| Aller à la page : 1, 2 | | | 03.12.17 19:24 La vue de ce visage éclairé par en-dessous, lequel revêtit des allures démoniaques, ne lui tira rien d’autre qu’un hurlement de terreur. Quand bien même ce visage lui apparaissait comme familier si on faisait abstraction des effets de lumière et d’ombres sur ses traits tirés, il fallut plus que quelques secondes à Sulkan pour reconnaître son hôte, ce qui ne lui permit rationnellement pas de maîtriser le son de sa voix en raison de sa frayeur. Ne pas crier. Il en avait des bonnes lui ! Toute personne normalement constituée aurait réagi de la même manière ! A quoi il s’attendait cet abruti ?! D’ailleurs, le russe ne se priva pas pour lui en attribuer le terme au passage, un de plus dans la longue liste d’insultes que composait son registre concernant Esteban.
« Garde ta morale pour toi connard ! Oh ! Tu m’écoutes oui ou merde ?! Putain mais j’hallucine… ! »
A sa grande frustration, il s’aperçut que l’attention du légiste s’était portée sur autre chose que sa personne. Vexé le petit génie de l’informatique ? Et pas qu’un peu ! Même le constat de sa propre frustration ne fit qu’exacerber celle-ci. Sulkan jura dans sa langue natale, sur le point de tourner les talons pour retourner à l’appartement puisque rien ni personne à l’extérieur ne pourrait leur expliquer la situation quand la main de son hôte se posa sur son épaule, comme pour le retenir encore un peu. Ce geste, plus spontané que conscient, lui fit relever la tête en direction du visage d’Esteban et quelque chose le cloua silencieusement sur place. Le regard du légiste avait quelque chose de différent. Les étoiles semblaient le fasciner au-delà du raisonnable mais ce n’était pas la même émotion morbide qui déformait ses traits lorsqu’il était sur le point de lui injecter un autre de ses produits de scientifique fou. Comment ces astres aussi beaux qu’inaccessibles pouvaient-ils fasciner un homme au point de le changer, même l’espace d’un instant ? Le russe n’eut pas la réponse à cette question et son regard finit par prendre la même direction que celui d’Esteban, se perdant dans la contemplation du ciel étoilé qui s’étirait à l’infini au-dessus de leurs têtes, insensible aux tourments des êtres mortels qu’ils étaient. Il est vrai que devant ce spectacle, on se sentait tout petit et insignifiant. De quoi insuffler la modestie aux plus fiers. Les explications de son hôte lui parvinrent et Sulkan les écouta d’une oreille distraite. S’accorder quelques secondes de répit pour contempler un ciel étoilé, alors même que son existence était sur le fil de rasoir, lui permettait soudain de mieux en apprécier toute l’importance. Il avait déjà côtoyé la mort de très près, et ce, en dépit de son jeune âge. Une expérience traumatisante qui lui avait fait comprendre à quel point sa nonchalance quotidienne n’était qu’une façade visant à tromper les autres aussi bien que lui-même. Nul ne pouvait renoncer aussi facilement à la vie. Et ce genre d’instants précieux de par leur rareté le lui rappelait une nouvelle fois. A moins que cette émotion vacillante au creux de son âme ne soit que le résultat de la nostalgie qui paraissait imprégner le timbre de la voix d’Esteban tandis que lui-même donnait l’impression de voyager à des centaines de kilomètres de là où il se trouvait présentement ? Le jeune hacker fut le premier à redescendre sur Terre :
« Alors quoi ? Tu me fais un cours d’astronomie maintenant ? »
La raillerie se faisait sentir dans sa voix. Tout le monde savait ce qu’était une étoile. Et contrairement à ce que le légiste semblait penser, son cobaye avait déjà vu certains de ses astres auparavant. Lui ne venait pas d’une ville aussi sur-éclairée comme l’était Madison. Les ciels étoilés, il connaissait ! Laissant Esteban se perdre dans sa rêverie, le russe prit conscience de cette main toujours posée sur son épaule et au prix d’une grimace de dégoût, se saisit d’un doigt pour l’en éloigner de sa personne. Pas de familiarités après que tu m’aies transformé en homme-chat connard de scientifique ! Sauf que le légiste ne l’aida pas davantage : tout comme lui, il ignorait ce qui s’était produit. Dans une certaine mesure, l’absence d’électricité causant l’arrêt brutal de tout système d’identification par la Milice présentait des avantages pour sa condition de fugitif. Cependant, sur le long terme, cela risquait de causer pas mal de problèmes. Mieux valait qu’ils retournent à l’appartement pour essayer de trouver une solution à son principal souci : ces maudites oreilles ! Ils étaient sur le point de prendre la direction de l’appartement du légiste quand une voix les interpella, enfin, s’adressa surtout à Esteban. Le sang du russe ne fit qu’un tour. Evidemment, avec une ville plongée dans l’obscurité et où les bonnes vieilles lampes torche faisaient office de vieilleries, ils ne devaient pas vraiment passer inaperçus dans la foule des badauds venus contempler le ciel étoilé pour la première fois pour certains. Sulkan pesta. Il ne manquait plus que ça, qu’ils attirent l’attention sur eux ! Comment savoir si le nouveau venu était un civil inoffensif ou bien un milicien en patrouille nocturne ? Le jeune hacker fit un premier pas en arrière, puis un second. Suivre les conseils de son hôte lui paraissait être la chose la plus sensée à faire sur le moment.
« Bon sang mais vous allez la baisser cette fichue lampe ? Vous ne voyez pas que vous m’aveuglez avec ? »
L’irritation se faisait entendre dans la voix de la jeune femme, laquelle ne put s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement dès qu’Esteban eut fini de diriger ladite lampe sur sa personne.
« Agent Hamthrew de la Milice. Puis-je savoir ce que fait un homme de votre âge, torse nu et visiblement accompagné d’un adolescent ? Atteinte à la pudeur ou de l’exhibitionnisme, appelez cela comme vous voulez mais sachez que cumulé à de la pédophilie, cela peut aller très loin Monsieur. Vos papiers je vous prie. »
Si la situation n’était pas aussi tendue pour lui, Sulkan en serait resté bouche bée quelques secondes d’entendre ainsi le légiste se faire incriminer deux fois en l’espace de si peu de temps, avant de laisser éclater sa frustration de vive voix. Ce n’était pas parce qu’il était plus petit et fin – sensation que le sweat amplifiait sur sa personne – qu’il devait se laisser traiter d’adolescent pré pubère ! Il était majeur et vacciné ! Toutefois, le russe ne songea pas vraiment à s’en indigner pour le moment. La Milice. Il s’agissait de la Milice. Mieux valait pour lui qu’il fiche le camp avant d’attirer plus d’ennuis qu’il n’en fallait à son hôte. Mais à peine tourna-t-il les talons qu’il se retrouva confronté à un mur – un torse pour être exact – lui barrant la route. A cette distance, Sulkan n’eut besoin d’aucune source de lumière pour apercevoir l’insigne de la Milice qui brillait sur son uniforme. Une fraction de secondes. Dans un geste désespéré, il tenta de passer le colosse sur la droite, pensant à tort que la vitesse couplée au fait qu’il s’agirait du bras gauche de l’inconnu, lui donnerait l’avantage. Perdu. Une poigne de fer se referma sur son bras avant de le lui tordre dans le dos, lui arrachant une plainte.
