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.Tant qu'il y aura des ombres. [Sulkan] /Clos/
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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13.05.15 14:23
Elle avait rabattu sur ses tempes une capuche aussi sombre que sa chevelure, dissimulant l'éclat métallique de la puce à la naissance de son cou ; son inséparable besace battait son flanc à chacun de ses pas, emplie des habituels bandes de gaze, baumes et désinfectants qui se devaient de l'accompagner. Là où elle se rendait, elle souhaitait ardemment ne pas en avoir besoin, que son pouvoir reste à l'état de repos, même si elle n'était pas dupe de cette apparente tranquillité. À cet instant, bien sûr que tout semblait calme, car la pluie avait cessé de pleurer et la rue se déroulait sans accrocs sous ses pas, vidée de ses habitants. La soirée s'achevait dans une ambiance mouillée, rafraîchie, si bien que dans d'autres circonstances elle aurait cru qu'il s'agissait d'une simple promenade au crépuscule. Sans surprise, il n'en était rien. Sa naïveté désormais en lambeaux ne suffisait plus à éclairer un maigre espoir de retrouver une existence invisible, loin du grondement des foules d'insurgés, loin des complots mesquins qui opposaient les hors-la-loi aux autorités. Et au fil des jours, elle avait fini par y remettre les pieds. Ce marécage hostile où s'ébattaient les charognards. Elle avait cru y échapper, demeurer sur la berge maintenant qu'elle était sous le joug des scientifiques, et sa position avait à l'époque perdu de son écœurement ; sauf qu'aujourd'hui, forcée de s'y retremper jusqu'à la taille, elle appréhendait le retour dans les eaux poisseuses des marais.
Pour Warren, qu'elle se répétait. Il n'existait nul autre objectif à sa démarche. Depuis qu'il avait disparu, happé par les ambulances et le charivari des Erasers, elle s'était projetée au moment où il sortirait avec la solide intention de lui fournir tout ce dont un Ancien aurait l'utilité en vue de s'intégrer dans une société féroce, trop malhabile pour couver les oisillons pris dans ses filets. Et cela passait sans conteste par l'acquisition d'une identité, aussi précaire fût-elle. Certes, il y avait des chances pour que le pot-pourri des médecins lui en ait fourni une, comme le Gouvernement en avait distribué à tous les Disparus qui s'étaient présentés – de gré ou de force – au recensement. Pourtant, Ruben était persuadée qu'il valait mieux prévenir que guérir et que, un jour ou l'autre, le gamin trouverait à se servir de cette technologie illégale. L'herboriste redoutait cette décision autant qu'elle s'en impatientait, pour des raisons distinctes.

Le spécialiste lui avait été indiqué grâce à une recherche sur l'infranet. Trop risqué de demander à un illégal en personne. Autant ces gens-là se révélaient des plus débrouillards, autant les notions d'entraide, de solidarité et surtout d'intégrité fluctuaient d'un individu à l'autre avec la régularité d'une course de gazelle. De façon purement aléatoire, donc. Et puis, ses dernières entrevues avec des hors-la-loi lui avaient laissé, non pas des cicatrices, estompées à ce jour, mais un arrière-goût de terreur qu'elle ne souhaitait pas retrouver d'ici une petite centaine d'années. Yorick était devenu complètement ingérable. Lui dont le souvenir le présentait solide et confiant s'était transformé en une bête bouffée de colère et de vengeance, incapable d'écouter les futiles tentatives de ses acolytes pour l'apaiser. Cependant, Ruben n'arrivait pas à le lui reprocher. C'était là toute la complexité de sa situation ; la culpabilité qui nidifiait dans ses poumons l'empêchait de reporter la faute sur quiconque en dehors d'elle-même. Dans les yeux d'autrui, le désespoir, la rage, la furie étaient justifiées. Légitimes. Et elle, la responsable toute désignée.

L'avantage des recherches privées tenait incontestablement dans la discrétion des échanges. Si elle se fiait à l'intérêt de son contact, elle espérait régler l'affaire en deux minutes vingt-sept secondes, pas une de plus, et l'argent serait transféré de bracelet à bracelet via un serveur anonyme. Elle l'avait pioché de ses propres économies, un vieux compte mis à engraisser dans un recoin de banque populaire depuis son adolescence, mais qui depuis le temps conservait toujours un IMC frôlant le seuil de maigreur morbide. Elle refusait de passer par les comptes de la boutique, dont l'équilibre se maintenait tant bien que mal à son grand soulagement. Au moins quelque chose qui fonctionnait, ces derniers mois. Elle ne croulait certes pas sous les commandes, juste de quoi continuer à faire rouler l'affaire, néanmoins c'était suffisant. Au regard du reste de sa vie, c'était même réconfortant. Par contre, elle se demandait si elle avait débloqué assez de fonds pour achever la transaction ; un diction des bas quartiers proclamait : « Un homme acheté en vaut deux », et cela se révélait souvent authentique puisque les vendeurs avaient cette sale manie de faire grimper leurs prix lorsqu'ils rencontraient leur client en chair et en os. Avec un peu de pression par-derrière, il devenait en effet difficile d'annuler, au risque de s'attirer bien plus d'ennuis qu'initialement prévu par le contrat. La joie des affaires.  

La décharge fermait vers les vingt heures chaque soir, une fois les derniers ouvriers de recyclage partis rejoindre leurs collègues dans un bar délabré. Il devenait ainsi facile d'escalader les grilles entre deux rondes de miliciens ou, pour les moins sportifs, d'opter pour une ouverture à l'arrière du bâtiment des employés, un trou dans le mur camouflé par un empilement de bâches et de morceaux de tôle. À l'intérieur de ce qui ressemblait vaguement à un ancien réfectoire, réaménagé en salle de pause, vestiaires et coin sieste, les salles supérieures accueillaient les réserves privilégiées de quelques trafiquants, classées comme l'aurait fait, jadis, un petit robot cubique coincé dans un bunker de recyclage. Ruben évita ce passage. Elle lui préféra l'entrée conventionnelle, depuis une impasse désertée, et glissa par-dessus l'enceinte grillagée à l'aide d'un amas de caisses. Le coin était vide, envahi de pénombre, à la fois plus appréciable que les bâtiments en ruines du cœur de l'Entre-deux et plus vicieux encore. Le prix de la discrétion, se dit-elle en se dirigeant vers la construction susdite, dont les fenêtres opaques indiquaient que personne n'y avait encore élu domicile pour son marché nocturne. Toutefois, elle ne pensait pas être en avance. Tous préféraient se faire une idée du terrain sur lequel ils opéreraient avant d'avoir à s'y rendre, logique. Au fond de son jeans, le lame de poche qu'elle avait apportée formait un poids rassurant.

Elle s'approcha enfin du seuil, par la gauche, évitant ainsi de s'afficher complètement dans le hublot qui décorait la porte principale. La poignée descendit sans résistance. Déjà ouvert. Plus qu'à rentrer. Oui, plus qu'à, et c'était déjà tellement. N'osant indiquer sa présence, c'est tout juste si elle ne s'arrêta pas de respirer, au cas où un personnage qu'elle n'aurait pas prévu dans l'histoire vînt s'ajouter à cette réunion clandestine. Mais non. La salle était propre, et elle distinguait des porte-manteaux chargés, des casiers clos et du mobilier quotidien en ordre. Rien d'alarmant. Tout se passerait peut-être bien, en fin de compte. Prenant un coin de table pour chaise, elle s'y appuya au fond de la pièce, bras croisés, attendant sur ses gardes qu'une voix tranche le silence grisâtre.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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13.05.15 18:19
Dès l’instant où son regard se posa sur le grillage rouillé qui entourait l’amas d’ordures et de bâtiments délabrés, un sourire mauvais étira les lèvres du garçon. La décharge, un lieu tout à fait approprié pour la transaction qu’il s’apprêtait à passer. Sale, tout comme l’état des objets qui venaient s’échouer de l’autre côté du grillage. Il n’était pas question de se contenter de vendre un vulgaire bracelet trafiqué, ce soir, autre chose le motivait. Quelque chose de bien plus intéressant. Peut-être bien qu’il avait l’âme d’un chasseur. Dans une autre vie, il avait dû être l’un de ces Erasers. Seulement voilà, comment franchir ce grillage ? Il avait beau posséder cette envie morbide de traquer l’animal, il ne bénéficiait pas du corps d’athlète qui allait avec, logiquement. Poussant un soupir d’ennui, et sans aucun doute de frustration, Sulkan entreprit de faire le tour de la décharge. La chance avait toujours été de son côté depuis qu’il avait mis les pieds dans cette ville, il se surprit à espérer que cette nuit ne serait pas une exception. Au moment où cette crainte infondée traversait son esprit, son regard fut attiré par une distorsion dans le grillage. Un peu plus loin un empilement anormal de bâches capta son attention en contrebas. Grossièrement camouflé à l’aide de bâches d’une qualité incertaine, un passage rudimentaire dans le mur du bâtiment principal s’offrait à lui. Le garçon ne se fit pas prier pour se faufiler à l’intérieur de la décharge. La nature l’avait peut-être privé d’un corps musclé, néanmoins celui-ci lui permettait au moins ce genre de tours.

L’obscurité qui régnait à l’intérieur, faute de la pâle clarté des rayons lunaires, ne l’aida pas à se repérer immédiatement. Il dut patienter quelques secondes supplémentaires, le temps que ses yeux puissent s’habituer au manque de lumière dans la pièce mais par la suite, Sulkan ne regretta pas sa décision : un trésor certes rendu poussiéreux par la poussière soulevée en permanence par les ouvriers venus se changer, mais un trésor tout de même, s’offrit à lui. Nul doute que les trafiquants du coin privilégiaient la décharge pour leurs petites affaires semble-t-il. La tentation de se servir fut grande, aussi le garçon s’empressa de mettre le nez dehors. Le lieu du rendez-vous ne se trouvant pas dans ce bâtiment ci, il lui fallait explorer d’autres recoins de la décharge. Et rien de tel qu’un bâtiment en ruines pour démarrer son exploration nocturne ! Un silence pesant, oppressant même, régnait en maître absolu sur les lieux. Inconscient ou presque, Sulkan se mit à serrer le teaser qui se trouvait dans la poche avant de son sweat. Jamais il ne s’en séparait, encore moins lors de ce genre de transactions. Il se plaisait à mener le jeu face à des clients désespérés de devoir passer leur vie entière à se cacher dans l’ombre mais nul n’était à l’abri de fous furieux, le désespoir aidant en ce sens. Cette fois, la lune perçait à travers les bouches béantes du bâtiment, supposant représenter les espaces laissées pour de futures fenêtres qui ne verraient jamais le jour, sans jeu de mots. Le tout rendait l’ambiance du décor plus sinistre encore mais au moins, il pourrait apercevoir son interlocutrice, à défaut son ombre. C’était toujours ça de pris. Ses rangers noires traînaient dans la poussière et celle-ci se souleva à son passage, créant une sorte de fantôme miroitant dans la lueur blafarde qui inondait l’endroit. Lequel ne manqua de venir titiller les narines du garçon au passage, réussissant presque à lui arracher un éternuement. Bon et maintenant ?

Quelques heures plus tôt…


Qui a dit qu’on ne pouvait concilier travail et beuverie ? Après être parvenu à insérer sa clé dans la serrure par miracle, Sulkan poussa difficilement la porte de son studio. Les jambes fragiles, il tituba jusqu’à son lit, seul meuble que son esprit embrumé parvenait à situer dans l’espace clos qu’offrait son lieu de vie. Son ultime effort de la nuit résultat dans le fait de se laisser tomber lourdement dessus. L’odeur de ses draps assaillit aussitôt ses narines, subtil mélange de sueur, chaussettes sales et restes de pizza. Malgré tout, il ne bougea pas, pas plus qu’il ne se roula sur le côté pour écarter son nez de ses draps, pas certain pour un sou d’être en mesure de se remettre de cette nuit passée entièrement à boire. Peut-être bien qu’il allait mourir d’un coma éthylique pendant ses déambulations d’alcoolique assumé ? Il ne sut pas quand exactement il laissa les bras de Morphée l’étreindre, ni l’heure à laquelle les premiers rayons du soleil percèrent difficilement à travers ses stores, ni encore combien d’heures il avait réellement enchaînées… Une voix féminine mais toutefois à l’intonation virtuelle le tira de son sommeil en aucun cas reposant, lui réclamant de s’habiller après avoir pris un solide petit déjeuner, sans oublier de prendre une douche, vu l’odeur corporelle qu’il dégageait. Ce à quoi l’intéressé répondit par un juron qui ne sera pas retranscrit ici par respect pour les lieux des lecteurs. Incapable cependant de se rendormir, Sulkan finit par se redresser maladroitement sur son lit, tanguant un peu d’un côté, puis de l’autre, avant de parvenir à se stabiliser. Mal réveillé, encore un peu hagard, il fixait un point droit devant lui, point dont lui seul avait connaissance. Ce fut ce regard linéaire qui lui fit remarquer –après plusieurs longues dizaines de minutes tout de même-, un voyant lumineux sur le côté droit de son écran. Un message ? Sa première réaction ne fut certainement pas celle de se précipiter vers l’avant, au risque de ne plus jamais pouvoir se relever, mais bien de bailler, longuement et bruyamment. Il n’avait pas la tête à ça pour le moment. Une douche lui ferait du bien et après seulement, il aviserait. Une fois sorti de la pièce fumante, uniquement vêtu d’un caleçon et serviette humide sur la tignasse verte toute aussi mouillée, le garçon s’installa devant son ordinateur, synonyme d’âme sœur de son point de vue. Une commande pour un bracelet ? C’était une bonne nouvelle dans le sens où il avait trop dépensé en bières et autres alcools divers la veille… Notant l’heure et le lieu du rendez-vous avec son futur client, Sulkan passa le restant de la journée à somnoler entre ses quatre murs. Sur ce point, on pouvait le comprendre. Quand vint l’heure de sortir de chez lui, il se passa rapidement de l’eau sur le visage, histoire d’être bien réveillé face à son contact, consulta son bracelet pour s’assurer qu’il n’y ait pas de nouveautés en matière de contrats sur les chères petites têtes d’Evolves illégaux et s’habilla pour partir. Quelque chose de classique : pantalon noir surmonté d’un sweat kaki, le tout accompagné de ses fidèles rangers. Sans oublier le teaser qui-…

Un son, même faible, attire toujours l’attention du prédateur…

Se tournant machinalement vers l’extérieur pour y jeter un coup d’œil, le garçon eut tout juste le temps d’apercevoir une ombre se faufilant par le rez-de-chaussée d’un autre bâtiment, moins usé par le temps que celui dans lequel il se trouvait. Certainement son contact, dans le cas contraire et bien… Sulkan revint sur ses pas, savourant la distance et les minutes qui le séparaient encore de la rencontre avec son client. Il était curieux d’imaginer sa tête, son expression surtout. Allait-il s’agiter pour ne rien dire ? Afficher sa nervosité grandissante ? Ou au contraire se murer dans une impassibilité pas du tout convaincante à ses yeux d’expert en la matière ? Ce n’était pas donné à tout le monde de savoir jouer les poker face. A son tour, il abaissa la poignée, poussant doucement la porte, histoire de parer une éventuelle attaque en traître. Contrairement au précédent bâtiment, l’ordre semblait régner dans celui-ci, la propreté également. Sans doute les locaux réservés à la crème du semblant de hiérarchie qui régnait sur tout le vaste territoire de la décharge. A la manière des parrains, ceux qui se trouvaient à la tête de cette industrie savaient soigner leur espace vital. De mémoire, il n’avait encore jamais eu pareil décor pour une transaction. Ce qui eut le mérite de le mettre de meilleur humeur, disons, plus disposé à dealer de manière presque réglo. Pratique qui n’était pas dans ses habitudes le reste du temps. Son regard survola la pièce, jusqu’à tomber inévitablement sur la silhouette qui se découpait de l’ombre, au fond. Son sourire revint à la charge. Une femme ? Encore mieux.

« Tu as le fric ? Avec un minois pareil, tu as dû amasser une coquette somme avant de venir ici. Prends le comme un compliment, je n’en aurai pas d’autres. » lâcha-t-il en guise d’introduction.

Derrière son attitude décontractée et son humour piquant –si on pouvait appeler ça de l’humour bien entendu…-, Sulkan ne perdait pas une miette du spectacle. Non pas qu’elle soit son genre, même si elle était plutôt mignonne à première vue, d’où le « compliment » de sa part. Non, il voulait davantage tester son interlocutrice, jauger son adversaire, analyser sa proie pour mieux la piéger. Il se savait en position de force, pourquoi ne pas en tirer profit ?

« Il paraît que t’es ici pour un bracelet ? Si tu n’as pas le fric, je peux aussi bien te filer quelques contacts qui sauront te couvrir, moyennant une petite contrepartie, ça va de soi héhé… Rien n’est gratuit ici. »

Ben quoi ? Les putes se devaient de se renouveler ! Dévisageant toujours l’inconnue avec un sourire qui ressemblait davantage à un rictus tordu, le garçon perdit soudain toute assurance. Ce qui se lisait à présent sur son visage et dans ses yeux pour être exact, ressemblait plus à de la surprise, mêlée d’interrogation. Il avait déjà vu ce visage… Mais où ? Il dut fouiller dans sa mémoire, écoutant vaguement en même temps la réponse de la jeune femme. Bordel de merde. C’était cette… Saloperie. Sulkan finit par retrouver son sourire. La chance était décidément de son côté cette nuit.
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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14.05.15 0:10
Le silence irréel de ces espaces étriqués l'effraie. Elle se croirait dans un vieux film en gris et blanc, le décor mordu d'une lueur orange triste, presque agonisant. Tant que le soleil perce encore à travers ces vitres poussiéreuses, elle enregistre les lieux, les mémorise dans le moindre de leurs détails, sait-on jamais. Elle pourrait avoir à se servir de ce carreau détaché, là-bas, de cette serviette abandonnée sur un coin de table, de ces manches à balai entassés dans un angle de la salle, histoire de foutre un coup à qui viendrait lui chercher des poux. Parce qu'il ne le fera sans doute, son charmant vendeur ; ils sont tous pareils, dans le coin. C'est comme le petit chaperon rouge qui entrerait dans la tanière du loup et compterait les cailloux disponibles pour les lancer sur le monstre. Bien entendu, si elle en avait parlé, tout le monde lui aurait dit de renoncer, l'aurait traité de folle probablement, d'idiote tout du moins, et d'insouciante. Elle savait pourtant dans quoi elle se fourrait, oh oui. Un sacré pétrin. Le mot n'était pas encore assez fort. Mais elle s'obligeait à le faire. Volontairement, son choix était devenu devoir.

