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Au pied du Mur ♦ Theresa Wall
Anonymous
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14.12.14 10:56

Au pied du Mur

Au pied du Mur ♦ Theresa Wall 369266Bar1

L'alcool est le pire ennemi de l'homme. Mais la Bible nous enseigne d'aimer nos ennemis.
-Frank Sinatra

Protégé par le linceul de ténèbres qu'offrait la nuit, William observait la vie autour de lui. Jamais il ne s'était retrouvé dans cette situation. Son loyer était trop dispendieux et l'appartement des parents n'était pas forcément la meilleure idée de secours. Il lui restait un mois ou presque pour trouver quelque chose de mieux, un boulot, une mine d'or, une mallette remplie de billets au recoin d'une ruelle déserte, en somme il était désespéré. Le misérable qu'il devenait au fil des heures n'avait de cesse que de penser à cette vie, ici, dans l'enceinte de cette citadelle barbare. Il passa par la porte d'un troquet malfamé et commanda un double du meilleur rapport ivresse-prix.


N'existe t-il donc pas un peu de bonté en ce monde ? Lui qui était égoïste de conséquent, regrettait cette insouciance de l'enfance. Ce répit le soir, cette excitation de la vie le matin, et la joie entre deux, il était loin d'être ainsi William. Accoudé au bar où il avait dilapidé suffisamment d'argent pour réduire significativement l'espoir de manger en fin de semaine. Il faisait froid dehors et quitte à ne rien faire, il allait le faire en compagnie d'étrangers. Il ne parlait pas, le type à côté de lui ayant déjà décidé d'être le meilleur ami du comptoir. Il reposait sa tête empourprée sur les diverses éclaboussures du bois érodé par le temps. Le patron le fit sortir, il grommela dans un jargon que lui seul comprit.


« C'est des choses qu'arrivent gamin, et j'aime pas que ça arrive là ! »


Il avait certainement la cinquantaine bien tassée, son obésité naissante n'aidant pas à lui donner un âge précis. Une barbe laissée à l'abandon et un manque d'hygiène général venait ajouter encore du charme à cet endroit. Murray n'avait pas choisi le bon endroit, comme à l'accoutumée, trop tard, il avait déjà consommé. Par la baie vitrée sale et ternie on pouvait apercevoir le Mur en fond. William répondit au type qu'il était là pour se « changer les idées » et que ce n'était « pas un problème ». Traduction : fous moi la paix, je regrette déjà d'être ici et de n'avoir rien d'autre à faire.


Au moment où il termina son verre on lui demanda s'il voulait le suivant, il déclina, rassembla son courage et demanda l'addition. Il régla ses comptes et referma son manteau. La beauté et la fraîcheur de la nuit lui faisaient du bien, quelques gouttes tapèrent sur son épaule, il leva les yeux au ciel, bondé de nuages épais, les augures n'étaient pas en la faveur d'un retour au mieux. La pluie qui n'était alors que simples gouttes désordonnées s'intensifia. Alors Will regretta s'être sorti de son appartement ridicule pour aller dépenser de l'argent, finir malade, ne pas parler à qui que ce soit et être fatigué le lendemain. Il courut si vite qu'il en attrapa une pointe de côté doublée d'une quinte de toux virulente. Arrivé dans la cage d'escalier de son immeuble il essora ses cheveux du mieux possible et tenta d'éponger ses lunettes avec son t-shirt lui aussi trempé. Troisième étage, laborieusement arrivé par les escaliers il disposa ses fripes humides sur la patère et enfila quelque chose de propre, ou de ce semblait l'être. Il se connecta sur son ordinateur. Il transféra ses données depuis son EMcompact jusqu'à l'outil de bureau. Il lui fallait son relevé de compte.


Relevé Capital One
Client n°044752
William Murray*
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C'était dur oui, c'était l'état critique même. Il ne lui fallait plus qu'espérer, les lettres de motivation avaient trouvé leur destinataire ce matin même et il ne pouvait plus qu'attendre. Trois bars, quatre restaurants, une bonne dizaine de sociétés diverses, de celle des recyclages d'aspirateurs à celui de la revente en gros de produits de beauté, des maisons d'éditions aux services de nettoyage de nuit en passant par les postes de vigiles. Il n'avait pas la carrure pour ces derniers, il n'avait rien à perdre de toute façon. La nuit passa vite, il s'affala sur son lit, ne prit pas la peine de s'installer sous les couvertures et ferma les yeux. Il s'imaginait sous le soleil, près d'elle, à ne rien faire, exister, ne plus paraître et ne plus faire semblant. Ne pas aller voir ses parents de l'autre côté de la ville pour leur dire que tout va bien, que le travail est plaisant et qu'il paye bien. C'était le sort qui lui serait réservé le lendemain.


Dimanche matin, onze heures, il venait de jurer par trois reprises que tout se passait bien et qu'il n'avait besoin de rien. Mais sa génitrice était inquiète, elle ne voulait que son bien, encore heureux puisque sans soutien, sans eux, William ne serait peut être plus en train de lutter pour trouver sa place dans la société. Une heure plus tard ils entamaient le plat principal. De vrais légumes, William les dévora à s'en faire exploser la panse. Son père, discret tout comme lui, l'observait du coin de l’œil sans dire un mot, puis vint le dessert. Une crème de bananes au sucre, c'était le subterfuge que sa mère avait trouvé pour lui en faire manger. Il en aurait même mangé nature désormais, il avait faim et c'était son seul repas de la journée très certainement. Une fois avoir discuté du voisin qui était toujours aussi bruyant la nuit et de la dame d'en face qui ne pouvait s'empêcher d'épier tout le monde à la paire de jumelles, William mit sa veste zippée par dessus son simple pull bordeaux et embrassa ses parents. Son père sur le palier de porte attrapa son fils avant qu'il ne parte et sans que sa mère, déjà occupée à débarrasser la table, ne puisse entendre, lui demanda quelque chose :


« Tu veux un virement ? Je sais que t'as des soucis là en ce moment, t'as jamais aussi bien mangé de ta vie et t'es de plus en plus maigre. Dis moi si t'as besoin de quelque chose... »


Il était là pour lui, Murray père était touchant et Murray fils tenta de faire bonne figure. Il ne pouvait mentir à son créateur, il le connaissait si bien que c'était inutile de parler, qu'il connaissait déjà jusqu'à la réponse de son fils qui fut exactement celle qu'il ne voulait pas forcément entendre.