« Lâchez-moi ! Je n’ai rien fait ! Je ne le connais même pas ce type ! Aïe ! »
Même si l’autre se trouvait dans son dos, il crut sentit le regard perçant du milicien sur sa nuque, jusqu’à lui donner des sueurs froides. Sulkan se surprit à prier pour que l’homme ne décide pas d’inspecter son visage de plus près, ce qui signifierait, ôter la capuche qui dissimulait ses oreilles de chat. Quitte à passer pour quelque chose, le jeune hacker préférait que ce soit un adolescent pré pubère plutôt qu’un evolve sans bracelet sur lui. Pris au piège et de crainte que ses mouvements brusques ne fassent d’eux-mêmes tomber sa capuche, le russe n’osa plus bouger. Ses protestations indignées trouvèrent cependant un écho en la personne de l’agent Hamthrew, laquelle se décala légèrement sur le côté pour inspecter le travail de son collègue.
« Phil, ne lui casse pas le bras non plus. On a besoin d’une déposition, pas d’une plainte pour violences physiques envers un civil ! Bon sang que je ne suis pas aidée… »
« Ais-je ton autorisation de prendre sa déposition le temps que tu finisses avec celui-là ? Le van n’est pas bien loin. »
Sa déposition ? De quoi parlaient-ils à la fin ? Avait-ce un lien avec les accusations que cette femme portait sur Esteban pour être ainsi sorti torse nu ? Le russe ne comprenait plus rien. Qu’avait-il avoir avec cette histoire ? Allait-il devoir se justifier pour avoir été en compagnie du légiste ? Pire, l’accuser de sévices sexuelles ? Même si on n’en était pas loin à ses yeux, Sulkan ne pouvait pas faire ça ! Non, il ne pouvait pas suivre ce milicien tout court ! La situation lui échappait complètement mais il risquait de se faire reconnaître lors de la fameuse déposition !
« A-Attendez une minute ! Puisque je vous dis que je ne le connais pas… ! »
« Monsieur, calmez-vous. Nous ne pouvons pas vous interroger en présence de cette personne. Mon collègue va simplement vous poser quelques questions d’accord ? Emmène le Phil. »
Etait-ce son impression ou la prise sur son bras s’était resserrée. En proie à la panique, Sulkan chercha le regard du légiste. Il ne pouvait pas lui demander d’intervenir au risque de griller la couverture qu’il avait cru bon d’employer, à savoir, le fait qu’ils ne se connaissaient pas. A moins qu’effectivement ce déni ne passe dans le langage d’un jeune refusant l’autorité d’un quelconque parent proche ? Le russe n’eut pas le temps de se poser davantage la question que déjà, le colosse l’emmenait en direction du van, garé quelques dizaines de mètres plus loin. D’une main, il vit coulisser la large porte avant de traîner Sulkan à l’intérieur. Sèchement, il le fit s’asseoir sur une chaise d’une pression de sa main libre sur l’épaule du hacker tout en se positionnant derrière lui. Le cliquetis sonore qui suivit et la morsure de l’acier sur sa peau acheva de le plonger dans une terreur sans nom. Cela n’avait pas l’air d’être une simple déposition mais un véritable interrogatoire ! Visiblement satisfait de son travail, l’homme contourna lentement la table au centre de la pièce. Sulkan n’avait pas oublié que les vans de la Milice étaient équipés pour interroger les suspects pris sur le vif. Comment allait-il pouvoir se tirer de cette situation ? Il avait beau faire tourner ses méninges dans tous les sens, il ne voyait pas d’échappatoire ! Du mouvement dans sa direction le fit se raidir et l’instant suivant, le milicien rabattait sa capuche en arrière, révélant ses oreilles et son air paniqué. La surprise passa fugacement sur les traits de son interlocuteur avant qu’un sourire n’inspirant rien de bon ne se dessine sur ses lèvres.
« Voyez-vous ça… L’evolve le plus recherché de Madison : Sulkan Zaslavski. »
Le sang de l’intéressé se gela dans ses veines, à tel point qu’il crut apercevoir de la buée s’échapper devant son visage à chacune de ses expirations d’air. Comment l’autre avait-il deviné ? Comment s’était-il trahi ?
« C’était donc là que tu te cachais ? Dans ce quartier moisi ? A faire la pute pour te trouver un toit ? Tu dois être vachement doué pour que personne ne t’ait dénoncé jusque-là. Ce pauvre bougre a dû bien en profiter. »
Alors comme ça, il n’avait pas reconnu Esteban ? C’était une bonne nouvelle, dans la mesure du possible. Si ce dernier donnait effectivement ses papiers à la collègue de son interlocuteur, ce n’était qu’une question de minutes avant que la vérité n’éclate. La stupeur et l’incompréhension dans son regard dut mettre la puce à l’oreille au milicien, qui partit d’un rire bref avant de s’expliquer :
« Tu te demandes comment je t’ai grillé hein ? Ton accent russe. Oh bien sûr, tu n’es pas le seul immigré à Madison. Ces cafards pullulent dans ce genre de quartier. Mais vois-tu, ça valait la peine que je vérifie ça de plus près. »
Quoi répondre à cela ? En son for intérieur, Sulkan se maudit d’avoir été si con. Si seulement il avait tenu sa langue ! Si seulement il avait écouté Esteban, si seulement il n’était pas sorti… ! Pendant qu’il dressait mentalement la liste des erreurs commises jusqu’à présent, son interlocuteur sortit un petit objet à la forme rectangulaire dont l’extrémité se résumait à deux petites pinces se faisant face. Le russe ne mit pas le temps à identifier le taser.
« C’est pas tout mais comment on va s’occuper jusqu’à ce que la miss Hamthrew revienne hein ? Vaudrait mieux pas gâcher une occasion pareille car je ne donne pas cher de ta peau dès qu’on te remettra à l’autre enragé. Tu vois de qui je veux parler hein ? L’Eraser à qui tu as mis une branlée. Je veux bien sûr parler de Phear Rothgrüber. »
| | | Esteban Rothgrüberevolve studies
04.01.18 16:42 Cet instant partagé, à regarder silencieusement le ciel parsemé d'étoiles, rendait Esteban extrêmement pensif. Pire. Cela rendait humble. Un sourire plein de sarcasme étira ses lèvres avant qu'il ne regarde le russe. Le ton de ce dernier n'était pas plein d'agressivité et de jurons, mais de taquinerie. Une façon de parler bien peu commune pour le jeune homme, à laquelle le légiste pouvait éventuellement prendre l'habitude. Sulkan était bien plus différent que tous ces humains sans saveurs...
