Amère inconstance [PV Phear I. Rothgrüber] [Terminé]
Sulkan Zaslavski
wanted
19.09.15 1:26
Le bruit de l’humidité contenue dans ses cheveux, ruisselant et dégoulinant jusqu’à l’extrémité de ses mèches, pour venir s’écraser en grosses gouttes, crevant ainsi la surface de l’eau pour se mêler à celle-ci, troublait le silence de la salle de bain à intervalles réguliers. Enfoncé dans la baignoire, avec le niveau de l’eau lui arrivant tout juste en dessous du nez, le garçon ne remuait pas même un cil. Son esprit s’était égaré au milieu de lointaines réflexions, ces pensées qui imposent au cerveau de retourner tous les éléments d’une situation, espérant la voir sous un angle complètement différent afin que l’être humain fut à même à dénicher l’erreur qui avait tout fait basculé. Une seconde de trop. Le grain de sable dans la machine du quotidien. Les minutes avaient succédé aux secondes, si bien que l’eau du bain, auparavant chaude et destinée à apaiser les diverses tensions qui se nichaient un peu partout dans le corps du jeune baigneur, avait vu sa température baisser au gré des minutes qui s’écoulaient sans cesse, les unes après les autres. De chaude, elle passait à tiède. Pas encore froide au point d’en devenir désagréable cependant. Le corps du garçon n’en ressentait pas le changement de température progressif pour le moment, si bien qu’il demeurait immobile. Un œil extérieur, en avisant son regard vide et sa position figée, aurait pu croire à un suicide, les poignets tailladés laissant voir les veines à vif, en moins. Soudain, Sulkan s’ébranla. Comme tiré de sa torpeur par quelque force invisible et imaginaire, sans doute un sursaut de conscience, il s’ébroua. Son esprit regagna le monde réel et sa première décision fut d’immerger complètement le corps de son propriétaire, si bien que le jeune hackeur s’autorisa une petite séance en apnée. Et en souvenirs.
Quelques heures plus tôt…
Passer des journées entières sur le ventre, en se levant uniquement pour aller aux toilettes ou bien se traîner jusqu’à la porte d’entrée pour ouvrir au livreur de pizzas – ou tout autre type de plats préparés d’ailleurs – n’avait pas amélioré l’état de son dos autant que le principal intéressé l’aurait souhaité. Le baume s’était révélé d’une aide précieuse, accélérant la cicatrisation, surtout appliqué à deux reprises en peu de temps par des mains expertes mais étalées sur plusieurs semaines, ses effets bénéfiques – voire miraculeux – avaient un peu perdu en intensité. Bien malgré lui et à reculons, le garçon se résolut à prendre la direction de l’hôpital. La gaité de cœur ne résidait pas en cette décision. La simple vue du haut bâtiment lui donnait des sueurs froides mais il devait prendre sur lui et espérer pouvoir porter autre chose que des T-shirts menaçants de se déchirer en deux, tellement ils étaient fins. Passé son malaise et une bonne dizaine de questions pour le moins embarrassantes pour comprendre comment il avait pu être victime de telles brûlures dans le dos, Sulkan subit un examen approfondi, lequel déboucha naturellement sur la prescription de pommades à appliquer plusieurs fois par jour. Une infirmière eut la bonté infinie de lui bander son dos, épargnant ainsi au jeune hackeur cette tâche ingrate et surtout, la douleur d’avoir à le faire soi-même, compte tenu de l’angle difficile et de la mauvaise maîtrise de sa force.
Son quotidien se résuma à ça pendant les jours qui suivirent, même si le garçon dut renouveler sa visite afin que l’on puisse suivre l’amélioration de son état. Vers la fin, seules quelques traces témoignaient encore de la violence de l’explosion, rien de plus. Sulkan se réjouissait par avance du caractère bref de cette ultime visite, compte tenu des nets progrès de sa cicatrisation. C’était sans compter sur le professionnalisme du corps médical. On demanda à lui faire une prise de sang, une banale petite prise de sang, dans le but de suivre l’évolution du gène susceptible de muter. Celui qui était capable de le faire passer d’humain à moins que ça : Evolve. Dans un premier temps, le jeune hackeur ne s’alarma pas. Ce contrôle sanguin, il s’y était habitué. Davantage que ça, c’était son environnement qui l’angoissait. Paradoxalement. Cependant, le temps anormalement long que mettait l’infirmière pour lui communiquer ses résultats, avec son sourire habituel accompagné de ces mots « Tout est en ordre Monsieur. » telle une représentante des forces de l’ordre reconvertie, fit grimper son angoisse d’un cran, prête à la transformer en panique. Autant pour s’occuper l’esprit et les doigts en pensant à autre chose que tous ces murs blancs qui l’entouraient, le garçon se mit à pianoter sur son bracelet. Il ne fut pas long à pirater le système regroupant les analyses sanguines de l’établissement, plus particulièrement leurs résultats.
D’abord le déni, le sentiment d’avoir mal lu ou de s’être trompé de nom. Puis l’incompréhension, le besoin de rejeter la faute sur quelqu’un, un membre du corps médical par définition, même la femme de ménage s’il le fallait. Pour l’anéantissement. Un poids terrible qui venait s’écraser sur les épaules, obligeant soudain tout le haut du corps à se courber en même temps que le monde s’écroulait tout autour. Positif ? Comment ce putain de test pouvait l’être ?! Il n’était pas un Evolve mais un humain bordel de merde ! Rien d’autre ! Encore moins l’un de ces monstres, souris de laboratoires ! Un tremblement incontrôlable le prit de la tête aux pieds. Bientôt suivi par d’autres, dignes transmetteurs de la peur panique qui l’envahissait à vitesse grand v. Soudain, une seule explication, claire et limpide, justifiait ce temps d’attente : on s’organisait, non pas pour lui annoncer la nouvelle, mais pour sécuriser le périmètre en attendant la milice chargée de le neutraliser. Evolve oui, dangereux, pas encore. Dans le doute, nul ne voulait prendre de risque. Lui le premier. Toutes ces fois où il avait évité les Evolves dans cette optique-là lui revinrent brutalement en pleine figure. Sulkan bondit sur ses pieds, manquant de justesse de faire crier la chaise sur le carrelage. Un son qui aurait pu alerter une éventuelle oreille indiscrète tendue dans sa direction. Il lui fallait faire vite et se tirer d’ici au plus vite, le temps que cette histoire soit tirée au clair ! Pas question de finir comme cobaye pucé ! Le jeune hackeur jeta sur la pièce un regard avide du moindre élément susceptible de l’aider à quitter l’hôpital sans être arrêté.
L’armoire lui fournit ce dont il avait besoin, en partie du moins : une blouse blanche, laquelle aurait pu le faire passer pour un certain Docteur Scoethe, la tignasse verdoyante en moins sans aucun doute. En désespoir de cause, le garçon l’enfila aussitôt puis se dirigea vers l’unique porte de la pièce, essayant vainement de se constituer un plan solide. Mais alors qu’il jetait un coup d’œil prudent derrière la porte, la vue d’un groupe approchant dans sa direction au moyen de bruits de pas précipités dans le couloir le contraignit à la diversion. Quand deux miliciens, un médecin et un infirmier débarquèrent dans la pièce, la fenêtre du premier étage où ils se trouvaient était ouverte. Sulkan quant à lui, retenait sa respiration, retranché dans l’armoire. Si l’un d’entre eux, pour une bonne ou une mauvaise raison, se décidait à regarder à l’intérieur…
« Merde ! Il nous a filé entre les pattes ! Sécurisez immédiatement le périmètre, il ne peut pas être loin ! » beugla l’un des deux miliciens, probablement le chef à se permettre des ordres ainsi.
Aucune protestation – vaine ou justifiée – ne fut faite à l’encontre des nouvelles directives, d’autant plus qu’un flot incessant de reproches franchissait désormais les lèvres de l’homme qui venait de parler. En résumé, il accusait le personnel de l’hôpital de négligence mais en des termes moins courtois. Ce qui n’était, dans le fond, pas si éloigné de la réalité. Lorsqu’il jugea que ressortir de sa cachette improvisée ne constituait plus un danger immédiat, le jeune hackeur ne fut pas plus soulagé pour autant. Il ne faisait que retarder l’échéance et mettre en rogne ses futurs bourreaux à travers d’une partie de cache-cache ne lui paraissait pas être l’idée du siècle… Esprit de contradiction ou simplement rebelle, Sulkan décida d’aller jusqu’au bout de son idée de base : s’enfuir d’ici. La brève hésitation envolée, il déclencha l’alarme incendie. Le va-et-vient d’individus de toute taille, âge et sexe, submergea le barrage mis en place par les quelques miliciens envoyés sur place. Le fait d’avoir pris de vitesse ses adversaires permit au garçon d’en réchapper, de justesse. Peut-être que quelqu’un remarqua une tignasse verte dans la masse mais quoiqu’il en soit, l’intéressé ne fut pas arrêté en cours de route.
Parfaitement conscient que son logement ne tarderait pas à être perquisitionné, Sulkan rentra prudemment chez lui. Le temps de récupérer quelques affaires, détruire les preuves impossibles à déplacer et de mettre les voiles. Il devait se faire discret pendant quelques temps. Ce n’était pas la première fois, ni la dernière si tout s’arrangeait concernant cette malheureuse erreur de ligne. Quoi de mieux que le motel alors ? Le propriétaire de l’établissement eut la décence de ne faire aucune remarque concernant le teint un peu pâle de son interlocuteur – un drogué en manque n’aurait pas fait mieux et certainement que l’hypothèse vint à l’esprit de l’homme – ni à sa fébrilité mais dans le fond, les affaires qui amenaient ses clients jusqu’ici ne le regardait pas. Jetant son sac sur un coin du lit, sa première intention fut de se laver les cheveux. Ou plutôt, de faire disparaître cette couleur apparaissant soudain comme un peu trop voyante, dans le mauvais sens cette fois. Retrouver sa chevelure ébène dans le reflet du miroir acheva de le déprimer. Dire que le choix d’une telle coloration avait servi ses intérêts pour quitter la Russie et maintenant l’inverse était aussi vrai concernant Madison et plus largement, les Etats Unis ?