« Je te remercie mais je vais réussir à m'en sortir seul, bisous papa, on se voit la semaine prochaine. »


Il l'embrassa de nouveau sur la joue, tourna les tallons et essaya de ne pas faire de bruit en pleurant. C'était ridicule de sa part mais il ne pouvait contenir ce qu'il ressentait. Au fond du gouffre et seul n'est pas un souci, mais refuser une main qui se tend, être aperçu au fond du puits, seul, c'était le souci. C'était dur pour lui de ne pas être au niveau, de ne pas réussir à vaincre où son successeur avait trouvé félicité. Cinq étages plus bas et après avoir balayé ses yeux avec sa manche de teintes noires et grises il se décida à aller quelque part. Il ne voulait pas tourner en rond chez lui, il était beaucoup trop tôt pour ça. Il ne pouvait pas faire de porte à porte pour demander aux diverses compagnies si elles avaient un poste à pourvoir. Le parc n'était pas loin. Le parc était rassurant, il renvoyait à l'enfance, il rappelait de bons souvenirs à sa mémoire. Il fit le tour du premier parterre de fleurs pour trouver un banc abandonné, aux yeux de tous mais sous l'ombre d'un vieux chêne probablement. William n'aurait sut différencier un chêne d'un pommier, il n'y connaissait rien et avait vécu ici toute sa vie, entre les végétations artificielles et les racines de la ville. Il nettoya ses lunettes grâce au tissu de son gilet épais. Ouvrit sa veste aux vétilles vertes et prit son téléphone en main. Il consulta les nouvelles du monde.


On parlait d'un record de pollution à Paris ces derniers jours, d'une mesure prise en vigueur prochainement. On parlait aussi d'une évolution notable dans la qualité graphique des hologrammes de salon et d'autres futilités encore. Le parc était ennuyeux et quand William Murray s’ennuie, il va dépenser de l'argent. C'est alors qu'il chercha le premier bar non loin de ce dernier pour avoir au moins accès au journal et ne pas sembler seul, du moins pas autant que sur son banc, pensa-t-il. Les bars sont des endroits remplis de gens seuls, il se mêlerait à la foule. Il y avait du monde en ville aujourd'hui et l'établissement semblait ouvert, de loin il l'avait repéré, des néons bleus scintillants, une odeur bien particulière, c'était chic sans l'être. William entra par la porte coulissante et s'installa à une table, un peu à l'écart. L'endroit semblait populaire, il y avait des rires d'un côté, des discutions sur le conseil de l'autre, entre les deux un Evolve semblait intriguer un groupe de jeunes filles en fleur, ce n'était pas le genre d'établissement qu'il fréquentait d'habitude. D'une part il n'avait pas les moyens d'être ici, d'une autre il n'était pas du coin. Ici les gens étaient un peu plus aisés que par chez lui. Le centre de la ville n'était fondamentalement pas loin de chez lui, mais les stations de transport en commun n'étaient pas ce qui séparait le centre du lieu d'habitation de William. Le bruit, les visages, les coutumes, le danger...


Le serveur vint à lui, il commanda un grand verre d'une boisson forte, il voulait prendre son temps ici, il allait de toute façon devoir cracher un grand nombre de crédits, qu'il en profite au moins. Il était sans nul doute, pour son âge, être le seul à boire en début d'après-midi quelque chose de si fort. Le serveur revint quelques minutes plus tard, la mixture d'une couleur entre l'ambré et le rouge, servie dans un verre à Pilsner. Il engloutit une gorgée et expira fortement ensuite, il vogua ensuite dans son petit monde, le regard fixé sur la fenêtre à sa droite. Il étira ses jambes jusqu'à la banquette lui faisant face et permettant à une personne supplémentaire de se joindre à lui. Trois gorgées plus tard, quasiment au quart de son verre, il retira sa veste, la plia de manière brouillonne et la déposa à côté de lui, sur sa droite. Il avait pris pour habitude de faire attention aux détrousseurs. Entre lui et le mur du bistrot, il y avait moins de chance de se faire dérober. Son téléphone à la main il continua de lire l'article sur Paris. Il n'arrivait à s'imaginer comment était le monde à l'extérieur. Pour lui le monde s'arrêtait aux frontières de la ville. Il fit des pauses toutes les deux phrases pour observer les gens dévaler la rue piétonne sous un soleil timide, imaginer quelques secondes qui étaient ces inconnus, ce qu'ils pensaient, où ils allaient.
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14.12.14 21:04

NON.

La réponse avait été claire, sans aucune modulation d'hésitation.
Theresa ne reviendrait pas sur sa décision. L'homme qui lui faisait face, la trentaine, plutôt beau garçon et habillé d'un ensemble de marque, rougit et se tortilla mal à l'aise sur la banquette de cuir synthétique.

-Mais... Votre violoncelle sera l'acteur d'un travail artistique sans...

Un pli de mécontentement, si rare sur le visage de la violoncelliste toujours d'une fixité aimable, apparut. Ces quelques mots avaient suffi à réveiller haine et colère, ces sentiments peu commerciaux que la vieille cachait derrière son sourire de mamie nova sénile.

-Taisez-vous ! Je les connais vos lubies artistiques avec les vieux instruments de musiques ! Brûlés, déchiquetés, scarifiés et maltraités pour être exposés dans vos galeries minables ! Il serait temps d’arrêter vos délires modernes post-Duchamps ! »

-Mais... Madame, réfléchissez ! Pour 10 000 crédits. Vous pourriez...
-LA FERME !!!!!!!!!!!!!!!!!!

Le sang était monté au front de la vieille et son poing s'était abattu sur la table, faisant sauter de la barquette de frites quelques une de ses prisonnières. Surprise, la clientèle calme du bar s'était retournée sous le bruit et l'exclamation, figeant ses regards sur l'instigateur de l'agitation. La peuplade s'attendait à voir un vieil et puissant homme par la force du coup et  par la voix enraillée qui avait crié, mais elle trouva une femme, vieille, ridée, un peu voûtée mais surtout remontée, forte d'un caractère que son apparence physique ne laissait pas présumer. Contraste.