« Ce n'est pas ma spécialité, mais je peux peut-être te donner un cours particulier si tu me laisses le temps de me pencher sur le sujet. »
Il était maintenant temps de rentrer. De se mettre à l'abri pour ne pas risquer de perdre ce petit bout de félin bipède qui rythmait sa vie parfaitement monotone. Une main sur son épaule, ils allaient se fondre dans la masse, rentrer chez le scientifique, quand tout bascula. Son premier réflexe fut de protéger Sulkan de son corps. Il était plus grand et plus large, ça n'allait pas être bien compliqué. Mais protéger de quoi ? Un civil ? Esteban plissa les yeux et constata avec agacement l'uniforme que portait la jeune femme. La Milice. Il manquait plus que ça. Comme si aujourd'hui, le scientifique qu'il était n'avait pas eu assez de surprise. Lampe ? Il grimaça. Bien évidemment ! En essayant de retrouver son cobaye, il avait prit sa lampe... Et devant ce spectacle inédit, il en avait presque oublié que ce n'était pas normal d'avoir un si vieil objet dans une ville sans lumière. D'un mouvement brusque du pouce, il poussa le bouton pour éteindre sa torche. La brusque plongée dans l'obscurité le fit soupirer jusqu'à ce qu'il se réhabitue à la pénombre. Cependant, il pouvait clairement imaginer la tête qu'il faisait : une bonne cuillère d'étonnement et 200 grammes d'agacement. Était-elle sérieuse ?
« La panne de courant m'a surprit alors que je travaillais. Et oui, je travaille torse nu chez moi, que cela ne vous en déplaise. Le système de ma porte s'est déverrouillé et mon... Chat en a profité pour se faire la malle. Le jeune homme est mon voisin et en m'entendant pester, il a voulut m'aider. » Il tendit le poignet sur lequel était posé en toute majesté son bracelet. « Mes papiers sont ici, comme tout bon humain de notre temps. Quand au fait que je ne porte pas de haut, veuillez m'excuser, madame, mais je ne pense pas être le seul dans ce quartier à être si peu vêtu si vous prêtez attention. Ma tenue reste descente. A moins que vous ne supportiez pas les tatouages, auquel cas, cela m'importe peu. »
Esteban savait pertinemment répondre ainsi à un agent de la Milice n'allait pas en sa faveur. La jeune femme était déjà assez agacé comme cela pour qu'en plus il ait le culot d'en rajouter. Mais c'était dans la nature du légiste d'être ainsi. Question de gènes. De plus, il avait espéré que Sulkan ait prit cette chance pour s'éclipser discrètement et rentrer dans son appartement pour se cacher, comme il le lui avait conseillé... Mais il entendit un cri plaintif qu'il pouvait reconnaître avec beaucoup trop de facilité et il ferma longuement les yeux. Ils étaient fichus. Esteban allait prendre très cher pour avoir dissimulé un civil recherché par la Milice et Sulkan allait prendre d'autant plus qu'il allait sûrement être pucé et amené à Phear. Le scientifique poussa un profond soupire. Adieu, chair pure et immaculée. Adieu cher cobaye beaucoup trop parfait. Adieu... ? Et puis quoi ? Retourner à sa vie monotone et ses expériences sur des cadavres ? Non. Esteban avait trop prit plaisir à travailler sur un vivant... Sur Sulkan. Il devait tout faire pour lui remettre la main dessus et à le faire sortir au plus vite de ce van.
« Agent Hamthrew, c'est ça ? Il vient de la campagne et il est venu voir sa grand-mère. Grand-mère qui doit être morte d'inquiétude. Ce n'est pas utile de l'interroger. Et puis franchement, vous ne croyez pas que j'ai autre chose à faire que toucher quelqu'un d'aussi jeune ? Je suis Esteban Rothgrüber et je travaille au bureau d'étude des evolves. Je ne vais pas m'amuser à risquer ma place pour de la pédophilie. D'autant plus que je peux courtiser des femmes bien plus jolies et bien plus avantagées par la Nature. Sans manque de respect pour la gente féminine, bien évidemment. Cet interrogatoire est ridicule. Vous n'en ressortirez rien même si je comprends votre procédure. » dit-il en croisant les bras sur son torse découvert et en prenant un air détaché. « Avec la panne de courant général, je pense que vous avez autre chose à faire que d'ouvrir présentement une enquête pour des abus qui n'existent pas. »
Bon. Avec ça et l'expression suspicieuse de l'agent, le légiste savait qu'il avait creusé sa tombe. La blâmer n'allait clairement pas aller dans son sens et quand bien même il avait fini par donné son identité, il ne savait depuis combien de temps elle était dans la Milice, ni dans quelle brigade et si elle avait seulement entendue la réputation de son cousin qui n'était plus à faire.
Il avait fait exprès de parler fort et de montrer son indignation. Il savait qu'il était quelque peu reconnu dans le quartier et qu'ici, c'était d'abord la protection mutuelle des habitants et non pas la délation à tout bout de champs. Un avantage qu'il avait volontairement choisit pour d'autres études, plus comportementales, qu'il avait envisagé de faire. La réaction des gens aux alentours fut rapide. Un bruit similaire à du vent commençait à se faire entendre : les habitants chuchotaient entre eux, hochaient la tête et regardaient d'un air réprobateur l'agent Hamthrew.
« C'est vrai ça ! Pourquoi vous êtes ici à nous surveiller et pas à essayer de chercher d'où vient la panne ! » « On ne peut pas vivre sans électricité ! » « Faite votre devoir de nous protéger et remettez le courant ! »
Les voix s'élevaient autour d'eux et le biélorusse se concentra pour ne pas sourire et afficher une expression satisfaire sur son visage. Son improvisation avait marché et il ne manquait plus grand chose pour que la jeune femme ne soit débordée de questions et de civils autour d'elle. Ils voulaient des réponses, comme Esteban. Des réponses qu'elle ne pourrait sûrement pas leur donner car tout était arrivé si brusquement... Même au Centre ou à l'hôpital, il n'avait pas entendu qu'une telle opération allait être lancée. La scène était assez cocasse à voir mais malheureusement, il n'avait pas le temps de s'attarder ici. Du peu qu'il connaissait Sulkan et son caractère très... Ardent, le légiste se demandait combien de temps le russe allait pouvoir tenir avant qu'il n'explose et se mette à insulter l'ours qui l'avait emmené. Que faire ? Il ne pouvait prévenir personne, pas même risquer de demander à Phear de ramener ses rangers trop bien cirées. Maudite électricité... Ils en étaient vraiment devenus trop dépendants... C'est alors qu'il se souvint que la Milice avait développé un système pour pouvoir communiquer, même dans des situations aussi particulières que celle-ci. Il remercia mentalement la blondinette qui avait voulu partager son lit plus d'une fois, et Esteban se mit en quête de trouver le van, laissant l'agent Hamthrew aux mains des habitants excédés d'être traités comme des voleurs, des pauvres et des reclus ne méritant pas l'aide du Gouvernement. Il ne mit pas longtemps à trouver la fourgonnette et ce qu'il y vit par le pare-brise avant ne laissait présager rien de bon. Se demandant pourquoi il prenait autant de risques et se donnait autant de mal pour quelqu'un qui allait le martyriser verbalement plus tard, le scientifique s'avança jusqu'au van et ouvrit la porte. D'un œil rapide, il remarqua le visage pâle de Sulkan, ses mains attachées, le taser entre eux et l'air grincheux du milicien.
