plus touchait sans doute au domaine des souvenirs, car l'adolescent s'était toujours montré atrocement sensible aux cratères de sa mémoire, aux cendres sous lesquelles couvaient encore de terribles images aux contours noircis. Alors lorsque Sulkan demanda la direction du bâtiment, Ruben la lui indiqua presque à l'instinct, au radar, d'un simple geste de la tête. Elle se fut cependant pas surprise de le voir prendre l'itinéraire inverse, ce qui confirmait sa répulsion à l'égard du blanc-siège des scientifiques.

Par la suite, elle lui emboîta la semelle, de plus en plus nerveuse à mesure qu'ils approchaient d'une sortie et qu'ils s'éloignaient de sa boutique. Et même s'ils finirent par déboucher dans une rue plus propre que les précédentes, plus accueillante aussi, où les rares personnes qui se rendaient à leur travail ne s'habillaient pas dans les friperies de l'Entre-deux, l'herboriste ne relâcha pas sa respiration. À chaque pas, elle se laissait peu à peu envahir par l'étrange impression de ne pas être à sa place, de rentrer dans une cité quasi-neuve qui la rejetterait à la première incartade, comme si elle constituait d'ores et déjà un bouc-émissaire tout trouvé pour les populations embourgeoisées du quartier. Puis deux ongles d'envie lui pincèrent le sternum lorsqu'elle découvrit que le hacker logeait dans un coin pareil – le crime ne paie pas, mais toujours mieux que l'honnêteté, visiblement. L'architecture lui rappelait vaguement la maison de ses parents, dans la périphérie éloignée, mais sans la tranquillité et les jardins soignés des classes plus aisées. Ce fut pleine d'appréhension qu'elle suivit son guide le long des façades, plongée dans l'atmosphère caligineuse de l'aube, à enregistrer chacun de leurs pas sur sa cartographie cérébrale ; si elle espérait ne pas s'égarer au retour, elle avait tout intérêt à reconnaître les angles et les trottoirs qu'ils foulaient avec tant d'impatience.
Enfin apparut le palais du trafiquant, un immeuble des plus basiques après un pâté de maisons identiques, qui était loin d'être aussi lugubre qu'elle ne se l'était imaginé. Attendons de voir l'intérieur. Cela paraissait aberrant que tant de familles puissent vivre aux côtés d'un délinquant, ce à quoi l'Evolve haussa les épaules intérieurement ; connaître les activités de son voisin de palier serait toujours accessoire à cette époque, voire carrément inutile. Un escalier, donc, premier étage, deuxième porte, un ordre qui résonnait comme un écho du sien au moment d'entrer et... Elle ne put s'empêcher de sursauter à cette voix surgi d'outre-ordinateur, se maudissant aussitôt de s'être fait surprendre ainsi. Les timbres des I.A. traversaient la ville comme des volontés propres, à l'intérieur des magasins, au seuil des gares, dans les queues devant les kiosques de cinéma, et une seule d'entre elles avait réussi à l'effrayer. Excuse en est qu'elle n'en téléchargerait jamais une pour sa boutique. Rien de tel que le silence, ce silence funeste de la fin du jour, aux accents morbides et reposants. Ely, sale pensée inhumaine.

L'ordinateur fit des siennes jusqu'à ce que son propriétaire ne l'envoie rejoindre les ombres, abandonnant l'invitée à la contemplation de ce spectacle qui ne l'émouvait en aucun cas. Pourtant, au fur et à mesure que son regard frôlait le mobilier, les arêtes des murs, le tracé de la lucarne qui servait de fenêtre, elle se mettait à la place du garçon quand il avait franchi la porte de Chloris. La veille, il s'était trouvé dans un état similaire, étranger et mal à l'aise, blessé de surcroît, sans savoir qu'il allait être enfermé une nuit entière dans la cave. Alors, bien qu'il n'y eut pas de sous-sol rattaché au studio, Ruben vit son angoisse augmenter d'un cran à l'idée que les rôles pouvaient maintenant s'inversaient, le schéma se reproduire et les rapports de force se subvertir. Ce n'était pas le moment de flancher. Elle avait l'ultimatum de Mace pour supporter l'attente, le cadre de l'immeuble pour assurer ses arrières, et son pouvoir. Son don, gardien malgré lui. Elle n'imaginait qu'un jour, elle s'en remettrait à lui pour se tirer d'une situation potentiellement dangereuse. Néanmoins, dans son état actuel, elle craignait qu'une nouvelle utilisation ne lui fût fatale ; combien de temps son organisme soutiendrait de telles conséquences sans soins adéquats ? Elle se sentait déjà trop faible pour tenir tête au Russe s'il décidait de s'opposer à elle, alors si elle se mettait à tenter le diable de cette façon, elle ne ferait pas long vent.
Elle hésita une seconde à lui confier le bracelet, sans trop savoir pourquoi. Sa main glissa dans sa poche, s'attarda sur le métal tiède de l'objet, puis en ressortit pour lui caler dans la paume avec fermeté. Désormais, elle s'en remettait à ses compétences.
« J'te pose l'tien ici », ajouta-t-elle en plaçant son homologue sur le plan de travail, proche des écrans de la console, avant de reculer en direction de la fenêtre. Là, elle jeta ses iris par-delà l'horizon tandis qu'elle ouvrait sa veste pour laisser respirer ses flancs, à regarder la trame bleutée du métro aérien, les reliefs des habitations en arrière-plan et les timides moutons de plantes entre deux rangées d'asphalte. Jusqu'à midi. C'est ce qu'elle avait dit. Mais à distinguer les lavis rosâtres du ciel, elle se demanda si elle n'avait pas vu trop large ; sept heures sonneraient tantôt au clocher des tours connectées, et le temps sembla soudain s'étirer en conséquence, démesurément lent.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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12.09.15 22:45
Le bracelet métallique, bien callé au creux de la paume de sa main droite, lui parut étonnement lourd. Comme s’il contenait toutes leurs mésaventures passées depuis ce fugace tête-à-tête entre les deux chiens errants qu’ils étaient réciproquement. Chassant ce ramassis de pensées inutiles selon lui, le garçon attribua simplement ce constat à la fatigue qu’il avait accumulée au cours des heures précédentes, dont certaines s’étaient écoulées plus longuement que d’autres. Bien qu’il se tournait déjà vers ses machines, offrant déjà une caresse à l’une d’elle pour que l’écran sorte brutalement de sa torpeur en redevant lumineux, Sulkan ne put s’empêcher de garder un œil sur son invitée improvisée. Non pas qu’il ait honte de quoique ce soit appartenant à son quotidien, disons simplement qu’il redoutait davantage qu’elle ne touche à quelque chose de fragile. Inconsciemment, le jeune hackeur s’était placé entre ses machines et l’Evolve, comme un bouclier humain volontaire envers ce qui représentait ses biens les plus précieux. Et il se détendit seulement lorsque l’inconnue mit de la distance entre eux, s’écartant des ordinateurs ronflant doucement pour s’approcher de la fenêtre. C’était le maximum que les quatre murs constituant son chez lui pouvaient autoriser, alors il allait devoir apprendre à s’en contenter pour le moment. Le garçon avait bien songé à la mettre à la porte sitôt qu’il eut récupéré les deux bracelets, le temps de modifier l’un d’entre eux mais il doutait que la jeune femme obtempère sans opposer la moindre résistance. Sulkan n’avait aucune envie d’ameuter ses voisins – les réveiller tout au plus – à cause d’une emmerdeuse bruyante. De plus il allait avoir besoin d’elle dans les prochaines minutes.

Sans perdre une seconde, le jeune hackeur s’attela à la tâche, pianotant sur le clavier tactile, comme d’autres apprennent à faire ronronner un moteur dès le plus jeune âge. Ces manipulations technologiques, il les connaissait sur le bout des doigts, il n’en était plus à sa première contrefaçon de bracelet électronique. Fort heureusement pour sa cliente du moment. Les fenêtres s’ouvraient et se refermaient, dévoilant parfois une liste apparemment sans fin de chiffres ou de lettres, même si parfois les deux se regroupaient en des combinaisons encore plus barbares d’un point de vue parfaitement inexpérimenté. Pour Sulkan, tout ceci avait un sens. Dire qu’il en avait presque oublié l’existence de l’Evolve dans son espace vital : ses yeux ne lâchaient plus l’écran lumineux devant lui, allant et venant au gré des mouvements sur celui-ci. Presque machinalement, il se redressa de sa chaise – sur laquelle il n’avait même pas le souvenir de s’être assis dessus – puis se pencha en avant, cherchant quelque chose du regard derrière les deux machines jumelles et toutes aussi imposantes l’une que l’autre. Une fois qu’il eut trouvé une sorte de câble dont l’utilisation demeurait obscure, il relia le bracelet à son ordinateur en une fraction de secondes, reprenant son pianotage informatique. De temps à autre, il jetait un regard en direction du bracelet, tantôt bref, tantôt insistant mais la vue de celui-ci en train de réagir à la connexion et à la tentative du jeune hackeur pour s’inviter à l’intérieur de son propre système, encore vierge de toute manipulation mensongère, Sulkan parut satisfait.