Un murmure gêné se créa dans la salle. Le lieu calme et conviviale était devenu le temple du « qu'en dit-on ». On disait  tout bas qu'une telle femme, si mal vêtue et sentant si fort n'avait rien à faire dans cet endroit, qu'elle devait retourner dehors. On regardait de travers, bloqué par cette pudeur hypocrite de circonstances.
On jasait puis soudainement, on se tut quand la vieille femme sourit et fit un signe d'excuse de la main et de la tête pour calmer l'assistance. La foule, surprise dans son essence la plus base, reprit ses activités normales sans tout à fait oublier sa curiosité, gardant une oreille sur la violoncelliste et la source d'occupation et de ragots qu'elle constituait.

Dire que tout ce petit tumulte échappa à Theresa serait un mensonge mais celle-ci, habituée, préférait ignorer, pensant que retrouver son calme pour clôturer au plus vite cet entretien était une activité plus essentielle.
Nerveusement, elle massa la racine du nez, tic qui revenait à chaque moment de stress, respira profondément et reprit, d'une voix plus modérée, plantant ses yeux bleus dans ceux de son interlocuteur.

« Monsieur... comprenez que je possède Rostropovitch depuis bien avant votre naissance. Il est la source de mon existence et je ne le vous vendrez pas, même contre un million. Alors arrêtez de vouloir détrousser plus pauvres que vous. Et, au lieu de vouloir m'humilier par la corruption qui dicte toutes vos actions, prenez vos clic et vos clacs et laissez-moi en paix. »

-Je comprends Madame... Au revoir. »

Le trentenaire avait salué modestement, puis avait disparu sans attendre la moindre salutation de la violoncelliste, fuyant les regards interrogateurs sur son passage.

Theresa s'était ré-assit, grignotant quelques frites pour retrouver un contrôle total de son humeur assassinée à coups d'arguments d'artistes bobo-idiots. Elle soupira, une fois, deux fois, trois fois, se releva, barquette en main, à la recherche d'une occupation dans le bar, ou plus clairement, d'un pigeon dont la causette superficielle la distrairait de ses états d'âme personnels.
Son regard se balada et s’arrêta sur un jeune homme seul à sa table et dont le regard ne fuyait pas à son contact.

Elle s'approcha, maugréa pour elle même un « Pffff, ces poltrons n'ont même pas le courage de jeter dehors une vieille femme qui gueule un peu trop fort alors qu'ils pensent qu'une vieille sdf puante comme moi n'a rien à faire dans leur établissement. » avant de lancer à l'inconnu un « Je peux m'asseoir ici ? », question davantage posée pour la forme, que pour  vraiment demander l'autorisation.

Elle s'assit face à l'homme, posa sa barquette de frites tièdes sur la table et glissa aussitôt une lucky strike froide à moitié grillée entre ses lèvres. Trop occupée à chercher quelque chose dans les replis de sa  robe pour lever le regard,  elle apostropha l'homme coi qui lui faisait face.

« Vous avez du feu ? »
Elle leva un sourcil vers l'inconnu, le regarda d'un œil tout en gardant comme centre d'intention ses mains s'affairant sous la table. Elle attendit quelques secondes, sans porter à l'homme une attention réelle et, relevant la tête, un sourire satisfait sur le visage, tira d'un recoin de sa tenue, un briquet métallique vipo.

« Moi j'ai du feu ! Et vintage en plus.»

Du bout du pouce elle fit rouler la molette et une gerbe incandescente d'un bleu profond jaillit.
Elle oscilla la flamme du vieux briquet à droite et à gauche de la cigarette sans que celui-ci ne l'atteigne. La vieille jouait, avec le feu et la cigarette, surement pour ne pas précipiter ce moment de plaisir où  la lucky strike s'enflammerait et lui délivrerait sa première bouffée.

« Ça doit s'entendre à ma voix, j'aime fumer. Pas les cochonneries que les jeunes fument maintenant mais les bonnes vieilles cigarettes. Ça me détend. Sauf que ça me bousille aussi la santé et que de toute façon, j'ai pas les moyens d'en fumer autant que je le voudrais. Alors, en général, j'allume pas  ma cigarette. Enfin... ça dépend...Cette idée est pas de moi... J'ai lu ça dans un vieux roman à l'eau de rose* qui date même pas de l'époque de vos grands-parents. Le héros disait que c'était une sorte de  métaphore. Que tu glissais le truc qui tue entre tes lèvres, mais que tu ne lui donnais pas le pouvoir de te tuer. Je trouvais l'idée intéressante alors j'ai fait pareil. Si je peux pas l'allumer, au moins je l'ai entre les lèvres. J'ai l'illusion d'avoir et de consommer ce qui me plait sans en avoir les effets négatifs. »

Elle jeta successivement un regard au jeune homme et au verre d'alcool à moitié vide.

« Vous devriez peut-être faire pareil avec l'alcool. »

Elle regarda avec plus d'intensité l'homme qui ne semblait pas décidé à parler, posa le briquet aux motifs floraux d'un kitsch de bon goût devant elle et lui tendit la petite barquette.

« Une frite ? Vous avez la mine de quelqu'un qui n'est pas en forme... ça vous ferra du bien.  Et puis, moi ça me coûte rien, c'est l'Autre qui m'a payé cette portion. Il pensait m'acheter avec de la nourriture... L'idiot. »

A son habitude de n'en faire qu'à sa tête et de n'écouter personne, elle plaça les brindilles calibrée de pommes de terre au centre de la table, n'attendant aucune réponse hormis celle que pouvait donner un regard. Le gosse n'était pas causant mais sa tête lui revenait bien. Pour une fois que l'assiette de la vieille était pleine et que la fin ne se manifestait pas, elle pouvait se laisser porter par un élan de sympathie.  