Elle était en train de grignoter l'ongle de son pouce lorsqu'un bruit de porte transperça le silence. Une entrée prudente, ce qui était censé la rassurer, néanmoins elle ne put s'empêcher de se crisper tout en se redressant, parée à une confrontation dans les règles. La milice, ou même un groupe d'étrangers, n'aurait certes pas ouvert de cette façon, mais rien n'aurait pu la préparer à la silhouette qu'elle aperçut dans l'embrasure. Plus petite que prévue, presque maigrichonne, enveloppée dans des vêtements qui l'affinaient davantage malgré l'épaisseur de ses pompes. Et jeune, la crinière d'un vert qui lui rappelait les sapins de Norvège au mois d'avril. Un gosse. Un sale gosse qui puait l'arrogance. Elle le sentait d'ici, ce mélange âcre de laisser-aller, d'enfermement et d'alcool bon marché. Des relents de vieille savonnette, d'essence et de feutre usé. L'odeur du solitaire, indépendant jusqu'à l'os, dangereux puisque déloyal. Et pour couronner le tout, elle le voyait sourire comme s'il s'agissait d'une opération banale, un service arrangeant entre potes avec une biture à la clé. Elle s'attendait à quoi ? À y réfléchir, c'était peut-être mieux que de tomber sur – ou de se faire écraser par – une armoire à glace force onze sur l'échelle de Richter. Elle craignait moins avec cette brindille qu'avec un déserteur de la Légion étrangère, quand bien même l'expérience lui avait appris à se méfier de l'eau qui dort et des habits des moines. Méfiance, sa bonne copine, et Défiance, sa jumelle inséparable.

D'emblée, ses premiers mots donnèrent le ton de l'entrevue. D'aussi loin, il ne vit sans doute pas le visage de Ruben se durcir sous le coup de la colère. Elle avait beau ne pas avoir envisagé de dialogues enlevés et avoir rayé les mots « bonsoir » et « merci » de son esprit durant les trois prochaines heures, la réalité faisait toujours plus d'effet que l'expectative. Le coup du compliment ne faisait que rajouter à l'humiliation qui menaçait de lui éclater au visage. Elle en aurait presque oublié son sexe, dans l'histoire, et les conséquences directes que cela pouvait engendrer sur les rapports de force. Alors, répliquer, pour lui prouver qu'il avait visé juste, ou se taire et le laisser croire que c'était le cas ? Quel que fût sa décision, le résultat était identique. Tant mieux s'il n'avait pas d'autres flatteries de ce genre en réserve ; elle le détestait déjà.

Elle fit un pas vers lui, quittant la zone d'ombre pour un faible rai de lumière qui lui découpa un trait jauni sur le côté du crâne. Tête basse mais regard brûlant, elle laissa son contact renchérir, attestant les raisons de sa venue de manière plus nette. C'était ce qu'il lui fallait. N'importe qui aurait pu se ramener en demandant du flouze, car ce n'étaient pas les indigents, les avares et les pique-sous qui manquaient dans le coin. Toutefois, aucun autre que lui n'avait de bracelet à lui proposer pour monnaie d'échange. En revanche, l'allusion explicite à la prostitution lui fit serrer les mâchoires si fort qu'elle sentit ses dents grincer. C'était une menace – elle préférait ce terme à celui d'« invitation » – assumée, à l'euphémisme cynique. Il cherchait les baffes, de toute évidence, mais il savait aussi qu'il n'avait rien à craindre dans l'état actuel des choses, d'où son insupportable confiance.
« J'ai l'argent. » Dans la poche centrale de son sweat, elle se pinçait la peau jusqu'au sang pour refréner son anxiété, pour la bloquer avant qu'elle ne parasite sa voix en la faisant vaciller. Pour l'instant, elle parlait bas, tant pour ne pas attirer l'attention que pour réussir à maîtriser ses paroles. C'était facile, en apparence. Des phrases courtes. Concises. Rien qui n'aurait pu trahir ce qui émanait en vérité de tout son être. « J'passe mon tour, pour la compagnie. » Et elle ne se ferait pas prier. Propose-toi à ma place, qu'elle aurait aimé lui balancer, mais les circonstances lui interdisaient toute provocation. Une telle attitude aurait jeté un bidon d'huile dans le feu de joie, parce qu'il est de notoriété publique que l'orgueil masculin, plus aiguisé et brutal que celui des femmes, est aussi sensible qu'imprévisible. Donc plus tard, les piques assassines. Jamais, en fait.

De nouveau, elle avança d'un pas, abattant sa capuche d'un geste nerveux. Lorsqu'elle y repensait, sa figure n'avait pas souvent eu à redouter les chasses à l'homme. Fichée par la milice, connue des scientifiques du cursus E.E., vaguement habituée des réunions evolviennes, sa tête ne correspondait à aucune mise à prix sur le marché. Rien qui aurait pu lui interdire de se dévoiler, en tout cas. Au pire, s'il la connaissait de vue, il se rappellerait qu'elle n'était pas de ceux qui se contentent de marcher dans les airs ou de communiquer avec les animaux. Il se rappellerait le danger qu'elle pouvait représenter. Pour la première fois, l'herboriste concevait son pouvoir comme un garde-fou, une sentinelle de sa propre sécurité. Elle pouvait le tuer s'il la vendait à ses « contacts ». Elle pouvait tous les tuer. Et l'idée ne la fit même pas frémir.  
« Le bracelet. Le paiement. C'est tout, comme convenu. Voici. »
Dans la paume qu'elle présenta sans pour autant la tendre, une carte miniature, dispensaire d'un montant pré-enregistré. Rien de plus, rien de moins ne pouvait être crédité à partir de cette puce, ce qui avait le mérite de pallier les arnaques, du moins jusqu'à un certain point. De son côté, elle n'avait aucun moyen de savoir combien de temps fonctionnerait l'appareil, car même si le garçon lui offrait, dans sa grande magnanimité, une démonstration, rien ne permettait de savoir si le dispositif durerait. Un risque de plus à rajouter dans l'affaire.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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14.05.15 17:44
Son premier mouvement déstabilisa un instant le garçon. Oui, l’espace de quelques secondes, sa confiance parut s’envoler, le doute la remplaçant sans peine. Les bras enfoncés dans la poche avant de son sweat, avec la nonchalance qui allait de pair avec le personnage qu’il incarnait, se raidirent légèrement. Inconsciemment, une fois encore, sa prise sur le teaser se resserra. A quoi elle jouait cette conne ? Elle voulait le prendre par surprise ? Pensant avoir affaire à un gamin insolent et sans cervelle ? La première des deux caractéristiques lui revenait de trop, pas la seconde en revanche. Sans surprise cette fois, il accusa le refus poli de son interlocutrice. Il ne s’était jamais attendu à ce qu’elle lui réponde par l’affirmative de toute façon. Lorsque cette dernière s’approcha de nouveau, Sulkan ne broncha pas, presque préparé à cette énième tentative pour le rendre nerveux. Avoir toutes les cartes en main n’était malheureusement pas suffisant. Et en découvrant les traits du visage de l’inconnue, le garçon sentit son cœur manquer un battement. Il ne s’était pas trompé. Soudain, Il se souvint dans quel type de circonstances il avait aperçu ce visage auparavant. Cette garce était réputée dangereuse, capable d’empoisonner mortellement les poumons de qui la côtoierait trop longtemps. Puisqu’il n’avait pas eu connaissance de l’identité de son client avant de rencontrer ce dernier, Sulkan ne put que serrer les dents en étant devant le fait accompli. Il ignorait les détails des incidents entourant cette femme, ni même la distance de sécurité qu’ils devraient maintenir. A priori, celle-ci devait être heureusement limitée dans l’espace ou alors le poison mettait plus de temps à agir sur son propre organisme. Tandis que les propos de son interlocutrice lui parvenaient, lui-même réfléchissait à toute vitesse. La récompense à qui offrirait des informations permettant de mettre la main sur cette donzelle n’avait de cesse de s’imposer à lui. Dans le même temps, il n’aimait pas l’optique de mourir, les poumons réduits à deux fleurs desséchées. Peut-être qu’il se prenait trop la tête après tout. Si cette femme s’était proposée comme contact lors de la transaction, elle devait avoir soit prévu de l’assassiner pour ne pas avoir à payer, soit elle maîtrisait son pouvoir, mieux encore, les conséquences de celui-ci sur ses interlocuteurs. Un peu rassuré d’être arrivé à cette seconde conclusion, Sulkan se reprit, arborant son sourire mauvais de plus belle.

« Tu veux ce bracelet et rien d’autre alors ? Entendu. »

Tout en parlant, il avait lentement extirpé l’un de ses bras paresseux de la poche avant de son sweat, exhibant à présent l’un de ces petits gadgets, devenus indispensables en ville. Les rayons se reflétèrent sur la surface lisse, quoique métallique, aspect qui accentuait le côté glacial de l’objet en question. Quand on savait à quoi ils servaient en réalité, il y avait de quoi ressentir des frissons dans le dos, en effet. En croisant le regard de son interlocutrice, le garçon soupira sans se défaire de son sourire, puis sortit le second bras, témoignant de sa bonne foi.

« Me regarde pas comme ça, je n’ai rien dans le sweat. Je suis là pour faire affaire, pas pour te violer dans un coin sordide. Rassurée ? » argua-t-il avec un rictus de plus en plus déplaisant collé sur les lèvres.

Ce fut à son tour de faire un pas vers la jeune femme. Elle ne pouvait pas encore douter de sa mesquinerie quand même ? Bon d’accord, il avait récemment lu une annonce à propos de cette dernière, laquelle lui rapporterait gros mais sa priorité à l’instant était de livrer ledit bracelet. Rien de plus. Rien de moins. Cependant, il s’arrêta à environ 1m50 de l’inconnue, hésitant. Après quelques secondes de réflexion, il s’adressa à elle dans ces termes :

« Je te filerai bien le bracelet avant mais qui me dit qu’il y a assez sur ta carte monétaire ? Je ne veux pas d’emmerdes, encore moins avec quelqu’un comme toi tu piges ? Envoies la carte et je te lance le bracelet. »

Inutile d’être un fin observateur de la nature humaine pour comprendre que cette idée ne plaisait pas du tout à son interlocutrice. Si le visage de cette dernière eut le mérite de rester neutre au possible –elle se débrouillait plutôt bien la garce à ce petit jeu !-, la lueur brillant dans son regard la trahit. Ce qui arracha un rire joyeux, quoique résonnant étrangement, au garçon.

« Evidemment, tu n’en crois pas un mot hein ? OK, attrape. »

Sans autre forme d’argument, Sulkan lui lança le bracelet, se surprenant presque à espérer que cette idiote le rattrape au lieu de le laisser tomber par terre. La surprise pourrait lui jouer un tour mais si elle espérait recroiser sa route après avoir abîmé l’un de ces bébés sans même le payer, elle pouvait aller joliment se faire mettre profond. Et histoire d’éviter que la donzelle ne voit dans ce geste, l’opportunité de partir sans lui donner ce qui lui revenait de droit, comme dans tout bon procédé, le garçon croisa les bras sur son torse, s’expliquant alors :

« Oh bien sûr, tu peux t’enfuir avec mais tu ne sauras pas l’allumer. Je l’ai bidouillé un peu tu vois ? Je me suis permis de mettre en place un code unique pour le démarrer. File moi la carte et si le compte y est, je te dirais quel est le code. »

Encore quelques minutes et il pourrait rentrer chez lui, reprendre sa nuit là où il l’avait laissée et peut-être s’offrir une prime supplémentaire en livrant des informations sur l’Evolve. Mais avant ça, Sulkan planta son regard dans celui de son interlocutrice, lui signifiant par là qu’il attendait un geste évident de sa part.
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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15.05.15 0:04
Qu'est-ce qu'il a, à conserver ainsi cet insupportable sourire en travers de sa face ? Oh, elle peut lui passer beaucoup de choses à cause, oui, à cause du service qu'il peut lui rendre, quand bien même elle pourrait mettre fin à la transaction tout de suite et se tourner vers quelqu'un d'autre de moins désinvolte. Elle peut fermer les yeux sur son style débraillé, sur son parfum de pacotille et sur les insultes qu'il prend un malin plaisir à lui balancer, puisque après tout nous sommes dans les bas quartiers et le respect est ici une donnée toute relative. Mais ce rictus lui file des sueurs froides. S'il le garde, elle finira par rêver de le lui découper. En attendant, elle essaye de décrypter les expressions qui glissent sur son visage, ne saisissant pas pourquoi on y trouve une stupeur passagère alors qu'il est clairement en position de force ; a-t-il découvert quelque chose sur le coup qu'elle ignore ? Est-ce elle-même qui le met dans cet état et si oui, pour quelle raison ? Qu'est-ce qui se trame sous cette crinière verdâtre dans le crépuscule ? Impossible de répondre à ces questionnements pour l'instant. Laissons faire la suite.
Elle ne se fie pas à ce soudain relâchement, à cette politesse insolite. Et lorsqu'il sort une main de sa poche, il lui faut réprimer un mouvement de recul dû à un élan de paranoïa. Réputé pour vendre père et mère contre une belle cagnotte, elle ne doute pas que tout dealer, même celui posté à quelques mètres devant, a la gâchette facile. Pour autant, elle se rassure en se disant qu'éliminer systématiquement ses clients n'est pas la meilleure stratégie à adopter dans le monde des affaires, et qu'elle peut ainsi espérer sortir sauve de cette entrevue, à défaut de saine. Son œil valide s'accroche à l'anneau métallique dévoilé, tandis que ses tympans captent une nouvelle menace sous couvert de plaisanterie. En dix mille ans d'histoire humaine, les hommes ne se sont toujours pas défaits de leur obsession du sexe, et s'il essaie de faire preuve de décontraction, il se fourre le doigt dans l'orbite jusqu'au trognon. Mal à l'aise, Ruben déglutit dans un silence morbide. S'il existait encore un loup dans son entourage, elle aurait prié pour qu'il lui saute à la gorge et déchiquette ce sourire mauvais.

Elle attend sans répliquer, l'échine parcourue de frissons indélicats qu'elle chasse d'un mouvement d'épaule. L'espace d'une seconde, elle se demande si sa propre chair n'est pas en train de filer à l'anglaise sous son vêtement, si elle n'est pas en train de se flétrir sous l'effet d'un contrecoup qui lui abandonnerait une articulation sanguinolente, brûlante d'un épiderme désagrégé. Mais non. Aucun fluide ne vient couler le long de son dos, aucune toux vénéneuse ne secoue la gorge de l'étranger. Pourtant, elle a du mal à y trouver du réconfort. Il doute. Jauge la confiance qu'il peut lui accorder. De toute évidence, il en va ainsi pour chaque commerce ; la seule interrogation valable porte sur qui trahira l'autre. Néanmoins, son attention s'attache à cette expression anodine, « quelqu'un comme toi », qui lui indique qu'il en sait plus sur elle qu'avant de pénétrer ici. Les informations qu'il a dû récolter proviennent sans doute des banques de données de la milice, de cette fameuse liste d'Evolves consultable pour n'importe qui, mais qu'il soit au courant ne change rien pour elle, en théorie. S'il se méfie un peu plus, elle n'y voit qu'un avantage, car il y réfléchira peut-être à deux fois avant d'étaler de nouveau son sarcasme. Bah. Elle se fait des illusions. Et il n'aura pas la carte, même en la demandant à genoux. Pas tout de suite.

Curieusement, le garçon ne se braque pas devant ses réticences. Là où elle croyait qu'ils se regardaient un moment en chiens de faïence, c'est lui qui fait le premier geste – une manière de prouver sa bonne foi ? Belle blague. Les mains jointes, elle rattrape alors l'objet qui vient entourer la puce au creux de sa paume ; possédant les deux morceaux du pactole, il ne lui resterait qu'à prendre la poudre d'escampette. Mais ce serait faire preuve d'une haïssable naïveté que d'imaginer qu'il n'y ait pas une vipère dans l'affaire. D'ailleurs, le trafiquant lui rappelle les termes du contrat, manigance à l'appui, ce qui la conforte dans l'idée que lui fausser compagnie est une des dernières choses à tenter dans ces circonstances. Son regard se pose sur l'inconnu avant de revenir sur le bracelet. Difficile d'avaler que ce morceau de métal contient le laisser-passer d'un individu qu'elle ne connaissait pas encore il y a un mois. Parfois, l'imprévisibilité de l'existence se révèle effrayante.
« Il y a exactement mille dollars sur c'te carte », annonce-t-elle en envoyant la carte miniature valdinguer en direction du vendeur. Amplement suffisant, de son point de vue. Avec une telle somme, elle espérait conclure l'affaire sans provoquer de ricanement féroce. D'une certaine façon, elle avait été prise de cours par la rapidité de l'échange ; sitôt commandé, sitôt rendu. Pourtant, elle avait tout de même prévu une marge, en accord avec ce fameux proverbe, disponible sur son propre bracelet cette fois-ci. Le double, pour être précis. « C'est assez pour n'pas avoir à écarter les jambes, j'pense. Et pas la peine de d'mander d'où ça provient. » De l'argent propre contre un sale service. Aucun désinfectant ne pourrait plus lui retirer cette sensation de souillure, mais il faut le faire. La détermination luit dans ses iris.

Elle reste un instant sans le relancer, l'observant récupérer la puce et l'introduire dans le mécanisme. Conformément aux réglages de ce genre d'outil, l'affichage de la somme à transférer interviendrait aussitôt que le bracelet l'aurait ingéré, avant que l'utilisateur ne fasse en sorte, par commande vocale, de valider le versement. À l'époque de l'ultra-sécurité financière, le recours à ces technologies paraît des plus inconscients, et c'est pourquoi l'herboriste en garde toujours quelques uns dans ses tiroirs. Plus c'est obsolète, et moins les gens s'y intéressent. Idéal pour les pratiques sous le manteau, sans devoir balancer les milliers de justificatifs nécessaires pour un simple virement.
« Le code, maintenant. » Pas loquace, la bestiole. Elle envisage qu'il inventerait un accroc, qu'il chercherait à user de son autorité pour la pousser à le payer plus grassement, mais rien ne l'a préparée au frisson instinctif qui lui vrille la nuque en entendant des pas au dehors. Des respirations s'agitent devant la porte, des bruissements étouffés. Dans un réflexe, elle porte la main à sa puce, mais rien n'indique que celle-ci s'est mis à envoyer des signaux de géolocalisation. Alors quoi ? « T'as prév'nu quelqu'un ? » Son cri d'indignation se fait murmure. Elle ne croyait pas qu'il en viendrait jusque là, le salaud.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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18.05.15 15:04
Un début de soulagement qui se presse dans sa gorge, libérant celle-ci. Puis la satisfaction de se savoir de nouveau maître du jeu. Le sourire narquois, malsain, refit son apparition sur les lèvres du garçon et ce dernier eut tout juste le temps de lever le poing vers le plafond. Ouvrant la paume de celui-ci, il accueillit la carte monétaire, laquelle vint se loger au creux de l’entremêlement de lignes que constituait l’intérieur de sa paume. Sulkan referma aussitôt le poing, ne cessant de fixer son interlocutrice, comme pour guetter un signe de sa part qui annoncerait une éventuelle trahison dans leur échange de bons procédés. Mais non. Rien de tel ne passa sur le visage de la jeune femme et il consentit à détourner le regard de sa personne pour s’assurer lui-même du montant contenu dans la carte monétaire. Rien de plus facile. Après avoir inséré la petite pièce rectangulaire dans son propre bracelet, il n’eut qu’à valider le versement par commande vocale, tout comme il le faisait avec l’IA virtuelle de son studio, chargée de rendre plus agréable son quotidien selon la publicité mise en place par la société qui l’avait produite. Encore quelques secondes d’attentes, rien de très long en soi. Pourtant, à ce moment précis, les secondes revêtirent des allures de minutes, elles-mêmes vécues comme une éternité. Le garçon était tellement concentré sur sa tâche qu’il écouta à peine les commentaires de l’inconnue. Le montant finit par s’afficher : mille dollars, pas un de plus, pas un de moins. Sulkan ferma brièvement les yeux. Une telle somme pour un vulgaire bracelet modifié, c’était vraiment le pied ! Comme quoi, on avait beau dire et protester, le business de la misère était définitivement celui qui rapportait le plus !