Retour au présent…
L’apnée se prolongeait, imperturbable. Pour un peu, le jeune hackeur songeait à ne jamais remonter à la surface. La mort semblait être un sort des plus enviables comparé à ce qui l’attendait si cette bande de scientifiques fous lui mettait la main dessus. D’abord il aurait cette épreuve de la puce, humiliation supplémentaire à celle de l’annonce de la mutation de son gène. Puis les études menées à son encontre pour déterminer quel était véritablement son pouvoir. Malheureusement pour les scientifiques, ça n’apparaissait nulle part sur le cobaye en question, contrairement à la liste des ingrédients sur un produit donné. Un bruit sourd le tira de ses pensées et Sulkan se redressa brusquement, soudain sur le qui-vive. Il avait l’air fin, surpris dans son bain mais son arme restait à proximité. Dissimulée sous une serviette. Le clapotis de l’eau dérangée dans sa torpeur s’estompa doucement, ne révélant rien d’autre qu’un silence des plus oppressants quand on savait que l’on vivait à quelques mètres d’autres individus, avec des murs pas plus épais qu’une dizaines de feuilles de papiers superposées. Le garçon se mordit la lèvre, conscient de la nervosité extrême qui l’habitait depuis peu. Ses nerfs ne se détendaient pas pour autant mais il replongea, espérant peut-être conserver encore un peu de la chaleur restant dans l’eau de la baignoire pour chasser ses idées noires. Il n’eut pas le temps de se replonger dans ses projets de suicide qu’une ombre se dessina soudain au-dessus de lui. Ouvrant grands les yeux malgré son environnement aquatique, le jeune hackeur aperçut distinctement une silhouette penchée sur lui. Il voulut se redresser mais une prise solide lui agrippa la tête avec force. L’instant d’après, il se retrouvait bloqué sous l’eau, luttant comme un pauvre diable pour espérer échapper à la noyade. Les minutes se décuplaient à la vitesse de l’éclair, la panique lui faisait ouvrir la bouche, avalant trop d’eau par mégarde. Il n’avait plus assez d’air ! Ses mains se refermaient vainement sur l’avant-bras de son agresseur, laissant la marque de leurs ongles dans la chair de ce dernier, alors que le contenu de la baignoire trouvait dans les poumons du garçon, un second récipient. Bientôt, sa vision ne fut plus qu’un mélange flou, que la surface de l’eau brouillait à peine. Il perdait conscience. La noyade était là.
Et pourtant, l’inconscience ne dura pas. Lorsqu’il aperçut le plafond ainsi qu’un pan du mur en carrelage usé au-delà du voile que constituait la surface de l’eau, Sulkan crut halluciner. Il respirait normalement ? Sous l’eau ? Etait-il mort ? Alors pourquoi les questions s’enchaînaient-elles dans son esprit ? N’était-il pas censé se voir lui-même dans la baignoire si son âme ou quelque chose de similaire quittait son corps pour rejoindre un endroit meilleur ? Quand le constat devint certitude, le garçon creva la surface de l’eau à grands renforts d’éclaboussures et de tentatives pour reprendre son souffle. Contrairement à ce qu’il aurait pensé, l’air ne parvint pas immédiatement dans ses poumons. Pire, il eut la sensation de suffoquer de nouveau. Pour l’avoir expérimenté brutalement il y a peu, l’impression n’en était que plus amère. Le jeune hackeur parvint à se traîner hors de la baignoire, tant bien que de mal. Son arme. Il lui fallait son arme. Tout en s’aidant du rebord de la baignoire, il se remit debout, les jambes flageolantes. A tâtons, il dénicha la serviette puis la fit tomber, manquant de peu de perdre de vue son objectif par la même occasion. L’intérieur de sa tête bourdonnait, faute d’oxygène mais il crut percevoir des bruits de pas dans sa direction, ainsi que la voix d’une femme. Son agresseur ? La TV ? Ou bien les deux à la fois ? Sulkan ne chercha pas à savoir et mit en joue le nouveau venu au moment où ce dernier franchissait le seuil de la salle de bain, visiblement aussi secoué que sa victime de la savoir en vie. Le coup de feu partit. La détonation fit sursauter le garçon, lequel retrouva subitement l’usage normal de ses poumons. Le pistolet toujours braqué en direction du corps étendu sur le sol, il savourait de profondes goulées d’air, d’abord avec précipitation comme s’il craignait de renouer avec l’asphyxie puis plus lentement, à présent conscient que la situation redevenait normale de son côté. Sauf qu’il avait désormais un cadavre sur les bras. Dans un motel dont la moitié des clients avaient dû entendre le coup de feu. Et on ne pouvait pas compter sur la TV pour le couvrir. Ou peut-être que si ?
Le jeune hackeur ne voulut pas prendre ce risque et entreprit aussitôt de se préparer à partir. Si ce n’était pas la milice qui débarquerait prochainement, ce serait le propriétaire des lieux, furieux que l’un de ses clients dérange le reste de ses locataires… Enjambant le corps inanimé, le garçon rassembla ses affaires, y compris le vieux pistolet sans trop d’espoir de pouvoir le réutiliser par la suite étant donné son état et quitta la chambre du motel qu’il venait de louer pour trois fois rien… Finalement, il trouva son point de chute devant l’entrée du métro. Pesant le pour et le contre, Sulkan décida de troquer le temps capricieux contre la relative sécurité des rames de métro. Qui sait ? Si on venait à l’importuner, tant en raison de son âge que de son statut de SDF, l’arme suffirait à décourager les voleurs les plus couards. C’est ainsi qu’il se retrouva assis sur la banquette de la rame, regardant sans vraiment le voir, son reflet dans la vitre qui lui faisait face. Il avait une expression à faire peur, toujours avec ce regard complètement vide, le teint pâle en moins. Son estomac se nouait à la simple perspective qu’il était tout bonnement en train d’aggraver son cas, à fuir de la sorte en laissant un macchabé dans son sillage. Quel type innocent irait jusqu’à employer des moyens aussi extrême pour se défendre de tout crime ? C’était insensé… Y compris aux yeux de la loi… Il se sentait sur le point de craquer. Devait-il se présenter devant cette boutique désarticulée, tout comme la volonté de sa propriétaire ? S’il faisait ça, alors il toucherait vraiment le fond. Cette pensée lui arracha un pauvre sourire. Comme s’il avait le choix après tout ? Il ne lui restait plus qu’à descendre à la prochaine station.
Phear I. Rothgrüber
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22.09.15 20:28
Sulkan Zaslavski
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26.09.15 23:01
Descendre ou ne pas descendre. Telle était la question. Ce n’était pas l’enthousiasme qui l’étouffait à l’idée de remettre les pieds dans cette drôle de boutique parfumée d’un millier d’odeurs différentes dont il aurait peiné à en reconnaître ne serait-ce qu’une petite dizaine. Dire qu’il avait pris la première rame sans réellement s’intéresser au nom du terminus. Allait-elle vers le centre-ville, le ramenant ainsi sur ses pas ? Un frisson l’agita nerveusement des pieds à la tête, si bien que son plus proche voisin lui jeta un regard en biais. Au prix d’un véritable effort, Sulkan parvint à se maîtriser, s’efforçant d’éloigner la moindre pensée qui pourrait causer un nouvel élan de panique. Inspirer profondément. Se détendre. Autant que possible. Se reprendre. Et récolter les informations dont il avait besoin. Levant paresseusement les yeux, le jeune hackeur observa l’hologramme représentant une succession de stations aux noms tous plus compliqués les uns que les autres. Celui de la prochaine s’inscrivit immédiatement dans son esprit. Aussitôt suivi d’une multitude d’images du lieu en question, de l’entrée de la bouche de métro jusqu’à l’arrêt de bus en face, en passant par la cabine de chiottes publiques qui ressemblait à un suppositoire géant quand on s’attardait dessus quelques secondes. Comme il l’avait redouté, la rame de métro lui refaisait revenir sur ses pas, vers les quartiers sûrs aux yeux d’une bonne partie de la population. Certainement plus les siens désormais. Son attention revint au moment présent et le garçon lista mentalement les stations suivantes, jusqu’à trouver celle où il devrait descendre. A cet endroit précis, il pourrait changer de rame, prenant ainsi la direction opposée pour atteindre les quartiers, disons, moins fréquentables mais tout de même desservis par le métro. C’était ce qu’il y avait de bien avec les transports en commun, nulle discrimination. Peu importait que les rames en partance pour les quartiers mal famés soient en plus mauvais état que les autres, ça décourageait les petits voyous de les taguer de plus belle. Oui sauf qu’en réalité, seuls les gens issus de ces mêmes quartiers s’entassaient dans ces tubes en verre plastifié. Passé u certain niveau de vie, on ne fréquentait plus le métro, pas plus que le bus. Là était toute la réalité et l’origine du regard empreint de dédain que d’autres vous adressaient dès lors que vous faisiez allusion à ces moyens de locomotion économique. Mais qui était-il pour refaire le monde au juste ?
Un peu plus loin sur sa gauche, une gamine mal élevée fit toute une scène à son pauvre père qui ne savait visiblement plus où se mettre. Les tentatives d’apaisement se multiplièrent, sans changer quoi que ce soit au volume des sons stridents qui s’échappaient de la bouche de la gosse. Sulkan sentit un début d’agacement s’installer parmi les occupants de la rame et il s’enfonça un peu plus dans son siège. Du moment qu’il n’était pas le centre d’attention pendant les prochaines heures, la pourrie gâtée pouvait hurler autant qu’elle le souhaitait. Contrairement à bon nombre de passagers, dont le père et la fille, le jeune hackeur ne bougea pas de son siège. Il devait encore patienter le temps de 3 stations avant de relancer son errance. Il ne fit pas réellement attention aux flux humains qui allaient et venaient dans la rame, pas plus qu’à la personne qui s’installa à ses côtés. Non, le détail qui l’intrigua fut justement que l’inconnu choisisse cette place alors que d’autres étaient libres, sans voisins directs. D’ordinaire, l’être humain apprécie de conserver un maximum de son espace vital, encore plus dans ce genre d’endroit où l’on était rapidement soumis à un sentiment de claustrophobie ambiante. Ça n’existait pas les personnes qui se collent volontairement les unes aux autres lorsqu’il reste de la place ailleurs. Un sursaut de curiosité légèrement agacée qu’on vienne l’importuner jusque dans le métro, le garçon leva les yeux en direction de l’inconnu et perdit aussitôt le peu de couleurs que son visage avait conservées jusqu’à présent. L’espace d’un instant, il ne perçut plus les battements de son cœur, comme gelé dans sa poitrine. Ses oreilles bourdonnaient, pourtant insensibles aux conversations qui se déroulaient autour d’eux. Il n’y avait plus que cet homme. Pas déjà. Pas ici. Nerveusement, Sulkan baissa les yeux, serrant plus fort contre lui, le sac comprenant ses quelques affaires. Des vêtements. Ce qui avait le plus de valeur demeurait directement sur lui : bracelet ou supports USB pour transporter plus facilement la moindre donnée virtuelle dont il faisait son métier. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence des plus cruelles pour son esprit, déjà suffisamment perturbé comme ça. Oui, il devait s’en convaincre, agir normalement, ne pas paniquer et se focaliser sur cette putain de station !