« Phil, si je ne me trompe ? Je crois que pour une plainte, vous y allez un peu fort, non ? A moins que vous ne cherchiez à lui arracher des aveux, auquel cas, je ne peux que constater que la Milice est tombée bien bas ces derniers temps pour renflouer ses statistiques. » il marqua une courte pause, ne pliant pas sous le regard de plus en plus amer qui le défiait. « Votre collègue rencontre quelques difficultés avec la population qui est dehors et j'aimerais savoir si je peux ramener le petit-fils de ma voisine, chez elle. Elle doit se faire un sang d'encre. » ajouta-t-il avec un sourire diplomate.
Sa collègue ? Phil n’en avait que faire. Elle avait été formée et entraînée pour faire partie de la Milice. Si elle n’arrivait pas à gérer des habitants inoffensifs, alors face aux Rebelles, elle ne ferait pas long feu. Le milicien affichait clairement son mécontentement d’être dérangé ainsi. Il avait enfin mis la main sur l’evolve qui avait rendu la réputation de la terreur de sa brigade à une grosse blague. Il n’allait pas le remettre bien sagement à un civil. C’était lui l’Autorité dans ce camion ! Un sourire narquois se dessina lentement sur ses lèvres alors qu’il s’enfonçait dans sa chaise.
« Sa grand-mère, dites-vous ? D’après nos informations, elle est morte, sa grand-mère. » Il se mit à faire tourner lentement le taser entre ses doigts potelés, laissant à Esteban le temps de monter dans la camionnette. « Vous savez combien ça va vous coûter d’avoir hébergé un criminel ? Quand bien même il a dû se montrer très persuasif pour écarter les cuisses et acheter votre silence. Vous avez l’air d’un type intelligent. Face à un tribunal, vous pourrez facilement vous en tirez moyennant une coquette somme d’argent. Le Gouvernement à horreur des traîtres, vous n’êtes pas sans le savoir. » avait ajouté Phil en détaillant le légiste des pieds à la tête.
Le regard du biélorusse n’était pas des plus aimables, bien qu’il avait volontairement prit une pose nonchalante, bras croisés sur son torse et épaule posée contre une paroi de la carrosserie. Le silence poussa Phil à continuer son monologue.
« Bon alors, on est entre nous et ce n’est qu’une question de temps avant que la brigade avec l’autre taré, qui est à ses trousses, n’arrive pour aller le faire pucer comme l’animal qu’il est. Je voulais savoir, ça fait quoi de coucher avec un danger pareil ? Apparemment, son pouvoir n’est pas très dangereux et peu s’avérer plutôt sexy si on oublie qu’il a une bite. Hein l’evolve ? »
Phil se pencha et lui tira sans ménagement une de ses oreilles de chat. Outre le cri plaintif de Sulkan, le légiste retint une pulsion étrange. D’où il le touchait ? C’était son cobaye. Pas celui de la Milice. Même si Phear avait envie de continuer de marquer sa présence dans sa chair. Il grimaça de dégoût. Le milicien et sa vulgarité l’écœurait.
« Vous savez quoi ? Toute cette histoire va rester entre vous et moi. Franchement, la parole d’un evolve recherché ne vaut rien. J’ai envie de l’entendre crier. Histoire de comprendre l’obsession de Rothgrüber pour sa carcasse. »
Le corps du légiste se crispa alors que son regard croisait celui de Sulkan. Avait-il comprit ? Avait-il saisit le lien qui pouvait les unir ? A mesure que le taser approchait du russe, Esteban faisait appelle à toutes ses capacités de réflexion. Le milicien n’allait pas lui laisser récupérer Sulkan, pas quand il avait comprit qui il était. L’agent Hamtrhew pouvait arriver d’une minute à l’autre, si bien qu’il ne pouvait pas faire un seul faux pas. Phear risquait aussi d’ouvrir les portes de la camionnette, et il était certain que Sulkan n’allait plus revoir le jour de si tôt. Les deux tiges métalliques s’approchaient dangereusement de son cobaye. D’un claquement de langue son palais, il combla la distance qui le séparait du geôlier et de son prisonnier pour donner un violent coup de pied dans la chaise sur laquelle Phil avait posé son auguste derrière. Un juron échappa au milicien qui se retourna, le taser au niveau de sa propre gorge.
« C’est une agression à un agent représentant l’Autorité ! Déclinez votre identité ! Maintenant ! » lâcha-t-il assez agressivement.
Esteban leva les yeux au ciel. La seule Autorité à laquelle il répondait, c’était celle de la Science. Pas la Milice et ses méthodes barbares. « Si l’École vous forme comme ça, pas étonnant que je me retrouve avec une matière première aussi abîmées. – Comment?! »
Sans ajouter un mot, l’homme au papillon dans le dos contourna la table et essaya de déverrouiller les menottes du russe. Le système n’était pas ancien, comme se plaisait à utiliser son cousin… Moderne… Fonctionnaient-elles avec une empreinte digitale ? Celle de l’agent qui les avaient ? « Dit voir Sulkan, le taser pourrait-il court-circuiter le système de ces menottes dernier cri ? J’en ai ma claque d’être avec un demeuré pareil, tu as besoin de te reposer et je crois surtout, qu’il y a quelques petites choses dont on doit discuter au calme. » murmura-t-il à l’oreille de l’evolve, alors que Phil continuait de le menacer verbalement en agitant son taser. « Pouvez-vous vous taire, Phil ? Je n’arrive pas à réfléchir et vous lui faite augmenter dangereusement sa tension. »
| | | 07.01.18 17:59 Dans la vie professionnelle, on ne choisit pas ses collègues. Et l’agent Hamthrew l’apprenait à ses dépens en ce moment précis. Toute juste promue de sa formation, le destin lui avait attribué Phil comme partenaire de mission pour ses débuts. Si la carrure pour le moins impressionnante de l’intéressé l’avait tout d’abord intimidée puis rassurée, se disant qu’en intervenant sur le terrain aux côtés d’un colosse pareil, cela dissuaderait leurs futurs interlocuteurs de se montrer menaçants physiquement envers eux, la jeune femme avait rapidement déchanté : Phil n’avait strictement rien à envier à la redoutée terreur de la Milice, si ce n’était la réputation justement. Obtenir des aveux, même par la force, semblait être son seul plaisir dans la vie. A croire que tous les individus qui se décidaient à rejoindre les rangs de la Milice paraissaient être pourvus d’un vice certain pour la violence gratuite, sans aucune forme de moral ou même d’empathie envers leurs victimes. Cet amer constat, loin de la décourager, l’avait d’autant plus motivée à briller dans ce métier qu’elle idéalisait. L’agent Hamthrew s’estimait être quelqu’un de bon caractère, difficile à faire sortir de ses gonds mais le ton condescendant de son interlocuteur du moment lui fit froncer les sourcils de mécontentement. Pour qui cet homme se prenait-il ? Si elle n’avait pas eu son bracelet sous le nez dans les secondes qui suivirent, offrant par-là l’intégralité des informations concernant l’individu en question, peut-être que la jeune femme l’aurait considéré comme un artiste en perdition, de ceux qui aiment à croire qu’ils produisent de grandes choses simplement en s’adonnant à des activités louches, reclus chez eux et à moitié nus. Cependant, l’individu répondant au nom d’Esteban Rothgrüber ne le plaçait pas encore dans cette catégorie, à en juger par le poste de légiste qu’il occupait actuellement au bureau d’études des Evolves. Passées les quelques secondes à se blâmer pour avoir formulé une requête tout droit sortie d’un film policier, la jeune femme conserva un air digne tandis qu’elle consultait effectivement les « papiers » de son interlocuteur à l’aide de brefs contacts tactiles entre la surface lisse du bracelet et celle, rondelée, de l’extrémité de son index. Ce dernier disait la vérité et rien n’apparaissait dans son casier judiciaire qui puisse exiger de plus amples investigations. Cependant, l’attitude désinvolte et insolente de l’intéressé commençait sérieusement à l’agacer. L’agent Hamthrew avait de la fierté à revendre et surtout, un besoin évident de faire ses preuves sur le terrain.