« Moi c'est Theresa Wall, la vieille violoncelliste du Mémorial. Pas enchanté mais curieuse de savoir ce que pourrait me raconter un jeune huppé qui a l'air aussi blasé qu'un vieux débris usagé comme moi. »
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16.12.14 14:35
Au pied du Mur ♦ Theresa Wall 444682Ville15

Il ne faut jamais faire de confidences, cela abîme les sentiments.
-Raymond Queneau

Il avait des papillons plein le ventre rien que d'y repenser. Elle était belle, elle le faisait rire, mais ce qui lui manquait le plus c'était l'odeur de sa peau. Lorsqu'ils étaient tous les deux, rien n'existait autour, le monde et ses querelles n'étaient plus, Nicolas Copernic avait tord, la Terre tourne autour de l'être aimé. Bien qu'une grande partie des américains l'ignore, le reste du temps, la Terre tourne autour du Soleil. Elle avait stoppé jusqu'à sa révolution pour William. Les jours étaient longs et les nuits interminables, il ne savait plus comment faire, ni même quoi faire, il ne savait plus rien, il n'était plus sûr de quoi que ce soit. Malgré ses désirs, malgré ses soucis, il était à court d'instinct de survie, il se laissait pour mort, flottant au gré des vents, son impulsivité prenant le dessus. William était repus et son esprit fatigué vaquait à nouveau à son occupation préférée, remuer le passé, en l'occurrence, Michelle. Les soirées qu'ils passaient ensemble à juste profiter de la compagnie de l'autre, ils empruntaient la même route le matin pour aller travailler et la plupart du temps avaient les mêmes horaires.


Elle n'était en rien ce que caricaturaient les médias, elle n'était pas extraordinaire en dehors de son apparence physique et de ce qu'elle inspirait pour Murray. Cela faisait bientôt un mois qu'elle était partie, c'était encore trop frais pour passer à autre chose ou même prendre du recul. Il était encore amoureux, plus qu'il ne le devrait être. La dispute de leur dernière soirée passée ensemble n'aidant pas William à se sentir mieux.


« Tu dois rester là, ils vont t'enfermer, ils vont te trouver et sans même hésiter, te reconnaître ! »


Michelle n'avait rien voulu entendre, elle l'avait embrassé une dernière fois, il ne l'oubliera jamais. Elle avait le même gêne que tout les autres, rien d'extraordinaire et il lui fallait une nouvelle prise de sang pour obtenir une certitude sur ses habilités. Elle n'avait aucune démonstration physique ou extra-physique de cela, elle se sentait bafouée et rancunière qu'elle était, n'aurait jamais laissé quelqu'un la marquer comme un vulgaire animal de foire. Ils n'avaient communiqué aucune information, laissé filtrer aucune hypothèse, elle ne savait qu'une seule chose, elle ne resterait pas là. Bornée, impulsive, inflexible, elle le rendait encore plus admiratif, elle avait du cran. Elle prit quelques affaires chez lui, chez elle, retira son bracelet et prit un sac à dos en guise de passeport. Sans un sou, comment aurait-elle pu réussir ? Mais elle était débrouillarde, elle n'avait peur de rien. Aux différentes annonces, on assistait à des exemples de pouvoirs exagérément puissants, un homme capable de faire brûler sur commandes, une petite fille déplaçant les objets par le simple fait de la pensée, il s'agissait de faire du sensationnel, pas de donner dans le reportage émotion. La crainte est la meilleures des armes en faveur d'un gouvernement totalitaire. La démocratie comme on l'entend n'est pas le pouvoir exécuté par le peuple. Le peuple n'a qu'un unique pouvoir, le donner à quelqu'un d'autre. Qu'il s'agisse de gens bien ou non, le résultat est le même, William ne pourrait rien changer à la face du monde, ni aujourd'hui, ni demain.


Aujourd'hui, par ailleurs, William n'avait pas décidé de changer quoi que ce soit, ni ses mauvaises habitudes ni même ses vêtements. Il s'était levé comme il s'était couché, et béni soit le ciel, il réussit à dormir. Il ne rêva pas, et de toute façon ses rêves étaient tous les mêmes. On dit que les songes sont un mélange brouillon de ce que l'on vit la journée. Il ne vivait rien mais revivait en permanence ses douze derniers mois. Apprennent par cœur chacune des phrases qu'elle avait prononcé, s'efforçant de se souvenir de sa voix, son odeur, son regard. Mais tout cela disparaissait progressivement, emportant l'espoir et la joie avec. Là il la revoyait, éclairée par les néons de la ville qui filtraient par les encoches des volets. Dos à lui, elle avait marqué de dessin jusqu'à son dos. Elle avait prit le temps de se livrer sur ce point et sur cet art. Elle voulait être différente, oui sans nul doute, mais elle marquait son corps par besoin, pas par envie. Elle avait marqué sous sa peau William, métaphoriquement. Sous le cœur, d'une clef, selon elle, il lui « aurait ouvert la voie », il aurait réussi à « ouvrir son cœur ». Il était tellement touché, heureux. Cette fille était là pour lui, il était là pour elle. Sa façon de chercher, quand elle dormait, la chaleur du dos de William, ses tiques quand elle était concentrée, sa manie de préférer les livres matériels, sa culture. Il cessa de penser à elle un instant, le vacarme du bar le fit secouer la tête et débloqua son regard de l'extérieur.