Après tout, si l’autre ne lui était pas encore tombé dessus, il ne pouvait pas être venu pour lui, si ? Son esprit lui jouait un tour, le rendant parano. Voilà, c’était ça. Son pied droit se mit à battre la mesure sur le sol dégueulasse de la rame. En dépit de ses efforts pour rester calme, Sulkan ne se sentait pas tranquille. Et quand, enfin, le nom de la station tant convoitée fut annoncé, le jeune hackeur eut toutes les peines du monde à ne pas s’enfuir en courant hors du tube en verre. Plus louche, tu meurs. Ce fut donc avec une lenteur des plus atroces à endurer qu’il sortit de la rame, tout comme certains passagers le firent également. Le garçon ne parvint à se détendre qu’au bout d’une petite dizaine de mètres mis entre lui et la rame du métro, lequel s’éloignait de nouveau après que ses portes automatiques se soient refermées. Il s’autorisa un soupir de soulagement, crispé malgré tout. Ce type était derrière lui, il devait s’occuper du présent. La foule diminua brusquement à mesure qu’il empruntait le passage conduisant à un autre quai. De toutes évidences, peu de monde empruntait cette voie en journée. Les heures de pointe se cantonnaient à l’aube et à la fin de journée. Alors que le jeune hackeur apercevait le quai en question, il l’entendit. Ce bruit de pas dans son dos. Les battements de son cœur entamèrent une nouvelle danse endiablées, tapant furieusement contre son torse, à croire que l’organe cherchait à percer la paroi d’os et de chairs pour se défenestrer à sa façon. Un frisson glacé lui parcourut la nuque. Ce ne pouvait être que lui. Dans un geste désespéré pour chasser cette pensée de son esprit, Sulkan rabattit la capuche de son sweat sur ses cheveux. Les pas ne cessèrent pas pour autant. Ils résonnaient de plus belle dans ses oreilles, accélérant un peu plus son propre rythme cardiaque, tout comme la peur qui lui tordait les boyaux. Bien malgré lui, il se mit à marcher plus vite. Il n’en était pas encore à courir mais ce n’était pas loin. Ses yeux ne se détachaient plus du sol, comme si ça pouvait lui permettre de mettre le plus de distance possible entre lui et son poursuivant. Un son familier lui fit pourtant relever la tête. La rame était déjà là, prête à l’accueillir, prête à partir surtout. Les derniers passages qui attendaient sagement son arrivée sur le quai venaient de rentrer à l’intérieur. Dans quelques secondes, les portes se refermeraient sur eux, le condamnant à rester sur le quai, l’autre sur les talons.
Avant même que la pensée ne traverse son esprit, les jambes suivirent le mouvement : le garçon se ruait en direction de la rame. Tant d’autres l’avaient déjà fait avant lui. Qui n’avait jamais couru pour ne pas rater le dernier métro ? Ou tout simplement pour s’épargner une à deux minutes d’attente supplémentaires ? Le temps était et resterait quelque chose de précieux semble-t-il. L’écho de sa course se trouva enflée par celle de son poursuivant, lequel devait avoir compris sa petite manœuvre. Ce ne fut pas le soulagement qui l’envahit quand un pied, puis le second, entrèrent en contact avec le sol du tube en verre en sale état. Pourquoi diable les portes ne se refermaient-elles pas dans son dos ?! Sulkan pivota sur lui-même, ayant l’impression d’agir au ralenti. Sans même réfléchir, il balança son sac en direction de son poursuivant. Un instant de surprise, une brève pause le temps de repousser l’assaut et la vision du visage, tantôt étiré par l’étonnement, à présent déformé par la colère, qui venait se coller contre la vitre, alors que déjà, la rame s’ébranlait. Le souffle court, le garçon ne put détacher son regard de celui de son poursuivant. A ce moment, il se jura de faire tout son possible pour échapper à ce fou. Il sentit des regards incrédules, méfiants, craintifs, furieux ou même parfaitement indifférents. Rapidement, on se désintéressa de lui et de son geste franchement impoli à l’encontre de l’Eraser. Sans doute était-ce dû au fait que le jeune hackeur n’avait plus bougé depuis qu’il avait vu la Mort en face. Le dos collé à la vitre derrière lui, il respirait toujours par-à-coups. Il lui fallait envoyer de l’oxygène à son cerveau et vite. Si l’autre avait pu le retrouver aussi vite, il allait renouveler son exploit. Sulkan avisa rapidement l’intérieur de la rame, sans oublier l’itinéraire de celle-ci. Attendre d’atteindre la prochaine station était trop risqué. Qui sait à combien on l’attendrait là-bas à présent qu’il était localisé ?
« Une idée ! Et vite ! »
Prisonnier de ce tube en verre, il était fait comme un rat. Pensant échapper à son poursuivant, il venait de lui-même se condamner. Indifférente à son désespoir, la rame poursuivait sa route, la rapprochant de plus en plus de la potence. Sa gorge se serra. Il ne devait pas craquer. Pas maintenant. S’il parvenait à quitter le métro sans être vu, alors il avait peut-être une chance. Avisant l’arrêt d’urgence, le garçon ne réfléchit pas. Son poing enfonça profondément la surface rouge qui ornait l’une des parois du tube et la rame se figea immédiatement, à grand renforts de crissements métalliques des freins et des exclamations des passagers pris au dépourvus. Passée la surprise, vint l’indignation.
« Putain mais qu’est-c’qui lui prend à c’lui-là ?! T’es pas bien gamin ? »
Inutile de perdre son temps à répondre pour s’expliquer, ni même à relever les insultes qui suivirent étant donné son absence de réaction alors qu’on daignait enfin s’adresser à lui pour exprimer la pensée générale des occupants de la rame. Au moins, ils ne seraient pas restés longtemps silencieux, en parfaits hypocrites qu’ils étaient. Mais de là à ce qu’ils en viennent aux mains, pensant sans doute à la récompense qu’ils toucheraient pour avoir aidé à neutraliser un fuyard, il n’y avait qu’un pas. Alors Sulkan ne leur laissa pas le temps d’y songer plus longuement. Il se précipita vers les portes qu’il avait franchies quelques minutes plus tôt lorsque le tube était encore à l’arrêt. Une femme terrorisée s’écarta vivement de lui mais il ne lui accorda pas un regard. Il ne savait pas lui-même ce que son visage renvoyait à ce moment précis. Désespoir ? Peur ? Détermination ? Fureur ? Son reflet dans la vitre rendue foncée par le mur noir qui s’étirait de l’autre côté, ne lui rendit qu’une pâle copie floue de sa personne. Vu ainsi, il se faisait presque peur sauf qu’il n’avait pas le temps de s’attarder sur ce détail de son physique. Au prix d’un effort visible, il parvint à écarter puis à ouvrir les portes. La rame étant à l’arrêt, celles-ci étaient temporairement désactivées, il fallait faire vite. Le jeune hackeur parvint à se glisser entre elles, avant de s’extraire péniblement du tube. A tout moment, les portes pouvaient brutalement se refermer sur lui à la reprise du trafic souterrain, le coupant en deux dans le meilleur des cas sinon elles se contenteraient de lui coincer la jambe, laissant la partie supérieure de son corps ricocher sur la paroi du tunnel. Un sort bien peu enviable en définitive. Ses jambes le soutinrent difficilement lorsque ses deux pieds touchèrent de nouveau le sol, irrégulier cette fois, du tunnel. Et maintenant ? Il avait l’air fin avec tous ces regards braqués sur lui. Sulkan eut tout juste le temps de se plaquer contre le mur dans son dossier, fusionnant presque avec celui-ci, que la rame annonça la reprise du trafic. Le tube entier défila à quelques centimètres de son visage mais le garçon n’eut pas le loisir de contempler le spectacle : la joue collée au mur, il gardait la tête tournée vers la droite pour gagner le plus d’espace possible entre lui et la rame en question. Il s’attendait à être emporté au passage, si bien qu’il retrouva péniblement une respiration normale quand le bruit sourd s’estompa soudain, s’éloignant rapidement de lui en même temps que l’air redevenait lourd, après le souffle vigoureux qui lui avait fouetté le visage pendant de longues secondes. Ce fut le moment que choisit son estomac pour rendre son maigre petit déjeuner. C’était définitivement trop d’émotions pour lui en si peu de temps. Que faire à présent ? Longer la voie en priant pour que le prochain métro ne le happe au passage ? Ou bien tenter sa chance dans l’un des accès délivraient par les abris en cas d’accident ou de panne ? Levant les yeux, plus déterminé que jamais, le jeune hackeur se traîna vers l’abri le plus proche. Enfin proche… Plusieurs centaines de mètres devaient l’en séparer mais qu’importe. C’était ça ou crever ici, comme une taupe.
Phear I. Rothgrüber
eraser
13.10.15 22:30
Sulkan Zaslavski
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16.10.15 22:36
Le malaise passé, ses jambes lui parurent faites de plomb. Qu’importe l’énergie – ou plutôt la volonté frôlant le désespoir – qu’il mettait dans chacun de ses pas, la distance entre lui et l’abri ne semblait pas vouloir se réduire d’un pouce. L’irritation refit surface sous sa boîte crânienne, chassant l’espace de quelques secondes, la peur réfugiée plus en aval et qui lui nouait les entrailles. Le jeune hackeur y entrevit même un timide début de lucidité à travers sa panique grandissante. Jusqu’à ce que tout s’écroule avec un simple tintement. Sinistre bruit métallique, aussi glacial que la lame qui en était à l’origine. Le son retentit longuement dans le long corridor obscur qu’était le tunnel du métro, comme pour tourmenter un peu plus la proie. Tout son corps se figea, en même temps que sa respiration se bloquait quelque part entre ses poumons et sa gorge, tel un ascenseur en panne soudaine. Même si sa conscience lui hurlait de prendre ses jambes à son cou, aucun de ses membres ne répondait au signal de détresse envoyé par l’instinct de survie. Pour se manifester de la sorte, le prédateur devait savoir la partie gagnée d’avance. A quoi fuir ? Résister en vain ? Si ce n’était pour l’énerver davantage au final ? Sulkan se mordit l’intérieur de la joue, à sang. Le goût métallique emplit aussitôt sa bouche, lui arrachant un violent sursaut, à la fois sous l’effet de la douleur et de la décharge électrique provoquée par le sang. Même s’il se savait fait comme un rat, il ne pouvait pas lui faire ce plaisir. Il ne pouvait pas abandonner ! Machinalement, sa main droite se porta au niveau de la large poche sur le devant de son sweat. En se pressant un peu plus sur le tissu, le garçon put sentir les contours de l’arme à feu se dessiner dans les plis du vêtement. Peut-être aurait-il abandonné s’il ne pouvait plus sentir le poids réconfortant de son seul atout contre son estomac. Or, ce n’était pas le cas.
« Tu vas voir fils de pute. »
Insulter son poursuivant ne le réconforta pas pour autant. Seule la hargne demeurait intacte chez lui. Avec une forte tendance à alimenter le désespoir qui enflait dans son bas ventre. Etrangement, ses jambes se débloquèrent dans la foulée et il reprit sa lente progression. Le jeune hackeur se savait talonné mais l’envie de se réfugier à l’intérieur de l’un de ces abris, dans l’espoir fou que celui-ci le conduise à la surface, venait de prendre un sérieux coup. Si jamais il tombait nez-à-nez avec un cul de sac, il ne lui resterait plus qu’à faire face à son poursuivant… Les ténèbres et le silence approximatif qui régnait dans ces lieux que très rarement visités n’arrangèrent en rien sa paranoïa croissante. Le moindre son résonnait de manière amplifiée à ses oreilles, ce qui manqua de le faire tirer une fois ou deux. Parce que oui, Sulkan n’avait pas été long avant de finalement se résoudre à tirer l’arme de son étui de fortune. Respirant par à coup-à-coup, il essaya de se calmer lorsqu’un rat détala à quelques mètres de lui. Non pas que l’économie de ses maigres munitions l’importait, c’était davantage le fait de signaler sa présence qui l’inquiéter plus que tout le reste. Mais malgré toutes ses précautions, peut-être bien que le prédateur était déjà en train de l’observer, tapi dans un recoin plus sombre que les autres ? A cet instant, le garçon songea même qu’il pourrait rester dans ce trou moisi pour le restant de ces jours. Si ça lui permettait d’échapper à… A quoi déjà ? Un sort peu enviable et sur lequel il s’était largement approvisionné en fonds ? Chose étrange, deux détails lui apparurent de manière simultanée : d’une, plus aucune rame n’était passée, ce qui l’arrangeait assez dans un sens. Il n’avait plus à se préoccuper de finir écraser dessous, quand bien même ce serait certainement un sort plus enviable que celui de finir comme cobaye non consentant. L’espace d’un bref instant, son esprit dériva, au point d’imaginer la colère et l’indignation de tous ces passagers soudain privés de moyen de transport. Oh ça oui, il pouvait visualiser très clairement les visages indignés dirigés vers les agents, déployés pour l’occasion sur les quais. Parce qu’il était le premier à verser sa hargne sur eux lorsque le trafic souterrain se dégradait.