« Le montant y est. Et rassure toi, je ne poserai pas ce genre de questions. Je préfère imaginer la réponse tu vois ? »

Se disant, il eut l’audace de passer sa langue sur ses lèvres, sans rien perdre de son sourire désagréable. Le geste en lui-même symbolisait plus de choses que s’il avait réellement mis des mots sur ses arrières pensées. Le code ? Ah oui le code… Elle avait une bonne mémoire cette petite. Dommage pour elle qu’elle ne se soit pas montrée plus prudente envers un escroc comme lui.

« T’emballe pas la gazelle, le code s’est EGX-037. Avec ça, tu actives le bracelet. »

Rien que le bracelet justement. En effet, lorsqu’on lui avait transféré la requête de la jeune femme qui se trouvait actuellement en face de lui, il n’était pas question de dévoiler des informations personnelles, comme l’identité de la personne à modifier ou même celle que l’on souhaitait obtenir en échange. Même avec un réseau de circulation de données protégé des yeux de la Milice, il fallait faire preuve de jugeote et d’un minimum de précautions. Sa cliente avait exigé un bracelet, il lui avait vendu ce qu’elle désirait : un bracelet vierge de toute information. Cependant, tout le monde n’était pas habilité à les manier pour qu’ils deviennent insoupçonnables dans la masse lors de contrôles d’identité. Le garçon laissa le temps à son interlocutrice de s’en apercevoir par elle-même et en croisant son regard que certains pourraient aisément qualifier de furibond, il eut un sourire railleur à son encontre.

« Me regarde pas comme ça tu veux ? C’est toi-même qui a exigé un bracelet contre paiement. Je n’ai fait que te donner ce que tu voulais ma belle. »

Rien n’était plus cruel que le sarcasme dont il faisait preuve à cet instant précis. S’il commençait à jouer sur les mots, alors il était certain de piéger la malheureuse qui n’avait probablement pas l’habitude de ce genre de trafic. Pour venir appuyer sa bonne foi, Sulkan appuya sur une commande de son bracelet, laquelle renvoyait au passé. Quelques secondes plus tard, la voix de l’inconnue résonnait de nouveau dans la pièce, réitérant sa requête concernant le bracelet. Oui, il avait pris la peine de l’enregistrer et alors ? C’était une manière de procéder comme une autre. Fier de son coup, le garçon surenchérit aussitôt :

« Si tu veux plus qu’un vulgaire bracelet vierge, il te faudra allonger la monn-… »

Des bruits en provenance de l’extérieur le firent s’interrompre naturellement. Quoi encore ? Qui osait venir troubler son affaire du moment ? Les négociations venaient à peine d’être entamées ! Cette fois plus sérieux, Sulkan pivota sur le côté, offrant son profil, à la fois à la jeune femme mais aussi à l’unique porte de la pièce. Des intrus ? Alliés ou ennemis ? Il n’avait prévenu personne pourtant puisqu’il ignorait l’identité de sa future cliente jusqu’à sa rencontre avec cette dernière. D’un autre côté, l’endroit était réputé pour être le témoin des transactions les plus sales de la ville, rien d’étonnant à ce que les criminels se retrouvent parfois au même endroit, au mauvais moment. Il n’existait pas encore de planning officiel pour réserver son créneau…

« Dis pas de connerie. » répliqua-t-il à voix basse, presque aussi furieux qu’elle.

Qu’est-ce qu’elle allait imaginer encore ? Il ne prendrait jamais le risque de foutre son business en l’air de la sorte ! Décidant de tenter le tout pour le tout, le garçon se rapprocha prudemment de la porte, presque à reculons pour venir écouter ce qui se disait. S’il s’agissait d’Erasers, il risquait de passer le reste de la nuit dans une salle d’interrogatoire miteuse et ce n’était pas son intention. A peine eut-il collé son oreille à la surface graisseuse de la porte, que les murmures cessèrent. Ils les espionnaient eux aussi ? Il ne manquait plus que ça ! A moins que ce soit simplement un mauvais timing entre eux ? Au moment où cette idée traversait son esprit, la porte s’ouvrit brusquement, frappant violemment son visage dans le même temps. Sulkan tituba en arrière, portant sa main à son nez d’où s’écoulait un abondant flux d’hémoglobines, dont la couleur paraissait presque noir dans la semi-pénombre de la pièce.

« Putain de bordel de merde ! Fais chier ! »

Le juron ne tarda pas à franchir ses lèvres. Mais l’état de son nez n’intéressait visiblement pas les nouveaux arrivants qui mirent un pied, puis un second dans la pièce. Un géant vêtu d’un costume deux pièces noir rayé de blanc s’avança. A en juger par son allure, il était un habitué des lieux. Une assurance gonflée d’orgueil émanait de lui. Tel un conquistador s’avançant sur le sol de la nouvelle Amérique des siècles plus tôt, son regard parcourait la pièce, ne tardant pas à se poser sur la frêle silhouette qui entra dans son champ de vision. D’abord la surprise, sincère puis l’amusement de se voir affutée d’une galante compagnie. Ses lèvres s’étirèrent un sourire qui traduisait la confiance qu’il se vouait à lui-même, de sorte que la balafre qui ornait son visage sur toute la largeur, traversant son nez, prenne une courbe étrange.

« Et bien, qu’avons-nous là ? Tu t’es perdue petite fille ? »

En d’autres circonstances, de tels propos auraient pu sonner de manière très paternelle mais en observant plus attentivement le personnage, difficile de l’imaginer en tant que tel. Il aboya alors un ordre, un seul :

« Ed. Fais le entrer. »

Des plaintes étouffées montèrent de nouveau, juste avant que deux silhouettes ne se dessinent derrière le dos du géant en costume. Deux hommes, dont l’un implorait visiblement l’autre de le lâcher. L’odeur du sang imprégna l’air de la pièce. Un coup retentit et les plaintes cessèrent momentanément. On faisait comprendre au prisonnier que sa vie ne lui appartenait plus, que s’il voulait vivre encore un peu, mieux valait pour lui qu’il se taise. Sulkan observait la scène, pris de court. Un règlement de comptes ? Les types devaient être des mafieux. Rien qu’au costume de mauvais goût… Il ne manquait plus que l’épais cigare coincé entre les lèvres et le couvre-chef noir corbeau pour qu’on ait l’impression de se retrouver projeté dans une scène d’un film culte. Comment diable aurait-il pu prévoir que la situation empirerait à ce point ? Ces gars-là n’étaient pas connus pour être des tendres. De plus, ils détestaient les témoins de leurs petites affaires. Il était temps de se faire la malle puisque le géant n’avait pas l’air d’avoir remarqué sa présence. Un miracle étant donné son juron sonore de toute à l’heure. Sans doute que la présence de la jeune femme l’intéressait plus que lui.

« Tu ne devrais pas être ici. Ce n’est pas un endroit pour les charmantes créatures, à moins bien sûr, que tu ne sois venue faire affaire ? »

Laissant parler le nouveau venu à la taille imposante, le garçon s’éclipsa discrètement. Le géant couvrit sa fuite mais il prit la peine d’adresser un regard faussement désolé à l’intention de l’inconnue. Un de ceux qui voulaient dire « sans rancune et à la prochaine baby! ». Il ne prit pas la peine de guetter une réponse de la part de l’intéressée, ni de refermer la porte pour leur laisser plus d’intimité. Ils allaient certainement avoir beaucoup de choses à se dire… Et puis même s’il n’avait pas extorqué encore plus de fric à cette femme, il avait au moins gagné mille dollars dans cette histoire ! Sulkan ne s’arrêta qu’une fois dehors. L’air frais lui fit oublier un instant la frustration de s’être vu interrompu par un plus gros poisson que lui. Malheureusement pour lui, ce genre d’incidents faisait également partie des règles du jeu. Il essuya d’un revers de la main rageur le sang qui continuait de s’échapper de ses narines meurtries. L’autre armoire à glace ne l’avait pas raté pour le coup ! Le garçon commença alors à s’éloigner du bâtiment avant qu’un bruit de verre brisé ne le fasse sursauter. Le raffut provenait de l’immeuble qu’il venait de quitter, le premier étage pour être précis. Curieux, Sulkan leva les yeux en direction du bruit, juste à temps pour apercevoir une forme sombre qui lui arrivait pile dessus. Bon Dieu, il s’était fourré dans quelle merde au juste ?
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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18.05.15 22:55
Si quelqu'un les trouvait, c'était foutu. Foutu la transaction, foutu la discrétion, foutu la tranquillité qui avait d'ores et déjà volé en éclats mais dont elle s'efforçait encore, en se voilant à moitié la face, de recoller à partir de misérables morceaux. Avec un peu de chance – le genre de trucs qui n'existait pas dans son vocabulaire – elle aurait le temps de rentrer le code et de filer à l'américaine, parce qu'elle ne rêvait que de ça depuis qu'elle avait mis les pieds dans cette décharge dont les effluves lui agressaient les sinus en permanence. Sauf qu'elle avait compris, trop tard, que le slogan commercial par excellence à propos de l'efficacité, de la simplicité et de la fiabilité, surtout le dernier à dire vrai, possédait ici autant de valeur qu'un coton-tige dans une usine de textile chinoise. Même pas un kopeck. Nada. Et lorsqu'elle en fit les frais, au sens littéral et figuré, elle n'eut pas assez de tous les noms d'oiseaux de la planète pour se qualifier. Au fond, ce ne devait même pas être surprenant. Tu erres dans un marécage en petite tenue et tu cries lorsque tu te fais bouffer par un alligator au détour d'une racine ? L'arnaque était aussi grosse, aussi inratable qu'une montgolfière dans le ciel du Nebraska et elle, comme une fleur, s'imaginait qu'elle tomberait sur un gentil crocodile qui lui éviterait le séjour à l'hôpital en prétextant une rage de dents. Seigneur. Avait-elle fait exprès d'être aussi stupide ou bien son gène lui avait brouillé les synapses une demi-seconde de trop ?

L'ignorance lui fournissait une évidente excuse, mais de celles qui se révèlent les plus humiliantes. Et si son visage s'empourprait de colère, celle-ci était moins dirigée contre l'auteur de la traîtrise que vers sa propre personne. Trop innocente, l'herboriste. Trop naïve. Elle évoluait dans un univers souterrain, sans torche ni lumière pour éclairer ses pas, et voilà que le monstre surgissait dans son dos pour la poignarder. Il n'y avait de coupable que son imprudence. Le comble pour celle qui, depuis l'enfance, avait toujours montré un excès de méfiance à l'égard du monde. Il n'y avait qu'un bracelet vierge de toutes données, un matériel inutilisable dans l'état, à moins d'avoir des compétences en informatique suffisamment poussées pour pallier les dépisteurs de contrefaçon et autres engins de contrôle. Bien sûr, elle pourrait toujours demander à un nouvel homme de l'ombre pour rajouter les informations identitaires, mais c'était autant de frais et d'ennuis en plus que de multiplier les médiateurs. Une personne au courant, c'était déjà assez. Déjà trop. Et Dieu sait s'il n'en avait pas profité pour mettre au courant d'autres fraudeurs de renom, histoire de lui coller aux basques à coup de chantage. Oui, elle n'aurait pu rêver meilleur pétrin. Ses doigts se crispèrent autour de l'anneau, serrant si fort qu'elle l'aurait broyé en visualisant à la place le faciès mesquin de son interlocuteur.
Sauf qu'il y avait pire. Un pire qui chassa la rage au profit de la stupeur, puis d'une hargne plus féroce encore que la précédente. Un pire qui lui glaça l'échine avant de la chauffer à blanc, avant de la pétrifier. Un triple nœud naquit dans sa gorge et, tandis que ses propres paroles envahissait la salle, elle assistait muette à sa condamnation au pilori.

Difficile de considérer qu'elle trouva du réconfort dans leur interruption. Bien au contraire, il lui semblait qu'elle ne faisait que l'enfoncer davantage dans les eaux troubles, et qu'il n'en ressortirait rien de bon. Tête verte était aussi déstabilisé qu'elle, enfin, à sa manière, ce qui augurait mal des intrus ; il se glissa jusqu'à la porte tandis qu'elle tentait de rentrer dans un trou de souris, les jambes prêtes à grimper à son cou pour la faire courir plus vite. Pourtant, bien qu'elle n'eut en théorie plus rien à faire avec son vendeur, elle n'envisageait pas de le laisser s'en tirer à si bon compte. Même si elle se retrouvait impuissante à lui faire augmenter sa marchandise, il fallait au moins qu'elle fasse disparaître cet enregistrement. Une telle requête, s'il essayait de la vendre en tant qu'information, ne ferait en effet qu'accroître le danger de sa situation. Et puisqu'il n'accepterait d'adapter le bracelet qu'en échange d'une nouvelle rentrée d'argent, ce dont elle se persuadait de ne pouvoir se le permettre, autant agir sur ce qui ne réclamait aucun financement. La question du pourquoi étant réglée, il lui restait le comment. Et ce n'étaient certainement pas les nouveaux arrivants qui l'aideraient en quoi que ce soit.  
On eut presque pu entendre le craquement du cartilage lorsque la porte heurta le visage du garçon. De là où elle se tenait, Ruben réprima un sursaut à défaut d'une grimace, mêlée de dégoût et d'effroi. Dans d'autres circonstances, elle eut remercié le ciel d'une si juste punition mais, n'étant ni croyante ni acerbe, elle s'abstint de tout rictus satisfait. Trop d'angoisse en elle coupait court au sarcasme, d'autant que malgré ses jurons, le dealer n'avait pas attiré l'attention. Contrairement à elle, à découvert au noir milieu de la pièce ; plus belle potiche, tu meurs. Elle eut néanmoins le réflexe de fourrer le bracelet dans sa poche avant de voir le piège à loup se refermer autour d'elle, les crocs de métal aussi acérés que la lame qui avait dû trancher dans le visage de l'homme. À l'évidence, ce n'était pas un milicien, et encore moins un tranquille squatteur de banlieue à l'affût d'un matelas et d'une nuit paisible. L'air, saturé de sang et de corruption, lui filait des envies de gerber. Mais si elle porta une main à sa bouche, ce fut moins pour retenir sa nausée que pour étouffer sa respiration qu'elle sentait s'emballer. Son cœur se mit à piaffer entre ses côtes, ses jambes perdirent de leur solidité, et elle sauva les apparences en s'appuyant sur une table derrière elle. Elle n'eut alors pas besoin d'être devin pour comprendre que rien, absolument rien, ne pouvait plus la protéger.

« Tu ne m'en voudras pas si je règle cette affaire avant, petiote ? Je déteste laisser traîner les problèmes. Même si d'ordinaire, j'évite aux enfants d'assister à ce genre de scènes... C'est aimable, n'est-ce pas ? »
Sa voix dégoulinait de complaisance. Il ne ricanait pas, ne cherchant nullement à paraître plus carnassier qu'il ne l'était déjà dans toute sa carrure ; il se savait maître, roi en sa demeure, et n'hésiterait pas à réduire au silence tout invité contrevenant à son autorité. En l'occurrence, son bras droit se contentait d'obéir, lèvres closes en une moue professionnelle, sans aucun état d'âme. En dépit de ses airs efflanqués, il exécutait les ordres avec une rigueur implacable, traînant le malheureux jusque sur une chaise où il le fit s'asseoir d'un coup sec. Il le contourna ensuite, venant poser ses larges mains sur les épaules du pauvre type aux yeux hagards, pendant que son patron déambulait avec nonchalance le long des meubles.
« Allons, allons, pas de quoi s'alarmer. Une petite broutille. Ce sera vite fait. »
Le flegme de son attitude contrastait fortement avec la nervosité du troisième homme, cloué à son siège et cependant agité jusqu'à la moelle. Il n'arrêtait pas de clamer son ignorance, de rejeter son implication dans quelque trafic obscur, et Ruben s'étonna de sentir en elle un étrange écho. Toutefois elle demeurait figée, les doigts contractés autour de l'arme au fond de sa poche dans l'éventualité d'un usage immédiat. Pour l'instant, le groupe semblait se désintéresser de sa présence, mais elle ne se fiait pas à cette indifférence passagère. Pourtant, c'était maintenant ou jamais.