« Hé. Va falloir que tu m’dises c’que tu veux comme identité. Sinon j’t’en choisis une dans c’te liste. Alors ? »

Chose surprenante, le garçon s’était tourné vers l’Evolve, délaissant ses précieuses machines l’espace de quelques minutes, non de répit, mais bien pour que les affaires reprennent. Laissant le soin à la jeune femme de se rapprocher pour jeter un coup d’œil au fichier qu’il venait d’ouvrir d’une simple pression à un endroit précis sur son clavier ; on y distinguait une liste d’identités falsifiées, disponibles à la demande.

« Tout hackeur qui s’respecte possède sa propre base de données. J’peux même te modifier la photo si besoin. Me r’garde pas comme ça. Ça fonctionne toujours ainsi, estime toi heureuse que j’demande ton avis pour l’identité. D’ordinaire, j’vends mes bracelets d’jà modifiés sur demande. »

Alors pour résumer : délinquant, trafiquant, hackeur et un peu infographiste pendant ses heures creuses… Il n’avait rien oublié pour le qualifier ? Tandis qu’il attendait la réponse de son interlocutrice, Sulkan eut tout le loisir de la détailler à outrance. A cette distance et sous la lumière du néon de son plafond, il distinguait mieux les traces sombres qui s’étendaient ci et là sur la peau de l’Evolve. Même le vêtement à manches longues de cette dernière ne parvenait pas à masquer l’étendue des dégâts. Depuis quand ? Il n’avait jamais eu l’occasion de s’en rendre compte plus tôt. Etait-ce une conséquence de son pouvoir ? Ou bien une maladie étrangère au développement de son don ? Le garçon n’en savait fichtrement rien ! Il n’allait quand même pas se mettre à la plaindre, si ? Après le mal qu’elle s’était donné pour le faire capituler, pas question de céder au syndrome de Stockholm ! Pas alors qu’il était sur le point de conclure ce maudit contrat pour retrouver la paix… La voix de la jeune femme le tira de ses pensées et il releva malgré lui ses yeux en direction des siens. Elle lui communiquait sa réponse ? Pas trop tôt ! Sulkan n’eut pas besoin de plus pour se remettre au travail. Il ouvrit une nouvelle fenêtre et commença aussi à retranscrire les informations qui franchissaient successivement les lèvres de son interlocutrice, jurant simplement lorsque cette dernière se trompait, changeait d’avis ou allait trop vite pour lui. Elle le prenait pour un surhomme capable d’anticiper ses bourdes ou ses excès de vitesse flagrants dans son débit de paroles ou quoi ? Surtout que sa tête bourdonnait encore un peu, ce qui n’arrangeait pas les choses.

« La prochaine fois qu’t’as besoin des services d’un hackeur, t’évites de le droguer, pigé ? Tu serais gentille. »

Coder les données était plus long que le reste, cependant, le jeune hackeur ne perdait pas son calme, se contentant d’effectuer patiemment la moindre des opérations. Un débutant aurait mis deux fois plus de temps que lui et l’intéressé ne manqua pas l’occasion d’en faire la remarque à l’Evolve lorsque cette dernière observait un silence plus révélateur qu’autre chose sur le fond de ses pensées. Ni l’un, ni l’autre ne fit vraiment attention à l’heure, ni à la progression des rayons solaires au-dessus de la ligne d’horizon. Lorsque toutes les informations furent entrées dans la machine, le garçon enchaîna aussitôt en transférant le programme ainsi modifié dans le bracelet. Plusieurs longues minutes plus tard et celui-ci serait pleinement opérationnel. Alors seulement, le jeune hackeur s’autorisa un soupir, à mi-chemin entre le soulagement et la fatigue que l’on évacue en sachant que l’effort touche à sa fin. Il se rejeta en arrière, laissant son dos s’appuyer lourdement contre le dossier de la chaise, alors que son regard venait paresseusement se fixer sur le plafond. Plus qu’une minute ou deux, un bref échange sans la moindre formule de politesse et cette maudite créature sortirait de sa vie ! Elle était parvenue à lui faire passer l’envie de réitérer l’expérience pour les prochains jours, voire les semaines à venir ! Le moment de répit fut de courte durée : on frappa à la porte. Des coups secs mais qui ne permettaient pas de feindre l’ignorance puisqu’ils se répercutèrent dans tout le studio, y compris jusque dans la salle de bain ! Sulkan se raidit aussitôt, braquant son regard en direction de la porte, comme si l’espoir fou de voir à travers celle-ci s’était emparé de lui. Il n’attendait personne, refusant de recevoir à domicile. Par sécurité. Et tous ses clients étaient contactés par téléphone avant de fixer un point de rendez-vous qui conviendrait aux deux parties. Alors qui… ? Les iris chocolat se détachèrent à regret de la porte, laquelle vibra à nouveau sous les coups, pour balayer le visage de l’Evolve, reflétant la même inquiétude, ce reflux de nervosité propre aux illégaux qui se savaient dans le radar en permanence, avant de venir se poser brièvement sur le réveil blafard qui trônait à même le sol, aux pieds du lit. 9h passées, presque 10h. Etait-ce à prendre comme un indice ? A quelle heure la milice commençait ses rondes de service ?
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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13.09.15 18:32
Le temps lui échappait, irrépressiblement. Elle aurait beau s'y opposer, elle le savait, le retenir n'était plus en son pouvoir. Sa respiration pour tout décompte de seconde, les clapotis du clavier en guise de trotteuse, Ruben s'en remettait à sa patience pour attendre la fin du calvaire, et à la faible clarté des cieux pour évoquer l'espoir. Entre les deux, d'éternelles minutes passées le nez contre la vitre, à éviter soigneusement de croiser le regard du hacker, de lui poser la moindre question – et surtout celle qui fâche, c'est bientôt terminé ? Dans cette chambre saturée d'odeurs étrangères, elle se sentait à cran, à fleur de peau comme on dit, incapable de refouler sa nervosité qui se traduisait par un intempestif grignotage d'ongles. Par conséquent, elle dut réprimer un sursaut lorsque Sulkan lui adressa la parole, brisant un silence qu'elle avait redouté jusqu'à lors tout en l'appréciant. Dans le regard qu'elle posa sur lui, on lisait l'étonnement plus que la défiance, comme si elle le découvrait là pour la première fois ou, en un sens, qu'il s'exprimait en dialecte martien. Là, il lui posait une colle. Elle n'y avait pas vraiment réfléchi. Elle n'avait pas eu le temps d'y songer plus que cela, trop occupée qu'elle était à tenter de récupérer le bracelet en bon état et la promesse de savoir ses données complétées. Le fait que ce fût à elle d'en choisir les singularités l'acculait soudain contre son ignorance d'une bien désagréable manière. Mais puisqu'il ne semblait pas broncher outre-mesure, elle finit par se rapprocher afin de prendre connaissance de la dite liste.
Les cases disposées sur l'écran se ressemblaient toutes dans leur organisation ; du format des antiques cartes d'identité, elles contenaient chacune des numéros de matricule divers, des noms et des adresses actualisées en fonction de l'offre immobilière, quelques unes présentaient même des photos de quidam plus vrai que nature. Et bien qu'elle savait qu'il ne s'agissait que d'identités factices, créées à partir de rien et à destination de la fraude, elle ne put s'empêcher d'en ressentir un léger malaise. Une fabrique administrative d'humains. Une usine d'individus sociaux, dépourvus d'âme, dont l'unique vocation serait de servir les corps juridiquement acceptés de la ville. À côté, Tête verte lui expliquait les choses avec une nonchalance certaine ; à ses yeux, ce n'était rien d'autre qu'une banque de ressources, une réserve à profils dans laquelle il venait piocher au hasard. Mais pour elle, il n'en était rien. Il y avait, quelque part au milieu de ces possibles identitaires, le sésame qui dissimulerait Warren, qui le protégerait des patrouilles miliciennes, de la traque constante et des règlements de compte gratuits à la sortie des faubourgs. Avec une seule de ces vignettes, il pourrait choisir son avenir plus librement que jamais, sans l'entrave de ses gènes pour brider sa volonté. Alors elle ne pouvait pas le choisir à la légère. En même temps, elle ne possédait pas le recul nécessaire à la réflexion : le trafiquant souhaitait sa réponse de suite.