« Monsieur Rothgrüber. Sachez avant tout que je ne fais que mon travail et que je ne vous- »
Sa manœuvre pour reprendre le contrôle de la situation survint trop tard. Les mots d’Esteban n’étaient pas tombés dans l’oreille de sourds aux alentours. Avant même qu’elle n’ait le temps de finir sa phrase, des exclamations indignées montaient autour d’eux. L’agent Hamthrew tourna la tête pour fusiller du regard les opportuns mais sa détermination se heurta à la grogne populaire. Les gens d’ici avaient de nombreuses raisons de détester le Gouvernement et ses chiens, autrement dit, les miliciens eux-mêmes. Sans la présence de Phil à ses côtés, la jeune femme faisait une cible de choix pour ceux que la société avait mis sur la touche. Les tentatives qui suivirent pour rétablir le calme au sein de la population ne connurent pas plus de succès que la première et elle se surprit à haïr son collègue pour de bon. Ce dernier était loin de se douter des envies de meurtre sur sa personne de la part de sa partenaire de mission et savourait le spectacle de sa prise du jour. La panique se lisait sur son visage à mesure qu’il prenait conscience de sa situation. S’en voulait-il de s’être fait attrapé si facilement ? Peut-être. Dans tous les cas, Phil devait lui reconnaître la chance qu’il avait eue d’échapper aussi longtemps à leur radar. Mais la chance semblait avoir tourné pour l’Evolve… La porte du van glissant sur le côté les fit sursauter tous les deux. Sulkan n’eut pas un regard en direction de celle-ci, s’attendant à tout moment à ce que la jeune femme de tout à l’heure ou pire, Phear lui-même, ne les rejoigne à l’intérieur. Cependant, la voix qui s’éleva dans les secondes qui suivirent, lui fit machinalement lever les yeux vers la porte, ceux-ci croisant le regard du légiste. Difficile de décrire ce qu’il lut dans les iris gris. De l’inquiétude ? De la colère ? Les battements de son cœur s’accélèrent : il devait le prévenir ! Seulement, la peur le tétanisait. Les mots restaient bloqués au fond de sa gorge. Même les allusions sexuelles du milicien ne parvinrent pas à le tirer de sa torpeur. Pourquoi était-ce Esteban qui avait ouvert la porte du van ? Comment était-il parvenu à se défaire de l’autre femme ? Il le savait intelligent mais… Non. Esteban était intelligent. S’il devait choisir entre risquer sa place pour le sauver ou retourner sa veste comme le lui proposait si gentiment Phil, qu’allait-il choisir ? Ce dernier disait vrai : le légiste encourait de graves sanctions à son encontre pour l’avoir hébergé en connaissances de cause. Et contrairement au russe, Esteban pouvait s’en sortir s’il faisait les bons choix dans les prochaines 24h, jouant de ses relations et en mettant la main au portefeuille. A ses yeux, c’était la meilleure solution qui s’offrait au légiste. Alors pourquoi diable ce dernier se trouvait-il ici, à écouter en silence toutes ces horreurs ? Etait-il venu ici en ayant l’intention de lui venir en aide et commençait-il à reconsidérer la justesse de son choix d’origine ? Evidemment que oui. Personne ne serait idiot à ce point. La voix de Phil connut une variation d’intonation mais avant que Sulkan ne puisse reporter son attention sur lui, l’autre se saisissait de l’une de ses oreilles de chat, la tirant sans ménagement. Ce n’était plus les caresses ravies du légiste. La traction lui arracha une plainte et le son parut plaire à son bourreau du moment, lequel n’hésita pas à tirer plus fort encore avant de finir par le lâcher. Le russe jeta un regard plein de haine pour Phil, avant de découvrir l’air satisfait qui flottait sur le visage de ce dernier.
« La vache, ce sont des vraies. »
Sa main se tendit de nouveau en direction des oreilles de Sulkan mais ce dernier eut un mouvement de recul qui lui arracha un ricanement. Non pas que les maigres efforts de son prisonnier pour tenter de lui échapper l’amusaient. En soi, le milicien pouvait combler d’un bond la distance qui les séparait et lui tordre ces deux fichues oreilles jusqu’à ce qu’il le supplie d’arrêter. Un scénario plutôt plaisant. Sauf que Phil avait à sa disposition un autre jouet et qu’en l’utilisant, il n’aurait même pas le besoin de se lever pour venir martyriser sa victime. En voyant le taser s’agiter entre les doigts du milicien, le jeune hacker sentit ses épaules s’affaisser.
« … Enfoiré. Vous êtes tous les mêmes. Fourre toi ton putain de taser dans le cul et crève. » lâcha-t-il entre ses dents serrées.
Curieusement, la parole lui était revenue et les premiers mots qui franchirent ses lèvres furent des insultes. A quoi bon garder le silence si même celui-ci ne lui épargnerait pas plusieurs dizaines de minute de torture gratuite ? Depuis sa rencontre douloureuse avec Phear, le russe s’était plusieurs fois posé la question : pourquoi avait-on autorisé le milicien à le torturer sans état d’âme ? Qu’un individu haïsse simplement les Evolves pour ce qu’ils représentaient, était une chose. Que la société autorise des sévices physiques sur eux sans conséquences pour les bourreaux en était une autre. A présent qu’il était passé de l’autre côté de la barrière, Sulkan devait s’attendre à ce que ce genre de comportements se répète, encore et encore. Les miliciens avaient la loi pour eux. Une colère sourde montait en lui, le faisant même défier du regard Phil d’aller au bout de ses menaces. Pourtant, un éclair de surprise passa furtivement dans les iris chocolat. La manière dont son bourreau avait prononcé le nom de Phear résonnait de manière familière à ses oreilles. Certes, l’autre avait mentionné la terreur de la Milice quelques minutes plus tôt mais… Quelque chose clochait. Pourquoi Esteban semblait aussi tendu depuis que le nom avait été prononcé entre eux ? Le taser s’approchait toujours, comblant dangereusement la distance qui les séparait. Bientôt, le garçon sentirait les deux petites pinces en acier entrer en contact avec sa peau, s’enfoncer légèrement dans sa chair, avant que la première vague électrique ne le traverse entièrement, provoquant une douleur qui ne disparaîtrait pas, même après que l’arc bleutée ait cessé de relier les pinces du taser entre elles. Il pouvait déjà imaginer les réactions spontanées qu’aurait son corps, ainsi soumis à la douleur, comme si le simple fait de se tordre dans tous les sens pouvait faire cesser la souffrance. Des soubresauts nerveux l’animeraient ensuite, comme de multiples piqures de rappel avant le second round et ceux qui suivraient. Sulkan ferma les yeux, conscient que son imagination allait bientôt s’ancrer dans la réalité. Le raclement sonore des pieds de la chaise sur le sol du van les lui fit ouvrir. Un spectacle inédit s’offrait à lui : le légiste défiant Phil. Le russe n’en croyait pas ses yeux. De toutes les options dont il disposait, Esteban venait de jeter son dévolu sur la moins sensée du lot. Que croyait-il faite en provoquant ainsi le milicien ? Que son statut de légiste pourrait lui sauver les fesses par la suite ? C’était insensé ! Interdit, il suivit du regard le rebelle en devenir jusqu’à que ce dernier disparaisse de son champ de vision. Malgré tout, Sulkan pouvait sentir son souffle chaud sur sa nuque, de même que les mouvements des menottes trahissant leur inspection par Esteban dans son dos.