Plutôt que de se précipiter vers la porte, au risque de voir sa retraite bouchée par le colosse à rayures, l'herboriste préféra se rapprocher, pas à pas, d'une fenêtre ; de là, elle pourrait opter pour une gouttière ou un tas d'ordures mitoyen à la paroi pour espérer descendre sans se rompre le cou. Il lui fallait agir vite, avant d'assister au lynchage de l'infortuné ainsi qu'à son propre enrôlement dans une succursale glauque d'un réseau de prostitution. Tandis qu'elle glissait en crabe jusqu'à la vitre, elle ne quittait pas des yeux les trois hommes plongés dans une discussion de sourds, où l'un suppliait les deux autres en vain, prétextant toujours et encore avoir été trompé. Tout revenait là. Un jeu de dupes, avec des perdants et des gagnants. Et quel que fût l'enjeu, le meilleur camp était évident. Avec en fond sonore suppliques, frappes et allégations, la jeune femme s'acharna pour ouvrir cette putain de fenêtre aux joints posés à l'époque de Mathusalem, dont elle découvrit des loquets à l'extérieur destinés à éviter une ouverture jugée sans doute dangereuse. Belle précaution, mais qui lui vaudrait peut-être un aller simple pour la maison close du coin. Cette escapade ne l'inspirant guère, elle saisit une pince à métaux qui traînait sur le rebord et l'abattit sur la vitre ; le temps, destructeur inlassable, en avait tellement usé le verre qu'il éclata sur toute la surface, emportant dans sa chute de larges échardes arrachées à l'encadrement. Le fracas rappela une détonation et Ruben, les bras ramenés autour de sa tête, en entendit les résonances un long moment. Il ne lui restait plus qu'à descendre. Oui, plus qu'à.
« Tu veux déjà nous quitter ? grinça la voix du golem dans son dos. Quelle déception... »
Oh, ta gueule, signifia le regard de la jeune femme tandis qu'elle ne se fige en apercevant l'autre zombie abandonner sa proie pour lui foncer dessus ; il n'allait tout de même la balancer par cette même ouverture qui sonnait comme une délivrance une seconde plus tôt ? Cela aurait le mérite de la faire arriver en bas plus vite. Mais dans quel état. Elle ne fut cependant pas assez rapide pour l'esquiver, et à l'évidence pas assez forte pour l'empêcher de lui saisir le cou en l'obligeant à se pencher en arrière, par-dessus le rebord. Un débris de verre, rescapé de la chute, pénétra dans ses vêtements et s'enfonça dans ses reins en lui arrachant une plainte étouffée. Ses mains se refermèrent sur les poignets qui lui encerclaient la gorge ; ses genoux fléchirent, son bassin se tordit en un arc douloureux ; elle sentit le mal lui vriller le crâne et, alors qu'elle pensait finir sa vie en comptant les fractures mortelles, une quinte de toux déstabilisa son adversaire. Sans réfléchir, elle profita du relâchement pour initier une impulsion bancale et, ni une, ni deux, ils basculèrent ensemble dans le vide.

Elle se rattrapa in extremis à un épais câblage qui craqua néanmoins sous son poids, la jetant au sol plus brutalement que prévu, mais toujours moins que son acolyte. Ce dernier atterrit à quelques mètres sans qu'elle n'y prenne gare, car elle était encore trop occupé à se remettre de cette acrobatie périlleuse. Son dos la martelait, ses tempes aussi, ses cheveux collait contre sa nuque et il lui fallut plusieurs secondes pour se redresser complètement afin de constater les dégâts. Quant à son myocarde, il jouait les speed runner dans la poitrine : un bon signe, se dit-elle. Vivante et intacte. Du moins, dans sa globalité. Elle fit un pas en direction de la masse à terre devant le bâtiment, ne s'étonnant qu'à peine d'y déceler quatre bras et autant de jambes, certains inertes et d'autres agités de tremblements. Était-il mort ? Elle n'y croyait pas. Pas d'une telle hauteur. Démoli, oui, sans doute. Mais pas décédé. Elle n'aurait pas cela sur la conscience.
« 'Faut pas rester ici », lâcha-t-elle à l'adresse de la tête verte qui dépassait. Mais la fatigue avait beau transparaître dans sa voix, son corps était toujours animé d'un vif désir de fuite. L'adrénaline pulsait dans ses veines, l'invitant à courir le plus loin possible. Sauf qu'elle ne pouvait s'échapper ainsi. Pas avant d'avoir réglé le problème. Et maintenant qu'ils allaient se taper le colosse à leurs trousses, elle aurait deux problèmes.
« Si j't'aide, tu m'aideras à trafiquer c'bracelet ? » Non, Ruben, pourquoi cette naïveté, encore ? Pourquoi cette politesse, cette bonté ? Écrase-lui la tronche et barre-toi tant qu'il est encore temps, tant que les pas qui ébranlent l'escalier sont assez loin. Si tu restes, t'es morte, alors pourquoi tu t'inquiètes d'un sale gosse ? Elle n'attend pas la réponse ; elle ne veut pas l'entendre parce qu'elle sait qu'elle peut aller se faire mettre, quoi qu'elle fasse. Mais elle refuse de se faire mettre par sa propre lâcheté. Alors elle lui agrippe le bras, flanque sa semelle dans la gueule du zombie qui grogne en se recroquevillant, et libère par là même le garçon écrasé dessous. Juste au moment où le costume rayé débarque sur le seuil, jurant des propos qu'il ne conviendrait pas de retranscrire ici. Bon. Ils tergiverseront plus tard.
« Pauvre conne », se maudit-elle en arrachant Tête verte au sol pour se mettre à courir.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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19.05.15 16:59
Avant d’avoir le temps de comprendre ce qui lui arrivait, un homme lui tomba dessus. Oui, un putain de mec qui venait de passer par la fenêtre du premier étage ! Et pas un poids plume, le garçon l’apprit malheureusement à ses dépens en se retrouvant plaqué brutalement au sol. Ecrasé serait plus exact. Sulkan eut le souffle coupé sous le choc provoqué par cette rencontre brutale. Dire qu’il pensait enfin s’être sorti de cette merde, au détriment de sa cliente du moment. Le hasard le rattrapait trop vite à son goût, aidé en cela de son éternelle complice, la malchance. Cette nuit serait la pire qu’il avait passé depuis une éternité, si toutefois, il y survivait. Car le garçon eut beau remuer sous la masse inerte, celle-ci était trop lourde pour lui. La colère, la rage, la frustration puis un sursaut de peur, se muant doucement en panique sous la forme d’une sueur glacée dévalant sa nuque et enfin sa colonne vertébrale. Il ne voulait pas finir comme ce pauvre type ! Eliminé parce qu’il s’était trouvé dans le viseur de mafieux ! Des putains de mafieux ! Il ne méritait pas une mort aussi minable après les risques qu’il avait pris pour asseoir sa position en tant qu’hackeur de renom dans le coin !

« Bordel de merde ! »

Même si elle ne s’entendait pas –encore- dans sa voix, la panique l’enhardissait à redouble d’efforts pour se libérer du corps de l’inconscient. Peine perdue. A ce rythme, il ne lui restait plus qu’à parier sur qui du géant balafré ou de ce type l’écrasant de son poids, allait lui mettre la main dessus en premier. A moins qu’il ne préfère imaginer quel sort on lui réservera une fois qu’ils l’auront attrapé ? S’il avait cédé au désespoir, peut-être que Sulkan aurait versé une larme ou deux. Peut-être. Mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. Il avait senti une présence non loin de lui, laquelle se rapprochait. Le colosse était en avance… Non, c’était quelqu’un d’autre… Le son de ses pas dans le sol gonflé de poussières n’était pas aussi lourd que celui du mafieux. Le garçon releva la tête en direction du nouveau venu, même si la voix qui retentit alors l’informa aussitôt de l’identité de la personne à qui il avait affaire. Encore cette salope ? Ne pas rester ici qu’elle disait. Elle en avait des bonnes tiens ! Comme s’il prenait plaisir à demeurer sous cette masse de viande froide au lieu de se faire la malle ! Sulkan chercha une réplique cinglante à lui rétorquer, même si cette décision devait le condamner. L’inconnue fut plus rapide que lui et l’espace d’un instant, il fut pris de court par sa naïveté. Sérieusement ? Même après avoir été baisée de la sorte, elle revenait à la charge ? Bon Dieu, c’était qui cette fille au juste ? Une masochiste en puissance ? Ce temps de réaction lui valut de recevoir l’aide de l’intéressée. Finalement, il avait plutôt bien fait de ne pas l’ouvrir, pour une fois. Même en disant ça, il ne put réprimer un juron de douleur en subissant la traction de la jeune femme sur son membre. Encore un peu et elle allait lui étirer suffisamment le bras pour le rendre disproportionné par rapport au second. Il était temps. Du coin de l’œil, par-dessus l’épaule de sa sauveuse, Sulkan aperçut une silhouette trop familière se dessiner dans la nuit. Malgré la distance, inutile d’avoir à réfléchir longuement pour comprendre qu’une telle corpulence ne pouvait appartenir qu’à un seul homme sur Terre… Il n’eut pas à réfléchir : sitôt libéré du poids de l’homme inconscient, le garçon se mit à courir, emboîtant le pas à son interlocutrice sans trop y faire réellement attention. L’adrénaline aidant, ils ne s’arrêtèrent à aucun moment pour s’assurer que leur poursuivant abandonnait la partie. Les exclamations de ce dernier témoignaient de sa détermination à les rattraper. Pourtant, le fracas de la fenêtre aurait déjà dû alerter les patrouilles chargées de garder un œil sur les lieux non ? Enfin… Même si leur éventuelle intervention leur évitait une balle en pleine tête, pas sûr que ça leur épargnerait un petit séjour en garde-à-vue en revanche. Autant dire qu’il ne leur restait plus qu’une option : courir. Et vite.

Ce fut à cet instant précis qu’il le vit. Au détour d’un amas de briques mêlé de détritus divers, plusieurs taules rouillées leur offraient un abri de choix le temps que le colosse les dépasse et ne les oublie. Sulkan saisit aussitôt sa chance et disparut derrière elle, rejoint peu de temps après par la jeune femme. Décidemment, elle ne lâcherait pas l’affaire celle-là ! Le souffle court et la respiration sifflante, le garçon ne perdit pas son temps en remarques acerbes. S’ils ne faisaient pas le moindre bruit, peut-être que le géant passerait à côté de leur cachette. Après tout, s’il avait dû s’arrêter pour regarder derrière chaque tas de débris et de déchets, jamais il n’aurait eu le temps de parcourir la totalité de la décharge avant le lever du jour. D’abord un semblant de silence entrecoupé de leurs respirations rapides. Puis des bruits de pas. Ceux-ci ralentirent progressivement. Sans doute que le géant s’étonnait d’avoir perdu leur trace aussi facilement et cherchait à deviner dans quelle direction ils avaient pu prendre pour lui échapper. La chance était de nouveau de son côté alors ? Cruel constat que non. La chance n’avait jamais été une compagne fidèle et ça se confirmait une fois encore. Tout démarra par un léger tiraillement au niveau de sa gorge. Un peu quand on sentait que le rhume nous guettait. La gorge irrite et on l’abreuve à grand recours d’eau et de boissons chaudes agréablement sucrées. Mais très vite, la gêne augmente, rendant la respiration plus difficile. Quelques vertiges, suivis de nausées. Le garçon eut le bon réflexe de plaquer sa main sur la partie inférieure de son visage, étouffant un début de tout alors que la sensation de gêne se muait en brûlure à l’intérieur de sa gorge. Sensation qui descendait toujours plus bas, entravant ses poumons. Et alors il sut. Il n’eut besoin que d’un regard en direction de la jeune femme. Dire qu’il avait redouté l’apparition de son pouvoir, pire, qu’elle s’en serve sur lui pour se faciliter les choses lors de leur transaction. Et voilà qu’il se déclenchait à cet instant ? Elle était en train de le tuer derrière son visage impassible, faussement déconcerté par ce qui lui arrivait ! Pourvu que le géant se barre rapidement. La toux croissait de plus en plus. Il ne voulait pas mourir comme ça ! Finalement, Sulkan laissa éclater l’irritation qui lui brûlait gorge et poumons en un vacarme sonore. Basculant sur le côté, il se traîna hors de leur cachette improvisée. Il n’avait qu’une envie à cet instant : s’éloigner le plus possible de cette femme. La Mort en personne. Sauf que voilà, il en était arrivé à un point où il devait choisir entre mourir empoisonné ou d’une balle dans la tête…

« Regardez qui est là… Ce n’est pas gentil de jouer à cache-cache… »

Merde. Le colosse balafré n’était pas parti en fin de comptes. Il venait de perdre son pari… Et la promesse d’une vie rallongée de quelques heures dans la foulée. Son interlocuteur n’eut besoin que d’une fraction de secondes pour parcourir la distance qui les séparait. Ignorant la main tendue du garçon qui symbolisait son désir de se rendre, l’autre l’attrapa par la capuche de son sweat, le soulevant sans peine. A son malaise respiratoire s’ajouta la sensation d’étranglement provoqué par le bas de la capuche qui venait se bloquer sous son menton. Heureusement pour lui, cette gêne ne dura pas longtemps. L’instant d’après, il volait dans les airs pour se retrouver projeté le nez dans la poussière, sonné.

« Où est cette garce ? »

Hein ? Il ne l’avait pas vue derrière les taules ? Avait-il seulement songé à regarder de l’autre côté ? Décidemment, il était aussi baraqué que stupide celui-là… En guise de première réponse, Sulkan toussa dans la poussière. Faire rentrer de l’air pur, quoique légèrement souillé par de fines particules de poussière, lui fit du bien. C’était plus agréable que la sensation qui l’avait étouffé quelques minutes plus tôt. Mais cette attente ne fut pas au goût de son interlocuteur, lequel perdit patience et s’approcha de lui pour lui envoyer son pied dans l’estomac. La puissance du coup l’envoya se traîner sur quelques mètres. Un rire malsain, frisant la folie, s’échappa des lèvres du garçon. Qu’est-ce qu’il attendait de la part de ce mec ? De la compassion ? De la pitié ?

« Et si j’te dis où elle est, j’ai la vie sauve ? » cracha-t-il à même le sol.

Espoir fou. Comme s’il ne connaissait pas déjà la réponse à cette question pour l’avoir vue être mise en pratique à plusieurs reprises à la suite de certaines de ses négociations ? Un sourire mauvais étira les lèvres du géant qui sortit alors un pistolet de sa veste. Un déclic se fit entendre, probablement celui de la sécurité qui sautait. La réponse à sa question en somme… Sulkan se perdit dans la contemplation de l’arme. Un modèle qu’on ne voyait plus trop avec les nouvelles technologies employées par la milice. Probablement acquis sur le marché noir. D’ailleurs, il en avait déjà vu des comme ça là-bas. Moyennant une coquette somme, on pouvait quelques fois s’en procurer pour exécuter un bon vieux rival gênant. Ou encore se faire justice soi-même. C’était à la mode semble-t-il. Le garçon détacha un instant son regard du pistolet pour se retourner, laissant le ciel emplir son champ de vision. Quelle mort minable franchement. Exécuté à bout portant dans une décharge. Peut-être même qu’on ne retrouverait jamais son cadavre, abandonné sous un tas d’ordures sur le point d’être compacté et détruit. Il crut entendre de nouveau la voix du géant, avant que ce dernier n’apparaisse devant ses yeux, le canon du pistolet également. Les lèvres du colosse remuèrent une fois de plus, preuve qu’il s’adressait bel et bien à lui. Dommage. Il ne l’écoutait déjà plus. A quoi bon lui donner ce qu’il voulait si l’autre comptait le réduire au silence au bout du compte ? Ce n’était pas ce qu’il appelait négocier… Ses doigts s’imprégnèrent une dernière fois de la sensation du sol sous eux. Il ressentait un profond détachement pour toute forme de tracas en sachant que la mort viendrait bientôt le prendre depuis ce petit trou braqué sur sa personne. En remuant un peu les paumes à même le sol, il sentit soudain un caillou s’enfoncer dans sa chair. Le premier réflexe aurait été d’ôter sa main pour faire cesser aussitôt la douleur. Non, Sulkan s’amusa à appuyer plus encore sa main sur le sol, de sorte que la chair rebondie de sa paume vienne entourer le morceau de roche, recouvrant puis étouffant celui-ci dans ses chaudes rondeurs. Au même moment, un objet non identifié frappa l’arrière de la tête du géant, détournant un instant son attention affreusement satisfaite du visage de sa victime. C’était l’instant rêvé. Dans la fraction de secondes qui suivit, le garçon se saisit du caillou pour le caller droit dans le trou du pistolet. La scène se joua au ralenti sous ses yeux, il vit clairement la tête de son interlocuteur se retourner dans direction, surpris puis agacé d’être tourné en ridicule par deux gosses à peine plus âgés l’un que l’autre. Il allait tirer. Sulkan rabattit sa capuche sur lui, se couvrant le visage alors qu’il se recroquevillait, offrant son dos au pistolet. S’il avait mal calculé son coup –foireux- alors le géant allait le tuer ici et il n’aurait même pas eu les couilles de regarder la mort en face ! Au lieu de ça, une déflagration sonore retentit tout près de ses oreilles alors que le pistolet explosait entre les mains de son agresseur. Elle brûla son sweat, consommant le tissu jusqu’à venir lécher l’épiderme du garçon mais rien de grave comparé à la perspective de se voir loger une balle entre les deux yeux. Le souffle de l’explosion retomba comme un soufflé à la sortie du four. Le silence fut bref car bientôt, on n’entendit plus que les hurlements de douleur du colosse balafré à la main en moins. Ou bien s'agissait-il des échos lointains de la patrouille de miliciens ?
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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20.05.15 22:19
Courir. Courir jusqu'à perdre le compte des foulées. Comme si le Diable te talonnait et qu'il se faisait lui-même pourchasser par une bande d'angelots dégoulinants d'amour. Ne s'arrêter que quand tu as oublié ce que c'était, l'immobilité et la douceur des jambes inertes. Ainsi Ruben courait, sans savoir qui de ses genoux, de son dos ou de son crâne la lançait avec tant de force à chacun de ses mouvements. Elle ne se relâchait pas, poussée par un élan incontrôlable, les mâchoires serrées l'une contre l'autre dans l'effort ; dans la lumière déclinante, ils détalaient comme des lapins pris en chasse par un aigle, et chaque pas devait prendre en compte les aspérités du terrain, les débris métalliques et les obstacles en tout genre qui jonchaient la décharge. Si aucun d'eux ne se pétait la cheville au détour d'un monticule, ils pourraient s'estimer satisfaits de leur fuite. En attendant, ils n'étaient capables que d'actionner leurs muscles et de se taire jusqu'à nouvel ordre. Bien qu'ouvrant la course, l'herboriste restait attentive à ses arrières, car elle savait qu'une seconde d'inadvertance et le garçon s'écarterait de son sillage pour lui fausser compagnie sans plus de cérémonie. Or, surveiller l'environnement à trois-cent-soixante degrés lui était impossible, a fortiori à cause de son œil défaillant, et elle ne put donc prévenir l'échappée du dealer. Une partie de sa conscience lui sifflait de ne pas s'en préoccuper, de rejoindre au plus vite les barrières pour les enjamber et disparaître dans la nuit avant que la milice n'intervienne. Mais une seconde partie lui ordonnait de ne pas perdre de vue le gosse, à la fois par nécessité et contrainte. Quelle que fût son envie, il lui fallait garder sa trace jusqu'à ce qu'ils puisent mettre les choses au clair et au calme. Affaire délicate, dans l'immédiat.