« Hum, d'accord. Mets Denzel Reeves pour le nom, alors. Statut, humain. Type O positif. Activité professionnelle... Attends. Il était... Coursier, j'crois. Oui, ça ira. À peine un mètre soixante-dix. Poids ? J'en sais rien. Maigre. Trop, sans doute. Même pas cinquante-cinq. Origines américaines. Célibataire. Régime familial... » Ses derniers mots moururent sur ses lèvres. Elle ne pouvait en dire plus sans compromettre le gamin, déjà qu'exposer tout cela à un quasi-parfait inconnu la dérangeait, elle ne voulait pas risquer en plus de dévoiler la particularité de l'Evolve. « Laisse vide. Et si tu trouves la photo d'un garçon blond, la vingtaine, iris bleu-vert, type caucasien, c'est bon. »
Elle se garda de rendre la pique qui s'ensuivit, à propos de la drogue, et se contenta d'un mince « Désolée », sans grande conviction. En fin de compte, c'est lui qui l'avait cherché en refusant d'honorer sa part du contrat et en faisant de la résistance inutile. D'autant qu'à présent, les effets devaient s'être estompés ; son cerveau ne devrait plus ressembler à un plat de manioc abandonné en plein soleil.
Rentrer les données dans le bracelet de façon à ne pas choquer le logiciel porteur et le mécanisme fut d'une lenteur atroce. Même si Sulkan lui affirma qu'il mettait deux fois moins de temps qu'un néophyte, Ruben voyait le temps s'écouler encore et encore, sans jamais voir la barre de chargement complètement remplie. Elle aurait secoué l'ordinateur pour qu'il s'active davantage, quoiqu'une telle réaction aurait plutôt eu l'effet inverse sur la vitesse du processus. Faute de quoi elle prit une nouvelle fois son mal en patience, retournant faire les cent pas dans l'espace exigu de la chambre. Heureusement pour le crâne de son complice, ce laps temporel ne s'éternisa pas et, quelques instants plus tard, l'attitude plus détendue de ce premier témoigna de sa réussite. Mais alors qu'elle s'apprêtait à récupérer ses affaires laborieusement méritées, des bruits contre la porte attisèrent leur attention. Le gamin faillit culbuter de sa chaise. Elle se pétrifia d'un coup, cherchant une raison à ce vacarme subit, avant de se rendre à l'évidence ; ni elle ni lui ne prévoyait cette visite surprise. Et aucune voix ne vint trahir le responsable de leur frayeur.

La décision de l'Evolve fut aussi vite que mal prise. Délestant la charge au propriétaire de l'appartement, elle fila se planquer dans la salle de bain, claqua la porte et, sans prendre le temps d'évaluer les lieux, se terra dans l'angle qui serait camouflé si quelqu'un avait l'idée saugrenue de rentrer. Une fois accroupie, le souffle vif qu'elle s'efforçait d'étouffer, elle se rappela que, il n'y a pas si longtemps de cela, une autre personne avait été dans sa situation. L'incident s'était bien terminé, en revanche, ce dont elle doutait désormais, dans son cas. S'il était question des Erasers, elle pouvait dire adieu au bracelet – elle se maudit de ne pas l'avoir attrapé dans sa précipitation – voire à sa liberté. Pas d'issue dans cette pièce, si ce n'était une ridicule lucarne barrée de fer, trop étroite pour qu'elle parvînt à s'y glisser malgré son tour de taille. Ne restait donc plus qu'à prier un bon coup pour que ce ne soit qu'une fausse alerte, un démarcheur ou un de ces sondeurs débiles qui mettent le pied à la porte pour s'inviter chez vous et ne pas demeurer sur le seuil. De là où elle se trouvait, elle entendait tout, et les coups portés ne tarissaient pas.

« Allez Sulkan, ouvre-moi, ch'ais qu't'es là ! Sulky, c'est Jeff, fais pas ta pute, laisse-moi entrer !! »
Bon point : ce n'était certes pas un milicien. Mauvais point : c'était presque pire. Quel était donc ce gaillard au timbre avinée ? Une connaissance du maître des lieux, probablement, car bientôt le fracas cessa et la voix sembla se rapprocher de deux pas, envahissant le cloaque.
« Ah, merci mec, t'es trop un pote. J'viens d'rentrer mais j'peux pas m'pointer chez moi comme ça, mes vieux vont m'refoutre dehors et faut trop qu'je pionce. Tu m'prêtes ton pieu ?  Promis, j'te dérange pas, fais comme si j'étais pas là ! Ah mais faut qu'je raconte quand même le 79's, cette nuit. Mais cette nuit, putain ! Tu d'vin'ras jamais, gars. Oh, 'tends, faut qu'j'aille pisser d'abord. »
L'herboriste se crispa de toutes ses vertèbres. L'horreur. Elle ne voulait pas voir ça. Non, elle ne voulait juste pas qu'on la voie, en vérité. Et s'il venait par là, il allait... Trop tard pour paniquer. La porte s'ouvrit à la volée, manquant de s'écraser contre elle ; ses bottes la protégèrent en contrant la pression, mais elle ravala une légère plainte à cause du choc. L'intrus se mit à siffloter en levant la lunette, puis son chant de perroquet fut couvert par les éclaboussures volontaires au fond de la cuvette. Instant de solitude interminable. Elle crut qu'il y passerait la journée. Que jamais il ne tirerait cette putain de chasse d'eau pour signifier l'achèvement de sa mission. Il en fit d'ailleurs la remarque tout en remontant sa braguette, alors qu'il revenait vers Tête verte. Trop déroutée pour respirer, Ruben avait arrêté de cligner des paupières.
« Bon sang, y'aurait d'quoi irriguer la Somalie ! J'en étais où ? Ah oui, la beuv'rie. Par où j'commence ? » Un couinement de douleur traversa l'appartement quand le dénommé Jeff s'affala sur le sommier. Il largua ses chausses au sol, croisa les bras sous sa nuque et entama son récit, souvent ponctué par d'obscènes bruitages censés animer son discours. « ...et là j'lui dis que... » Le poing qui claque dans la paume opposée. « ...Non, paske tu vois, c'te meuf... » Imitation de minauderie féminine. « ...tu perds, tu bois, alors j'ai fait exprès d'perdre... » Grondement de moteur incompréhensible au vu de la discussion. Qu'à cela ne tienne, la brunette avait déjà lâché le fil de la conversation. À sens unique, la conversation. Son attention fut cependant rapidement rattrapée à compter d'un certain mot. « …un Evolve qui tient pas l'alcool, j'te dis, c'est con. C'est con et c'est dang'reux en plus. Sérieux, t'es pas d'accord avec moi ? Ses bras s'étiraient n'importe comment, carrément dég', et il était trop torché pour les garder en place. Le videur l'a viré fissa. Crois-moi, si c'était moi, il y aurait même pas mis les pieds, dans c'te club. Et il s'plaignait en plus ! 'Tain ça m'énerve, ça, qui s'permettent des réflexions alors qu'on est déjà assez gentils d'pas les foutre dehors. Hein ? Hein, t'en penses quoi ?! »
Malgré elle, Ruben se mit à tendre l'oreille.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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13.09.15 21:05
Le mouvement dans son dos lui arracha une frayeur supplémentaire. Sulkan tourna la tête dans la direction de la jeune femme mais il eut tout juste le temps de voir la porte de la salle de bain se refermer sur l’Evolve. Ouvrir la bouche pour protester n’aurait servi à rien, si ce n’est à renseigner l’individu qui se trouvait de l’autre côté de la porte d’entrée, qu’effectivement, le propriétaire des lieux était présent. D’un autre côté, le son qu’avait produit l’inconnue dans sa fuite éperdue avait tôt fait d’effacer les doutes à ce sujet. Le nouveau venu devait savoir à présent que quelqu’un se trouvait dans le studio et refuser d’ouvrir la porte serait considéré comme un comportement des plus suspects. La paranoïa régnait en maîtresse absolue sur la ville. Le garçon jura silencieusement en serrant les dents, alors que les coups reprenaient. A aucun moment il n'avait compté sur l’aide que la présence de l’Evolve pouvait lui apporter. Mais l’idée d’avoir à essuyer un énième assaut de la part de Pete ne l’enthousiasmait pas des masses. Une voix familière retentit alors, exacerbée par le sobriquet dont le jeune hackeur fut affublé au passage. Jeff ? Il fit redémarrer ses neurones, fouillant quelques minutes dans sa mémoire pour tenter de remettre un visage sur le prénom en question. Et quand il y parvint enfin, ce ne fut pas du soulagement qu’il ressentit, plutôt… Une pincée d’agacement ? Le dénommé Jeff n’était qu’un bon pilier de bar qui se respecte, langue trop bien pendue pour ne pas en tirer profit mais envahissant et pénible. Sulkan ignorait comment le type avait obtenu son adresse mais de toute évidence, il ne pouvait plus aspirer à la tranquillité bien méritée à laquelle il avait songé un peu plus tôt en se laissant choir sur sa chaise. L’autre allait ameuter tout le quartier en un rien de temps s’il refusait de lui ouvrir !