C'était une vieille femme qui faisait tout ce bruit, William n'y prêta que peu d'attention, un peu trop loin pour entendre distinctement l'altercation qu'elle avait avec un type de la trentaine environ. Il avait un chic fou et détonnait sérieusement avec la petite femme qui se trouvait à côté de lui. Elle était du genre à taper sur la table et à parler un peu trop fort, c'était certainement l'alcool, du moins c'est ce dont William pensa, commençant lui, à être un peu plus détendu que d'habitude. Il ne devenait pas violent, il ne devenait pas triste, ni même heureux, il était simplement plus simple, limité. Il reprit une gorgée de son nectar et fit cogner en rythme ses doigts sur la table. La vieille dame se mit en mouvement, William l'avait fixée du regard et elle se dirigeait désormais vers lui. Il ne trouva aucune alternative à un sourire et à un signe de main pour lui demander de s’asseoir. Le jouvenceau n'était pas à l'aise. Il repensa aux parents des siens. Les Murray étaient pour la plupart en Angleterre et l'autre côté de sa lignée n'était plus de ce monde. Il avait vu une fois ses grands-parents et était bien trop jeune pour s'en souvenir. Il fit signe de la tête pour signaler qu'il ne possédait pas de briquet. Elle parlait beaucoup et certaines remarques ne plaisaient pas au jeune homme. Loin d'être vexé, il était interloqué, elle disait vrai. Il se détruisait avec l'alcool. D'une part il n'avait pas les moyens de se payer un verre de trop, de l'autre, il était toujours un gosse qui aimait jouer avec ses limites. Il comblait un manque par une mauvaise habitude, c'est de là que naissent les addictions. Avait-il vraiment l'air perdu ici ? En tout cas elle l'avait vu sans peine. Il ne savait lui-même pourquoi il s'était assis à cette table, dans ce bar, dans ce quartier. Il ne trouva même pas de réponse convenable mais quand le micro changea de main il était totalement désarçonné.


« Moi c'est William, je fais une pause dans ma journée en venant ici. Pour ce qui est de l'alcool c'est ma manière de célébrer ce jour... Je... »


Il mentait si fort qu'il n'arrivait pas à retenir son nez de grandir. Il en était presque honteux. Après tout pourquoi se livrer à une inconnue ? De la même manière il n'avait pas parlé à qui que ce soit en dehors de ses parents depuis presque plusieurs semaines. Il prit une grande respiration et une grande gorgée de son verre avant de répéter la première opération. Il frissonna puis reprit la parole.


« Non vous avez raison madame, je ne sais pas pourquoi je suis ici, j'ai certainement un problème que je viens noyer, je n'ai plus d'argent, plus d'amis, plus rien. Et si on venait me retirer la boisson c'est l'ivresse qui me manquerait et non le vin. »


C'était dit, c'était stupide. Il prit une petite poignée de frites, ne demanda pas la permission, il était désinhibé et un peu gauche. Il regardait la femme en face de lui, elle semblait elle aussi écorchée par la vie sans même parler de son apparence générale. Le gamin était au fond du gouffre, il allait encore dépenser la dizaine de dollars ici avant de tourner en rond, attendant que la journée ne passe pas, que la nuit s'éternise et que le lendemain se répète.


« J'apprécie votre compagnie mais je ne sais pas comment interpréter votre voyeurisme. Je peux vous offrir quelque chose à boire ? »


Il avait besoin de parler, à elle, à n'importe qui, de toute manière il était paré pour se resservir un autre verre et n'avoir probablement aucun souvenir à son réveil. Quitte à se ruiner, autant qu'il en fasse profiter quelqu'un. Puis elle partageait sa nourriture avec lui, sa présence aussi même s'il aurait pu rêver mieux. Lui non plus n'était pas le plus présentable du monde, ses cheveux partaient dans des directions aléatoires et il n'avait pour lui que la jeunesse, qu'il s'empressait de gâcher aussi bien que possible.


« Je me permets de vous poser une question, vous avez déjà perdu quelqu'un de cher à vos yeux ? Je n'arrive pas à le pardonner, j'ai du mal à le vivre... »
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16.12.14 20:21


La vieille se tut.  Elle posa sa cigarette sur la table à côté du briquet et écouta religieusement le gamin, un air navré et compatissant sur le visage. Malgré ce qu'elle répétait souvent, Theresa savait faire preuve d'une empathie magnifique quand il était question de pauvres gosses perdus. Peut-être se revoyait elle des années auparavant au travers d'eux. Peut-être voulait-elle sauver ses rejetons rejetés par la vie, les voir accomplir là où elle avait échouer. Sous sa croûte amère, elle avait de l'espoir la vieille. Pas pour elle, non, mais pour ceux qu'elle appelait la jeunesse du haut de son grand-âge.

Elle esquissa un sourire entre mélancolie et cynisme à la proposition de se saouler un peu et parla fort pour dissiper la tristesse qui se mêlait aux effluves d'alcools.

-Si c'est si aimablement proposé, j'veux bien un gin.

Elle leva le bras, héla un serveur timoré à la vu de la vieille dame, et commanda sa boisson.
Elle regarda le garçon de café s'éloigner et se retourna vers son interlocuteur. Elle lui sourit de nouveau pour combler le vide de la conversation, appuya sa tête sur son poing et piqua quelques frites en silence. Sans qu'elle voit le temps couler et la lourdeur de l'ambiance s'installer, elle médita  quelques minutes.  Dans sa caboche, elle rassemblait ses souvenirs, réfléchissait aux mots justes, ceux créateurs d'idées vraies et qu'elle voulait servir en réponse à l'interrogation du gamin.

Elle s'interrompit un instant dans sa pensée, accueilli, le verre de Gin que le serveur lui présentait, remercia et avala une gorgée pleine, colorant d'un peu de chaleur ses joues.  

-Ah !!! Entre les frites et ça, j'ai l'impression d'être à Noel!

L'exclamation avait été sincère. C'était l'instant de délivrance, l'alternative aimable de la cigarette qu'elle ne pouvait fumer. Ses traits se détendirent pour se retendre l'instant d’après. Elle ravala une gorgée pour se donner du courage et fixa de ses yeux très bleus le garçon. Sa voix était calme, basse.

« J'ai réfléchi à ta question tout à l'heure. Des gens dépossédés, j'en croise beaucoup dans la rue. Sans amour, sans argent, sans rien... Ce sont des gars désespérés... La perte a déchiré leur âme, elle les a submergés et noyés sous l'affect...

Theresa marqua un temps d’arrêt, bu derechef une gorgée, qui si elle ravivait la couleur de ses lèvres, ternissait doucement l'éclat de son âme. L'alcool était triste comme un poème de Verlaine.