Un sourire nerveux se dessina sur ses lèvres, ressemblant davantage à un rictus qu’autre chose. L’autre détail, en revanche, lui fit perdre instantanément sourire et le peu de couleurs que l’absence de lumière naturelle avait déjà considérablement affecté. Son poursuivant avait un moyen de le localiser. Plus précis et efficace que les sons qu’il produisait malencontreusement. Lentement, son regard se posa vers le bracelet qu’il portait au poignet droit. Même dans le noir, certains voyants étaient encore visibles, notamment celui qui indiquait l’absence provisoire de réseau, tout en lui recommandant de se diriger vers un lieu plus dégagé dans l’espoir de capter de nouveau. Ce qui était le cadet de ses soucis. Comment n’avait-il pas pu y penser plus tôt ? Avec cette saloperie, l’autre pouvait le localiser partout ! De rage, Sulkan arracha le bracelet, marquant toutefois une pause, hésitant. Ce même bracelet contenait tout l’argent qu’il avait pu volé, usurpé, marchandé pendant toutes ces années. Rien de bien extraordinaire comparé aux grandes puissances de ce monde mais tout de même assez conséquent quand on demeurait petit hackeur de banlieue sordide. Le dilemme s’imposa à lui. Le garçon dut fermer les yeux avant de se forcer à lancer le bracelet le plus loin possible. Le cliquetis métallique que fit l’objet en rebondissant avait de quoi renseigner quiconque de sa position s’il se trouvait à proximité. Ce fut quand il rouvrit les yeux que le jeune hackeur le vit : une silhouette se découpait sur les rares lumières qui ornaient le tunnel. Vision assez fugace et pourtant bien réelle. Passé l’instant de stupeur, Sulkan brandit l’arme en direction de l’endroit où il demeurait persuadé d’avoir vu une ombre.
« N-N’approche pas ! »
En dépit de toute sa bonne volonté, la confiance qu’il avait espérée faire ressortir dans sa voix et son attitude ne fut pas au rendez-vous. Lui-même se faisait pitié d’avoir le bras si tremblant. En désespoir de cause, il se résolut à attraper la crosse du pistolet à deux mains, sans plus de succès. Truander était une chose. Tuer un homme en était une autre. Dorénavant, il lui fallait tenter le tout pour le tout.
« J’suis pas l’un d’ces monstres putain ! J’suis humain ! Essayez d’comprendre ça merde ! »
Tiens ? Voilà le retour du vouvoiement ? Sans doute dans l’espoir fou que l’autre accepte de l’écouter jusqu’au bout. Après tout, le jeune hackeur en était convaincu : toute cette histoire ne pouvait qu’être une erreur ! Il ne pouvait pas être devenu un Evolve. Rien que songer à ce terme collé sur son front, comme une étiquette visible par tous, lui donna des sueurs froides. Inconsciemment, il se passa une main sur la nuque, comme pour s’assurer que celle-ci ne comportait aucune puce. Oui, c’était une putain d’erreur ! Tout ça et… La situation lui apparut soudain plus claire que jamais. Il n’avait pas immédiatement fait le rapprochement entre les résultats de son analyse et la tentative de meurtre… Se pourrait-il que tout ceci ne soit qu’un complot destiné à le faire taire ? Un rival un peu trop téméraire ou rancunier au choix ? Un industriel n’ayant pas tellement apprécié sa dernière intrusion dans son espace de données sensibles ? Si cette personne était suffisamment puissante pour fausser ses résultats sanguins, alors rien d’étonnant à ce qu’elle ait suivi l’affaire d’assez près pour envoyer un tueur à ses trousses au moment où il pensait s’en sortir ? Espérant ainsi se débarrasser de lui pour de bon ? Un tel scénario lui aurait coupé le souffle en temps normal. Sauf que là, il lui apparaissait que trop crédible. Colère et terreur se mêlèrent de plus belle en lui, insufflant une envie irrépressible de jouer des castagnettes à ses genoux, lesquels s’entrechoquèrent bruyamment.
« J’veux pas finir comme ça… Vous autres, savez que c’est bidon… Les données… Elles sont faussées depuis le début HEIN ?! »
Plus question de maîtriser sa voix à ce stade du raisonnement intérieur dont il venait de bénéficier. Sur la fin de sa dernière phrase, Sulkan avait littéralement hurlé. Chose étonnante, il ne perçut pas l’écho que les murs du tunnel lui renvoyèrent méthodiquement, trop concentré comme il l’était sur ce qu’il avait à dire.
« Comment tu peux faire ça d’sang froid ! Les Erasers sont pas censés protéger les gens ? Putain ! T’en as rien à foutre d’un hackeur de merde ! C’est ça hein ? Et si c’était ta copine ? Ah tu ferais moins l'malin là pas vrai ? T’irais supplier ton putain d’boss de l’épargner j’le sais ! Sale enflure de merde ! »
Phear I. Rothgrüber
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03.11.15 18:16
Sulkan Zaslavski
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14.11.15 22:19
Evolve. Sous-race. Ces deux mots qu’il avait jadis employés avec dégoût et mépris, venaient de lui être jetés en pleine figure. La violence de la révélation de sa nouvelle condition lui coupa le souffle alors même que l’inconnu lui jetait le sien en plein figure. Chaud et menaçant. Jamais ce dernier ne comptait le laisser s’en tirer. Un tueur. Un professionnel. Un bon petit soldat comme on en faisait plus. Les courses poursuites haletantes, les arrestations réussies, il devait connaître. La vérité lui apparut encore plus cruelle, s’imprégnant durablement dans sa chair, au même titre qu’une blessure physique. Aux yeux de cet homme, il n’était plus rien d’autre qu’une proie, le gibier que l’on traque et que l’on abat enfin avec satisfaction. L’étau de chair autour de ses poignets lui arracha jusqu’à la dernière parcelle d’espoir dans son cœur et son esprit. A quoi bon se débattre ? L’autre le terrorisait, c’était un fait. Et il aurait toujours le dessus sur lui. Ce mec ou un autre, quelle importance au final ? Un voile noir ne tarda pas à tomber sur ses yeux, alors que sa conscience basculait brutalement en arrière, avec comme ultime souvenir, l’amertume cuisante de la reddition que l’on devine proche. Les ténèbres l’enveloppaient tout entier à présent. Un sommeil contraint, en rien reposant. Un de ceux dans lesquels on se perd volontiers, ballotté entre les souvenirs du passé et les contours flous d’un avenir que l’on sait incertain, par définition même. Des mouvements font trembler les limites des ténèbres qui l’entourent. Serait-on en train de le déplacer ? Faute d’éléments concrets, le garçon préfère éluder la question. Le silence, la léthargie… Tout ça est tellement reposant. A tel point que ça en devient presque effrayant. Car il faut songer à émerger un jour. Et à ce moment-là, qui sait ce qui peut nous attendre ?
D’abord une lueur, comme celle que l’on croit apercevoir au bout du tunnel, marquant par-là, la fin de son voyage. Mais plutôt que de s’éloigner à chacun de ses pas vers elle, la lueur se fait lumière, intense, envahissante, constante. La douce chaleur venue titiller ses paupières, se mue doucement en une démangeaison agaçante, celle que l’on veut éviter. Sulkan ouvrit lentement les paupières. Sa vision était encore floue, son esprit demeurait à moitié dans les vapes. Et la lumière aveuglante braquée sur lui ne l’aida pas à y voir plus clair, au sens propre, comme au sens figuré du terme. Difficile de retracer avec précisions, l’enchaînement de cette journée. Les événements survenus à l’hôpital lui paraissaient tellement lointains, comparés à cette chaleur, à présent désagréable, qui demeurait rivé sur son visage. Où se trouvait-il ? Depuis combien de temps était-il inconscient ? Et l’autre type ? Un frisson le parcourut au souvenir de ce dernier et surtout, surtout, à cette expression démentielle figée dans les traits de son visage. Doucement, un semblant de décor lui apparut. Malheureusement pour lui, hormis les deux lampes, origines présumées de la lumière qui l’avait contraint à émerger, le garçon dut admettre ne pas discerner grand-chose. S’il avait sombré dans les ténèbres un peu plus tôt – quelques heures sans doute ? – il craignit soudain d’en faire toujours partie, tant la pénombre régnait en maîtresse au-delà du périmètre de lumière restreint offert gracieusement par les deux lampes. Au prix d’un effort oculaire, les contours d’une porte automatique puis l’intérieur de ce qui ressemblait de loin à un wagon de métro. Alors il se trouvait encore sous terre ? Cette idée le fit suffoquer, déclenchant presque un début d’asthme.
Réprimer un afflux de panique ne se révéla pas être une tâche aisée. Sentir à quel point ses bras étaient lourds l’aida sur ce point. Instinctivement, Sulkan voulut les tirer en avant, les faire redescendre tout au plus, après avoir réalisé l’angle anormal qu’ils formaient. Seul le cliquetis des menottes lui parvint, serrant sa gorge au passage. S’il se réveillait menotté, attaché, prisonnier, alors ce type ne devait pas être loin. Un sanglot de désespoir monta dans sa gorge, sans franchir la barrière de ses lèvres. Son amour propre était en jeu ! Il ne savait pas où se trouvait l’autre, si ce dernier l’avait abandonné ici ou au contraire, s’il était en train de l’épier, attendant patiemment son réveil, aussi, le garçon ne voulait pas lui faire ce plaisir que de craquer devant son bourreau même. Pour évacuer toutes les émotions, parfois contradictoires qui lui nouaient les entrailles, Sulkan tira de plus belle sur ses liens métalliques. Sans plus de succès. Il ne réussit qu’à faire résonner le cliquetis un peu plus profondément dans sa cellule improvisée, sans même savoir la portée qu’avait celui-ci. Pire encore, peut-être venait-il d’alerter son agresseur présumé de son réveil inopportun. Cette pensée le terrifia de plus belle, à tel point qu’il se figea littéralement sur place, n’osant même plus respirer, comme si son souffle à lui seul risquait de faire s’écrouler le plafond. Quoiqu’à la réflexion, peut-être qu’être enterré vivant serait préférable à l’alternative d’affronter ce fou furieux ? Le garçon n’eut pas le loisir de trancher sur la question. Il avait senti du mouvement, là, quelque part, en dehors de la zone qu’éclairaient les lampes.