« Comment osez-vous ! Eloignez-vous du prisonnier, c’est un ordre ! Vous aggravez votre cas ! Vous voulez finir comme lui hein ? J’parie qu’il vous a embobiné lui aussi ! Voilà ce qui arrive quand on baise un de ces monstres ! »
Fidèle à lui-même, Phil offrait là toute la diversité d’opinion et de vocabulaire dont il était capable. Néanmoins, ses menaces n’empêchèrent pas le jeune hacker d’entendre les paroles d’Esteban à ses oreilles. Court-circuiter les menottes avec le taser ? Sa matière grise repartit de plus belle, analysant l’idée dans les moindres détails afin d’en peser le pour et le contre. Force était de reconnaître que ce serait probablement la seule option qui s’offrirait à eux, notamment puisque le milicien ne serait pas disposé à les lui ôter bien gentiment. Il déglutit, histoire de remettre de l’ordre dans ses pensées avant de répondre au légiste.
« Peut-être. Il faut tenter le coup pour en être sûr. »
Cependant, un problème venait de s’imposer à eux : comment reprendre le taser à Phil, surtout que le milicien devenait de plus en plus enragé à chaque nouvelle seconde qui passait ? Sulkan voulait bien croire que le légiste savait comment se battre – après tout, ce dernier l’avait maîtrisé physiquement à plusieurs reprises au cours de leur cohabitation houleuse – mais son gabarit n’avait rien à voir avec celui de Phil. D’autant plus que le milicien était entraîné à ce genre de confrontation physique et le garçon doutait de plus en plus qu’Esteban prenne l’avantage. Vite. Une idée. Il leur fallait une idée. Ce fut le légiste qui lui fournit l’indice. S’il y avait bien une chose que les individus normaux avaient en horreur plus que tout, était l’infime possibilité que le gêne Evolve puisse leur être communiqué par l’un des spécimens concernés. Sulkan se rappelait la terreur qu’il avait ressentie lorsque cette fille l’avait menacé de l’empoisonner. Un souvenir loin d’être agréable certes mais qui pourrait peut-être leur sauver la mise. Dans le fond, c’était même risible qu’il en arrive à devoir user de ses propres peurs et infortunes pour espérer revoir le jour. Sa respiration changea, adoptant un rythme saccadé facilement identifiable à une crise d’asthme. Sauf que cette fois, Sulkan simulait parfaitement bien, s’aidant de son rythme cardiaque quelque peu accéléré au cours des dernières minutes pour améliorer son jeu d’acteur. Si Phil posa d’abord sur lui un regard menaçant, l’interrogation et l’inquiétude firent progressivement leur apparition sur les traits du milicien. Le malaise couplé à la suffocation de son prisonnier acheva de distiller la peur chez lui. Il ne manquait plus qu’une petite aide extérieure en la personne d’Esteban dont le diagnostic porterait le coup final à leur adversaire.
« Hé ! Il fait quoi là ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi il est comme ça ? J’ai rien fait ! Vous êtes témoin, je ne l’ai pas touché ! »
Cette fois, il ne s’agissait plus d’un banal accident arrivé lors d’une entrevue un peu trop musclée. Il y avait un témoin. Et compte tenu des nombreux dérapages de la Milice au cours des derniers mois, Phil ne pouvait plus parier sur la promesse exacte d’un jugement en sa faveur. Ces deux trous du cul risquaient bien de lui foutre sa carrière en l’air. Sans compter que le pouvoir du russe était à ce jour inconnu et qu’il n’avait pas la moindre envie d’en faire les frais afin de contribuer aux avancées de la science et notamment du département d’études des Evolves.
« Putain de merde ! Vous ! » s’exclama-t-il en désignant Esteban du bout de son taser. « Vous ne bougez pas ! Restez ici ! »
Son corps le trahissait : à mesure qu’il s’exprimait, inconsciemment, Phil avait reculé en direction de la porte du van, comme si mettre le plus de distance possible entre lui et le prisonnier confirmerait ses chances de survie. Il abattit son poing sur le bouton actionnant l’ouverture de la porte avant de s’engouffrer à l’extérieur, le taser toujours brandi en direction de la menace que représentait le duo d’hommes restés à l’intérieur. S’en était trop pour ses nerfs. Son premier réflexe aurait été de tuer l’Evolve mais se faisant, il signait la fin de sa carrière. D’une, pour avoir abattu froidement un criminel activement recherché dans tout Madison. De deux, pour avoir abattu froidement un criminel en présence d’un civil. Même s’il pourrait toujours se défendre en argumentant que l’autre l’avait menacé physiquement pour être de mèche avec l’Evolve, ce serait sa parole contre la sienne. Et quelque chose lui disait que les événements ne joueraient pas en sa faveur. Il lui fallait l’aval d’un supérieur : l’agent Hamthrew. Sans elle, Phil ne pouvait pas entreprendre d’action dans l’immédiat au risque de se voir éjecté des rangs de la Milice. Dans un claquement sec, la porte du van se referma sur le visage aux traits paniqués du milicien, permettant enfin au jeune hacker de cesser son cinéma afin de trouver une solution au plus vite. Le temps gagné était précieux à présent qu’ils risquaient de se retrouver, non pas avec un, mais deux chiens de la Milice aux trousses.
« Esteban ! Fouille tous les tiroirs, il doit bien y avoir un autre taser ou un truc pour forcer les menottes ! Merde… ! »
De son côté, le russe avait retrouvé son ardent instinct de survie et se tortillait de plus belle sur sa chaise pour tester la solidité des menottes qui l’entravaient. Evidemment, il n’espérait pas s’en défaire aussi facilement mais s’ils ne parvenaient pas à mettre la main sur un moyen de les désactiver, alors ils devraient peut-être songer à s’enfuir avec. Ce qui n’était pas pour lui plaire. Il en avait assez des menottes. Pire, il ne voulait plus donner cet avantage à Esteban quand ils rentreraient. Parce qu’ils allaient rentrer non ?