« J'aimerais bien te dire que je les comprends mais ça serait mentir. J'ai jamais rien eu pour moi, jamais aimé personne au point de souffrir de sa perte.  J'ai eu quelques amants passagers il y a longtemps, des espoirs furtifs d'amour et d'enfants mais la précarité écrase tout cela. Ça annihile toute tristesse et toute joie, tout ce qui à trait à l'empathie. Et puis à mon âge, j'ai l'habitude de voir les gens partir et moi de me voir rester car la vie, cette garce, à l'air de vouloir rester attachée à mes vieux os et que moi, je suis trop chrétienne  et je crois trop à la vie pour me suicider. »

Deux gorgées supplémentaires du verre trop grand coulèrent dans sa gorge. La violoncelliste se préoccupais moins du garçon, elle parlait... question de faire la conversation.

« Ce qui me briserait le plus le cœur je crois, ça serait de perdre mon violoncelle. C'est qu'un vieux bout de bois mais ça fait cinquante ans que je l'ai. Il doit être le peu d'espoir qu'il me reste. ...Un jour, j'ai rêvé que je m'éteignais à cause d'une hypothermie. Il neigeait énormément. Je serrais mon violoncelle contre moi, comme un amant. Ça avait beau être triste comme rêve, ça m'a rendue sereine. Le lendemain, mon rêve a continué. Il neigeait toujours mais mon violoncelle brûlait. C'était moi qui y avait mis le feu pour me réchauffer, pour survivre. A mon réveil, je me suis mise à pleurer. Ce jour là, le fait même que j'ai pu avoir cette idée m'avait terrifiée. »

Elle finit son monologue et le fond de son verre. C'était la dernière goutte de la potion d'Oubli qui, paradoxalement, avec la grisaille de son esprit, ravivait les mauvais sentiments. Elle  passa sa langue sur ses lèvres pour avoir une dernière fois le goût du Gin, se mordit la lippe et grimaça.
Merde... elle venait de se rendre compte qu'une fois de plus, elle avait trop parlé seule, qu'elle avait oublié le gamin dans son verre d'alcool. A cause de son gin, elle s'était laissé emporter, alors qu'elle voulait l'aider, lui donner ce conseil de grand-mère assagie par le nombre des années.

MERDE MERDE MERDE quelle abrutie. Elle voulait lui dire quelque chose mais ses mots, avec l'ivresse, s'étaient fait la malle.

Elle chercha l'idée dans la purée de pois de sa mémoire,  et insatisfaite de sa recherche, l'air contrarié, regarda par la fenêtre. Dehors, les gens avaient l'air heureux en ce début d'hiver. Ils passaient rapidement, ne s'attardant sur aucun détail, sur aucun instant, leurs pensées surement trop monopolisées sur leur liste de Noël.

Ah oui... c'était ça...

La vieille replaca sa cigarette au coin de sa bouche.

« Un conseil... jeune homme. Partez. Partez loin de vos souvenirs, de Madison. Pour pas finir dans la bouteille, suicidez-vous socialement. Quittez-tous en emportant qu'un sac sur votre dos. J'vois pas de bracelet sur vous, vous devez donc pas être un evolve. Traversez le mur. Quittez cette ville de merde tant que vous êtes jeunes car passé un certain âge vous serez trop attachés à vos souvenirs crasseux pour pouvoir vous en y détacher.  Ça fait soixante ans qu'on m'a donné la chance de n'être plus personne. Sauf que j'étais déjà beaucoup trop vieille... J'ai pu quitter mon identité mais pas Madison. »



Sinon pendant ce rp respirant si bon la joie et la bonne humeur, j'avais ça dans la tête =>
https://www.youtube.com/watch?v=uKE_scNxTF0 (D'ailleurs la tête d'Antoine Daniel avec cet air de dépressif, me fait un peu penser à Wiwi XD)
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17.12.14 18:43
Au pied du Mur ♦ Theresa Wall 424518Magasin15

Vous pensez échapper à vos problèmes en partant en voyage - et ils partiront derrière vous.
-Stanislaw Ignacy Witkiewicz

Quand le serveur revint avec la commande, William savait qu'il devrait se serrer la ceinture un peu plus. Il prit son temps et trempa ses lèvres dans la boisson sans l'avaler trop rapidement. Le silence avait été un brin pesant mais salvateur, il parlait trop et ne voulait pas se dévoiler. Il ne connaissait pas la dame en face de lui et cette Theresa n'allait pas lui offrir job sur un plateau. C'est ce qu'il aurait voulu. Une riche femme cherchant un groom ou un cuisinier. En l'occurrence il était en face de quelqu'un de plus pauvre que lui et donnait dans la générosité. Noël, quel mois étions nous ? Murray n'en avait aucune idée, ce n'était qu'une appellation pour lui et rien ne lui faisait envie, ni même la chaleur d’août, ou la neige pure de janvier. Elle venait de la rue, pour lui c'était la suite logique, il allait y finir tôt ou tard s'il continuait sur sa lancée. La vieille femme était touchante, pendant un instant William pensa pleurer mais tenta de ne pas céder à ses émotions. La suicide il y avait pensé, même beaucoup trop pour son âge, mais il n'était pas assez fort pour passer le pas, ou peut être trop. En tout cas il voulait essayer la vie, il n'avait qu'une seule et unique chance.


Elle était donc musicienne, il ne savait pas vraiment ce qu'était un violoncelle par ailleurs. Il savait que l'instrument se rapprochait du violon par plusieurs points mais nom différent, implique objet différent. William n'avait jamais assisté à un concert, ni même essayé de jouer d'un instrument, il était curieux, mais n'avait pas eu la chance d'avoir des parents de bonne famille dont l'argent permettait ce genre de choses. Les instruments anciens étaient un luxe que seuls les aristocrates du pourtour de la ville pouvaient se payer, ceux dont les nuits sont calmes et les journées resplendissantes y compris sous la pluie.


Sa voix était reposante et bien qu'elle parlait avec l'âge de son côté, elle était sincère, ou du moins réussissait à le paraître. William, malgré la quantité d'alcool ingérée, pensait trop au regard des autres, lui qui n'était pas remarqué ni même remarquable. Il cherchait à être quelqu'un, comme un adolescent perdu au fil de la vie. Il était trop vieux pour cela, mais il venait de perdre sa place, dans la société, dans les yeux de quelqu'un, même vis à vis de sa propre personne, William ne savait que penser. Les parents obéissaient aux enfants, et chargeaient les listes de la fin d'année, cette année pas de sapin de l'autre côté de la vitre. William ne fêterai rien du tout, cette période de l'année pouvait être la plus heureuse comme la plus triste selon les individus.