Sans trop réfléchir sur le moment – à vrai dire, il demandait simplement à ce que ses voisins les plus proches soient sourds comme des pots – le jeune hackeur combla la distance qui le séparait de la porte d’entrée pour ouvrir. Jeff empestait l’alcool, une chance qu’il ne l’ait pas mauvais. Quoique ça, le garçon ne l’avait jamais expérimenté et ne demandait pas à le faire. Le peu de contrôle dont il avait bénéficié depuis leur arrivé chez lui, s’évapora aussitôt que le nouveau venu mit un pied dans le studio. Jeff ne s’arrêtait plus de parler, alignant les mots les uns derrière les autres et son malheureux interlocuteur comprenait mieux pourquoi l’autre s’était pointé ici. Ils étaient radicalement opposés, l’un avare en mots – insultes non comprises – tandis que l’autre enraillait sans que l’on puisse émettre la moindre objection le concernant. Sulkan se surprit à maudire cette soirée où il l’avait rencontré, dans l’un de ces bars dont il avait oublié le nom depuis. Le 79’s ? Le nom lui disait quelque chose, c’était peut-être ça en définitive. En fait, il s’en foutait royalement. Heureusement pour lui, Jeff était trop absorbé par sa reconnaissance noyée dans un flot incessant de paroles, pour réellement prêter attention à son nouvel environnement. Comme s’il se sentait chez lui partout où il mettait les pieds, y compris pour la première fois. En clair, un véritable sans-gêne aux allures de parasite humain. Le garçon se raidit malgré lui en réalisant que les bracelets se trouvaient toujours bien en évidence sur la table d’opération. Pire, que l’écran de l’ordinateur affichait toujours ses précédentes manipulations ! Dans sa hâte, il en avait oublié le plus important : discrétion et prudence. Un mot retint alors son attention dans le monologue de son interlocuteur indifférent à sa présence. Jeff prenait déjà la direction de la salle de bain quand les mots franchirent les lèvres du jeune hackeur :

« Non, attends ! »

Le ton, inhabituellement fort et ponctué d’une légère inquiétude, stoppa net le sans-gêne, lequel tournait vers Sulkan une expression intriguée, avec ses deux sourcils froncés qui se rejoignaient au-dessus de ses yeux. Songeant que son attitude pouvait alarmer son interlocuteur, le garçon réagit aussitôt. Il s’avança un peu, de sorte de masquer les ordinateurs et les bracelets réunis sur la table et se contenta d’un haussement d’épaules, suivi d’un vague geste de la main. Le tout fut pris pour une approbation et laissant le soin à Jeff de dégueulasser ses toilettes – car il doutait de plus en plus que l’autre soit encore capable de viser droit étant donné l’haleine qu’il avait inhalée plus tôt – le jeune hackeur ne se préoccupa plus de l’Evolve. S’attendant à tout moment à ce qu’un hurlement de surprise, accompagné ou non de jurons, ne vienne rompre le doux clapotis du jet d’urine, il ne perdit pas de temps à essayer de canaliser l’attention de Jeff. Ce besoin était une occasion en or. D’une caresse de son index droit, il bascula la machine principale en mode veille, écartant ainsi toute possibilité d’un regard curieux dans sa direction. De sa main libre, il se saisissait déjà des bracelets, hésitant une fraction de secondes, ce qui laissa le temps à sa main droite d’ouvrir l’un des tiroirs installés sous la table, pour y jeter les deux bracelets pêle-mêle. Il y avait peu de chances pour que Jeff ait l’ouïe aussi fine et ce, malgré le son assourdissant que firent les bracelets en s’écrasant au fond du tiroir, du moins de son point de vue. Un rien le rendait nerveux désormais. La voix de son invité surprise lui parvint juste après le bruit de la chasse d’eau et Sulkan le dévisagea, un peu mal à l’aise quand l’autre revint. Pourquoi ne faisait-il aucune allusion à la fille planquée dans la salle de bain ? Fronçant les sourcils à son tour, le garçon jeta un regard à la dérobée en direction de la porte, laissée ouverte pour le coup. Jamais elle n’aurait pu s’échapper par-là, à moins qu’elle n’ait le pouvoir de se rendre invisible ? Le jeune hackeur faillit lâcher un ricanement nerveux à cette idée, ce qui aurait pour toute conséquence de le faire passer pour dérangé aux yeux de Jeff.  D’ailleurs ce dernier ne se formalisait pas plus qu’avant de son hôte et prenait déjà ses aises.

A présent que le danger d’une possible mise au pied du mur semblait écartée, l’apnée n’était plus nécessaire. Sulkan se surprit à retrouver une respiration normale et l’afflux d’air dans ses poumons ne tarda pas à alimenter son cerveau. Le jeune hackeur ne daigna même pas écouter le récit de son invité envahissant, cherchant davantage une solution imparable pour le mettre dehors. Il se retint difficilement de lui faire remarquer qu’il ne savait même pas où se trouvait la Somalie… L’ennui avec Jeff, c’était qu’il était difficile à convaincre et refusait de se rendre compte de la gêne qu’il représentait à lui tout seul. A un moment donné, il fut même tenté de mettre les voiles, tout simplement. Après tout, Jeff allait pioncer comme une masse si personne ne se trouvait dans les parages pour écouter ses péripéties d’aventurier des temps modernes – un alcoolique en somme – et une fois sa promenade matinale contrainte terminée, le garçon n’aurait aucun mal à lui mentir ouvertement sur l’heure avant de le dégager de son lit. Vraiment, l’idée était tentante mais lui-même venait de passer une nuit blanche des plus éprouvantes, tant physiquement que psychologiquement et son corps hurlait pour s’allonger sur le lit en question. Désormais occupé bien malgré lui. Cette fois, ce fut l’intonation dans la voix de Jeff qui le tira de ses pensées. Il s’était fait plus agité dans son discours, le choix des mots en témoignait. Et surtout, l’élévation du timbre en fin de phrase indiquait une question. Rhétorique ou non, Sulkan n’en savait rien, jusqu’au moment où ses yeux croisèrent ceux de son interlocuteur. Son attention récupérée, il avait entendu de quoi il s’agissait mais Jeff le prenait par surprise en quémandant son propre avis sur la question, simplement dans le but de venir appuyer ses dires.

« Euh… Ouais… »

La réponse en elle-même ne parut pas satisfaire l’autre, du moins, selon ce que renvoyait son expression à ce moment précis, avant même qu’il n’ouvre la bouche pour protester avec force :

« Ouais ? C’est tout ? Tu t’fous de moi ?! Tu vas me dire que tous ces putains d’monstres ont leur place chez nous ? Mec t’es pas sérieux ! L’Amérique a pas besoin d’ça ! »

Dans le fond, Sulkan partageait plus que quiconque cet avis. En d’autres circonstances, il aurait même surenchéri aux accusations de Jeff, ajoutant sa propre collection de faits monstrueux que l’on attribuait, - à plus ou moins juste titre – aux Evolves. Oui sauf que les images des différents événements de cette longue nuit lui repassaient devant les yeux. Derrière la méfiance réciproque, cette fille avait tenu à s’occuper de ses blessures. Après l’avoir drogué contre son gré, elle avait renouvelé l’expérience. Soit elle aimait les chairs meurtries, soit elle avait un bon fond malgré leurs différends. Alors pour le coup, le garçon se trouvait démuni. Il était las, doublement las, n’ayant pas l’envie de trancher entre le fait de venir conforter Jeff dans ses affirmations racistes ou au contraire, d’enrayer sur autre chose pour l’enjoindre à libérer son pieu comme disait l’autre.

« Jeff… » commença-t-il alors, sans trop de convictions dans la voix. « Franchement je… »

« Quoi ? En plus on paye pour tous ces connards ! Où vont nos impôts à ton avis ? Dans les caisses des labos pardi ! Ha s’ils pouvaient tous les enfermer putain ! »

« Tu vas la fermer oui ou merde ?! » explosa soudain le jeune hackeur.

Un silence de mort s’abattit subitement au sein du petit studio tandis que Jeff braquait deux yeux ronds comme des billes sur la personne de son interlocuteur. L’irritation avait grimpé d’un coup, se couplant à l’agacement qu’il avait ressenti en voyant débarquer l’autre ainsi. La stupéfaction se lisait sur le visage de Jeff et le garçon savait qu’il devait saisir sa chance. Maintenant ou jamais. Avant que l’incroyable machine à débiter des mots ne se remette en marche. Une idée. Vite.

« T’as rien remarqué dans la salle de bain ? Me r’garde pas avec cette tête de demeuré. J’veux parler de la gonzesse qui s’y planque. »

Incapable d’aligner deux mots à présent, les lèvres de Jeff s’animèrent dans tous les sens, sans qu’un seul son ne les franchisse. Son regard ahuri allait de Sulkan à la pièce qu’il avait précédemment investie, avant de revenir sur le propriétaire des lieux. Assuré d’avoir son attention pendant les prochaines minutes qui s’écouleraient, le garçon s’autorisa un sourire de vainqueur. Insolent et horripilant à la fois. Ce dont Jeff ne s’indigna même pas. La lumière se fit doucement dans son esprit, à en juger par la lueur familière que le jeune hackeur avait déjà cru apercevoir au fond de ses yeux.

« T’as tout compris mec. »

A moitié dans un état second en raison de son coup de bluff, le garçon traversa la pièce pour se diriger vers la salle de bain. Il ne mit pas bien longtemps avant de dénicher la cause de son déplacement et il tira la jeune femme de sa cachette, un peu de manière forcée il fallait le reconnaître. Espérant que ça ne se verrait pas trop, Sulkan ne se risqua pas à s’avancer plus loin dans la pièce principale et osa lâcher le poignet de l’Evolve pour passer son bras autour de la taille de l’intéressée. Cette fois, il lut dans le regard de Jeff, toute la compréhension que cette succession d’indices gros comme un nez au milieu d’une figure lui avait enfin permis.