Même si quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne constate qu'il s'était fait la malle, elle n'eut que peu de difficultés pour le retrouver parmi les ordures. Aussitôt, elle fit volte-face, s'abstenant toutefois de rebrousser chemin pour éviter de tomber nez à nez avec le colosse balafré, et rejoignit celui qui, malgré leurs deux volontés, représentait un complice occasionnel. Tant pis pour l'illustre réjouissance qu'il afficha en la voyant se planquer à ses côtés ; avec la frousse aux trousses, elle avait d'autres chiens à fouetter que de se faire bien voir. Sous cet abri de fortune, à peine assez grand pour allonger les jambes, Ruben scrutait le moindre mouvement parmi les déchets, humait la moindre parcelle d'odeur poisseuse qui eut pu indiquer que le mafieux s'approchait. Cependant, elle dut vite se rendre à l'évidence. Le cerveau embrouillé par la peur, le cœur battant la chamade et les sens surchargés d'informations diverses, il était vain d'espérer trier l'environnement. Pour l'instant, tout ce qu'elle était en mesure d'accomplir consistait à ralentir ses pulsations cardiaques et étouffer sa respiration derrière ses paumes. Les grognements d'un chien se firent entendre au loin. Et cette douleur qui frappait à ses flancs en continu, ces chocs internes qui n'en finissaient pas. Elle n'eut pas besoin de tourner la tête vers son acolyte pour appréhender ce qui se passait sous ses vêtements, sous son épiderme ; elle pouvait presque sentir les membranes se déchirer lentement, fibre après fibre, se décoller de sa carcasse avec des bruissements de feuilles mortes. Cette chaleur moite qui lui remontait jusqu'aux épaules, cette brûlure pernicieuse inondant sa colonne vertébrale. Elle ne voulait pas savoir dans quel état elle se découvrirait en-dessous. Juste que cela s'arrête au plus vite, avant qu'elle ne se voit contrainte d'user d'un instrument dont elle n'avait aucune envie.

Une quinte de toux à quelques centimètres confirma ses craintes, en plus de les accroître de façon exponentielle. Cette marque évidente de l'activation de son pouvoir s'était ainsi transformée en signal de géolocalisation, magnifiquement destiné à leur poursuivant qui ne se fit pas prier pour leur mettre le grappin dessus. Aussitôt, Ruben se terra davantage au fond de l'abri, dans le fol espoir de s'évanouir dans l'ombre. Et pour le coup, Tête verte lui fournissait un bouclier gratuit, puisqu'il s'était glissé hors du refuge en s'imaginant gagner l'air libre. Si elle s'en voulait ? Pas vraiment. Elle ne réfléchissait même pas à sa responsabilité tellement le soulagement se le disputait à l'effroi. À l'évidence, ce n'était pas le garçon que recherchait le mafieux ; au mieux n'était-il qu'un contretemps malingre sur sa route, un insecte qu'il se ferait un plaisir d'écrabouiller avant de reprendre ses fouilles. Et elle assistait à ce combat couru d'avance, ce passage à tabac aussi commun qu'impressionnant, pour celle qui avait toujours veillé à fuir les malversations des bas-quartiers. Ce genre de violence avait beau s'être banalisé, elle ne parvenait pas à ravaler l'horrible goût de bile qui lui envahissait la gorge à cette vision d'un corps jeté dans la poussière, au bruit mat des coups contre les os. À cette ultime tentative de marchandage, qui raviva un éclair de rage dans sa poitrine. Même dans une situation pareille, même aux portes de l'assassinat, le garçon tentait encore de négocier. Sale parasite, songea-t-elle à l'instant où elle essayait de s'extirper de son refuge par-derrière.  

Elle aurait pu s'enfuir de nouveau. Profiter du répit pour se faufiler loin de cette bastonnade non-réglementaire, fermer l'œil et les oreilles et le laisser à son sort de requin miniature bouffé par un plus gros requin. Sauf qu'elle en avait assez d'être une criminelle. Elle en avait assez des meurtres dans lesquels elle se retrouvait impliquée contre son gré, des homicides à ses pieds. Alors, stoppant son évasion rampante, elle fourra le bras dans un tas d'ordures pour y agripper ce qui lui sembla être une bille d'aluminium et, après avoir évalué la distance qui la séparait de leur attaquant, se redressa d'un bond pour lancer le projectile avant de s'accroupir derechef. L'objet décrivit une légère cloche, puis termina sa trajectoire contre l'occipital du géant. Si l'impact n'eut pas la force escomptée, il suffit à distraire le prédateur de sa proie un infime moment pour que... La suite, elle l'ignorait. De là où elle s'était planquée, Ruben n'apercevait plus ni Tête verte, ni son agresseur ; il y avait seulement l'étendue de la décharge, des faisceaux lumineux et le ciel mordu d'immeubles. Elle guettait la détonation finale. La seconde où l'arme viendrait lacérer le silence, où le tir arracherait des morceaux à l'encéphale du gamin. Peut-être avait-il réussi à se relever et à déguerpir, mais elle n'y croyait pas. La diversion n'avait pas été suffisante, tout au plus deux secondes, et donc trop peu pour tenter quoi que ce soit de salvateur. Alors elle attendit le climax. Et le climax ne fut pas ce qu'elle prévoyait.
Explosion il y eut. Accompagnée d'un cri sinistre qui la secoua jusqu'aux profondeurs de l'âme. Mais ce n'était pas la voix d'un défunt, ça – non, les cadavres sont toujours muets. Qui hurlait donc ainsi à la mort ? À pas de loup, l'herboriste se risqua de derrière son talus pour découvrir la scène, presque irréelle, souillée de sang et de fumée, qui s'étala à sa vue. L'odeur de brûlé qu'elle avait appris à apprécier lui sauta à la gorge, agressive. Elle fit pourtant quelques pas en direction des deux hommes, ne sachant si l'occasion lui permettrait de récupérer une nouvelle fois le jeune trafiquant ; malmené comme il avait été, il aurait sans doute besoin d'aide pour se remettre sur pied, et le mafieux n'était pas en état d'empêcher leur débandade ; à demi-recroquevillé sur lui-même, il tenait son moignon sanguinolent, le costume éclaboussé jusqu'au col, le pistolet éventré au sol. Ses grognements de souffrance furent bientôt couverts par ceux des bêtes que la confusion avait attirées. Trop tard, Ruben les aperçut. Trop tard, elle fut abattue.
Elle eut à peine le temps de distinguer une masse noire se jeter sur le colosse pour le mettre à terre. Une autre bondissait déjà vers le garçon aux cheveux verts. Elle n'eut pas droit à ce traitement de faveur ; un éclat de lumière vive vint lui crever les yeux et, le temps qu'elle lève le bras pour se protéger de la lueur, elle sentit une aiguille lui transpercer la nuque pour la réduire au silence.


*


Une pression contre ses joues la réveilla peu à peu. Quelqu'un lui remuait la tête d'un côté puis de l'autre, sans délicatesse ni brutalité, comme pour inspecter les détails de son visage. Ce furent d'abord des murmures à la frontière de son ouïe, puis des voix humaines, et elle reconnut enfin des mots derrière la noirceur de ses paupières. Son esprit nageait en pleine tempête. Son front lui faisait un mal de chien. Et il y avait un sirop bizarre qui lui coulait sur l'oreille, le genre de suc dont elle connaissait bien la provenance.
« …tu vois là ? De la technologie de pointe. Ils ont tracé l'itinéraire et paf ! Coincée.
Elle se réveille, lâche-la et va les prévenir ! »
Grondement de frustration. Bruits de pas. Les doigts laissèrent retomber son menton. Il y avait une saveur dégueulasse sur sa langue, comme si elle se l'était mordue durant son évanouissement. Après plusieurs secondes, elle essaya d'ouvrir les yeux sans plaisir, certaine que ce qu'elle pourrait observer la mortifierait encore plus que sa propre douleur. Et elle ne fut pas déçue.
Elle se trouvait dans une pièce close, assez large, dont les murs lui rappelaient de vieux bâtiments hors d'usage. Pas de caserne flambant neuve, donc, même si ce constat ne lui arracha aucun réconfort ; ils se trouvaient toujours dans les locaux de la décharge. Ils ? Son iris capta des éléments étrangers, tels une silhouette massive juste devant sous son nez, vêtue d'un uniforme bleuâtre. Pas un Eraser. Barbu, mastoc, l'homme ressemblait davantage à un gardien de nuit qu'à un milicien, et à voir le chien allongé à ses pieds, cette hypothèse se vérifiait.
« Où... Où j'suis ? » réussit-elle finalement à prononcer. Assise sur une chaise, mains liées contre le dossier, elle posa l'acier de ses yeux sur son geôlier du moment à travers les mèches collantes de ses cheveux. Il n'avait pas l'air mauvais. Juste étonné qu'elle lui adresse la parole, en vérité.  
« Dans les vestiaires des employés. Ils n'ont pas trouvé d'autre endroit où vous mettre. »
Elle se garda bien de relever la condition presque animale à laquelle elle se voyait réduite. Dans l'état actuel des choses, moins elle réfléchissait et mieux elle se portait. Mais elle ne pouvait s'en empêcher. Qu'était arrivé durant son sommeil ? Combien de temps ? L'obscurité qui filtrait par un hublot la rassurait autant qu'elle l'inquiétait.
« Et pourquoi z'êtes là, vous ?
Il fallait que quelqu'un vous surveille pendant qu'ils s'occupaient des autres. Ils n'ont pas voulu vous transporter à l'hosto' comme le gros sans main, parce qu'ils disaient que vous étiez dangereuse et qu'il fallait vous mettre en isolement d'abord.
Hum. »
Moment de silence gênant. L'homme s'agitait sur ses jambes, pressé de voir son collègue revenir avec d'autres miliciens. Ce devait être une réaction logique lorsque l'on avait affaire à un Evolve potentiellement en crise, et elle ne put lui en vouloir. Sa présence ici prouvait au moins que son pouvoir avait cessé ses émanations toxiques. Étaient-ils en train d'interroger Tête verte dans une salle mitoyenne ? Son attention revint vers le gardien débonnaire. La migraine qui lui martelait la tête ne valait guère mieux que les contractions entre ses côtes, mais elle lâcha tout de même à son adresse, avec un effort visible :
« Si vous commencez à mal respirer, surtout éloignez-vous. Ils m'ont pas mise là pour rien. »
La stupéfaction qui glissa sur ses traits masculins l'étonna en retour. S'il s'attendait à ce qu'elle lui crache dessus, il pouvait toujours se brosser.
« Oui, oui, ils m'ont prévenu. Et m'ont laissé ça en cas de problème. » Et il montra une seringue en sachet sur une table, à portée de main. Pas la peine d'avoir fréquenté les scientifiques pour savoir de quoi il s'agissait. L'Evolve leva les yeux au ciel avant de les clore dans un soupir.
Génial.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
wanted



21.05.15 18:23
Les hurlements du géant balafré lui donnèrent des sueurs froides. Il ne pouvait qu’imaginer la douleur que ce dernier devait ressentir à cet instant précis, pour ne l’avoir jamais vécue auparavant et en espérant ne jamais la connaître dans un futur proche ou lointain. Etrange sensation que de sentir une vague de froid s’emparer de lui, enflant à l’intérieur jusqu’à venir s’évaporer sous les pores de sa peau, alors qu’il ressentait un début de douleur dû aux brûlures causées par l’explosion. Le sweat avait considérablement amoindrie les conséquences de son acte désespéré mais pas assez cependant pour lui épargner des dégâts physiques. Sulkan n’osa même pas constater l’étendue des ravages sur son épiderme, le choc de la déflagration couplé à celui de se savoir toujours en vie était un peu trop pour lui. Il avait besoin de quelques minutes supplémentaires, une petite dizaine d’entre elles sans doute, pour se remettre de l’explosion. Tout en gardant à l’esprit –ironie de la situation- qu’il ne disposait plus de beaucoup de temps pour foutre le camp de la décharge. Si le bruit de la chute de l’autre loubard n’avait pas encore attiré une patrouille, la déflagration du pistolet, elle si. Il devait se remettre debout, avancer en mettant un pied devant l’autre, sauver sa peau ou dire adieu à sa liberté. Violations d’un domaine privé, on allait le faire chier avec ça. Sans compter que la présence de mafieux, d’un possible cadavre –car il ne fallait pas oublier leur première victime dans l’histoire- ainsi que d’une Evolve, même pucée, n’arrangerait en rien sa situation de merde. Bilan pas très positif donc. De quoi le motiver davantage à ne pas moisir sur place. Mais non, ses jambes refusaient de lui obéir. C’était bien le moment tiens. Le garçon eut tout juste le temps de jurer avant que les premières exclamations d’origine étrangère quoique facilement devinées, ne retentissent non loin. La lumière aveuglante d’une lampe dans la figure, laquelle étira ses traits en une grimace. Il sentit du mouvement, plus qu’il ne vit réellement le colosse être maîtrisé alors qu’on faisait de même avec lui. Quelqu’un le plaqua au sol, visage dans la poussière, pour changer alors qu’on lui pliait prestement les mains dans le dos. Des ordres furent donnés. Garder le silence. Ne plus bouger. Et à aucun moment ce con n’avait pensé à lui appliquer de la crème anti-brûlure sur sa chair meurtrie ? Il ne fallait vraiment rien attendre d’autrui dans ce bas monde !

Sitôt qu’il sentit l’acier des menottes sur sa peau, une poigne puissante lui agrippa le bras. Encore une fois, il fut soulevé de terre sans le moindre effort en apparence, à croire qu’il n’était qu’un poids plume pour tous ces enfoirés. Et ce n’était même pas faute d’essayer de prendre du poids ! Il avait beau mangé n’importe comment et n’importe quoi, sa corpulence ne variait pas d’un chouia ! Certain(e )s auraient tué pour obtenir un métabolisme comme le sien et lui il s’en plaignait presque… En jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, Sulkan crut apercevoir le corps de la jeune femme sur le sol. La vision toujours floue en raison de la lumière aveuglante qu’il avait subi de plein fouet pendant quelques secondes, il n’était pas certain de bien tout visualiser. Il ne doutait pas cependant que leurs chemins ne se recroiseraient pas de sitôt. Un humain pouvait toujours s’en sortir la tête haute alors qu’un Evolve, pucé de surcroît… Et bien, pouvait porter le chapeau de beaucoup de choses. La suite de l’histoire lui parut vide d’intérêt. Le garçon se laissa docilement fouiller puis conduire dans le bâtiment qu’il avait traversé lors de son arrivée dans la décharge. Ces idiots… Ils ignoraient qu’il le rapprochait de sa porte de sortie. Bon ôter les menottes tout seul serait un peu compliqué pour lui mais pas infaisable pour autant ! Sulkan râla lorsqu’on remarqua le teaser. Confisqué. Evidemment ! La voix du type qui l’avait traîné jusque dans les vestiaires des employés lui signifia vaguement qu’il pourrait le récupérer, seulement et seulement s’il n’avait strictement rien à se reprocher dans cette histoire –autant dire qu’il allait l’accuser d’un max de choses, y compris la dégradation de biens publics les salauds- et qu’il avait un permis ou une licence pour la possession d’une telle arme. C’était effectivement le cas. Fausse et trafiquée à sa sauce mais au moins, il en possédait une. Radin mais pas idiot pour autant l’animal.

Malheureusement pour lui, on ne le laissa pas seul ne serait-ce qu’une seconde. Le veilleur de nuit –parce qu’ils ne portaient pas l’uniforme des Erasers, une chance ou pas ?- ne le quitta pas des yeux, méfiant. Même menotté de la sorte, il craignait encore un sale coup de sa part ? Prudent le type. Et manque de bol pour lui, ça n’allait pas dans son sens. Oh il était prêt à abandonner son teaser pour leur fausser compagnie seulement voilà, il ne pouvait pas ! Sa mauvaise humeur grandit. Et avec elle, la frustration. Parce qu’il se savait si proche du but et pourtant incapable de l’atteindre. Saloperie. Quelques temps plus tard, -il n’aurait su déterminer avec précisions quand exactement-, de nouvelles lumières éclairèrent l’extérieur, filtrant à travers les carreaux du bâtiment, révélant alors tout le degré de crasse qui les encombrait. Visiblement, il manquait une fée du logis dans les parages… Combien de secondes, de minutes, bref, de temps, s’était écoulé depuis leur capture par la patrouille de nuit ? Et cette femme ? Pourquoi ne l’avait-il pas revue ? Elle ne pouvait pas morte, si ? Après tant de hargne à vouloir survivre face aux deux compères ? Sulkan avait un peu de mal à le croire. D’autant que ces types n’avaient pas l’air d’être bien méchants, juste un peu casse-couilles. La porte s’ouvrit avec fracas, le tirant de ses pensées dans la seconde. Même à contre-jour, le garçon sentit les ennuis se pointer une fois de plus. Il n’était pas en mesure de reconnaître l’uniforme de nouveau venu, en revanche, il aperçut le véhicule à l’arrêt derrière lui. Des Erasers. Tout frais, tout beaux. On employait vraiment les grands moyens par ici… Sans doute que la présence de l’Evolve devait y contribuer pour beaucoup. Minute. On n’allait quand même pas l’accuser d’avoir tenté d’enlever une puce ?! Et s’ils trouvaient le bracelet vierge sur cette femme ? Pour la première fois depuis de longues minutes, le garçon éprouva la peur. S’ils établissaient le moindre lien entre lui et elle, il était foutu… Son sort ne serait pas plus enviable que celui d’un Evolve, c’était même étonnant qu’ils n’aient pas développé un système de puces pour les criminels de son genre… De quoi les tracer et au moindre faux pas…

« On prend la relève. Merci de votre coopération. » lança une voix grave, masculine, virile peut-être ?

Si son regard s’était un instant détaché du visage du nouveau venu, Sulkan aurait pu contempler le changement d’expression chez le veilleur de nuit. L’un comme l’autre était impressionné par la présence de l’Eraser, certainement pas pour les mêmes raisons cependant, ce qui donnait à la situation, un aspect plutôt comique. Tandis que l’inconnu échangeait quelques mots avec son surveillant provisoire, histoire de connaître les informations de dernière minute, le garçon fut conduit dans le véhicule en question, lequel était à la fois aménagé pour transporter des hommes –prisonniers inclus- mais aussi pour servir de salle d’interrogatoire au besoin. Super. Il n’aimait pas la tournure que prenait la situation. Mais alors pas du tout ! Seul point positif dans ce changement de condition, fut le fait que le vigil revint lui ôter les menottes, non sans un peu d’appréhension dans la voix.

« Vous êtes sûr ? »

« Et où voulez-vous qu’il aille avec une brigade d’Erasers présente sur place ? »

Bon point amené avec brio de la part de son interlocuteur, ce qui découragea aussitôt le veilleur de tenter de poursuivre les négociations. Au moment de le voir sortir du véhicule à l’arrêt et disparaître ainsi de son champ de vision, Sulkan ne sut pas s’il devait s’en réjouir ou au contraire s’en inquiéter. Le garçon était nerveux de se trouver en présence de deux Erasers. Celui qui l’avait conduit ici ne pipait mot, appuyé contre l’un des murs mais l’autre, le fixait sans vergogne, comme s’il pouvait lire à travers lui comme dans un livre ouvert.