William mit du temps à réagir, la femme disait être trop vieille depuis soixante ans. Il la regarda fixement, elle n'était pas assez marquée par le temps pour être centenaire et avait encore toute sa tête, elle avait de l'âge et c'était indéniable mais pas autant qu'elle prétendait, du moins selon le garçon c'était impossible. Celui aux cheveux ambrés passa sa main sur sa moustache avant de prendre la parole :


« Je n'ai pas l'argent pour partir, si je l'avais, j'irai tenter ma chance ailleurs, mais pour faire quoi ? Etre perdu comme je le suis ici ? Perdre la vie à la frontière ? »


Il était un peu hors de lui, poussé derrière ses derniers retranchements, c'était le pourquoi de sa répartie maladroite. Il voulait en parler, d'elle, mais elle était partout, elle n'allait pas encore resurgir dans cette conversation. Quoi qu'il en soit, s'il avait de l'argent il irait voir Paris, Rome, Athènes, Moscou, Pékin, Tokyo et Rio et dans cet ordre. Et il était amer, une fois de plus, mais il ne pouvait se mentir, il rêvait d'une vie ailleurs, mais cela n'y changerait rien, l'herbe n'est pas plus verte, le béton est le même, le soleil réchauffe la peau de la même manière, la nuit vient quand on l'attend, tout se répéterait. Une gorgée de son hydromel en plus, il remit son téléphone dans sa poche, il venait de recevoir plusieurs mails, peut être une bonne nouvelle, peut être un emploi, il ne pouvait freiner son envie curieuse mais il ne voulait pas être déçu ni malpoli. S'il y avait une chose que ses parents lui avait inculqué c'était bien la politesse et les bonnes manières. Il écoutait les gens, les laissait parler et feignait même d'être intéressait quand il s'en moquait. Mais là c'était différent, l’aînée l'intéressait. Elle était étrange, trop pour être quelqu'un sans intérêt. C'était peut être une évoluée, elle aussi. Après tout, dans cette ville la concentration de gens aux capacités anormales était telle que presque tout le monde était suspecté d'être un super-héros. Il n'imaginait pas non plus la grand-mère en face de lui en collants combattant le crime à la tombée de la nuit mais elle pouvait très bien être également une des leurs.


Un gamin arrêta son père devant le magasin d'électroniques. Ces saletés valaient une fortune. William le savait pertinemment puisqu'il avait l'équivalent d'un mois de salaire dans sa poche droite, Toujours pas décidé à s'en séparer contre argent sonnant et trébuchant, il devrait faire sans cette hypothétique fortune qui ne faisait que régresser à force de nouvelles innovations sur le marché accompagnées de nouveaux modèles en vente. Le plus vieux Noël dans ses souvenirs était celui de ses sept ans. Il avait reçu un logiciel pour son ordinateur, faire du codage à cette époque le passionnait. Il cru vouloir devenir un jour informaticien, travailler devant un écran holographique toute la journée et créer pourquoi pas des jeux vidéos ou des intelligences artificielles. Une année à la faculté eut raison de lui, il arrêta ses études pour travailler et subvenir à ses besoins d'indépendance et de liberté.


Il appuya discrètement sur la touche latérale de son gadget pour vérifier qu'il était bien en mode silencieux, qu'il n’interférerait pas dans cette conversation étrange et pourtant rassurante. Il se sentait bien, il se soulageait d'un poids et vidait enfin son sac, pas forcément de la façon voulue mais il le faisait quand même. Une gorgée de plus.


« Et qui êtes vous vraiment ? Et quel âge avez vous ? Je sais qu'on ne demande pas ça à une dame mais... »


Il s'arrêta, plongea ses yeux au fond du verre presque vide désormais et écouta avec attention l'inconnue en face de lui. S'il avait osé, c'est parce qu'il voulait être en confiance avec cette femme, c'était le salut tant attendu, le confort de parler avec des inconnus est tellement éphémère, puisqu'ils ne restent pas des étrangers indéfiniment.


« Je suis désolé, vous m'avez vexé avec cette histoire de mur, je ne devrai pas vous accabler de questions. Ne vous sentez pas obligée de répondre, je comprendrai tout à fait madame. »


Le profil bas et le regard fuyant vers tous les recoins de la table, il était extrêmement gêné à l'instant, seule solution, terminer son verre d'une traite, et espérait qu'elle ne fasse pas d'esclandre comme avec son précédent compagnon de discussion.
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07.01.15 12:55

L'alcool avait enivré le garçon dans sa pensée comme il l'avait enivré elle bien que le degré de saoulerie devait être plus élevé chez lui qui n'était pas à son premier verre. Malgré le degré d'éthanol qui devait avoir rejoint son sang, le blondin répondait encore bien, avec certes, moins de rapidité mais avec une lucidité froide.
Avec son fatalisme cru face à un possible suicide social, le jeune glaça un instant la vieille, qui jusque là encore à l'aise, se raidit, une gêne au fond de l'estomac.
Pour se donner un peu plus d'aplomb, la violoncelliste se redressa et observa le garçon. Il titillait son téléphone-tablette-trucmuche, bref, son gadget sophistiqué dont elle n'avait aucune réelle idée de l'utilité. De son côté, lui jetait machinalement des petits regards de biais vers l'engin avant de le mettre dans sa poche sans que sa main ne quitte jamais sa proximité. Il semblait nerveux, peut-être avait il reçu quelque chose. Se rendait-il compte de son comportement? Theresa s'en doutait.

Il sembla se calmer un peu et poivrot encore pas tout à fait bourré et qui n'a rien à perdre dans l’indiscrétion spontanée, remit en jeu un panel de questions, qui cette fois la visaient.
La vieille déglutit, tordit ses lèvres sous une mou et sourit intérieurement. C'était une question intéressante que le jeune venait de poser. Intéressante mais gênante. A vrai dire, elle n'était pas sur d'elle-même en connaître la réponse. Elle ouvrit la bouche, s'interrompit en voyant que le garçon continuait sur des excuses et lui intima le silence d'un geste de main.