« Naaan… T’as pécho une jolie brunette ! » ne put-il s’empêcher de commenter en se redressant dans le lit.

Assez fier de lui pour le coup, le jeune hackeur surfa sur la réussite de son pari risqué.

« Tu l’as dit bouffi ! Alors si tu pouvais… »

Malgré son intention de désigner la porte d’entrée d’un mouvement du menton, Sulkan n’en eut pas le temps. Jeff s’était imaginé bien d’autres projets les concernant tous les trois et il ne perdit pas une seconde pour les mettre au jus :

« On s’fait un plan à trois ? »

Sauf qu’il ne prenait pas de gants pour traduire le bas fond de ses pensées les plus obscènes en ce qui concernaient ses besoins primaires de mâle toujours en manque de femelle à combler sexuellement parlant. Passée la stupeur de s’entendre proposer une chose pareil, le garçon perdit brusquement patience. Lâchant la taille de sa conquête improvisée, il contourna le lit pour attraper les chaussures de Jeff. Les interrogations de ce dernier lui parvinrent vaguement et il n’y prêta pas attention. Son unique objectif résidait en la porte d’entrée, laquelle ne tarda pas à s’ouvrir à la volée, permettant aux chaussures de retrouver leur liberté en allant s’écraser quelques mètres plus bas, au-rez-de-chaussée.

« DEHORS ! » beugla le jeune hackeur, avec l’expression de celui qui était prêt à commettre un meurtre.

Les protestations de Jeff, ainsi que ses insultes se multiplièrent, plus ou moins fort à mesure que leur expéditeur se déplaçait pour aller récupérer ses chaussures, ce à quoi Sulkan répondit en l’abreuvant d’insultes en russe. Pour le coup, il était certain d’avoir réveillé ses voisins mais avec l’aube éteinte depuis plus de deux heures, il s’en fichait bien. Tant pis pour les amateurs de grasse matinée, ils allaient devoir retenter leur chance demain !
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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13.09.15 23:53
Il n'en pensait rien. L'unique élément qui venait de pourfendre son esprit, c'était le désintérêt, un désintérêt tellement profond qu'il ne savait pas quoi répondre en dehors de ce demi-mot bourré de ouate, et grâce auquel elle pouvait quasiment imaginer la tête du hacker. Il n'en avait rien à foutre. Cela dit, cette réaction la surprenait bien qu'elle en comprît les principaux ressorts ; il était blessé sous son sweat, affamé peut-être, épuisé sans doute. La cécité de Jeff sur l'état de son pote en disait long sur la véritable relation qu'ils entretenaient, à savoir qu'il n'existait pas grand-chose d'amical entre eux. Ils devaient même ignorer le nom de famille de l'autre, et ne pas y accorder davantage d'importance. Retranché dans son bastion carrelé, Ruben appréhendait les péripéties qui s'en suivraient. Le nouveau-venu ne lui apparaissait pas comme un homme de raison, ou tout du moins en cet instant précis et, sans être capable de l'expliquer, elle craignait qu'il ne prît mal le refus de coopérer de la part de Sulkan. Ce genre de garçon, quoique ce genre d'alcool irait mieux en l'occurrence, n'accepte guère les discussions qui n'abondent pas dans leur sens avec une véhémence similaire. Être en désaccord est chose risquée. Mais être d'accord sans conviction est chose hautement plus dangereuse. La preuve en arriva bien vite, arrachant un soupir navré au monstre malgré elle. Un de plus. Toutefois, cela lui était égal. Tête verte décidait seul de ses fréquentations, et lui-même aurait partagé cette opinion s'il avait été en mesure de réfléchir sur autre chose que l'épaisseur d'un édredon en plumes d'oie. L'Amérique n'avait pas plus besoin des Evolves que d'un Russe expatrié, trafiquant de bracelets et criminel sous le manteau. Un détail que semblait méconnaître l'ivrogne de passage.
La soudaine rage de son hôte lui fit relever la tête. Allait-il enfin botter le cul de l'impudent et le mettre à la porte ? Un dénouement que l'herboriste attendait sans se l'avouer, tant elle sentait ses articulations s'ankylosaient dans son inconfortable position ; tant que l'autre demeurait dans la pièce d'à côté, il lui était défendu de sortir et des relents de claustrophobie l'envahissaient peu à peu. Comment avait-elle pu enfermer ce gamin dans le noir de sa cave, le sang plein de nœuds soporifiques ? Comment avait-elle pu l'empoisonner autrement que par son don afin de le conserver dans les ténèbres ? En cet instant, elle captait toute l'infamie de son attitude qui, auparavant, lui apparaissait nécessaire à défaut d'être réellement juste. Sauf que là, dans cette relative lumière, dépourvue d'entraves et cependant prisonnière à son tour, elle comprenait son erreur. Et cela l'écœura tant qu'elle aurait enfoui son visage contre ses genoux si... S'il n'avait pas vendu la mèche. Aussitôt, la panique s'ajouta à l'amertume, remonta sa trachée pour lui laisser le myocarde au bord des lèvres. Il l'avait dit. Avait trahi sa cachette. Dans quelle intention, elle l'ignorait. Elle ne voyait que l'insécurité dans laquelle cet aveu la plongeait tout à coup, sans bouée de sauvetage, sans harnais. Les pires scénarios affluèrent dans son crâne à la manière d'une houle glaciale.

Si Jeff avait compris, tel n'était pas le cas de l'Evolve, étrangère à la scène qui se jouait pourtant à deux pas d'elle. Elle avait beau sentir un éclat victorieux dans l'annonce du Russe, ce n'était pas pour la rassurer, bien au contraire, et son instinct la poussa à résister lorsqu'il fit irruption dans la salle de bain pour la tirer de sa cachette. D'un geste brusque et cependant calculé, il l'afficha ensuite à ses côtés devant un Jeff déconcerté, qui ne sembla pas faire le rapprochement entre ses précédents exploits urinaires et la présence de cette créature dans la pièce d'eau. Ou du moins, s'il le fit, il n'en laissa rien paraître, trop éméché certainement pour se rappeler ce genre de détails gênants. Quant à la brunette, après avoir été traitée de pestiférée, de sangsue et de brebis galeuse, s'éleva au stade peu enviable de pièce de viande tout à fait baisable. Elle aurait peut-être dû se sentir flattée. Néanmoins, elle était trop occupée à rabattre sur son ventre les plis de sa veste afin de dissimuler les traces de sang qui maculaient son vêtement, pour recevoir le compliment à sa médiocre valeur. Ainsi, ce qui serait sans doute pris pour de la timidité, de l'embarras effarouché, lui profitait. Par ailleurs, la pression du bras de Sulkan autour de sa taille lui faisait mal, car il appuyait par mégarde sur les ecchymoses, mais elle se retint de lui en faire la remarque pour laisser à l'intrus le bénéfice du doute. En soi, elle savait que le contact se voulait crédible. Que l'intention n'était pas malveillante, et même plutôt généreuse. Qu'il avait une idée derrière la tête, pour laquelle il lui fallait passer derrière son dos. Et parce qu'elle se rangeait dans son astuce, pour la première fois depuis leur rencontre, elle lui abandonna sa méfiance, de façon délibérée et entière, sans réclamer d'explication. Il savait ce qu'il faisait. En échange, elle lui fit pleinement confiance.
La ruse fonctionna. À merveille, de surcroît. Plus le panneau était vaste, et plus Jeff était prompt à tomber dedans, ne reculant devant rien pour réclamer sa part du gâteau. Un gâteau que Sulkan n'était visiblement pas prêt de partager, au vu de sa brutale réaction. Excédé par l'insistance de l'abruti de service, il n'y alla pas de main morte pour se débarrasser de ses godasses sous l'œil stupéfait de leur propriétaire. Libérée de son étreinte factice, l'herboriste assista à la péripétie en tentant au maximum de cacher son amusement. La peur, les remords, l'affliction s'élimaient devant ce sketch d'un autre temps, devant l'air ahuri de Jeff et la détermination de Tête verte, devant la surprise qui éclaboussa ce premier en admirant ses chaussures valdinguer par-dessus la rambarde du palier. Même les insultes qu'ils s'échangèrent, alors qu'il y avait encore peu elle grimaçait à leur écoute, sonnaient avec drôlerie à ses oreilles. Combat d'coqs, songea-t-elle en s'écartant au fond de la pièce. Ou de coquelets, en vérité. Après tout, ce n'était pas avec leur vingtaine à peine entamée qu'ils avaient de quoi jouer dans l'arène des grands.