« Je sais que t’es là enfoiré ! »
En dépit de sa tentative pour assurer sa voix, il constata avec amertume, que celle-ci tremblait. Ce qui n’était pas encore pour le reste de son corps, fort heureusement. Sans doute que les prochaines minutes allaient changer la donne de ce côté. Sulkan se fit violence pour ne pas y penser. Pour l’heure, il tentait maladroitement de masquer sa terreur derrière une insolente agressivité. Son esprit analysait peu à peu son nouvel environnement. Les menottes constituaient une entrave de taille. L’autre n’avait voulu prendre aucun risque. Rien de plus normal étant donné leur course poursuite dans les tunnels du métro. Dans le meilleur des cas, il pourrait faire glisser les anneaux métalliques le long de la barre horizontale pour trouver refuge au fond du wagon abandonné… Et après ? Son bourreau n’aurait aucun mal à le récupérer. Non, vraiment, il ne voyait pas d’issue possible.
« J’suis pas l’un d’ces monstres ! Je les déteste ! T’as pas l’droit d’me retenir ici putain ! J’suis un citoyen de Madison merde ! »
Un citoyen que la société venait purement et simplement de rejeter. Sans procès. Ni droit de se défendre. Si le statut de citoyen allouait certains droits, ceux de Madison étaient bafoués. Seuls restaient les devoirs, à commencer par celui d’endurer les pires injustices.
Phear I. Rothgrüber
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15.12.15 20:18
Sulkan Zaslavski
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24.12.15 19:01
Le silence. Rien de plus et rien de moins. Pesant et angoissant à la fois. Et comme pour exacerber davantage la peur blottie dans la poitrine de son prisonnier comme l’animal tapi dans son terrier à l’approche du chasseur, voilà que ce dernier s’amusait au dépend du garçon, manifestant tantôt sa présence – devenue certitude désormais – par un son métallique produit par autre chose que les menottes, tantôt par le bout de ses bottes. A son grand désarroi, Sulkan pouvait deviner la boucle que suivait l’autre, ce qui lui arracha de nouveaux sursauts de crainte, bientôt rythmés par les tremblements de terreur qui l’agitaient de temps à autre. La vérité, amère et cruelle, s’imposait doucement à lui : ce n’était pas un interrogatoire. Il n’était pas ici pour avouer quoique ce soit, ni même attendre les renforts de son bourreau-chasseur afin d’être gentiment reconduit à la surface, entre deux miliciens. Plus que les signes de vie de l’autre, c’était cette perspective qui le terrorisait à présent. A quoi jouait-il ? Quelles étaient ses intentions ? Est-ce que ses supérieurs savaient où ils se trouvaient ? Pire encore, avaient-ils connaissance du côté psychopathe de leur recrue ? Et s’il s’agissait de sa première mission sur le terrain ?! Il ne voulait pas finir découpé, saigné à blanc comme la victime par excellence. Et qu’on finisse – ou non d’ailleurs – par retrouver son corps, passé sous un ou deux métros auparavant… Cette vision d’horreur s’imprima durablement sur sa rétine, à tel point que Sulkan dut fermer les yeux, compter jusqu’à dix malgré les battements accélérés de son cœur martelant sa poitrine, pour tenter de se calmer. S’il cédait à la panique maintenant… Malheureusement c’était sans compter sur ses nerfs mis à rude épreuve et le sadisme de son bourreau. Cela faisait quelques secondes, plusieurs minutes qui sait, qu’il ne s’était plus manifesté et ce vide, ce silence, éprouvaient un peu plus son prisonnier. Si bien que lorsque quelque chose de froid lui frôla la joue, il tressaillit. Le bruit qui résonna derrière lui, bien qu’associé au projectile par son cerveau, lui arracha un cri de terreur. Bientôt, le cliquetis des menottes se fit entendre de plus belle, ponctuant les exclamations du garçon :
« Putain ! Qu’est-ce que c’était ?! Je ne veux pas mourir ici putain ! Quelqu’un ! A l’aide ! Me laissez pas avec ce malade ! »
Comme si quelqu’un pouvait l’entendre d’ici… L’autre avait bien prévu son coup. Enfouis sous terre, suffisamment loin de la moindre station de métro toujours en activité… Mourir. Il allait vraiment y rester… Cette idée germa dans son esprit, parasitant celui-ci à la vitesse de l’éclair. Il n’y avait aucune échappatoire. Ce tordu allait lui faire la peau, longuement, avec un plaisir caractéristique du prédateur… Sinon, pourquoi l’aurait-il emmené ici ? Certainement pas pour que ses acolytes le retrouvent au plus vite… Néanmoins, à l’autre bout du fil, le Capitaine en question entendit très distinctivement les hurlements en arrière-plan sonore.
« Que- »
L’espace de quelques secondes, l’incompréhension et la stupeur paralyse son cerveau. Cette recrue se payait sa tête ? Pour de bon ? S’agissait-il seulement de leur cible ?
« Au rapport soldat ! Et plus vite que ça ! » tonna-t-il de plus belle dans son appareil.
De son côté, le prisonnier n’en menait pas large. Loin de laisser place à la résignation devant une mort plus que pressentie à ce stade, son esprit s’affolait, encore et toujours, sans jamais atteindre ses limites. Des images toutes plus sordides les unes que les autres lui venaient en tête. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur lui ?! Pourquoi devait-il se taper le psychopathe de service parmi tous les miliciens en fonction ?! Le sort s’acharnait sur lui… Et soudain, sa respiration se bloqua. Sur le moment, Sulkan crut à une nouvelle crise d’asthme sauf que celle-ci ne passait pas. Le garçon essaya de respirer, lentement puis par à-coups dès lors que la sensation de suffoquer se faisait plus forte. Pourquoi ? Il respirait normalement pourtant ! Et il était entouré d’air ! Alors pourquoi diable l’air refusait-il de pénétrer ses poumons ? Lui qui n’avait jamais été asthmatique dans sa jeunesse… C’était bien le moment pour commencer tiens ! Son corps bougea de lui-même, sous les spasmes de l’asphyxie encore inexpliquée. Chaque inspiration ne faisait que le plonger un peu plus dans l’incompréhension, doublée de la terreur de mourir aussi bêtement. Deux mots parvinrent, tant bien que de mal à franchir ses lèvres, lesquelles paraissaient soudainement plus claires du fait de la couleur rouge qui envahissait le visage du prisonnier.
« De… L’air… »
Sa vue se brouillait doucement, même s’il crut discerner du mouvement dans sa direction. Un visage aux traits vaguement familiers dans ses souvenirs aussi flous que son champ de vision actuel. Son bourreau ? Un sauveur providentiel ? Comment savoir ? Cette sensation de manquer d’air, horriblement familière pour l’avoir expérimentée à deux reprises déjà… Il revoyait le plafond de la salle de bain miteuse dans laquelle il avait trouvé refuge, espérant ainsi retarder l’inévitable, à travers la surface de l’eau, tandis qu’il gisait, inerte, au fond de la baignoire. Se pourrait-il que… ? Sans aucune logique, deux nouveaux mots furent lâchés, presque murmurés, du bout des lèvres, laissant parfaitement penser que l’asphyxie le faisait délirer au plus haut point :
« De… L’eau… »
Phear I. Rothgrüber
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19.01.16 8:39
Sulkan Zaslavski
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31.01.16 9:59
Les secondes se mettent à défiler à une lenteur extrême, à peine imaginable pour le prisonnier. En dépit de ses efforts pour assurer de nouveau le passage de l’air dans sa trachée en vue d’atteindre ses poumons, le système inné de la respiration ne se débloque pas. Comme si son corps lui-même refusait d’endurer plus longtemps la liste interminable des humiliations dont il avait été victime jusqu’à présent. L’air lui manque. Il étouffe. Ses oreilles bourdonnent et le garçon songe déjà à l’autre côté. Réclamer de l’eau est une chose. Une tentative désespérée pour essayer de neutraliser son pouvoir. Sans que le principal intéressé n’ait encore conscience du phénomène en lui-même. Mais à quoi bon ? Si lui-même n’était pas capable de comprendre ce qui lui arrivait, comment son bourreau le pourrait-il ? De l’air ou bien de l’eau, quelle était la différence à ce stade ? Malgré ces pensées toutes plus pessimistes les unes que les autres, Sulkan dut reconnaître que l’Eraser eut le bon réflexe. Sans doute que les années d’entraînement de ce dernier n’étaient pas si loin derrière lui. A moins qu’il n’ait déjà été confronté à ce genre de situation sur le terrain auparavant ? Le garçon ne s’attarda pas sur la question mais à la vue du sac plastique s’approchant près, trop près de son visage, il eut un mouvement de recul terrifié. Chose parfaitement vaine puisque l’Eraser venait de l’immobiliser avec toute la force tranquillité que seule l’habitude confère. Sulkan aurait voulu crier, se débattre davantage. La poigne de l’autre l’en empêcha en partie, son asphyxie acheva de le rendre impuissant. Toutefois, un cri de douleur lui échappa malgré tout au moment de sentir la piqure aigue de la seringue crevant la surface de sa peau. Une sensation de brûlure se répandit de la base de son cou jusqu’à l’ensemble de son organisme même si dans le fond, cela était purement psychologique. N’ayant aucune idée du contenu même de la seringue, Sulkan imaginait le pire. Naturellement. Que de l’air ? Quelque chose pour le calmer ? Comme s’il allait le croire sur parole tiens ! Cet homme n’était peut-être pas un lâche mais ce n’était pas un saint pour autant ! Seulement, le garçon dut bien se remettre à respirer à un moment donné, d’autant plus que le produit – probablement un annihilateur de pouvoirs – avait aussitôt fait effet, lui permettant de respirer normalement de nouveau, à son grand soulagement. Ce fut donc avec réticence mais bien obligé, que le garçon se mit à respirer le contenu du sac en plastique, de l’air selon les dires de son bourreau. D’abord irrégulières et rapides, ses inspirations retrouvèrent progressivement un rythme normal.