« Ça vient ?! Merde. Attends. Décris-moi ce que tu vois sur les menottes, une référence ou je ne sais quoi ? »
La mémoire lui revenait. Ces nouveaux modèles répondaient effectivement aux empreintes digitales de leur propriétaire via une programmation informatique mais il existait cependant un déverrouillage de sécurité au cas où la personne venait à décéder subitement en mission. Au prix de quelques manipulations, on pouvait inscrire le code de sécurité visant à déverrouiller les menottes. Celui-ci était généralement le même pour chacun des modèles, changeant uniquement lors de chacune des sorties des nouveaux modèles sur le marché et ce, à moins qu’on ne change le code manuellement avant l’utilisation des menottes. Toutefois, rares étaient les individus à s’y risquer, par fainéantise ou par crainte d’abîmer leur précieux jouet. Et quelque chose disait au russe que Phil faisait très probablement partie de ceux-là. Malheureusement, il avait besoin de connaître les références précises des menottes en question avant de fouiller dans sa mémoire. Il y a quelques mois de cela, Sulkan se rappelait avoir pira- consulté le site officiel du fabricant. La liste des codes passait devant ses yeux et il s’efforçait de se les rappeler en détails, attendant la réponse du légiste.
« Fais un effort ! Il doit bien y voir une succession de chiffres ou de lettres quelque part ! Regarde mieux. Bon, très bien. Alors maintenant, cherche moi un symbole pour une partie sécurisée, genre, un cadenas ou une clé. Me demande pas ce que ça peut être je ne peux pas les voir bon sang ! »
L’urgence de la situation les faisait interagir entre eux avec un naturel plus qu’étrange mais le garçon ne le releva même pas, bien trop préoccupé comme il était par le retour imminent des miliciens. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand Esteban lui annonça finalement avoir trouvé quelque chose. La surface tactile des menottes lui proposait d’inscrire un code. Le jeune hacker ferma les yeux, puisant dans les souvenirs visuels qu’il avait de ce site. Trouver la référence. Elle devait bien être listée quelque part. Sa consultation ne remontait qu’à quelques mois auparavant, impossible donc de tomber sur un modèle trop ancien pour y être encore répertorié et commercialisé. Simplement. Se calmer. Inspirer. Sulkan ouvrit les yeux :
« GE702PC. »
Les secondes qui suivirent furent très probablement les plus longues de son existence. Il pouvait entendre son rythme cardiaque résonner dans ses oreilles. Et s’il s’était trompé ? Et si Esteban commettait une erreur dans la saisie du code ? Celui-ci allait-il se verrouillé pour de bon, les condamnant tous les deux ? Un bip retentit dans son dos et la pression autour de ses poignets disparut d’un coup. Le russe ne perdit pas de temps et porta ses mains devant ses yeux pour inspecter puis contempler ses poignets libérés de toute entrave. Ceux-ci connaissaient un peu trop la captivité au cours de ces derniers mois à son goût. Sulkan bondit sur ses pieds puis se retourna vers son sauveur. Leurs regards s’ accrochèrent et bien qu’il ne trouva pas les mots pour le remercier d’être revenu, le garçon savait que ses iris exprimaient à leur manière sa gratitude silencieuse.
« Tirons-nous de là. » lâcha-t-il simplement avant de se diriger vers le bouton d’activation de la porte du van.
Par chance, celle-ci n’avait pas été verrouillée de l’extérieur par le milicien. Un rapide coup d’œil de chaque côté leur permit de s’assurer que la voie était libre. Des éclats de voix retentissaient un peu plus loin, preuve que l’agent Hamthrew n’en avait pas fini avec la population de l’Entre-Deux. Certainement que l’arrivée de son collègue allait changer la donne, aussi, mieux valait qu’ils ne traînent pas. Inutile de se risquer à emprunter le chemin le plus court vers l’appartement d’Esteban en se dirigeant vers la source du bruit environnant. Les deux complices choisirent de faire un détour par l’une des ruelles adjacentes afin d’éviter de tomber nez-à-nez avec leurs poursuivants. Leur progression fut ralentie par l’obscurité d’autant plus que le légiste se garda bien d’allumer sa lampe de torche, laquelle rendrait leur position bien trop évidente pour les miliciens. L’Entre-Deux n’avait jamais été un quartier accueillant sauf peut-être, pour ses occupants de longue date. A présent que la totalité de l’endroit était plongé dans les ténèbres, Sulkan prenait conscience de leur dépendance à tous à l’électricité. Sans elle, impossible d’entreprendre quoique ce soit à la nuit tombée. Ce luxe dont ils avaient perdu le sens pour en bénéficier à longueur de temps, révélait toute sa nécessité dès lors qu’on les en privait. Le russe réprima un frisson en imaginant ce que devait vivre ceux et celles résidant actuellement dans des quartiers bien plus modernes. Combien étaient-ils à s’être retrouvés bloqués chez eux, faute de pouvoir ouvrir leur porte d’entrée à l’aide de leur passe magnétique ? Pas étonnant que le Gouvernement ait dépêché la Milice sur place. La silhouette de l’immeuble où se trouvait l’appartement d’Esteban se dessina bientôt dans le ciel étoilé. Sa vue arracha un soupir de soulagement au garçon. Ils étaient bien loin d’être complètement hors de danger, surtout après que le légiste se soit publiquement affiché en compagnie d’un Evolve recherché mais la perspective de retrouver un semblant de sécurité entre les murs de cet appartement, même modeste, lui apparaissait comme suffisant pour le moment. Encore quelques marches et ils atteignirent leur étage. A tâtons, leurs doigts effleurant la surface irrégulière des murs extérieurs de l’immeuble, ils ne tardèrent pas à pousser la porte de l’appartement d’Esteban. A l’intérieur, l’obscurité régnait toujours, se faisant même plus dense à présent que la pâle lueur des étoiles ne filtrait plus. Il perçut plus qu’il ne vit le mouvement de la porte se refermer dans son dos et la mémoire lui revint alors brutalement à l’esprit. Cette impression de déjà-vu qu’il avait ressentie face à Phil dans le van. Il avait en effet déjà entendu quelqu’un prononcer ce nom de Rothgrüber avec la même intonation grave et autoritaire que l’on reconnaissait aux miliciens. C’était ici même. Plusieurs mois auparavant. Après qu’Esteban ait tenté de le forcer à prendre un bain. Ses cris avaient alerté un voisin qui avait cru bon d’appeler la Milice. Sous l’effet de la panique décuplée à l’idée de se faire attraper si bêtement, le russe n’avait pas été assez attentif, plus soucieux de masquer son rythme cardiaque tellement il craignait qu’on ne le découvre uniquement à cause de ça, qu’autre chose. Mais à présent, il se rappelait très nettement le nom qui avait été annoncé par la Milice avant qu’Esteban ne leur ouvre. Rothgrüber. Lentement, il se retourna pour faire face au légiste, ce dernier ayant rallumé la lampe de torche afin de leur éviter de se blesser dans l’appartement.