« Eh ben... » lâcha-t-elle finalement une fois que la porte d'entrée eut retenti dans un ultime éclat de voix. « J'aurais jamais cru. » Jamais cru quoi ? Beaucoup d'événements. Qu'il pût vociférer de cette manière sur une autre personne qu'elle. Qu'il se montrât aussi familier avec elle, même dans un contexte de ce type, alors qu'elle le répugnait par son statut de mutante et d'ex-geôlière. Qu'il ne répondît pas à l'entêtement du parasite au sujet des Evolves malgré ses avis tranchés sur la question.  Que s'était-il passé exactement pour expliquer ce comportement ? À quoi pouvait-elle le supputer pour y donner du sens, un sens qui ne fût pas dirigé par une étrange et stupéfiante sympathie ? Oh, ce n'était pas ce qui manquait, des raisons. Des raisons rationnelles. Mais n'empêche, elle y décelait plus qu'un élan artificiel, créé par les besoins des circonstances. Or, dès qu'elle prit conscience de cette pensée, elle regretta de l'avoir autorisée à s'installer dans son esprit, de hanter sa rétine en brouillant la réalité.
« T'aurais pu lui qu'j'étais une Evolve. Il se s'rait p'tet barré d'lui-même et tu l'aurais plus jamais r'vu. » La haine, premier facteur de séparation. Elle lâcha un imperceptible soupir avant de scruter son hôte une nouvelle fois. Il était plus petit qu'elle. Elle n'y avait pas attaché d'importance jusqu'à présent, et n'en attacherait pas à l'avenir ; c'était un constat comme un autre. Derrière la porte, Jeff s'époumona encore quelques secondes, puis renonça en la sachant définitivement close. Adieu les recoins chauds pour mieux décuver. Adieu les empoignades moites du petit jour. Adieu les gâteries en guise de petit-déjeuner. Il s'en remettrait, tôt ou tard. Venant croiser ses bras contre sa poitrine, Ruben se dirigea vers les ordinateurs où elle escomptait récupérer – enfin – son bien, mais s'immobilisa face au hacker. Une broutille la taraudait.
« Pourquoi t'as rien dit quand il t'a d'mandé ton avis ? Tu m'détestes, et l'fait qu'j'sois un mutant te donnait l'droit de m'blâmer encore plus. J't'ai frappé, drogué, attaché, enfermé. Forcé à m'obéir. Je... » Non, cocotte, ne fais pas un pas de plus sur un terrain aussi pentu. C'est juste un vendeur, un trafiquant de pacotille avec qui tu as un contrat, rien d'autre. Tout ça, tu l'as fait parce qu'il fallait le faire. Pas de regrets. Pas de scrupule. C'est le deal. Lui n'en a eu aucun, pourquoi t'en aurais, toi ? Ah oui, les règles ont changé. C'est ton dernier mot ? Tant pis pour toi. C'est ça, incline-toi devant lui, mais ne viens pas me chercher ensuite en sanglotant parce qu'il t'aura encore poignardé dans le dos. Ce gars est un délinquant. On ne peut pas compter sur eux. Jamais. Tu t'en mordras les doigts, gamine. « … Le bracelet. Tu veux quoi en échange ? J'crois qu'j'ai des comptes à rendre envers toi, plus que l'inverse. » Et c'était douloureux de l'admettre.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
wanted



14.09.15 19:34
La tension aurait pu monter d’un cran entre eux et qu’ils en arrivent aux mains pour se faire comprendre l’un de l’autre. Sans le vouloir, le jeune hackeur avait trouvé la parade parfaite pour éviter que les choses ne s’aggravent encore plus : les chaussures. Jeff était ce qu’il était mais savoir ses chausses loin de lui, pire, la perspective qu’on les lui vole pour alimenter quelque petit trafic aussi précaire qu’illégal, l’obligeant ainsi à rentrer chez ses parents, en chaussettes sales, le motiva suffisamment pour abandonner le lit, tout confort compris. A peine eut-il les deux pieds dehors, que la porte d’entrée claquait une nouvelle fois, avant d’être fermement verrouillée, sans que Sulkan n’ait la moindre intention de la rouvrir de sitôt. Lui-même n’arrivait toujours pas à croire qu’en si peu de temps, il avait été contraint d’ouvrir à cet énergumène, avant de se faire passer pour le mec d’une Evolve – dont le véritable statut n’était connu que de lui seul parmi les deux individus de sexe masculin présents dans la pièce à cet instant – pour finalement parvenir à mettre Jeff à la porte. Jeff quoi ! Le pot-de-colle par excellence ! Le culot avait payé mais il ne faisait aucun doute que le garçon allait dès à présent se chercher un autre toit. Pas question de revoir l’autre tronche d’abruti et… La voix de la jeune femme retentit derrière lui et Sulkan lui jeta un regard irrité.

« Qu’est-c’que tu marmonnes encore ? » demanda-t-il, excédé d’avoir à jouer aux devinettes avec elle.

Qu’on se le dise, cette fille était clairement une énigme pour lui. Elle avait le don – ou la malédiction – de tuer les gens par sa simple volonté et au lieu de ça, elle les sauvait ? Ça n’avait aucun sens pour lui. L’altruisme n’avait jamais payé, sinon ça se saurait depuis le temps… Bouddha et Gandhi lui avaient dédié leurs vies entières et pour quoi ? Finir en zombie éveillé ou en martyr ? Sans façon. En croisant le regard de son interlocutrice, le jeune hackeur comprit où elle voulait en venir : tout ça, l’équivalent d’une sympathique scène de ménage entre deux connaissances, à défaut d’être amants ou seulement des amis. Un soupir lui échappa en guise de première réponse.

« Me fallait un prétexte pour qu’il jarte et t’étais là. C’tout. »

Qu’est-ce qu’elle allait s’imaginer hein ? Tordue en plus d’être naïve ? Il en avait déjà fait les frais et préférait ne pas renouveler l’expérience. Sauf que la faille de son explication n’échappa pas à la principale concernée, qui ne se fit pas prier pour mettre le doigt dessus. Effectivement, afficher la vérité au grand jour aurait pu décider Jeff à mettre les voiles plus tôt que prévu. Seulement…

« T’étais prête à prendre l’risque qu’il te saute dessus ? A moins qu’tu sois sourde ? Nan, il aime pas les Evolves et torché comme il était, il t’aurait simplement sautée. La pire humiliation d’son point d’vue. Et en prime, il aurait filmé. T’veux devenir une star de la toile ? Ça peut encore s’arranger t’sais ? »

Le sourire mauvais qui accompagna ces propos eut de quoi tuer dans l’œuf tout élan de sympathique à son encontre mais il en ignorait l’existence. Son expression redevint plus neutre tandis qu’il reprenait avec un détachement voulu :

« J’avais pas envie qu’il squatte mon pieu, rien d’plus. »

Lui, un chevalier servant ? Ce qu’il ne fallait pas croire… Pourtant, à cet instant précis, Sulkan eut l’horripilante sensation qu’il dégageait un peu cette image. Après tout, ça ne lui coûtait absolument rien de laisser Jeff se venger d’elle pour lui, avant qu’elle ne se traîne dehors, humiliée au possible, tandis qu’il conserverait les deux bracelets. Gagnant sur presque toute la ligne. Mais nan. Il ne savait pas pourquoi il n’avait pas agi de la sorte. Une vidéo postée sur le net lui aurait rapporté un peu plus d’argent, certainement de quoi mettre du beurre dans ses épinards s’il n’en avait pas déjà grâce à ses activités illégales… Alors quoi putain ?! De nouveau, l’irritation s’empara de lui. Et la question de l’Evolve n’arrangea rien à l’affaire. Quand elle se mit à énumérer toutes ces actions, le jeune hackeur tourna lentement la tête dans la direction de son interlocutrice. Vu sous cet angle, elle lui faisait regretter encore plus d’avoir eu cet élan de pitié, à défaut de n’avoir servi ses seuls intérêts pour une fois. Le garçon prit le temps de la réflexion, histoire d’être moins amer que d’ordinaire, ce qui laissa largement le temps à la brunette de reprendre le fil de ses pensées par voie orale. Le bracelet ? L’espace d’une fraction de secondes, Sulkan ne sut plus de quoi elle parlait. Pour l’annonce d’un paiement légitime lui remit les idées en place, les situant dans leur contexte d’origine. Oui le bracelet. Au prix bradé par la force.

« Sérieux ? »

Sa voix trahissait sa sincère surprise. Il ne s’attendait pas vraiment à ce qu’elle s’excuse à demi-mots, sans oublier de mentionner sa récompense. Oui il avait été question de payer ses services mais après sa liberté retrouvée, le jeune hackeur ne pouvait pas espérer mieux sur le moment. Rien qu’à l’idée de passer une minute de plus dans cette cave plongée dans les ténèbres… Il avait eu tout le temps de se demander quel était le pire entre cette prison d’ombres et les murs matelassés d’une cellule d’hôpital psychiatrique. Sulkan croisa les bras, détaillant l’Evolve, comme s’il cherchait à dénicher le piège qui se cachait derrière cette soudaine soumission. Pas désagréable. Mais louche.