Saccadée de prime, sa respiration redevint normale, rapportant avec elle, les premiers doutes quant à la suite des événements. Et si les intentions de l’Eraser n’étaient pas de le tuer ? Devait-il s’en réjouir ? A moins que l’autre ne le maintienne en vie simplement pour le plaisir de contempler son désespoir face à la perspective de la mort le moment venu ? Curieusement, ses réflexions tournèrent au ralenti. Se pourrait-il que le contenu de la seringue soit en partie un sédatif ? Sulkan jura intérieurement. Il se sentait encore plus vulnérable entre les mains de cet homme maintenant ! Cet enfoiré avait osé le droguer ! Dans le but de lui sauver la vie mais quand même ! Il aurait préféré crever tiens ! Hagard, le garçon le regarda s’activer. Son esprit était tout engourdi et il dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour garder conscience de ce qui se passait autour de lui. Des échos d’une conversation lui parvenaient. Ou plutôt, la voix de son bourreau retentissait non loin de lui. En se concentrant autant que possible, Sulkan discerna même quelques mots, notamment après avoir reconnu son prénom. Et lorsque la raison de sa séquestration finit par tomber, le garçon fut pris d’un rire d’hystérique, quoique relativement faible. On attendait donc de lui qu’il obtempère de son plein gré ? Voilà pourquoi il se retrouvait aux mains de ce psychopathe forcené ? Sans personne pour lui rendre ses droits ? Si c’était ça le système juridique de Madison, alors Sulkan fut agréablement fier d’avoir agi en toute illégalité jusqu’à présent. Contre coup de la seringue, sa gorge s’était violemment asséchée, lui faisant renouveler sa précédente requête. Et contre toute attente, l’Eraser s’exécuta, même s’il interrompit sa BA de manière trop brutale aux yeux de son prisonnier. Ce dernier se surprit à espérer que l’eau parviendrait à la tirer de cette torpeur insupportable. Commencer ? Commencer quoi ? Rencontrer le visage de son bourreau, en face et de très près, lui fit rater plusieurs battements. La peur devait se lire dans ses yeux, compte tenu de ce que l’autre allait pouvoir faire de lui mais étrangement, la fin lui fit reprendre ses moyens et le garçon lui cracha au visage. Geste désespéré ou suicidaire ? Sulkan laissa retomber sa tête sitôt que la prise sur ses cheveux disparut. Maintenant, il ne savait plus trop bien ce qu’on attendait de lui. Jouer les rebelles pour gagner du temps ? Ou se rendre ? Mais n’était-il pas capturé ? Alors pourquoi l’Eraser ne le ramenait pas à la surface ? Qu’est-ce que ce dernier entendait par « plein gré » ? Qu’il se mette à le supplier ? Le garçon finit par avoir sa réponse et si la dernière possibilité lui avait paru impensable jusqu’alors, il revit sa détermination à la baisse devant cet étalage d’armes. La torture. L’autre l’avait gardé ici dans ce but. Jouer avec lui jusqu’à ce que le temps soit écoulé. De toute façon, qui irait écouter les plaintes d’un Evolve en fuite ? Au mieux, on le soignerait en collant un blâme au soldat en question, dans le pire des cas, le second ne serait jamais inquiété outre mesure. Contrairement à son prisonnier, il bénéficierait d’une tribune pour convaincre ses juges que les circonstances avaient conduits à tout ceci. Ce qui n’était pas, dans le fond, totalement faux. L’horreur se lisait à présent sur le visage du garçon. Restait à savoir si c’était le sourire de dément ou bien les armes en elles-mêmes qui le terrifiaient le plus. Et puis, il y eut la résignation. Qu’importe son statut, l’autre avait obtenu la permission de jouer avec lui. Il était inutile de se défendre en prétendant ne pas être la bonne personne, encore moins l’un de ces monstres. Son bourreau était persuadé du contraire, ou du moins, se bornait à exécuter les ordres venus d’en haut. Et surtout, ce qui l’excitait à un point impossible à comprendre, c’était bien le fait qu’on lui résiste non ? Posséder la liberté d’un récalcitrant, jouir de sa souffrance jusqu’à ce qu’il se brise de l’intérieur… Sulkan ne voulait pas lui faire ce plaisir.
« … Quelle partie ? Elle est déjà terminée pour moi. » finit-il par lâcher.
Sa voix, légèrement rocailleuse à cause d’une gorge sèche malgré les quelques gorgées gracieusement offertes, lui parut être celle d’un étranger. Il n’y avait plus rien à espérer, alors autant attendre que l’autre se lasse. Car cela finirait bien par arriver tôt ou tard. Une mort rapide, c’était tout ce qu’il pouvait espérer.
« T’as gagné. J’peux pas m’enfuir d’ici. »
Dire qu’il faillit ajouter que l’Eraser pouvait dès à présent le conduire partout où il voulait, qu’il ne comptait pas lui offrir la moindre résistance mais, son égo le lui interdit, dans un ultime soubresaut de fierté mal placée.
« Mais puisque je suis un Evolve, explique moi ce qui s’est passé dans cette salle de bain sordide. Hein mec ? » Il fit le choix volontaire de ne pas utiliser le nom de son bourreau, preuve étant qu’il se fichait de le connaître. « Vas-y. Si tu me donnes la réponse, j’irai où tu voudras. Y compris jusqu’à ta caserne de dégénérés. »
Les enfers auraient aussi bien pu être sa prochaine destination. Et tant pis si son insolence dissimulée sous une couche de résignation n’était pas au goût de son interlocuteur… Au même moment, Rhys inspirait une dernière goulée d’air frais avant de voir ses narines assaillies par l’atmosphère saturée du métro. Dire qu’il n’avait jamais vu son supérieur en colère aurait été mentir. Mais il n’aurait jamais cru le voir autant rager pour l’une de ses recrues. L’Eraser avait été témoin de la scène, de l’appel émis par son supérieur, jusqu’à ce qu’il soit repris par quelqu’un de plus gradé que lui. C’était sans doute ce sentiment d’impuissance couplé à la honte qui avait rendu son supérieur direct hors de lui. Et dans le fond, passée la peur de voir les retombées de cette fureur sur sa personne, Rhys devait reconnaître que c’était assez drôle de voir son visage changer de couleur, gagnant chaque fois une teinte toujours plus cramoisie. Cependant, l’Eraser n’avait pas anticipé la suite. Certes, il s’agissait d’un autre et si cela devait mal tourner, il pourrait toujours invoquer la responsabilité de son supérieur mais… Rhys se sentait un peu mal de devoir intervenir en parallèle de la mission du soldat Rothgrüber. Ce n’était pas dans ses façons de faire. Surtout pour des intérêts aussi égoïstes que l’étaient ceux de son supérieur. Ramener l’Evolve et le soldat Rothgrüber au plus vite. Tu parles d’une mission de routine ! L’Eraser soupira avant de vérifier une nouvelle fois le positionnement donné par le bracelet de son homologue.
« En espérant que ce ne soit pas un leurre, ou j’aurai perdu mon temps… »
Faisant abstraction des divers regards qu’on lui adressait, répondant parfois par un sourire déconcertant, Rhys atteignit sans mal la dernière station où des témoins rapportaient avoir vu les deux hommes. A partir de là, les choses se gâtaient. L’emplacement de Rothgrüber ne se trouvait sur aucune zone accessible. Une ancienne station abandonnée ? Ce qui expliquerait pourquoi il apparaissait carrément en dehors des plans connus du métro. L’Eraser passa une main lasse dans ses cheveux roux puis descendit sur les rames pour remonter le tunnel. Pas le choix, il allait devoir progresser à l’aveugle, ou presque, avec un unique point lumineux sur un écran noir en guise de point de repère. Une chance que la Nature l’avait pourvu d’un bon sens de l’orientation. S’il tourna en rond pendant quelques minutes avant de se voir approcher lentement mais sûrement sa destination, la pénombre relative des lieux l’empêcha de s’en offusquer. Et lorsqu’il aperçut enfin de la lumière au bout, étonnamment forte étant donné l’état insalubre des lieux, un hurlement de douleur le fit se figer. Ce n’était pas la voix de Rothgrüber… L’Evolve donc ? C’était ça la conclusion de l’échange téléphonique auquel il avait assisté de loin ? Laisser le fugitif aux mains de Rothgrüber tout en connaissant ses méthodes ? Rhys n’avait jamais été dans la même brigade que lui et n’avait eu jusqu’à présent que des échos du personnage. Mais des échos glaçants tout de même. Le soldat Rothgrüber n’était pas réputé pour être un mauvais soldat, bien au contraire. Disons cependant que ses méthodes étaient…particulières, faisant de loin l’unanimité au sein de la milice. Et savoir qu’un Evolve, coupable ou non, en ferait les frais, lui fit serrer les dents. L’Eraser reprit sa progression, plus rapide cette fois et le regard fixé sur sa destination. Il n’avait pas rejoint les rangs de la milice pour le plaisir de traquer les Evolves. D’aussi longtemps qu’il s’en souvienne, il n’avait jamais eu de différends avec eux. Certes, certains usaient clairement de leur pouvoir à outrance ou avec l’intention de faire le mal autour d’eux. Mais d’autres, la plupart même, se retrouvaient entre leurs mains, complètement largués, ne réalisant pas ce qui leur arrivait. Alors Rhys ne pouvait se résoudre à tous les mettre dans le même panier. Pas plus qu’il les détestait ou en avait peur. Il existait seulement pour s’assurer qu’ils ne blessent personne, à commencer par eux-mêmes. L’Eraser se hissa sur le quai sitôt celui-ci atteint.
« Rothgrüber ! Bon Dieu, qu’est-ce que tu- »
Ses pas l’avaient conduit jusqu’au wagon et le spectacle qu’il y découvrit, bloqua la fin de sa question dans sa gorge, laissant celle-ci en suspens. Menottés à la barre horizontale du wagon, le prisonnier pendait lamentable, comme un bestiau envoyé à l’abattoir. Lorsque la seconde silhouette s’écarta davantage, Rhys put apercevoir les tâches cramoisies situées ci et là sur son corps. Il ne s’était pas trompé. Les rumeurs courant sur le soldat Rothgrüber étaient vraies elles aussi. La voix de celui qu’il venait d’interpeller finit par le ramener au moment présent, le tirant par ailleurs de sa torpeur. Rhys chercha le regard de son collègue, soutenant sans peine celui-ci. La raison de sa venue ? Les choses allaient se gâter désormais et il n’avait même pas pris le temps de réfléchir à ce qu’il pourrait sortir comme arguments. L’autre était dans son droit mais il ignorait très probablement les changements de directive effectués en surface.
« Rhys Coppenfield. J’ai reçu l’ordre de vous ramener, toi et le prisonnier aux quartiers généraux. » déclara-t-il calmement, sur un ton égal.
Dans le meilleur des cas, son interlocuteur accéderait à sa requête sans afficher de résistance. Au pire, il prendrait contact avec la hiérarchie et risquait de tomber sur leur supérieur en commun, lequel ne manquerait pas d’appuyer la version de Rhys. C’était à cause de lui qu’il était venu jusqu’ici. Si l’appel ne gagnait pas d’autres échelons dans la hiérarchie, les choses en resteraient là. C’était un pari risqué. Surtout qu’il se voyait mal repartir bredouille en laissant la malheureuse victime sur place. Cependant, n’était-il pas déconseillé de déranger un carnivore en plein repas ? En présence du soldat Rothgrüber, l’Eraser éprouvait la désagréable sensation de ne pas être sa place, ici, perdu sous terre.