« J'comprends ta question bonhomme. C'est rien va. 'Y a eu plus intrusif.  Et franchement, j'me demande aussi parfois qui j'suis.  J'pense que j'suis rien bien de plus que ce que tu vois devant toi... ».

Elle regarda le fond de son verre vide espérant surement y découvrir une dernière goutte d'alcool et s'appuyant sur la table de ses bras maigres, se releva.

« Je reviens. T'as qu'à jouer avec ton gadget en attendant»

Si sa voix n'avait subi aucune modulation, la vieille avait fait un clin d’œil au garçon, souriant imperceptiblement. Elle salua d'un geste de tête et se faufila entre les tables en direction des toilettes.
Avant de perdre de vue la grande sale, la vieille fixa la porte d'entrée de l'établissement, hésitant à partir de suite, sans adieu ni remerciement, dans l'unique but de perdre cette boule étrange et désagréable qui s'était imposée dans le bas de son estomac depuis le début de cet entrevue surprise. Elle pesa le pour et le contre, sentit l'envie pressante appuyer sur sa vessie et poussa le battant des sanitaires. Tant pis. Ce projet pouvait bien être reporté d'un quart d'heure.

Trois minutes devaient s'être écoulées quand la porte se ré-ouvrit et que Theresa réapparut. Curieusement, elle ne rejoignit pas de suite la table et s’arrêta au bar américain, apostrophant un serveur. Celui-ci, plus courtois et naturel que son collègue de tout à l'heure lui sourit et après quelques mots échangés, lui tendit une petite carte magnétique que Theresa passa au dessus de sa tablette monétaire. Au centre de la table n°8 où le garçon était toujours assis, le chiffre numérique de l'addition changea. La vieille, qui n'aimait surement pas être redevable à quiconque, avait réglée sa part.
Le garçon de café la remercia et elle fit de même et, d'un geste de bras, pointa du doigt une cruche d'eau au bout du bar. On acquiesça à sa question et son interlocuteur s'en alla servir d'autres clients.
Theresa revint à la table, se rassit sans s'installer vraiment, se servit un grand verre d'eau dans feu le grand verre à gin et le siffla d'une traite, suivant son geste d'une petite éructation qui ne déclencha aucune geste chez la violoncelliste.

« Hum.. pardon. »
Machinalement, elle siffla un deuxième verre d'eau, à croire qu'elle avait un besoin irrépressible de boire quelque chose quand elle parlait et reprit.

« J'crois que j'suis une vieille femme qui tente de survivre et a arrêté de compter les années à la soixantaine de peur que ça l'effraie. J'ai p'tét quatre-vingt ans, p'tét le double,(enfin façon de parler hein...) J'sais plus.... Le temps passe bizarrement quand on vit dans rue. Les moments sont longs, tout nous agressent et on perd son identité.... Et pour les pauvres il y a pas de chirurgiens pour nous en refaire une. »

Le reste de la cruche avait été vidé lors de son court monologue et Theresa lorgnait déjà depuis quelques secondes le bar avec les autres carafes, le dilemme à l'esprit. Continuer à boire et discuter ou arrêter et fuir ? Il n'y avait pas d'argument réel à mettre dans la balance ce coup-ci alors la vieille écouta son instinct.

« C'est pas cont' toi mais cette discussion m'met mal à l'aise. Une boule dans l'ventre. Même boire n'arrive pas à la diluer. J'crois donc que j'vais y aller où j'vais finir par faire un coma hydraulique...
C'est pas contre toi hein... juste que... l'empathie c'pas pour moi. J'te laisse les frites.»


Elle attrapa son briquet, le remit dans sa poche et gênée, se releva et le salua prestement d'une dernière phrase de conseils creux.

« Tu devrais faire pareil avant que ça soit l'éthylique qui vienne frapper à ta porte... Bye ».

Les yeux rivés sur le sol et la sortie, elle quitta l'établissement, fuyant comme un voleur.

Elle s’arrêta la porte refermée, respira profondément et se mit à marcher pour rejoindre le métro sans interrompre pour autant le fil de sa pensée.
Elle regrettait un peu d'avoir abandonné le gamin mais sa présence avait lourdement plombée son moral. Elle ne pouvait pas se permettre d'être affectée ou son show de soirée serait catastrophique, émaillant de fausses notes un morceau qui serait déjà plus que lugubre. Elle fit trois cents mètres, revu mentalement l'air saoul et triste du garçon et se stoppa.... Merde... Ça l'ennuyait de laisser le gosse ici. Ça aurait pu être son fils, son petit fils, son arrière-petit fils, ou son arrière arrière-petit fils, enfin bref sa progéniture.  Elle réprima cet élan maternel, aussitôt remplacé par sa conscience qui avait de son côté des arguments bien plus terre à terre. Si elle disparaissait sans demander son reste, n'était-ce pas comme ne pas porter assistance à personne en danger ? Ne risquait-elle pas de se coller un procès au cul s'il arrivait une merde au gamin ?

Elle fit demi-tour à vive allure, regarda par la fenêtre si le garçon n'avait pas bougé et lui fit un signe incompréhensible à travers la paroi transparente avant de pénétrer de nouveau dans le pub.

«Gamin, ça m’ennuie de te laisser ici.  T'es plein comme une outre, tu risques de te faire renverser par une voiture...  T'habite loin ? T'as quelqu'un pour te raccompagner ? J'ai pas le temps moi là. Je dois aller chercher mon violoncelle chez sa nounou ! »

La vieille semblait un peu essoufflée et étrangement bouleversée.

« Au pire, c'est pas grave ! Si tu veux, tu peux m'accompagner. La nounou en question est un mec adorable, ça le dérangera pas... Et puis, lui qui a perdu son identité et ses souvenirs  il y a 13 ans, il pourra mieux te parler que moi de la perte et de comment y survivre... »

Elle le regarda et prit conscience de son effervescence anodine. Elle rougit quelque peu honteuse , se tut un instant les lèvres scellées et reprit d'un ton qu'elle voulut plus serein et froid.  

« Et il pourra surement de donner un médoc anti-cuite. »
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