« Ouais, j’ai horreur des Evolves. Ce sont des monstres qu’il faudrait enfermer. Et pas attendre qu’ils pètent un câble en tuant des gens normaux. T’as fait qu’aggraver ton cas tout au long de c’te nuit. J’savais que ta tête était mise à prix par la milice et j’ai encore l’temps d’te balancer. »

Voilà qui était dit, le plus honnêtement du monde. C’était l’un des avantages – et le seul sans doute – à converser avec quelqu’un qui n’avait pas sa langue dans sa poche la plupart du temps, toujours pour ainsi dire. Alors pourquoi ne pas l’avoir fait dans ce cas ? La réponse n’arrivait pas à franchir ses lèvres, pas telle qu’il l’aurait désirée.

« Mais tu t’es occupée d’mon dos, alors que rien t’y obligeais. C’était pas dans l’contrat, ça l’a jamais été. Alors j’suppose qu’on est quittes. Puis t’oublie qu’t’causes à un trafiquant ? Ces types-là ont encore moins d’valeur qu’un Evolve. »

Son sourire se fit grimaçant, comme s’il peinait à reconnaître l’amère vérité. Ce n’était nullement pour qu’elle se mette à le plaindre, le jeune hackeur avait choisi d’être ce qu’il était aujourd’hui. Si erreurs de parcours il y avait eu, elles étaient désormais derrière lui. Aucun regard en arrière possible.

« Vous, on vous dissèque, on vous étudie, ça sert la science toussa. Pour nous, une balle suffit. Alors viens pas m’dire qu’tu culpabilises d’avoir malmené un illégal dans son domaine qu’est la négociation. Ça fait partie du jeu. »

La fatigue lui faisait vraiment dire n’importe quoi. S’il avait pu, il serait revenu sur ces paroles, tournant sept fois sa langue dans sa bouche avant de s’exprimer ou carrément, ce serait coupé la langue pour être certain de ne pas dire des conneries plus grosses que lui. Elle allait vraiment le prendre en pitié, non pas par rapport au discours qu’il tenait, mais plutôt en raison de sa volonté de susciter la pitié alors qu’ils savaient tous les deux que sa situation n’était pas si atroce qu’il le laissait entendre. La vie de l’Entre deux était dure, qu’importe son statut de hackeur renommé ou bien de petit trafiquant à la sauvette. Et ce n’était pas une Evolve qui cumulait sur ce point, qui allait lui affirmer le contraire, ça non. Elle avait d’autant plus de raisons que lui de se plaindre de sa propre condition. Sulkan fit claquer sa langue, de dépit avant de lâcher :

« Crache c’que tu m’dois que j’te file le bracelet. Puis barre-toi. » annonça-t-il sans formule particulière tandis qu’il s’approchait du tiroir, tirant celui-ci vers lui pour attraper le bracelet, avant de revenir sur ses dires : « T’sais quoi ? Barre-toi direct. J’veux plus entendre parler d’toi. »

Tout en parlant, il avait lancé le bracelet modifié en direction de la jeune femme, sans même s’assurer que cette dernière le récupère correctement. Arrivés si près du but, ça aurait été dommage de tout foutre en l’air pour un mauvais atterrissage… Le garçon quant à lui passait déjà à autre chose. Ses mains vinrent se saisir du bas du sweat gracieusement prêté pour l’occasion et il entreprit de le retirer. Bien que nourrie de bonnes intentions, son entreprise se révéla plus compliquée que prévu : les articulations de son dos, dont la chair demeurait à vif en dépit des applications répétées du baume de l’Evolve, le tiraillaient méchamment. Ce fut un supplice d’enlever le vêtement, plus que de l’enfiler en fait. Ce qui ne manqua pas de lui arracher des jurons, quelques fois ponctués de gémissements de douleur. Seul du temps et du repos viendraient à bout de ces blessures.
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evolve
Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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14.09.15 23:11
Il faisait montre d'une étonnante sincérité à cet instant. Pas de franchise, grand dieu non, il n'avait pas besoin d'un contexte pareil pour laisser libre cours à sa spontanéité ou aux efflorescences de son vocabulaire nordique, mais une sincérité d'humain, de celles qui se dévoilent trop peu et s'évaporent tout aussi vite derrière les contraintes des apparences. Elle l'avait captée, pourtant, cette escarbille d'attention, cette poussière de préoccupation qu'il aurait été bien indécent de faire remarquer ; alors oui, il se prenait pour un dur, un bourrin, un je-m'en-foutiste sacrément porté sur la chose, peut-être à raison au vu de l'attitude de Jeff, mais qu'il n'aille pas lui faire croire que récupérer son royaume de matelas était l'unique objectif de son coup d'éclat. Il n'aurait pas eu besoin de la tirer de sa cachette, ni de mentir sur les fondements de leur relation ; balancer les chausses auraient suffi à récolter une réaction similaire de la part du parasite, voire en y ajoutant un baquet d'eau froide, et c'était tout. En vérité, elle songeait que Tête verte ne possédait aucune espèce d'intérêt à la protéger de quoi que ce soit, y compris de ses douteuses fréquentations. Par conséquent, pourquoi venait-il de le faire ? Ce n'était pas la charité qui l'étoufferait, de sûr, et mettre à exécution son projet de snuff movie dans sa propre chambre ne le dérangerait sûrement pas à partir du moment où il touchait une partie des droits d'auteurs. Moralité, si tant est que ce terme se prêtât à la situation, ses prétextes et prétendues excuses sur la propriété privée camouflaient des explications que l'herboriste aurait été bien en peine de déchiffrer. Et à y réfléchir, elle n'avait pas envie de les découvrir.

Elle déglutit en entendant la menace de dénonciation, bien qu'elle sût qu'elle ne risquait pas grand-chose à ce sujet. Certes, ses rapports avec les Erasers étaient des plus houleux depuis quelques mois, et son contrôle permanent masquait mal les réquisitoires qu'elle se traînait comme un chapelet de casseroles partout où elle se rendait ; son suivi hebdomadaire par les scientifiques, condition indispensable à sa liberté conditionnelle, trahissait la volonté de la milice de garder un œil fixe sur elle et ses activités tout en la maintenant en joue et sous le joug de ceux-là. Une mécanique dont elle se méfiait peu, finalement, car elle avait acquis la certitude que cette surveillance était aussi nécessaire que bienvenue, à l'égard des populations davantage que pour elle-même. Qu'il la vende donc ! Elle trouverait toujours une blouse blanche pour plaider sa cause auprès de la communauté des inventeurs fous, histoire de faire progresser la recherche sur les pouvoirs evolviens. Cette protection-là n'impliquait pas le respect de son corps ou même de sa volonté, mais elle lui éviterait d'être exécutée d'une simple balle dans la tête par un milicien un peu trop zélé. Sa dette, elle la payait chaque jour, greffée derrière son oreille, et aucune information, aucun chasseur de tête ne pourrait la mettre en danger si elle remplissait sa part du contrat.

Décidément, ses tentatives appuyées pour s'endurcir et se distancier de son existence ne manquaient pas de subversion. Qu'est-ce qu'il cherchait, qu'elle le plaigne ? Qu'elle pose les mains sur ses genoux en s'accroupissant, secoue la tête comme devant un cabot et minaude en le traitant de pauvre bête ? S'il voulait imiter Calimero et tenter ainsi d'amadouer l'austère herboriste, il pouvait toujours retrouver Jeff et lui proposer de prendre le premier rôle de sa toute dernière production cinématographique, celle qu'il avait failli tourner deux minutes plus tôt dans cette même pièce, selon ses propres dires. Même si, au fond, il n'avait sans doute pas tort sur le statut des pirates informatiques dans cette ville bouffée par le trafic illégal et le dark web. Cependant, elle ne culpabilisait pas. Ou du moins, pas au point de se taper de longues insomnies ; juste des maux de tête et un cas de conscience d'une tonne et demie. Une réflexion muette à laquelle Sulkan ne sembla pas s'intéresser, pressé de déjeuner aux chandelles avec ses deux écrans et ses draps solitaires. La jeune femme ne fut donc pas surprise d'être mise à la porte sans guère de réticence – elle attendait cette délivrance avec impatience – mais plutôt de ressentir de la contrariété à cause de cela, comme si elle s'était inclinée devant quelqu'un pour recevoir un coup de botte et non l'ordre de se relever. Bizarre. Elle n'aurait trop su comprendre le sentiment qui s'insuffla dans sa gorge l'espace d'une seconde, juste avant qu'elle ne rattrape confusément le bracelet qu'on lui lançait.
« Okay. Mais que tu l'crois ou non, j'me sens responsable de c'qui t'es arrivé, et pas qu'à l'intérieur de la boutique. Ton dos, ça s'rait jamais arrivé si mon pouvoir s'était pas... » Elle stoppa net sa déclaration, les phalanges resserrées contre l'ourlet de sa veste. Voilà qu'elle parlait exactement comme lui l'instant d'avant, à grappiller des arguments pour asseoir une théorie qui, au bout, ne visait qu'à l'enfoncer. Elle aimait vraiment se flageller, ou bien ? Elle pouvait essayer de le convaincre de sa bonne volonté, il demeurerait probablement hermétique à ses tentatives de repentir ; peine perdue que de porter une couronne d'épines lorsqu'on est seul à se l'écraser sur le front. D'autant qu'il ne devait pas l'écouter plus que cela, occupé qu'il était à batailler avec son habit et les écorchures de ses omoplates. Tableau comique d'un imbécile en plein effort. Rangeant le bracelet si durement gagné dans sa poche, Ruben tendit les bras dans sa direction afin de mieux saisir le tissu gigotant, la voix adoucie d'un cran :
« Attends, j'vais t'aider. »