« Bon et si nous commencions ? Le gardien de nuit prétend avoir trouvé ce teaser et cette carte monétaire sur toi. Qu’est-ce que tu faisais ici, en pleine nuit ? Je te conseille de me dire la vérité gamin, on l’a connaîtra bien assez tôt. » ajouta rapidement l’homme en le voyant ouvrit la bouche pour répliquer après avoir jeté lesdits objets sous son nez.

Ce qui eut le mérite de lui fermer le clapet sur l’instant. Dire la vérité ? Comme s’il pouvait ! Il avait beau vendre des informations concernant certains Evolves illégaux ou en fuite, ça ne suffisait pas à faire de lui un privilégié de la justice. Et il ne pouvait pas non plus baratiner sur le long terme, les preuves l’accusaient déjà. Il ne devait pas s’enfoncer mais réfléchir.

« Je… Il ne s’agit pas d’une carte monétaire. » Le regard de son interlocuteur lui donna envie de rentrer la tête au creux de ses épaules mais il se fit violence pour poursuivre. « C’est une simple puce pour téléphones… Pour enregistrer les conversa-… Hé lâchez-moi ! »

D’un mouvement fluide, presque félin, l’autre lui avait attrapé le bras, celui sur lequel se trouvait son bracelet pour le tirer dans sa direction. Sous la force de la prise, le garçon bascula vers l’avant, s’étalant presque de tout son long sur la table placée au centre de la pièce. Sa chaise subit un mouvement opposé, crissant sur le sol du véhicule. La panique le submergea. Complètement pris de court, son premier réflexe fut d’actionner un mouvement de recul, histoire de récupérer son bras mais l’Eraser était plus fort que lui. Toute résistance était futile, et suspecte de surcroît.

« Nous allons rapidement être fixés. »

Impuissant, Sulkan dut se résoudre à le laisser passer une machine qui ressemblait un peu à leurs propres bracelets, sur celui qu’il portait. L’engin survola le bracelet pendant une durée qui lui parut interminable. Mais rien, aucun bip, aucun son ne s’échappa pas de la machine. Le garçon resta nerveux. Etait-ce bon signe ? L’espace d’un instant, il envisagea le plus sérieusement du monde à imiter le bip de la machine en question –un son qu’il n’avait jamais entendu auparavant soyons clairs- mais il allait simplement passer pour un demeuré en plus de s’attirer les foudres de ses interlocuteurs. Dire qu’il avait piraté son propre bracelet pour masquer le compte destiné à accueillir ce genre de transactions. Il ignorait cependant son efficacité, pour ne pas l’avoir véritablement testé en situation réelle. Trop risqué, même pour lui. Le silence dura encore quelques minutes, avec une teneur en stress insoutenable pour Sulkan. Finalement, son interlocuteur daigna le relâcher.

« En effet. Il n’y a rien. J’aurai pourtant juré que c’était une care monétaire. Et donc ? Que faisais-tu ici ? »

Son expression avait l’air ennuyée. Déçu de ne pas avoir pu le coincer ? Connard. Le garçon s’en trouva revigoré, trouvant quelques couleurs au passage, même si plusieurs minutes auparavant, il n’en menait pas large face au type en question. Poussant l’insolence jusqu’à son paroxysme, il prit tout son temps pour se rasseoir correctement sur la chaise qui avait accueilli son derrière, même si de son point de vue, il s’y écroulait simplement, les jambes encore tremblantes d’avoir frôlé la radiation du statut de simple civil sans problème.

« Comme j’étais en train de vous le dire avant que vous ne m’interrompiez, j’enquêtais sur ce groupe de mafieux… Je leur avais donné rendez-vous ici avec la preuve de leur culpabilité –cet enregistrement de leurs conversations- et j’espérais leur soutirer de vrais aveux… Pour vous les remettre ensuite, cela va de soi. Le teaser n’était là que pour me défendre moi-même. »

Son histoire sonnait de manière presque crédible à ses oreilles, à un détail près : l’Evolve. Comment justifier sa présence sur place ? Il lui fallait détourner l’attention de son interlocuteur, même un tout petit peu !

« Et tout ne s’est pas passé comme prévu, vous devez vous en douter… Je peux rentrer chez moi à présent ? »

« Et la fille ? »

« Je vous demande pardon ? »

« Que faisait cette Evolve ici ? » attaqua de nouveau l’autre.

Merde. Fais chier. Même s’il parvenait à inventer une histoire qui tenait suffisamment la route aux oreilles de son interlocuteur, la jeune femme pouvait tout faire foirer si elle leur livrait une version toute à fait différente ! Quelle parole l’emporterait en sachant qu’ils étaient tous les deux suspectés ?

« J’avais…entendu dire… Qu’elle était recherchée sans que je sache pourquoi… Alors j’ai pensé faire une pierre en deux coups en la conduisant ici. Faire d’elle ma complice pour que vous puissiez les attraper tous en même temps. Et donc, je peux avoir ma récompense ? »

Qui ne tentait rien, n’a-… Le rire gras de l’Eraser le fit brutalement revenir au moment présent. Avant même que son interlocuteur ne se fasse un malin plaisir de lui rire au nez, expliquant le pourquoi du comment de sa soudaine hilarité, le garçon sut. Il n’aurait pas une seule foutue pièce virtuelle de la récompense promise pour la moindre information sur la donzelle. Les deux hommes se levèrent et Sulkan voulut protester. Ce n’était pas juste ! Il avait droit à sa part ! Enfoirés de merde ! Au lieu de quoi, on lui passa de nouveau les menottes, de face cette fois. En effet, les deux partenaires quittaient le véhicule, sans doute pour aller interroger la jeune femme à présent. Alors c’était comme ça ? S’il ne pouvait pas toucher un rond grâce à eux, il ne lui restait plus qu’à retrouver l’inconnue et lui vendre ses services encore une fois. Trafiquer un bracelet vierge devrait lui rapporter moins qu’espéré mais c’était mieux que rien du tout ! Pas le choix, il allait devoir se sortir de là tout seul et l’emmener avec lui.
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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22.05.15 1:21
Peu à peu, alors que ses facultés sensorielles se remettaient douloureusement en marche, Ruben analysait l'environnement qui l'étreignait. Devant, le gardien de nuit et son chien campaient sur une table au pied avant-droit branlant, où l'homme avait déposé sa casquette aux côtés de la seringue et, plus loin, la porte de sortie laissée entrouverte suite au départ de son collègue. De là provenaient divers bruits, métalliques ou humains, dont l'herboriste n'aurait su indiquer la provenance ou la signification. À droite, de hauts casiers verrouillés, un mince écran sur chacun d'eux indiquant leur propriétaire respectif ; une blouse abandonnée prenait la poussière au-dessus, recouvrant de vieilles pompes et ce qui semblait être un manche de raquette ou quelque chose du genre. À gauche, un mur recouvert d'un tableau éteint, sur lequel chaque employé devait pouvoir consulter ses horaires, jours de repos, remplacements et autres à chaque fois qu'il venait se changer. Et derrière, en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, elle apercevait un nouveau mur, percé de minuscules fenêtres placées trop haut qui laissaient filtrer, à travers l'épaisseur de graisse et de poussière, un pâle halo bleu. D'où l'interrogation essentielle qui lui envahit l'esprit : comment mettre à disposition cet espace anodin pour fausser compagnie à son gardien ?

Néanmoins, elle eut beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, tel un Rubik's cube, elle en revenait toujours au même point. Se débarrasser des menottes. C'était là le nœud prioritaire du problème, le premier barreau de l'échelle à franchir pour espérer se tirer par les toits. Mais elle comprit bien vite qu'elle n'y parviendrait pas. Même en tirant de toutes ses forces sur ses poignets, le seul résultat qu'elle pouvait espérer consistait en une articulation à demi-broyée, trois minutes d'agitation suspecte et largement de quoi alerte la moitié de la ville avant d'envisager de pouvoir se lever. Cette situation l'énervait autant qu'elle la désolait. Ce à quoi s'ajoutait un intense désarroi. Désillusion face à sa sottise, à son orgueil indiscipliné, à son héroïsme de pacotille qui l'avait conduite ici, pour une crinière verte qu'elle ne reverrait peut-être plus. Les Erasers avaient dû l'embarquer au poste plutôt que de l'interroger ici, puisqu'il ne représentait pas une réelle menace, sauf si l'on considérait que se balader avec mille dollars et une teinture non-réglementaire était potentiellement dangereux pour les populations civiles. Sans rire. La consternation qui l'envahissait jouait des coudes avec un cynisme outrancier. Elle releva finalement la tête vers le gardien.
« Qu'est-il advenu des deux autres ? Le gros baraqué et l'gars aux chveux verts qui étaient là. »
Bon, décrits comme cela, on eut dit un duo impitoyable dans l'Ouest américain d'un vieux western. Un ersatz futuriste de Bud Spencer et Billy the Kid. Le trafiquant aurait peut-être apprécié la comparaison, lui qui n'avait pas l'air de fricoter avec les mafieux de ce gabarit. Trop musclé, à l'évidence. Elle comprenait sans peine. Cette histoire aurait pu se finir beaucoup plus mal, en fin de compte ; coincée dans l'autre bâtiment avec son complice, Tête verte en cow-boy solitaire de retour vers son foyer, elle se serait retrouvée devant une alternative des plus douloureuses ; la pute ou la morte. Joie. Certes, elle ne devait son sauvetage qu'à une fenêtre, un câble et une bouffé de toxines, mais elle n'en démordait pas : trop de choses dépendantes du garçon avaient fait pencher la balance du bon côté et ce même si, au premier abord, les événements relevaient du pur hasard ou d'erreurs. Le gardien se frotta l'arrière du crâne avant de lui répondre, la mine presque fière :
« On les a maîtrisés avec mon collègue, en attendant la milice. Et... – son clebs émit une brève plainte, comme une envie de gratitude, à laquelle l'homme répliqua par une caresse – ...avec l'aide de Baps, bien sûr. Ils ont embarqués le boss mais l'autre est resté ici. Ils doivent être en train de le mariner, en ce moment. »

Elle ignorait pourquoi apprendre cela lui faisait éprouver un étrange soulagement. Si elle était la dernière sur les lieux, elle aurait pu inventer n'importe quoi pour se sortir d'affaire, prétexter un vol dont elle avait été victime et faire porter le chapeau au gamin qui, loin d'elle, ne pourrait rien répondre qui ne prît trois heures de plus pour être avéré. Assez de temps pour envisager dix plans supplémentaires en cas d'échec. Sauf que là, c'était précisément ce temps, dont elle manquait. Savoir Tête verte quelque part dans les alentours, mais sans davantage d'informations, la laissait comme agrippée au bord de la falaise, les pieds dans le vide. Un unique renseignement la maintenait accrochée aux circonstances, le reste n'étant que du vent. Difficile dans ce contexte de se projeter plus de deux minutes dans l'avenir.
« Hm, je voudrais pas paraître curieux mais... » Il se tortilla un soupçon en remontant sa ceinture, avant de désigner l'endroit avec l'index sur son propre visage. L'ongle décrivit un arc de cercle, du bord du front jusqu'à la partie supérieure de la mâchoire. Seigneur, à quoi devait-elle ressembler ? « Vos blessures, là, c'est à cause de... ? »
Ruben hésita à lui décocher un regard noir. Pourtant, il se montrait trop gentil pour qu'elle pût l'envoyer dans les ronces ; la situation devait déjà le dépasser de beaucoup pour qu'elle ne fasse pas preuve d'hostilité inutile. Elle-même avait besoin d'un peu de calme et d'une conversation sans tension, de quoi dénouer ses nerfs mis à mal durant la dernière heure. Elle acquiesça avec lassitude.
« Ce n'est rien. Y a pire. » Il y a toujours pire.
Le gardien hocha la tête à son tour, tout en agitant la main devant lui dans un geste révélateur.
« Ça oui ; le type-là, qu'ils ont gardé... Bah, il va devoir dormir sur le ventre un bout de temps, je pense. Croyez-moi, c'est pas beau à voir. »
Une étincelle d'inquiétude fleurit en elle avant de faner. L'explosion du pistolet avait produit une déflagration ; elle en avait entendu le bruit, senti les odeurs de poudre et de chair brûlée mais, dans la confusion, elle n'avait pas remarqué qu'il avait été blessé. Le colosse à la main arrachée lui avait bouché la vue trop longtemps pour qu'elle ne se rende compte. Et maintenant, alors qu'il n'avait pas été transporté vers les urgences, l'avait-on soigné ? Un rire amer frémit au fond de son crâne. Elle en demandait sans conteste un peu trop de la part des Erasers. S'ils l'avaient gardé ici, c'est qu'ils estimaient qu'il pouvait tenir debout et répondre à leurs questions en toute lucidité. Et même si le garçon avait un goût prononcé pour les mensonges, elle l'imaginait mal jouer aux martyrs pour se faire évacuer. Il n'aurait pas été plus avancé avec trois sondes dans le bras. Elle réprima cette image avec un frisson, alors que d'autres scènes d'adolescents blessés lui revenaient en mémoire.

« Mademoiselle Ashter. »
La voix forte trancha le mutisme qui avait nidifié un instant dans la pièce.
« Ou plutôt devrais-je dire, Brown ? »
Il n'en fallut pas davantage pour qu'elle s'écrase au fond de sa chaise, la faisant reculer en crissant. Elle n'avait jamais vu cet homme-là, mais s'il l'appelait ainsi, c'était pour une très, très mauvaise raison. Le genre même de raison qui lui donnait envie d'être sourde et non plus borgne, et de se planquer six pieds sous terre en espérant qu'on lui fiche la paix. Laissant la suite en suspens, l'Eraser se tourna vers le gardien pour le congédier d'un mouvement de tête. Baps se redressa et lui emboîta aussitôt le pas tandis qu'il sortait avec un air presque penaud, peu sûr de ne pas avoir commis une faute en discutant avec la suspecte. Puis le milicien referma le battant, et le plafond sembla soudain sur le point de s'effondrer. Ruben le regarda s'approcher, une lueur panique dans l'iris, alors qu'elle aurait souhaité pouvoir reculer encore et encore jusqu'à s'emmurer.
« Si j'avais su que je vous retrouverai ici... N'auriez-vous pas pu rester bien sagement là où l'on vous avait mise ? C'était déjà assez insultant de vous savoir libre pour que vous ne veniez pas en plus vous fourrer dans les embrouilles. »
Il parlait d'un ton sobre, mesuré, mais d'où s'écoulaient parfois des accents acerbes, souillés de rancœur. Elle ne l'avait toutefois jamais aperçu, car il était évident qu'il ne l'aurait pas laissée partir le cas échéant, au vu de ses paroles ; un compte à régler qui traînait depuis longtemps avait fini par pourrir à l'intérieur de son thorax, et voilà qu'il rejaillissait devant elle. C'était cela, le parfum d'une revanche sourde qui ne demandait qu'à s'exprimer ? C'était cela, la réjouissance mesquine d'un vieil ennemi ?
« Je n'vois pas d'quoi vous...
Curieux écho, l'interrompit-il. Vous avez des points communs, finalement. Normal, entre criminels. »
Elle fouillait désespérément dans ses souvenirs pour dénicher de quoi mettre un nom sur ce visage ou, tout du moins, le relier à une affaire connue. Il la connaissait, la réciproque n'était pas valable, et néanmoins il entretenait à son égard une rancune féroce à laquelle il se retenait de laisser libre cours. Parce que c'était trop dangereux. Parce qu'il ne pouvait se permettre de déraper maintenant. Pourtant, s'il avait été en mesure de lui faire payer ce pour quoi il la détestait, elle n'aurait pas donné cher de sa peau. La même peau qui lui tombait en miettes sur l'épaule, et qu'il vint épousseter d'un revers de main, presque délicatement. Ses yeux se firent troubles ; une étincelle de dégoût y mourut bientôt pour n'y laisser qu'un brun robuste et résolu.
« On n'oublie pas un tel contrecoup, Ashter. Mais on peut apprendre à s'en réjouir. »
À cet instant, elle percuta.

Elle ne l'avait pas vu, non, mais lui avait gravé sa silhouette au fer rouge depuis cinq mois environ. Lorsqu'il l'avait aperçue dans les cellules des laboratoires, là où on l'avait enfermée début janvier durant deux semaines. Il était sûrement passé devant elle à de multiples reprises, parce qu'il savait que c'était elle la responsable, parce qu'il savait qu'on la libérerait avec une simple puce et une existence toute fraîche, remise à neuf. L'injustice à l'état brut. Son pouvoir mortel, qui avait coûté la vie d'un lieutenant de la brigade, n'était qu'un passeport pour un quotidien renouvelé – effacés, les torts, supprimés, les dettes. Elle était libre. Oh, il avait essayé, pourtant, de s'opposer à la décision des scientifiques. Une telle créature, lorsqu'on ne pouvait l'euthanasier, on la conservait en isolement jusqu'à la fin de ses jours, trop dangereuse pour une vie à l'extérieur. Mais non. Ces blouses blanches trop sentimentales l'avaient relâchée, elle l'animal toxique, le nuisible vénéneux. Et le milicien décédé, les poumons noircis comme après un incendie de forêt ? Qui avait dû présenter ses condoléances à la veuve, qui avait dû expliquer à deux gosses pourquoi papa ne reviendrait pas ce soir, ni ceux d'après, aucun, plus jamais ? Lui. Lui qui avait côtoyé l'homme, le mari, le père. Lui qui avait suivi le soldat, épaulé l'ami, conseillé le compagnon ? Lui. Et là, il avait l'accusée sur la chaise de touche, à sa merci. Des milliers de commentaires affluaient dans son esprit, des centaines d'actions se ressassaient en silence. Il avait tant songé à cette scène que, à cet instant, il ne sut laquelle serait la bonne. Toutes. Aucune. Rien ne serait assez fort.
« Malheureusement, nous ne sommes pas là pour parler du passé. Mais si vous êtes directement impliquée dans l'altercation qui s'est produite ce soir, nous aurons tout notre temps pour en discuter. Dans un lieu plus adapté à votre condition. »
Ruben fit un effort pour ne pas frissonner sous la menace. Elle ne chercha cependant pas à résister lorsqu'il décrocha ses poignets du siège pour la forcer à se relever. Ses bras, maintenus dans son dos, souffraient de la pression qu'il lui infligeait en connaissance de cause, et elle se résolut à écouter les différents griefs qu'il retenait de la soirée. La présence du mafieux et de son acolyte, tous deux en piteux état, les armes confisquées sur elle et le garçon, la découverte de ce bracelet vierge dans sa poche... La liste présentait suffisamment de motifs pour l'inculper un bon paquet de fois. Alors si elle désirait se faire la belle avant qu'il ne soit trop tard, il n'avait pas trente-six solutions.