Phear I. Rothgrüber
eraser
15.02.16 15:49
Sulkan Zaslavski
wanted
07.03.16 12:30
L’émeraude contre le chocolat. En voyant ce visage de dément s’approcher du sien, le garçon esquissa un mouvement de recul. En vain. Sa position actuelle ne lui permettait pas de mettre de nouveau de la distance entre eux. Alors, en désespoir de cause, il soutint le regard de son bourreau. Et ce qu’il y vit, lui fit rater un battement. Tant de haine. Sulkan avait déjà essuyé des regards pareils de la part des individus qu’il flouait de manière volontaire et parfaitement assumée. C’était même jouissif en un sens, de les voir lui jeter cet ultime preuve de leur égo blessé juste avant que le jeune hackeur ne mette les voiles. Et même pour ceux pour qui il n’avait pas la chance d’assister à leur défaite pure et simple, le garçon pouvait parfaitement reproduire cette lueur mi- indignée, mi- haineuse, blottie au fond des rétines. Sauf que ce type, il ne lui avait jamais rien fait. Pire, il se contentait de suivre les ordres, ou plutôt, d’en tirer profit à sa guise. Non, ce qu’il contemplait dans ces yeux verts, c’était toute la haine que lui-même avait voué aux Evolves. Un simple reflet. Un haut-le-cœur le prit en réalisant qu’il se retrouvait dans ce regard, la démence en moins. L’autre avait-il délibérément calculé l’impact de cet échange visuel sur le mental de sa victime ? Le jeune hackeur n’aurait su le dire. Constater une fois de plus qu’il venait de passer de l’autre côté de la barrière, l’affligea suffisamment pour qu’il ne cogite pas davantage à ce sujet. Sulkan ne vit pas venir l’attaque. De là où il se trouvait, le garçon ne distingua pas l’objet dont son bourreau se saisissait à la même seconde. Il sentit simplement un courant d’air dans sa direction, la caresse glaciale du bout de la lame alors que les échos de son T-shirt mourant résonnaient de loin à ses oreilles. Avant qu’il n’ait le temps de le réaliser, le jeune hackeur se retrouvait torse nu et la température ambiante lui arracha un frisson. Bien vite remplacé par des tremblements d’une peur trop longtemps refoulée. Si l’autre voulait le tuer, alors qu’il le fasse vite et bien ! Sulkan ne voulait pas souffrir pendant des heures entre les mains de ce taré. C’était la perspective d’une mort lente et douloureuse, ignorée de tous, qui le terrorisait à cet instant précis.
« A-Arrête ça ! Qu’est-ce que tu vas faire ?! Me touche pas espèce de malade ! »
Le cliquetis des menottes s’interrompit brusquement, sitôt que le bout de la lame entra de nouveau en contact avec sa chair. Un bref sursaut l’agita tandis qu’elle crevait son épiderme et Sulkan songea soudain à sa mort. Des images sordides lui passaient devant les yeux. Lui avec des tripes à l’air, dépecé comme un vulgaire animal et agonisant pendant des heures. Malgré lui, il retint sa respiration alors que l’arme remontait lentement le long de son torse, sans jamais rompre le contact avec son épiderme. La sensation d’une piqure aiguë qui jamais ne cesse, se déplaçant sur lui en laissant une douleur familière derrière elle. Si son bourreau n’avait pas l’intention de l’éventrer alors visait-il plus haut ? Le jeune hackeur sentit son cœur s’emballer une fois de plus lorsque la lame parcourut sa cage thoracique. Un soupir discret lui échappa dès qu’elle s’écarta pour de bon de lui. Le répit fut de courte durée : Sulkan se raidit quand elle s’approcha cette fois de son visage.
« Oh non, pas les yeux, pitié pas les yeux !... »
Mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Seuls ceux de l’Eraser lui parvinrent. Un rappel à l’ordre qui n’avait pas lieu d’être. Un moyen comme un autre de lui rappeler sa situation et que ce ne serait pas terminé rapidement entre eux. Leur petit tête-à-tête ne faisait que commencer… Le jeune hackeur ne put qu’acquiescer en silence, son regard croisant celui de son interlocuteur. S’il voulut lui présenter une lueur de défi aux reflets chocolat, ce fut peine perdue. Et le calvaire commença. La piqure aiguë se fit sentir de plus belle, au niveau de son bas ventre. Mais cette fois, elle se déplaçait plus lentement, appuyant un peu plus pour marquer la chair sur son passage. Quelque chose de chaud ne tarda pas à s’échapper des plaies, pour couler le long de son épiderme en direction du sol. Sulkan n’eut pas besoin de baisser les yeux en direction de celui-ci pour deviner de quoi il s’agissait. A défaut de le saigner purement et simplement, son bourreau faisait durer le plaisir. Bien décidé à ne pas lui donner ce qu’il voulait, le garçon serra les dents, allant parfois jusqu’à se mordre la lèvre inférieure pour ne pas gémir de douleur. Les poings fermés à s’en rompre les jointures, il pouvait sentir la timide douleur des ongles s’enfonçant dans la chair tendre et rebondie de ses paumes. Une pâle balance pour équilibrer celle qui irradiait son bassin. Bien sûr qu’il songea à le supplier d’arrêter. Maintes et maintes fois. Mais pour quoi faire ? Pour que l’autre lui rit au nez avant de reprendre son travail ? Il ne voulait pas lui faire ce plaisir ! Il fallait qu’il tienne bon ! Mais jusqu’où en serait-il capable ? Ça, le jeune hackeur l’ignorait… Parfois, la douleur le faisait sursauter. Un nerf un peu trop violemment suscité, la pointe de la lame pénétrant un peu trop loin dans sa chair… La réaction ne se faisait pas atteindre et le coup de poing suivait, le laissant chancelant quelques minutes. A chaque fois. Si bien qu’il ne tarda pas à saigner du nez sous les coups répétés. L’hémoglobine suintant de son nez se mêla à celle déjà répandue sur le sol en raison de ses blessures. Une situation qui lui fit abandonner tout espoir. Sulkan ne broncha pas quand l’Eraser bondit sur ses pieds pour échapper à son champ de vision. Alors quoi ? Il en avait assez de jouer ? Le contact glacial de la lame sur épaule lui prouva le contraire et le garçon ferma les yeux, résigné. Du moins, c’était avant que la soudaine brusquerie de son bourreau ne le tire de sa torpeur. Il sentit la trainée collante souiller ses lèvres, jusque-là épargnées par miracle par ses saignements de nez intempestifs. Pourquoi cherchait-il à étouffer ses gémissements tout d’un coup ? N’étaient-ils pas ce qu’il voulait entendre ? Les lui arracher de force ? Ou alors, l’autre allait mettre les bouchées doubles sous peu et il redoutait que sa victime ne fasse trop de bruit ? Cela avait du sens, si on excluait le fait qu’ils se trouvaient tous les deux sous terre, hors de portée d’oreilles indiscrètes. Non, ce n’était pas logique peu importe l’angle sous lequel il voyait ce changement d’attitude. Rien de tel pour stimuler son esprit. Le jeune hackeur avait été près, si près d’abandonner mais à présent, il demeurait en alerte. Malgré ça, Sulkan ne vit pas venir la douleur dans son omoplate. Elle lui arracha un cri de douleur, chose qui ne plut pas à l’Eraser. Il était sur les nerfs. Le garçon se raidit sous sa prise mais ne releva pas l’insulte féminine, laissant son égo blessé s’exprimer au travers d’un regard haineux.
L’apparition d’un collègue de son bourreau, à en juger par son uniforme reconnaissable entre tous, fit dangereusement osciller l’espoir qu’il avait placé dans cette venue, sans même s’attendre à ce que son souhait soit exaucé pour de bon. A ce stade – et on ne pouvait pas le lui reprocher – le jeune hackeur n’accordait aucun crédit à un Eraser, peu importe la manière qu’eut le nouveau venu d’interpeller l’homme collé dans son dos. En parlant de ce dernier, Sulkan frissonna de dégoût en sentant un souffle chaud sur sa nuque. Il voulait fuir ce malade. Même si pour cela, il devait mettre les pieds dans la caserne et ne plus jamais en ressortir à moins d’être pucé comme une parfaite bête de foire. Là-dessus, il se surprit à espérer que le dénommé Rhys Coppenfield tiendrait parole. Le jeune hackeur les regarda s’évaluer mutuellement. S’il ne pouvait ni bouger, ni aider son possible sauveur à raisonner l’autre animal, le garçon avait en revanche connaissance de la folle détermination de ce dernier. Il avait été l’unique spectateur du petit show privé lorsque l’Eraser avait étalé devant lui sa collection d’armes blanches. Il l’avait senti faire dans son dos, la poche d’un étui qui se remplit en revêtant la forme d’une arme allongée. Le regard fatigué passa de la silhouette de Rhys à celle de Phear, s’arrêtant un peu sur les hanches du second. L’horreur lui apparut brutalement. Rhys ne faisait pas le poids, il ne se méfierait pas d’un simple collègue de travail mais…
« Non ! N’approchez pas ! Il va vous tuer ! Il est armé ! » hurla-t-il en voyant le roux faire un pas dans sa direction.
Un regard surpris. Voilà tout ce qu’il obtint de l’homme avant que Phear ne passe à l’action. Contrairement à ce qu’il pouvait croire, Rhys ne fut pas complètement pris de court. Même sans l’avertissement désespéré de l’Evolve, l’homme avait eu le loisir d’observer le changement s’opérer dans le regard de ce dernier, bien avant qu’il n’ouvre la bouche pour le prévenir. Quelque chose ne tournait pas rond. Rhys l’avait senti au moment de partir en mission de sauvetage après que celle-ci fut simplement une mission de capture d’Evolve en cavale. Et il l’avait senti de nouveau en foulant le béton du quai de cette station abandonnée. Le roux avait cru pouvoir raisonner son collègue mais ce dernier avait donné le ton. Instinctivement, il opposa son avant-bras droit en guise de bouclier. En effet, celui-ci était en permanence recouvert d’une plaque métallique, parfaite pour bloquer l’assaut d’une arme blanche. Dans le même temps, sa main gauche se dirigeait vers l’étui de son pistolet laser. L’habitude sans doute. Sauf que son adversaire n’était pas un simple civil hors la loi cette fois mais bien un militaire aguerri et entraîné de surcroît. Ce dernier réagit vite, ne laissant d’autres choix à Rhys que de battre en retraite à l’aide d’une pulsion du talon droit. Juste à temps. Katarina lui laissa une sensation désagréable sur la gorge. Passé le courant d’air, l’Eraser ressentit la douleur caractéristique d’une coupure. Un peu plus et l’autre lui tranchait la gorge !
« Enfoiré. Tu veux jouer au con ? Allez, viens voir papa. Que j’t’apprenne les bonnes manières. »
Contrairement à ce que ses propos laissaient entendre, l’homme fit un nouveau pas en arrière. Le wagon était un terrain de jeu trop restreint à son goût. Le quai, quant à lui, offrait un bien meilleur espace. Ses futurs mouvements ne seraient pas limités dans l’espace, d’autant plus que Rhys ne comptait pas s’essayer sur le terrain de quelqu’un ayant déjà eu l’opportunité de prendre ses marques sur place. La prudence et son sens de l’humanité lui avait permis de survivre jusqu’à présent en étant sans cesse confronter à des Evolves, la plupart dangereux. Ce n’était pas aujourd’hui qu’il se laisserait étaler raide sur le sol.