Il s'y prenait mal, à tirer n'importe comment et n'importe où. Il ne ramassait de ses gesticulations que des frottements douloureux et des contorsions idiotes, à la manière d'un enfant qui s'est perdu dans sa chapka. Il était toutefois hors de question que l'Evolve lui abandonne ce vêtement adoré, la dernière trace encore odorante de celui qui l'avait porté de milliers d'heures, et il était encore plus hors de propos que de l'imaginer souillé du sang d'un autre au cours de cette ridicule pantomime. Alors Ruben prit le problème à bras-le-corps ou, plus précisément, de façon à ce qu'il touche au minimum le corps du garçon ; avec prudence, elle vint placer ses doigts sous le bord inférieur du sweat afin d'en étirer l'élastique de chaque côté. L'écart ainsi créé entre les blessures et le textile l'autorisa ensuite à relever le tout, centimètre par centimètre, en ménageant les contacts avec les brûlures dorsales. L'air grave, elle frôla à plusieurs reprises le tissu du sous-pull à cause des mouvements de la respiration, difficiles à prévoir durant la remontée, mais s'en tira mieux qu'espéré sur le passage des épaules. Il lui fallut glisser les mains plus en arrière, presque sous la nuque, et lever l'ensemble d'un seul geste afin que des plis mesquins ne retombent pas sur les omoplates par mégarde. Il avait déjà assez souffert pour qu'elle ne lui inflige pas un dernier martyre, à l'instar d'un cadeau d'adieu.
« Ça y est. J'me barre. »
Le vêtement de nouveau pressé contre son cœur, elle jeta un ultime regard vers Tête verte, partagée entre l'euphorie de ne plus jamais voir cette crinière végétalisée, la colère relâchée au triste souvenir de cette courte nuit et un étrange sentiment de gratitude, infime, asphyxié par le fiel qu'elle ressentait envers lui, et pourtant bel et bien là. Pour elle-même autant que pour lui, elle eut un léger acquiescement avant de se rapprocher de la porte, d'en attraper la poignée et de l'abaisser pour retrouver le bienheureux dehors. Puis, au moment de franchir le seuil, elle lâcha avec une pointe de désinvolture :
« Au fait, si tu veux des infos supplémentaires à revendre, t'as qu'à passer à la boutique... » Et se faufila dans l'ouverture.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
wanted



18.09.15 23:09
Responsable ? Le terme résonnait même de manière encore trop faible à ses propres oreilles, habituées à entendre pire. Coupable aurait été mieux choisi du point de vue du garçon mais il doutait que son interlocutrice reconnaisse son pouvoir comme un fardeau. Du moins, pas de manière officielle. Lui-même n’arrivait pas à voir les Evolves comme des victimes de leur nouvelle situation de mutants. Après tout, ce n’était pas donné à tout le monde de pouvoir se téléporter, devenir invisible ou même empoisonner à la demande – ou non – … Même si en soi, la plupart de leurs détracteurs se refusaient simplement à voir le revers de la médaille, celui que l’on tait parce que l’on sait à quel point il dérange : le contrecoup, tantôt terrible, tantôt anodin. Sulkan se surprit à laisser courir son regard chocolaté et fatiguée sur la menue silhouette qui lui faisait face. Il ne pouvait se sortir de la tête les bleus difformes sur le corps de la jeune femme, pas plus que ces étrangetés de la peau, très certainement dues à l’utilisation répétée – bien qu’involontaire souvent – de son pouvoir. En remontant un peu, il put déceler une lueur de surprise dans les yeux couleur acier – perdant néanmoins toute leur dureté à cet instant précis – bien vite remplacée par celle, plus familière, comme un écho à la sienne : celle de la fatigue. Conscient que l’Evolve allait chercher inconsciemment un début de réponse dans ses yeux à lui, un indice qui pourrait justifier cette soudaine générosité à son encontre – de la part d’une personne tantôt près à lui arracher le moindre centime, c’était ahurissant, à défaut d’être simplement louche – aussi le jeune hackeur reporta rapidement son attention sur son haut, devenu défouloir bien malgré lui.

Si l’approche furtive de son interlocutrice passa inaperçue au profit de la lutte qu’il menait de pied ferme envers le vêtement en question, la voix de cette dernière – ou plutôt, le timbre particulier qu’elle employa alors, jusque-là inconnu de ses oreilles – le figea aussitôt. Non par crainte ou par respect pour sa requête mais vraiment à cause de la surprise de l’entendre s’adresser à lui avec autant de… gentillesse ? Sympathie ? A croire qu’ils étaient partis sur un mauvais pied tous les deux et ce, depuis le début. Malheureusement, Sulkan eut un rictus, caché derrière une fine paroi de tissue, prison provisoire, bien plus confortable que celle qu’il avait occupée quelques heures plus tôt. Il savait que leur relation ne changerait en rien, ce n’était pas l’épuisement réciproque qui les unissait à cet instant, transformant acharnement en faiblesse, qui installerait un véritable climat de confiance entre eux. Le garçon faillit secouer la tête avec énergie sous son haut, ce qui aurait été mal pris de la part de sa sauveuse improvisée. Il ne fallait pas qu’il imagine autre chose qu’un vulgaire rapport de trafiquant à cliente. Ça ne changerait pas. Jamais. Tout comme son quotidien. A 50 ans passés, il serait toujours en train de revendre ses bracelets trafiqués, si toutefois, il n’avait pas pris sa retraite avant. Le business était risqué certes mais il rapportait gros pour se permettre de prendre le risque justement !

« Wo, wo, wo ! Doucement ! Doucement j’ai dit putain ! »

Qu’ils se quittent sans un dernier juron de sa part aurait été inconcevable non ? Dans tous les cas, il s’entendit plus distinctivement, rebondissant contre les murs du studio, que le fit le timide murmure en guise de remerciements que Sulkan adressa à la jeune femme quand il put de nouveau se redresser complètement, remarquant alors la manière qu’elle avait de tenir le sweat contre elle. Un vêtement à la signification particulière peut-être ? A moins que ce ne soit simplement sa façon de porter quelque chose de plus consistant qu’un bracelet ? Oui, ça devait être ça. Elle ne lui aurait jamais passé ce bout de tissu bon pour servir de torchon autrement…

« Et pourquoi tu t’poses la question en fait ? Sérieux mec, va dormir et oublie la. »


La tentation de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour évaluer l’état de son dos le démangeait atrocement, presque autant que celui-ci après réflexion. Le jeune hackeur fut donc particulièrement fier de lui à résister à cette envie en présence de la responsable des dégâts en question… Un grognement indistinct accompagné d’un vulgaire haussement d’épaules accueillit l’annonce de l’Evolve. Mais qu’elle se barre ouais ! Il n’attendait que ça ! Et de pouvoir rejoindre son lit aussi… L’un n’allait pas sans l’autre en réalité… Malgré tout, Sulkan ne perdit pas le moindre fait et geste de son interlocutrice. Pour voir la manière qu’elle allait avoir de clore leur première et dernière rencontre. Mouvementée certes mais qui s’était tout de même bien terminée, sans mort ou blessure trop grave à déplorer. Et surtout, le fait que tout le monde avait plus ou moins obtenu ce qu’il attendait de ce face-à-face. Sauf que le garçon ne désirait pas trop s’attarder mentalement sur ce dernier détail : sinon il allait se rappeler avoir perdu du fric au cours de cette entreprise foireuse et que sa cliente était encore dans son champ de vision pour qu’il se surprenne à réclamer de nouveau la totalité du règlement pour avoir trafiqué le bracelet dont l’Evolve était la nouvelle propriétaire. Alors, de mauvaise grâce et sans oublier de croiser les bras au passage – moyen inconscient de se protéger soi-même dont le principal concerné n’avait pas connaissance, fort heureusement, imaginez le scandale sinon ! – le jeune hackeur se contenta d’un sobre « Ouais, c’est ça. » On ne pouvait faire plus indifférent, las ou tout simplement frustré comme réponse ! Or il ne s’attendait pas le moins du monde au commentaire qui suivit le départ de son interlocutrice. D’abord interdit, Sulkan n’eut pas le réflexe immédiat de se précipiter à sa suite, avec la seule intention d’obtenir confirmation pour savoir s’il avait bien entendu ou déjà mis un pied dans le monde des rêves par mégarde. Quand sa main gauche se referma sur l’encadrement du même côté de la porte, la silhouette de la jeune femme dévalait déjà les escaliers en direction du rez-de-chaussée. Après quelques minutes à la regarder s’éloigner, jusqu’à disparaître au coin de la rue, ombre retournée parmi les siennes, dans les bas quartiers de la ville, le garçon eut un drôle de sourire. L’habitude n’était plus au rendez-vous. Et l’aube balayait les derniers soupçons de… De quoi déjà ?
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