Il la conduisit à l'extérieur du bâtiment, rejoignant le second Eraser qui avait continué sa garde auprès de Tête verte. Néanmoins, l'herboriste eut du mal à dissimuler sa surprise en distinguant les contours du jeune homme à l'arrière, comme si elle ne s'attendait pas à le voir déjà embarqué. On ne la fit pas monter tout de suite, en revanche, car les deux miliciens trouvèrent à s'entretenir un moment. À la place, elle demeura debout près du fourgon, et secoua la tête pour chasser une mèche visqueuse qui collait en travers de sa joue. Une douche et des bandages. Voilà ce qu'elle souhaitait plus que tout, à cette seconde.
« On perd notre temps. Il faut les transférer à la caserne pour mieux les interroger. Son ton baissa d'un coup. Les autres sections sont en service, il n'y a que nous ici. Ce serait plus prudent de rentrer pendant qu'ils sont diminués. »
Bien que ces propos ne soient pas tombés dans l'oreille d'une sourde, Ruben n'entrevoyait aucune alternative pour leur fausser compagnie. Et une fois qu'ils seraient rentrés dans le véhicule, portes closes, plus rien ne pourrait venir à leur rescousse. Donc quoi ? Briller par une dérisoire tentative pour contrôler deux hommes, lorsqu'on a les mains liées ? Courageuse, pas suicidaire.

« Oh, excusez-moi... »
Tous se tournèrent vers l'endroit d'où était sorti cette voix inconnue. Dans la pénombre, une masse se détacha à quelques mètres pour venir se placer dans le faisceau des lampes ; personne n'aurait pu prévoir que l'homme qui se tenait là était en réalité le pauvre gars passé à tabac par le zombie, naguère. Mais en dépit des blessures, de son léger boitillement et de l'œil au beurre noir qui lui mangeait la paupière droite, il y avait un elle-ne-savait-quoi de malicieux dans son attitude. Comme s'il s'apprêtait à faire une connerie. Une belle connerie. De celles qui font suffisamment diversion pour envisager une escapade parce que, après tout, les deux gosses lui avaient légèrement sauvé la mise en se mêlant de ce qui ne les regardaient pas.
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wanted
Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
wanted



27.05.15 22:17
Une prise ferme sur son épaule, semblable à un étau sur le point de lui broyer l’os s’il tentait de résister plus longtemps, fit comprendre au garçon que toute protestation était inutile. Dans sa situation, protester ne lui apporterait rien, au mieux un peu d’agressivité physique de la part de ses interlocuteurs, ce qui, dans le fond, ne l’intéressait pas de prime d’abord. Résigné, Sulkan tendit ses poignets alors qu’un clic plus symbolique qu’autre chose retentissait dans l’espace clos du véhicule de fonction de ses geôliers. Le premier, celui qui avait mené l’interrogatoire d’une main de fer, sortit, probablement pour aller rejoindre sa prétendue complice. Son collègue ne tarda pas à lui emboîter le pas, restant toutefois devant les portes du fourgon. Visiblement, aucun des deux ne jugeait bon de garder un œil sur lui. Parfait. Il allait pouvoir réfléchir sans ressentir la pression d’un regard attentif au moindre mouvement suspect de sa part, constamment braqué sur lui. Le genre de détail qui n’aidait en rien à se concentrer. Le temps jouait contre lui. Le garçon ignorait combien de temps l’Evolve allait pouvoir tenir face à l’autre armoire à glace. Tant de secondes, des minutes peut-être, qu’elle lui offrait sans le savoir. Et qui leur permettrait sans doute de s’en tirer, même si pour le moment, la situation semblait pour le moins désespérée. D’abord rageur d’avoir été roulé de la sorte, Sulkan jurait dans la barbe qu’il n’avait pas et qu’il n’aurait jamais. D’ordinaire, c’était lui l’amateur de coups bas, au détriment de ses interlocuteurs ou clients, non l’inverse ! Son regard sillonna l’intérieur du véhicule, dans l’espoir d’une idée de génie… Pour finalement se reposer paresseusement sur ses poignets. Dépassées les simples menottes métalliques que l’on apercevait encore entre les mains des agents de sécurité mal payés comme l’étaient ceux qui les avaient interceptés tous les trois. Dernier cri de la technologie gracieusement allouée aux Erasers pour leurs bons services, l’objet en question avait une forme rectangulaire, pourvue d’une surface noire luisante. Seuls les contours extérieurs étaient blancs. Au milieu, se trouvaient les indémodables fentes circulaires où les suspects plaçaient leurs poignets avant que la partie supérieure des menottes ne viennent se refermer dessus, les condamnant ainsi à une captivité plus ou moins justifiée. Une manière originale de rendre hommage à nos anciens piloris en quelque sorte… A la différence des menottes classiques, celles-ci s’ouvraient à l’aide d’une carte à impulsions électriques. Tout le système était en effet électrique et les cartes plus faciles à dissimuler que des clés, jugées trop bruyantes –et à juste titre- par les précédentes générations d’Erasers. Oui sauf que tout système électrique connaissait ses limites, le hackeur était bien placé pour le savoir. S’il parvenait à approcher ces menottes d’une source électrique suffisamment puissante pour détraquer la combinaison permettant de verrouiller lesdites menottes, alors il avait une petite chance de pouvoir s’en défaire. Oui et après ? Courir à perdre haleine sous les yeux et les armes non létales de ses poursuivants ? Chaque chose en son temps…

« Hé ! Vous avez trouvé l’autre type au fait ? »

Futile tentative pour attirer l’attention de l’homme posté à l’extérieur du fourgon. En effet, ce dernier l’ignora avec superbe, pourtant, Sulkan ne s’en offusqua pas. Il voulait s’assurer que l’autre ne prêtait qu’une attention réduite à sa condition. Tant mieux. Lentement, pour être certain de ne pas faire de bruit en reculant les pieds de sa chaise –ses oreilles avaient déjà expérimenté auparavant ce son des plus désagréables, ce n’était pas pour s’infliger de nouveau pareil supplice-, le garçon fit un rapide tour de sa prison improvisée. Malgré le constat évident de se trouver à l’intérieur d’un petit bijou technologique, le hackeur ne trouva malheureusement pas son bonheur. L’endroit n’était visiblement pas destiné à fournir à ses occupants, l’opportunité de mettre les voiles, au contraire. Et dans les autres parties du véhicule, genre, la cabine ? Sulkan jura entre ses dents : pas moyen d’y accéder à moins de passer devant l’Eraser et il doutait étrangement que l’autre le laisse faire sans rien tenter pour l’arrêter. A court d’idées pour le moment et dans le risque d’un coup d’œil en biais lancé dans sa direction, il retourna s’assoir, dépité. Toujours cette sensation de frustration exacerbée de se savoir en possession d’une solution sans pouvoir la mettre en pratique… Sans vraiment faire attention, il appuya nonchalamment son dos contre le dossier de la chaise. La réaction fut immédiate : il se redressa d’un coup, lèvres et dents serrées pour contenir un hurlement. Le contact glacé de l’objet sur sa chair à vif n’avait pas consisté en une partie de plaisir et il réalisa à cet instant seulement qu’il était en piteux état. Le réflexe de protéger son visage de l’explosion avait sûrement été salvateur pour lui mais pas suffisamment pour lui épargner de sérieuses brûlures. Le hackeur tenta d’apercevoir la proportion des dégâts. Peine perdue.  Il pouvait tout juste émettre des suppositions en évaluant la superficie où il sentait sa chair à vif dans son dos. S’il parvenait à se sortir de cette situation de merde, il était bon pour un aller à l’hôpital. Comme s’il avait la moindre envie de remettre les pieds dans ce genre d’établissement ! Il préférait encore rester entre les mains de ces putains d’Erasers ! Et s’il parvenait à éloigner son geôlier ? Pas sûr que ça puisse fonctionner, de même qu’une fois seul, il se retrouverait enfermé, pas vraiment de quoi aider à la réalisation de son plan pour se tirer de là…

« Y’avait un autre type avec le balafré, un homme de main je pense. Vous feriez mieux de le retrouver sinon il va claquer. Surtout après la chute qu’il a faite… »

« La ferme. »

Bon, ça avait au moins le mérite d’être clair et concis… Le garçon voyait ses idées s’épuiser au fur et à mesure. Non vraiment, il commençait à se faire une raison quand l’Eraser s’adressa à quelqu’un d’autre que lui, de manière plus polie, sans toutefois parvenir à masquer la menace sous-jacente que ses propos contenaient. Même de là où il se trouvait, Sulkan ne put réprimer un frisson glacé dévaler sa colonne vertébrale à toute vitesse. Lui n’avait peut-être rien à se reprocher à ses yeux, autre que la violation d’une propriété privée qui ne constituait en rien d’autre qu’une vulgaire décharge, pas vraiment une résidence chic avec vol comme motif, mais il doutait que ses interlocuteurs le laissent s’en tirer à si bon compte… En tordant un peu le cou sur la gauche, il put apercevoir un visage trop familier pour ressentir la satisfaction de le retrouver : le premier Eraser. Cependant, ce dernier n’était pas seul. La jeune femme le suivait de près, trop même pour qu’il puisse s’imaginer un seul instant qu’elle était en meilleure position que lui. Super. Comme chacune des autres personnes présentes sur place, l’intervention de celui qu’on avait jusqu’à présent oublié, le prit de court. Incrédule, Sulkan observait l’approche timide, presque trop discrète pour être dénuée de mauvaises intentions à leurs égards. Ce mec ? Il était encore en vie ? Le balafré l’avait laissé s’en tirer aussi facilement ? Le garçon avait du mal à le croire pourtant, les brûlures, aussi graves soient-elles, ne causaient pas encore d’hallucinations. Ou alors, il venait de faire un pas monstre en faveur de la médecine… Non. Tout le monde avait son regard braqué en direction du nouveau venu, donc il n’était pas en train de rêver à cause de la douleur. Une bouffée de colère l’envahit alors. Ce type osait se traîner jusqu’ici alors qu’il avait l’occasion de s’enfuir loin de la décharge ? A cette distance, Sulkan ne pouvait pas voir la lueur de malice contenue dans les yeux de l’inconnu. Seule sa colère, sourde et rageuse, accueillait l’apparition de ce dernier. Le hackeur avait un mal fou à se tenir sur sa chaise. L'envie de sauter du véhicule le démangeait sérieusement, histoire d'aller coller son poing dans la figure de l'autre, avant de se tirer de là. Il tenait tant que ça à mettre sa vie entre les mains d’Erasers ? Bon après les mafieux tu me diras, le choix n’était pas si mauvais…
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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28.05.15 22:42
Perplexe. Hautement dubitatif. Il y avait sur leur visage à tous une profonde suspicion à l'égard de cet étranger, débarqué là comme une fleur, presque aussi incongru qu'un marin à la foire de la pomme de terre ou une girafe dans une kermesse de primaire. Après une seconde d'hésitation, le premier Eraser fit un pas vers lui, une main à demi levée en signe de défense ; il cherchait à discerner les motivations du nouveau-venu avant de prononcer quoi que ce soit qui aurait mis le feu aux poudres, mais il lui était impossible de lire de claires intentions sur cette figure guillerette. De toute manière, il n'eut pas à réfléchir plus longtemps, puisque c'est ce même anonyme qui reprit la parole :
« Loin de moi l'idée de vous déranger, mais... »
Le sourire en coin qui traînait sur ses lèvres rappelait à Ruben celui de Tête verte, bien qu'il perçait dans sa voix quelque chose de beaucoup plus doux. Peut-être était-il vraiment soulagé de trouver des miliciens capables de le prendre en charge, lui qui avait subi un long supplice, et qu'il peinait à refouler un bonheur teinté de nervosité. Peut-être ravalait-il en réalité de sordides machinations derrière un faciès satisfait. Impossible de trancher. L'herboriste demeurait immobile, l'œil glissant des Erasers à son complice d'infortune à l'arrière du véhicule, puis à la victime présumée du mafieux.
« Vous êtes blessé, monsieur. Qui vous a fait ça ? »
La sollicitude du propos se voulait palpable. En dépit des préjugés, les autorités remplissaient un rôle de gardiens autant que de soldats de la répression, et le cas présent leur interdisait de se comporter en forcenés de la gâchette ; ils souhaiteraient venir en aide à un citoyen dans le besoin comme l'aurait fait n'importe quelle sentinelle de l'ordre public. En l'occurrence, le premier montrait plus de prévenance que son collègue, qui se maintenait à une distance réduite de la jeune femme dans une position d'escorte qui ne trompait personne. Elle aurait bien souhaité qu'il se montrât aussi préoccupé que son homologue pour les tracas de l'inconnu, cependant il supervisait la rencontre tout en campant sur ses positions, une main à la ceinture et l'autre à pianoter sur une tablette miniature pour passer en revue, sans doute, des listes de suspects ou des dossiers sur la sécurité où il aurait pu dénicher quelques informations pertinentes. À moins qu'il n'envoyait une demande de renforts, auquel cas il faudrait l'arrêter avant que l'appel ne soit tracé.

« La brute et l'autre type, là-bas... Ils se sont jetés sur moi et m'ont traîné jusqu'ici... Je serais mort si les deux gosses étaient pas arrivés... »
Ruben ne savait pas si le récit était authentique ou s'il lui fallait essayer de démêler le vrai du faux. Elle l'avait vu rentrer dans le bâtiment en traînant des pieds, avait entendu ses suppliques et imaginé les ecchymoses qui éclataient sur son corps à chaque coup reçu. Elle avait projeté des ombres sous ses yeux et dans son crâne, des monstres de terreur et des mortes lentes à venir, et elle avait cru qu'il se serait enfui sitôt débarrassé de ses deux bourreaux. Mais non. Il était là désormais, oh certes salement amoché, mais empreint d'une détermination dont elle ignorait les véritables raisons. Et elle se serait bien gardée de l'interroger à ce sujet. L'autre Eraser s'était approché de l'homme et, au rythme de son nouvel interrogatoire, l'amena s'asseoir sur le rebord du véhicule.
« Tu bouges et t'es à terre, lança-t-il à l'attention du gamin menotté et coincé dans le fourgon. Je n'en ai pas encore fini avec toi. » La menace explicite eut tôt fait de confirmer à l'herboriste qu'ils n'hésiteraient pas à faire feu au moindre écart, civil ou pas civil dans le champ, justification ou non. Ils avaient les armes, ils avaient le pouvoir. Bienvenue dans la ville la plus sécuritaire des États-Unis. Cependant, même avec une puissance de tir implacable, ils n'auraient pas pu prévoir ce qui arriva ensuite.
Une main qui s'agrippe. Le sursaut avant l'effondrement d'une masse. Un ordre et le canon d'une arme. La riposte immédiate, en un bond maladroit. Puis trois corps à terre dans un barouf de mauvais western. Ruben ne comprit réellement ce qu'il s'était passé qu'au moment où le troisième homme se traîna sur le côté pour venir gerber à ses pieds. Elle prit deux secondes, le temps de percuter, avant de poser les yeux sur lui, et le découvrit les membres secoués de spasmes, le visage soudain couvert de sueur ; il n'avait plus rien de la victime inopinée de tout à l'heure, plus rien d'autre que l'attitude d'un camé en pleine crise de désintox'. Apeurée, elle recula d'un pas alors qu'il essayait de se remettre à quatre pattes, sans grand succès. Dans la fin du crépuscule, il ressemblait à l'un de ces monstres cancéreux, le menton souillé et les épaules tremblantes, si bien qu'elle ne sut qui de l'écœurement ou de l'angoisse lui étreignait le plus la gorge. Probablement un peu des deux. À côté, les Erasers étaient tombés sur eux-mêmes comme deux marionnettes dont un dieu aurait sectionné les ficelles. Le premier, qui avait trouvé de quoi se retenir au véhicule, s'appuyait de biais contre le bas de caisse, la tête ballante. Le second, chopé vif dans son élan, avait fini allongé, les doigts encore crispés sur son arme. Quelque chose dans sa posture, dans les plis rigides de sa figure, indiquait que le sommeil sans rêves dans lequel on l'avait plongé était aussi artificiel que contraint. Ils ne s'étaient pas endormis. On les avait arrachés de force à la conscience.
« Qu'est-ce que vous leur avez fait ? » lâcha enfin Ruben, dès qu'elle eut retrouvé l'usage du geste et de la parole. Elle n'osa cependant pas se pencher vers l'inconnu, peut-être par crainte qu'il ne lui fasse subir le même sort, mais surtout parce qu'il s'agitait encore de manière inquiétante. Il dégageait des odeurs rances et acides, mêlées aux vomissures, qui rappelaient les vide-ordures des boucheries. Un ricanement essoufflé prépara sa réponse.
« Un merci suffira... » Avec un effort visible, il réussit finalement à s'asseoir, essuya sa bouche d'un revers de manche et lorgna sur le milicien le plus proche ; sa frange poissait sur son front et ses habits étaient couverts de vieille terre. « Deux miliciens contre deux mafieux. C'est réglé. »

La brune le regardait sans comprendre. Même s'il était évident qu'il y avait de l'Evolve là-dessous, elle ne parvenait pas à saisir les motifs d'une telle intervention. Leur avait-il aspiré de l'énergie ? Non, auquel cas il ne se serait pas retrouvé aussi faible juste après. Pour se mettre dans un état pareil, son don était assurément aussi implacable pour les autres que pour lui. Mais il n'avait pas l'air de vouloir s'expliquer davantage ; se tenir droit tout en parlant devait déjà lui demander un effort qu'il aurait aimé ne pas avoir à fournir. Il ajouta néanmoins, toute fantaisie disparue :
« À leur réveil, ils auront oublié. Maintenant, dégagez.
Et vous ? »
Il dut lui jeter un regard plus furieux qu'elle ne s'y attendait, car elle en saisit aussitôt les enjeux. Dans les circonstances actuelles, il n'était plus en mesure de faire un pas, et lui poser cette question prenait des allures d'humiliation. D'un grincement de dents, il la congédia. Alors elle se dirigea vers le véhicule, pleine d'appréhension pour ce qu'elle risquait d'y découvrir. Tête verte serait-il en état de courir loin d'ici ? Accepterait-il de la suivre ou en profiterait-il pour filer dans son coin en la laissant plantée, à la revoyure, poupée, et sans rancune ? Entre toutes les possibilités qui s'offraient à elle, aucune ne l'emballait. Et puis il y avait ce relent bizarre qui émanait du garçon quand elle s'approcha, sans pour autant mettre un pied dans le fourgon. Un relent carbonique, pas rassurant du tout. Elle qui n'avait pas eu le temps d'assister aux conséquences de l'affrontement entre le colosse et le trafiquant, les sentait avant même de les voir ; sa bouche s'entrouvrit, muette, et elle s'humecta les lèvres avant de commencer :
« Vous pouvez courir ? On s'arrache. J'peux vous conduire jusqu'à la boutique, nous y s'rons à l'abri. Là-bas, j'pourrai... » Elle fit un signe avec le bras, pour désigner son dos, frissonna toute seule, réprima l'envie de se gratter la tempe qui coagulait mal et reprit, presque indécise : « Y a d'quoi nous soigner. » C'était étrange, ce « nous » lâché avec méfiance, aigre sur la langue. Pourquoi faisait-elle cela ? Une petite voix contre son oreille lui soufflait de déguerpir en solitaire, tandis qu'une autre la rappelait à l'ordre sur des pseudos devoirs moraux. Elle ne pouvait pas laisser ce gosse se débrouiller avec des blessures pareilles. Non, elle ne devait pas. S'il lui faussait compagnie, se souvenait-elle, elle aurait perdu de l'argent et, pire, son éthique. Il y a des gens qui tuent et d'autres qui guérissent ; elle était les deux à la fois, la maladie et le remède, le poison et la médecine. Drôle de mélange. En revanche, elle ne voyait pas trop comment lui détacher les poignets, et il restait le bracelet à récupérer ; l'un des Erasers devait l'avoir sur lui, si bien qu'elle se mit à fouiller le plus proche – celui appuyé contre le véhicule – tandis que Tête verte prenait sa décision.
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Sulkan Zaslavski
Sulkan Zaslavski
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30.05.15 16:29
La bouffée de colère qui s’était emparée de lui ne cessait d’enfler. Violemment. La façon d’être du nouveau venu, même avec cette étrange lueur de malice vicieuse dans le regard, différenciait en tous points de la leur, autant lui que sa complice attitrée aux yeux du duo d’Erasers. Ce type empestait le lèche-cul. Et à défaut de susciter de la sympathie chez ses interlocuteurs, il parvenait à leur arracher un peu d’attention compatissante. Comme si ces mecs étaient de parfaits samaritains ! Quelle blague ! Sulkan ne trouva pas les mots pour exprimer ce qu’il ressentait précisément à ce moment, aussi se concentra-t-il sur l’échange entre le premier Eraser et l’inconnu. Ils avaient vraiment l’air d’abrutis finis avec leurs fausses bonnes manières. A gerber. Dans le dos de son interlocuteur, le garçon s’amusa même à reprendre les paroles de l’homme, en y ajoutant un ton sarcastique à souhaits. « Qui vous a fait ça ? » Non mais il s’entendait ?