Phear I. Rothgrüber
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22.03.16 18:39
Sulkan Zaslavski
wanted
26.03.16 6:08
Au contact de cette paume pleine de sang, le garçon se figea instantanément. Quoiqu’il ait pu espérer de l’intervention miraculeuse de l’autre Eraser, son bourreau venait de se rappeler à lui par ce simple geste. Un violent frisson l’agita lorsque son cerveau réalisa que c’était avec son propre sang que ce dernier lui barbouillait le visage, à la manière des tout premiers habitants de cette chère bonne vieille Amérique. Oui, l’autre malade se tenait encore et toujours entre lui et les secours. Espérer ne pouvait conduire qu’à la déception de voir son bourreau emporter la partie. Alors quoi ? Prier ? En d’autres circonstances, Sulkan aurait presque pu éclater d’un rire sinistre, tout sauf joyeux. Il n’avait jamais prié par le passé, même lorsqu’il croyait goûter aux Enfers, ce n’était pas maintenant qu’il allait s’y mettre non ? Le jeune hackeur se contenta d’adresser un regard furibond en direction de l’Eraser fou, espérant simplement que son collègue tienne compte de son avertissement. Chose que Rhys ne se priva pas de faire et en voyant la démence briller de plus belle dans les yeux de son adversaire, il se félicita d’avoir écouté l’Evolve ou quoi que ce soit qui demeurait suspendu dans ce wagon abandonné depuis des lustres. Dans un sens, ce gamin lui avait peut-être sauvé la vie. De toutes évidences, Phear était schizophrène. Comment un tel diable avait-il pu intégrer les rangs de la milice ? Bon ou pas, il était dangereux ! Le roux se promit de faire un rapport à ce sujet s’il en réchappait. Devant ce constat qu’il allait peut-être y laisser la peau en essayant de sauver un probable petit merdeux ayant obtenu un aller simple pour la cellule, Rhys sentit une bille amère remplir sa bouche. Les risques du métier sans doute ?
« Devrais-je abréger aussi les tiennes collègue ? »
Son ton dégoulinait de sarcasmes sur la fin. Comment qualifier Phear de la sorte alors que ce dernier avait manifestement tenté de le tuer ? Ne surtout pas montrer sa crainte de mourir. Ne pas hésiter. Même en disant cela, l’Eraser n’avait aucune envie de prendre une vie. Mort, son adversaire ne pourrait plus répondre de ses actes. Et surtout, lui aurait des ennuis avec un cadavre sur les bras, celui d’un compagnon de misère de surcroît. Peut-être que le gosse pourrait témoigner, en désespoir de cause, pour avoir été le cœur de cette affaire mais Rhys ne se faisait pas d’illusions. La parole d’un individu en cavale et possible Evolve, même sincère, ne vaudrait pas plus que la sienne, lorsqu’il prétendrait avoir tué Phear par légitime défense. Ce dernier chargea soudain, sans prévenir. Mais le roux était prêt. Du moins, il croyait l’être. En voyant ce pied arriver directement dans son estomac, Rhys n’eut d’autre choix que celui de bloquer le coup à deux mains. Ce petit enfoiré y avait mis toute sa force ! Et contrairement à lui, son adversaire disposait encore de l’usage de ses deux mains. L’Eraser dut faire vite : il tordit brutalement la cheville en question, espérant que la douleur aurait au moins l’avantage de retarder une nouvelle attaque de la part de Phear. Cependant, le roux ne poussa pas sa chance plus loin que nécessaire et lâcha aussitôt le pied de l’autre tout en se reculant légèrement, sa main gauche s’abattant sur l’étui de son pistolet laser dans la foulée. Son adversaire ne lui laissait pas d’autre choix que celui de le neutraliser avec son arme de fonction. Cela ne le tuerait pas mais le rendrait probablement inconscient pendant une petite heure. Sans quitter l’autre des yeux, Rhys sortit son pistolet. Les secondes parurent s’étirer dans une lenteur à peine imaginable tandis qu’il levait le bras en direction de son adversaire, prêt à faire feu. A peine son bras eut-il retrouvé une position horizontale, presque parallèle au sol qu’une vive douleur s’en emparait, paralysant le membre tout entier. L’Eraser n’aperçut qu’un éclair lumineux, reflétant la lumière blafarde d’un pauvre néon aussi vétuste que l’endroit lui-même, avant que la lame ne s’enfonce dans la chair de son avant-bras. Si sa plaque en métal protégeait le bras droit, ce n’était pas le cas du gauche, dont Rhys se servait quotidiennement, étant gaucher de naissance. Cela avait pour but de rendre ses mouvements plus fluides et rapides mais cela représentait également une faille dans sa défense. Phear l’avait bien compris et venait de s’y engouffrer. D’une pulsion, la lame poussa un peu plus en avant, rompant l’harmonie horizontale que le bras du roux formait avec le sol, tordant le membre alors Rhys lâchait son arme, laquelle venait s’écraser sur le sol avec un son résonnant de manière sinistre aux oreilles de l’intéressé.
« Perdu. » songea-t-il avec amertume en voyant venir la prochaine attaque.
Qu’est-ce qui lui avait manqué au juste ? La vitesse ? L’attention ? Ou bien la chance seule ? Sans avoir le temps de trouver la réponse à sa défaite, l’Eraser se sentit basculer dans l’inconscience, les ténèbres enveloppant sournoisement sa conscience pour la réduire au silence. Sulkan n’avait pas attendu le dénouement du combat pour agir. Qu’importe le vainqueur, au final, il finirait derrière les barreaux. Et ça, il n’en avait pas la moindre envie ! Tirant faiblement sur ses liens métalliques tout d’abord, il augmenta rapidement la force pour mesurer la solidité des menottes. Une perte de temps très probablement. Celles-ci ne lâcheraient pas sous la seule force de sa volonté. Le garçon entreprit alors de les faire glisser le long de la barre du wagon pour aller se réfugier à l’autre extrémité de celui-ci. Il voulait mettre le plus de distance possible entre lui et les deux Erasers. Au final, ça ne servirait pas à grand-chose, simplement à amuser un peu plus le vainqueur du combat qui se déroulait sous ses yeux mais il en ressentit le besoin. Qu’allait-il devenir si le malade l’emportait ? Allait-il lui faire regretter d’avoir ouvert sa gueule ? Sulkan frissonna de plus belle, encourageant silencieusement le rouquin pour que ce dernier mette un terme à sa situation actuelle. Malheureusement pour lui, la situation ne tournait pas à l’avantage de ce dernier, même s’il apprécia de le voir infliger une première blessure à son bourreau. Le jeune hackeur sortit soudain de ses pensées quand sa progression se vit brutalement stoppée net.
« Que- ? »
Levant les yeux, il remarqua une difformité au niveau de la barre métallique. Usée par le temps et le manque flagrant d’entretien, elle se retrouvait fendue au-dessus de la tête du garçon. C’était léger mais l’affaissement qui en résultait avait bloqué le glissement fluide des menottes jusqu’à maintenant. Peut-être qu’en forçant un peu plus, il arrivait à faire tomber les menottes par cette fente inespérée ? Le son d’une arme touchant le sol lui fit reporter son attention sur les deux adversaires. Son sang se glaça en découvrant la scène : le rouquin était en mauvaise posture, pire, son bourreau ne tarda pas à l’étaler sur le sol. Le sang s’écoulant du corps inerte de l’Eraser fit naître un nouvel élan de panique chez Sulkan. Ce malade l’avait tué ! Il n’avait pas tenu sa promesse ! Et il serait le prochain sur la liste ! De là où il se trouvait, le jeune hackeur ne pouvait pas savoir que le sang ne provenait pas d’une blessure mortelle, simplement de celle infligée à l’avant-bras de Rhys, lequel était tombé face contre terre par la suite. Dans l’esprit du garçon, le dernier coup de Phear avait été porté dans le but de tuer son adversaire et sa position actuelle l’avait empêché de bien voir le déroulement de l’action, alors même qu’elle n’avait consisté qu’à rendre l’Eraser inconscient.
« Non, non, NON ! »
A en juger par le sourire satisfait de son bourreau, la situation autant que la panique croissante chez sa victime, avait l’air de lui plaire énormément. Le cliquetis des menottes s’accéléra à mesure que l’homme se rapprochait de lui. Il prenait son temps, conscient que sa proie ne pourrait pas lui échapper malgré ses efforts pour se libérer. Les menottes ne céderaient pas facilement. Mais Phear ignorait tout de la faille dans la barre et ce pourquoi sa victime s’acharnait encore à essayer de s’en libérer. Si bien que lorsque le garçon parvint enfin à arracher les menottes à cette maudite barre horizontale, les deux individus encore debout furent aussi surpris l’un que l’autre par ce retournement de situation. Si son bourreau fut le premier à bouger par la suite, comme pour se hâter de le récupérer, Sulkan ne fut pas en reste. Il bondit hors du wagon alors que l’autre se trouvait encore à l’intérieur, donnant à la scène, une impression de duo comique, mais le garçon ne s’y attarda pas. Il devait fuir. Fuir. Mais pour aller où ? L’homme ne le laisserait pas courir éternellement et leur course poursuite dans le dédale du métro n’avait rien donné ! Pour le moment, le jeune hackeur se forçait à mettre un pied devant l’autre, la respiration saccadée. Courir pour sauver sa peau. Pas un regard en arrière. Pas le temps pour ça. Et pourtant, il pouvait sentir le souffle chaud de son bourreau caresser sa nuque. Pas déjà. Pas comme ça ! Alors qu’il avait enfin une chance ! Son regard remarqua alors la tache sombre sur le sol. L’arme du roux. Aurait-il seulement le temps de s’en saisir ? Et si celle-ci était paramétrée pour ne tirer qu’au contact tactile de son propriétaire légitime ? Oh et puis zut, il n’avait plus rien à perdre désormais ! Sulkan parcourut Dieu sait comment la distance qui le séparait encore et toujours de l’arme, avant de se jeter dessus, littéralement. L’énergie du désespoir sans doute. Là où Rhys avait échoué, le garçon pivota sur lui-même dans la foulée, découvrant le visage – bien trop près – aux traits tordus de son bourreau. Il pressa la détente. Ses yeux se fermèrent brièvement lorsque la décharge partit. Le jeune hackeur s’attendit à tout moment de se faire frapper une fois de plus. Mais rien ne vint. Un bruit sourd suivit la détonation et il ouvrit timidement un œil, puis le second. Phear gisait sur le sol.
« J’ai… J’ai réussi ? »
L’autre ne bougeait plus. Etait-il seulement encore conscient ? Sulkan avait plutôt eu l’impression d’envoyer une décharge électrique en direction de son poursuivant qu’un réel tirant visant à le rendre inconscient. Le garçon fit un pas en arrière puis un autre. Il n’arrivait pas à réaliser la situation. Etait-il libre ? Pour de bon ? Meurtri et traumatisé, certes mais vivant ! Passé le soulagement et l’incrédulité, la colère refit faiblement surface. Celle-là qu’on s’autorise à ressentir lorsqu’on est certain d’avoir le dessus sur son interlocuteur. Le jeune hackeur s’autorisa un crachat.
« Je ne serais jamais ta putain de chose connard ! »
Ni de personne d’autre ! Mais il se garda bien de le préciser, l’homme n’avait pas besoin de le savoir de toute manière. Pris d’une joie malsaine, Sulkan envoya son pied dans la figure de son poursuivant désormais neutralisé et ce, peu importe que ce dernier soit conscient ou non. C’était libérateur et petit de sa part. Après tout ce que son bourreau lui avait infligé comme douleurs physiques et mentales, c’était humain de s’autoriser un juste retour des choses non ? Cependant, le garçon savait ne pas pouvoir jouir plus longtemps de sa victoire et tourna les talons pour s’enfuir de cet endroit. Une fois dans le dédale, il retrouverait une sortie de secours quelconque avant d’inspirer de nouveau l’air frais et froid de l’extérieur. Sa priorité serait ensuite de se débarrasser des menottes, trop visibles et bruyantes, en plus de sa dégaine pour le moins effroyable.