« C’est maintenant que vous vous souciez de lui ? T’à’l’heure z’avez pas bronché quand je vous ai parlé de ce pauvre type pourtant ! » clama-t-il de mauvaise humeur.

En dépit de ses efforts pour se faire entendre de l’intéressé, l’Eraser ne lui accorda pas la moindre attention. En effet, la sienne était uniquement rivée sur le pauvre homme qui s’approchait lentement du véhicule. Ironie du sort, la seule fois où il daigna lui adresser un mot, ce fut pour menacer de l’envoyer manger la poussière s’il tentait quoique ce soit. Sulkan en fut offusqué : comme s’il était stupide au point d’essayer de profiter de la situation en étant menotté comme il l’était, avec en face, deux individus armés et aux intentions peu louables ? Crétin d’Eraser. Le garçon se réinstalla en bougonnant sur sa chaise, notant tout de même que l’inconnu prenait leur défense. Dans quel but ? Ils lui avaient évité un sort funeste sans aucun doute mais il ne se rappelait pas avoir joué les héros et ce, à aucun moment. Son regard se dirigea vers la jeune femme, guettant un premier élément de réponse dans les yeux de sa complice. De quoi parlaient-ils ? Que s’était-il vraiment passé dans cette pièce après son départ furtif ? Il n’en savait rien et n’avait pas eu l’occasion d’en toucher un mot à la principale intéressée. Sans doute que l’initiative de l’inconnu partait d’une bonne intention mais avec des propos pareils, il foutait en l’air son récit palpitant d’allié des forces de l’ordre. Et la boule qui se formait dans son estomac l’avertit que le duo d’Erasers aurait très certainement plus de facilité à croire sur parole ce pauvre bougre qu’eux. La situation empirait. Sauf qu’il n’avait toujours pas de solution en vue. Tenter une sortie ? Non, mauvaise idée, à moins de vouloir goûter à l’équipement de ses interlocuteurs. Surtout qu’un échec ne parviendrait qu’à le rendre encore plus coupable aux yeux de ces derniers, si toutefois, c’était possible à ce stade.

« Allez-vous faire foutre tous. » marmonna-t-il, les dents serrées.

Comme un signe du destin, la situation changea du tout au tout sitôt ces quelques mots rageurs prononcés sans arrière-pensées. Avant qu’il n’ait le temps de comprendre ce qui se passait, trois hommes gisaient à terre. Morts ? Non pas tout à fait, l’un d’entre eux bougeait encore. Ou plutôt, subissait des spasmes trop inquiétants pour qu’on se risque à l’approcher. Sulkan avait bondi de sa chaise. Ce n’était pas la peur qui l’avait fait réagir mais bien la surprise. Il ne s’était pas attendu à un tel retournement de situation. Peu à peu la lumière se fit dans son esprit, surtout quand l’inconnu lâcha ses premiers mots. Sérieusement ? C’était lui qui venait de faire ça ? Un autre de ces monstres ? Cette fois, ce fut bel et bien la peur qui lui noua les tripes et il se recula au fond du véhicule. Il ne voulait pas s’approcher de ce type ! D’abord cette fille aux gaz et maintenant un mec qui vous rendait inconscient rien qu’en vous frôlant ? Non et non ! Il ne bougerait pas de ce foutu fourgon ! Minute, qu’est-ce qu’il racontait ? S’il restait ici, il était foutu ! Pris dans ses pensées, le garçon ne réalisa pas immédiatement qu’on lui parlait. Son regard paniqué rencontra soudain le visage de son interlocutrice et il mit quelques secondes à comprendre ce qu’elle lui disait. Fuir avec elle ? Cela revenait à lui offrir un accès complet à son compte bancaire mais...

« T’es folle ? J’veux pas crever à cause des saloperies que tu dégages sans arrêt. T’approche pas de moi ! »

Merde. Ce n’était pas exactement ce qu’il aurait voulu dire à cet instant précis. Il avait besoin de cette fille, presque autant qu’elle avait besoin de lui, c’était indiscutable. Très certainement pas pour les mêmes raisons mais qu’importe. Alors l’envoyer bouler n’était pas la meilleure façon de procéder. La panique lui faisait perdre son sang-froid, ce qu’il se refusait à avouer. Sulkan ferma les yeux pour compter jusqu’à 5 et lorsqu’il les rouvrit, les corps inconscients des Erasers gisaient toujours, immobiles sur le sol. C’était l’occasion ou jamais de se tirer de là. Le garçon sauta du véhicule sans un mot. Un simple regard en direction de l’autre Evolve suffit. Il n’avait pas les mots pour exprimer une pseudo gratitude envers un type qui aurait pu lui infliger le même sort dans d’autres circonstances. Sans compter que cette fille l’avait presque jeté aux pieds du géant balafré. Non vraiment, les Evolves, très peu pour lui. Cependant, il ne s’éloigna pas à toute vitesse comme on aurait pu s’y attendre. Sulkan l’observa en train de fouiller le premier Eraser avant de lâcher :

« Il a une carte magnétique sur lui. Elle sert à déverrouiller les menottes. »

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la jeune femme le libérait. De bonne ou bien de mauvaise grâce ? Sans doute un peu des deux. Lui de son côté, commençait à s’agacer intérieurement de compter le nombre de fois où elle lui sauvait la mise. Une première fois devant l’autre bâtiment, maintenant ici… Est-ce que ça suffirait à lui faire oublier qu’il avait failli y passer à cause d’elle et de son foutu pouvoir à la con ? Pas si sûr. Sitôt qu’il sentit la pression sur ses poignets disparaître, le garçon les laissa tomber sur le sol pour se masser les articulations. Désagréable sensation, même au travers d’une invention à la pointe de la technologie… Quand il réalisa à côté de qui il se trouvait, Sulkan bondit littéralement en arrière. Le souvenir de cette sensation d’irritation se muant en étouffement dans sa gorge n’était que trop vivace dans son esprit pour lui rappeler qu’il côtoyait l’un de ces monstres. Il attendit donc qu’elle ait récupéré ses biens avant d’en faire de même. En sentant l’homme remuer faiblement, il se fit la réflexion qu’ils ne devaient plus traîner sur place. Le garçon se redressa, non sans attraper la tablette du second Eraser au passage. Des données toujours intéressantes, sans parler d’une possible revente à un bon prix sur le marché noir avec un gadget pareil. Et sans attendre, il s’enfuit en courant dans la direction qu’il avait emprunté en sens inverse plusieurs dizaines de minutes plus tôt. Ignorant le regard de la jeune femme sur lui –et probablement sur ses brûlures- il s’éloigna de la scène sans un coup d’œil en arrière. Il n’avait qu’une hâte : mettre le plus de distance entre lui et cet endroit, avant de pouvoir parvenir à retrouver son air faussement détaché lorsqu’il faisait affaire. Car il n’en avait pas terminé avec cette fille, c’était probablement l’unique raison qui la poussait à ne pas le planter là tout simplement. La chance ne paraissait pas leur avoir complètement tourné le dos car un regard en direction du bâtiment des employés leur assura que les lieux étaient de nouveau déserts. Sans doute que la patrouille nocturne avait repris sa ronde, essayant de faire fi de la concurrence directe en la personne des Erasers envoyés sur place. Sulkan ne consulta pas un instant sa complice improvisée et se faufila à l’intérieur. Après la lumière vive et artificielle du fourgon, ses yeux eurent quelques difficultés à se réhabituer à la pénombre qui régnait sur place. Néanmoins, sa mémoire ne lui faisait pas défaut et il se dirigea presque instinctivement jusqu’au passage secret sauf pour les habitués.

« Les dames d’abord ? » ricana-t-il d’un air mauvais.

Lui ? Galant ? Il ne manquait plus que ça tiens ! N’attendant pas de réponse de la part de son interlocutrice, il lui passa royalement devant et dans le fond, c’était sans doute la meilleure chose à faire. Il l’ignorait au moment où l’idée du pied-de-nez lui traversait l’esprit et il pensait l’offusquer en lui passant devant mais puisque la jeune femme n’était pas arrivée par ce passage, il lui rendait service indirectement. Le Destin et ses tours. Une fois en dehors de la propriété privée que constituait la décharge, ils se trouvaient plus ou moins en sécurité. En sécurité parce que personne n’avait de preuves de leur présence sur place et ne pourrait leur reprocher une ancienne ou future violation d’une propriété privée. Cependant, mieux valait ne pas rester dans le coin, au risque d’attirer une nouvelle fois l’attention des patrouilles et même des Erasers lorsque ces derniers auraient repris connaissance. Une présence suspecte aux abords de la décharge suffirait pour se voir infliger quelques heures en compagnie de personnes aux méthodes d'interrogatoire pas toujours recommandables. Toujours en se tenant à distance de la jeune femme, Sulkan lui lança alors :

« Tu veux toujours me conduire dans cette boutique ? Après tout, on a encore une affaire à régler tous les deux. »

Sa seconde phrase n’attendait pas de réponse. Qu’elle soit positive ou négative. Il s’agissait d’un fait avéré, l’un comme l’autre le gardait à l’esprit. Et si la fameuse boutique offrait un lieu calme pour finir de négocier la nouvelle transaction qui se profilait dans son esprit détraqué, alors il était partant. A condition de maintenir une certaine distance entre eux.
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Ruben E. Ashter

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Ruben E. Ashter
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31.05.15 1:20
Elle s'imaginait des centaines de réponses possibles. Des insultes à haute dose, des accords courtois en proportion minime, un tiers de refus et un chouïa de blagues vaseuses dont il avait le secret, auxquelles cette invitation détournée aurait offert le libre-accès. Mais là, non. Sa stupeur dut se lire sur son visage abîmé, qu'elle vint froisser une seconde avant de le détendre ; qu'il sût ce qu'elle était ne changerait finalement rien, ni à leur situation présente ni aux opportunités d'avenir proche. Quoique. Il pouvait toujours partir en courant, croyant avoir le diable aux trousses – c'est bien connu, le diable s'habille en paria – et s'évanouir dans la nature sur la seule base de cette connaissance. Une Evolve toxique, la belle affaire. Niveau compagnon, même les taulards forcenés ne faisaient pas mieux. Elle aurait d'ailleurs compris cette réaction, à défaut de l'approuver ou de l'autoriser sans tenter d'y mettre un terme. Sauf qu'en l'occurrence, elle ne releva l'ordre qu'avec un léger froncement de sourcils sitôt disparu. S'il s'imaginait qu'elle l'empoissonnait de gaieté de cœur, il se l'enfonçait bien profond, et s'il songeait qu'en plus, elle était capable de contrôler ses émanations vénéneuses, alors elle ne pouvait que secouer la tête, hausser les épaules ou soupirer, au choix. La complexité de l'activation des pouvoirs n'avait d'égale que celle du rapport qu'entretenait Ruben avec son propre don : une haine féroce, un puissant désespoir et une douce compassion. Il était là. Et elle avait fini par assimiler le fait que le maudire, c'était se maudire soi-même, et que l'on ne peut espérer vivre en se détestant sans fin. Alors un étranger qui se permettait de la taxer de folle et de smogo humanoïde, au fond, ça la faisait presque rire. Un rire nerveux.

En silence, elle récupéra ses affaires avant de délivrer son complice, après qu'il lui avait indiqué la présence d'une carte magnétique pour ôter les menottes. L'idée de le narguer en agitant le sésame ne lui traversa même pas l'esprit, tant elle se projetait déjà de l'autre côté des grilles, à l'intérieur de sa boutique, là où enfin elle se permettrait de respirer normalement. Vu son recul soudain, Tête verte avait dû songer à quelque chose de similaire ; un endroit loin d'elle, où ses poumons comme sa trachée n'auraient pas à subir l'assaut de spores indécelables – sa paranoïa accrue ne l'aiderait cependant pas à se faire la belle, et il devrait composer avec ses angoisses d'asphyxie au moins une bonne heure supplémentaire, si ce n'est plus. L'herboriste avait du mal à mesurer le temps qu'il leur faudrait pour sa planquer, vider sa trousse à pharmacie et convenir d'un marché qui leur irait à tous les deux, car rien que pour la dernière partie, trois ans n'auraient certainement pas suffi. Même si, avec une menace bien sentie – l'herméneutique linguistique vous prie de lui pardonner ce jeu de mots ô combien non-subtil et révélateur de l'état d'esprit du rédacteur – on arrivait à tout. Elle refusait cependant d'en user, bien qu'elle n'en négligeait pas les avantages. Si elle se mettait à s'adonner à ce genre de chantage vital, elle aurait définitivement touché le fond.
Une fois leurs emplettes gratuites terminées, du moins pour le trafiquant qu'il n'en loupait pas une pour ramasser de quoi s'enrichir par la suite, l'étrange duo s'échappa au pas de course. Ruben laissa néanmoins une brève longueur d'avance au garçon, non parce qu'elle respectait son souhait de ne pas l'approcher à moins de deux mètres, mais parce qu'elle s'accorda deux secondes pour remercier l'Evolve à terre. Juste un salut, la mine grave. Sobre et éloquent. Tout ce qu'elle aimait. Et elle l'abandonna à contre-cœur à son contrecoup.  

Durant leur course jusqu'au bâtiment principal, et même au moment de se faufiler dans l'ouverture du mur pour rejoindre la sortie, la jeune femme ne parvint pas à détourner les yeux de ce dos brûlé, la chair à vif sur une large parcelle, des reins à la base de la nuque. Il se serait débarrassé de ses vêtements qu'il aurait eu l'air moins ridicule qu'avec ces lambeaux, néanmoins l'air de la nuit se voulait frisquet et la promesse d'une angine n'aurait pas été pour arranger les choses. Alors l'herboriste contemplait ces marques qui bruissaient à quelques pas d'elle, qui ondulaient à chaque foulée du gamin en lui infligeant une douleur lancinante, supportable quoique désagréable. Elle pouvait parfaitement se l'imaginer, pour l'avoir vécu à de multiples reprises. Mais elle savait aussi que, dans son cas, elle n'avait pas à s'inquiéter de séquelles durables et d'une longue convalescence ; elle muait comme le tronc d'un bouleau, perdant son derme par plaques épaisses, et quatre jours après ne subsistait qu'une couche diaphane, un fin tissu cicatriciel qui aurait tôt fait de se résorber définitivement. Ce ne serait jamais l'issue de ces brûlures-là. À l'évidence, il en garderait les marques à vie, le souvenir indélébile de cette inoubliable soirée.
C'était étrange de se faufiler dans ces constructions vides d'âme, de franchir un trou dans le béton et de se retrouver presque en sécurité, sous le faisceau d'un lampadaire, dans une rue déserte où seuls les chats errants osaient toujours s'aventurer. L'on entendait au loin les aboiements caractéristiques d'un chien de gardien, un soupçon trop tard, et des grésillements de panneaux holographiques qui auraient dû être mis à jour. Tête verte démontra ainsi qu'il était une femme dans toute sa splendeur en s'extirpant le premier de la décharge – les dames d'abord, c'est bien cela ? – et, en s'empêchant de laisser un rictus acerbe lui courber les lèvres, Ruben lui emboîta le pas, plongée dans les effluves d'épiderme chaud. Jamais elle n'aurait pensé que rejoindre un endroit découvert la rassurerait autant ; d'habitude, elle préférait les recoins à l'abri, les refuges cloisonnés et les cavernes secrètes où personne ne venait la déranger. Mais d'un coup, elle appréciait la nuit et ses éclairages halogènes, le murmure des câbles électriques tendus au-dessus d'eux et la perspective d'une avenue plongée dans l'obscurité, avec une poignée de véhicules arrêtés à cheval sur le trottoir. Elle se sentait presque bien respirer.

« Ravie d'vous l'entendre dire. » Sa phrase dégoulinait d'ironie. Et sa moue résignée vint traduire ses propos avant même qu'elle ne les prononce : « C'est l'mieux à faire. Les traceurs ne s'méfieront pas s'ils me savent chez moi. Ça ou l'hôpital. » Elle avait ajouté cette alternative tout en envisageant qu'il la rejetterait. Se pointer à une heure pareille, les omoplates ensanglantées, et espérer jouer les victimes inopinées ? Prendre le risque de retrouver le colosse amputé dans la salle d'opération voisine ? Si telle était sa décision, elle la lui laissait sans souci. Et même si la perspective d'accueillir cet insupportable réfugié à l'intérieur de ses murs la faisait grincer des dents, elle serait en terrain connu, ce qui lui conférait un avantage. « Alors suivez-moi. Et arrêtez d'croire que j'vais vous tuer à la moindre inspiration ; c'n'est pas comme ça qu'ça marche. » Ç'aurait été tellement plus simple. Plus radical. Elle aurait bien voulu. Mais coupant court à cette prolixité inattendue, la brune ouvrit la marche en direction de sa boutique.
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