« Toi… C’est toi… La raison pour laquelle tu as son sourire… »
Pourquoi ne l’avait-il pas compris plus tôt ? Etait-ce parce qu’il s’était efforcé d’oublier les minutes d’horreur passées dans ce wagon abandonnée dans l’espoir de reprendre un jour une vie normale, dénuée de phobies ? Sulkan fit un premier pas en arrière, bientôt suivi d’un deuxième. Ici, il était en danger. Sa progression à reculons l’amena à rencontre l’un des meubles de la cuisine et ses doigts d’activèrent aussitôt à dénicher n’importe quoi qui puisse lui servir d’arme. Un couteau ferait l’affaire.
« Ne t’approche pas de moi ! » hurla-t-il alors qu’il voyait Esteban faire un pas dans sa direction.
Par moment, il se maudissait d’être aussi stupide pour un prétendu petit génie de l’informatique. A quoi cela servait de pirater n’importe quel site sécurisé quand on n’était même pas fichu de remarquer le lien de parenté entre deux individus ? Sa prise s’affirma sur le manche du couteau alors qu’il s’efforçait de calmer les battements de son cœur affolé.
« Tu es avec eux. Toutes ces expériences, tu n’avais pas l’intention de trouver un remède, tu voulais juste un cobaye pour t’amuser. Tu es comme lui. Ses putains d’oreilles le prouvent ! » L’intonation de sa voix était monté dans les aigües et il se reprit. « Depuis le début, tu le savais. L’identité du connard qui m’a fait ça. Mais tu ne m’as jamais posé la question. Maintenant je comprends pourquoi. Quand avais-tu l’intention de me livrer à lui hein ? Quand tu te serais lassé de tes petites expériences ? Je ne te laisserai pas faire, ça non. Je ne veux pas mourir entre les mains de ce malade. »
Marquant une pause, il jeta un regard nerveux en direction de ce qu’il supposait être la porte de la chambre.
« Je vais partir d’ici. Et tu ne m’en empêcheras pas. » finit-il par cracher avec haine.
Dehors, la Milice rôdait. Il en avait conscience car tous deux venaient d’en faire les frais. Une existence de fugitif l’attendait, celle d’une vie de tous les dangers, à devoir constamment surveiller ses arrières. Seul. Mais il préférait cette vie à celle d’un rat de laboratoire existant simplement pour assouvir les fantasmes de scientifiques fous. Et dire qu’il avait cru en cet homme…
| | | Esteban Rothgrüberevolve studies
18.08.18 15:27 Esteban avait toujours mis un point d'honneur à tout séparer et à tout ranger dans des petites cases. Tout était parfait, tout avait sa place. Il suivait scrupuleusement les règles et veillait à ne pas faire trop de vagues. Sa famille était déjà suffisamment barrée pour qu'il en remette une couche, entre les jumeaux et Phear. Cependant, en cet instant, le légiste avait envie d'en faire, des vagues. Il vit avec une lenteur étrange la main du milicien s'approcher dangereusement de la tête de Sulkan. Ces doigts potelés se dirigeaient vers les attributs félins qui se trouvaient parmi ses cheveux noir de jais. Non. Phil allait toucher ses poils soyeux. Il allait y mettre ses empreintes pleines de sueurs et de gras. Il allait le souiller. Même s'il était posé nonchalamment contre une des étagères du van, à l'intérieur, une vague de rage grimpait en lui. Ses doigts se resserrèrent sur son bras en même temps que les doigts du milicen capturait l'une des oreilles de Sulkan. À la première plainte, il retint sa respiration. Au regard plein de haine de l'evolve, Esteban eut un frisson qui le fit respirer de nouveau. Ces yeux défiants étaient magnifiques, comme ceux de cette première soirée qu'ils avaient partagée, comme ceux de la première expérience. Oui, c'était de vraies oreilles, c'était un malencontreux changement de gènes, et le légiste voulait étudier plus sérieusement cette mutation nouvelle qui semblait ne pas entrer en conflit avec sa mutation d'evolve. Temporairement fier de cette réflexion, le scientifique se reprit avant que Phil ne retourner tripoter avec violence les oreilles de son cobaye.
L'autre taré. Rothgrüber. Esteban avait le regard fixé sur le milicien. Ce dernier ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il faisait, si ? Il voulait comprendre l'obsession de Phear pour cet evolve ? Il venait d'en avoir un aperçu. Sa haine, sa rage, sa soif de vie et de justice. Voilà ce qui excitait les sens et avait fait battre le cœur de Phear. Il ne fallait pas chercher bien loin. Sulkan n'était pas homme, n'était pas evolve, à se laisser sagement faire. Et il n'avait pas seulement charmé les sens du Chasseur de la Milice à cause de son caractère rebelle... Il avait aussi séduit l'esprit scientifique du cousin de celui-ci. Plus que jamais Esteban comprenait l'obsession qui animait son cadet. Mais maintenant, il devrait lui céder Sulkan, au nom de la Science. Car à Madison, Esteban estimait qu'il aurait plus gain de cause à ce que l'evolve reste avec lui, que Phear n'aurait de chance de le garder pour entretenir ses lames et ses envies morbides. Avec quelques aveux de la part de son cousin et moyennant quelques avantages avec quelques hauts responsables de la Milice, le légiste pourrait faire pression et garder légalement Sulkan chez lui. Encore fallait-il qu'ils en arrivent à ce stade-là... Le fait même d'assister à cette scène l'énervait fortement. En tant que scientifique, mais aussi en tant qu'homme. Jusqu'à présent, il n'avait jamais assisté directement à de la maltraitance envers un autre humain -excepté lors de cette fois-là, lors de ses années de médecine-, juste à constater les causes de la mort, à faire des rapports qui prenaient la poussière dans des boîtes du service des archives des postes de la Milice. D'ordinaire, il aurait assisté pénard à cette bastonnade, se mettant grandement à distance et réfléchissant à certaines hypothèses scientifiques qui se développaient dans son esprit, mais il était devenu, dans une certaine mesure, proche de Sulkan. Et il ne voulait pas qu'un autre le fasse souffrir et ne l'abîme. Mais c'était sans connaître l'evolve au vocabulaire bien coloré qui cracha sa haine à Phil, comme on cracherait par terre ; ce qui arracha à Esteban un sourire en coin. Là il le reconnaissait plus que dans son gémissement plaintif.
Mais assez parlé. Pour le brun, il était temps que tout cela cesse et qu'il rentre chez lui avec son cobaye... Et pour cela, il fit la chose la moins raisonnable et raisonné : il frappa dans la chaise du milicien. Alors que son esprit rationnel hurlait qu’il devait s’arrêter, que ce qu’il venait de faire était grave et que ça allait lui apporter de gros ennuis, Esteban se dit « Plus tard ». Il aurait tout le temps plus tard de repenser à ce geste insensé qu’il venait de faire. Afin de préserver son expérience et sa parole, il devait d’abord libérer Sulkan. Et se demander plus tard ce qu’il devrait faire. Accroupi derrière le russe, il inspecta les menottes avec un calme qui aurait pu surprendre n’importe qui… Et qui surprenait le milicien. Phil n’avait plus que sa surprise et son langage grossier pour manifester son mépris et sa colère. Et franchement, ses mots passaient au-dessus de la tête d’Esteban. Bien sûr, il aurait pu revenir à la raison et l’écouter en s’éloignant sagement de l’evolve et en lui offrant ses plus plates excuses, affirmant que oui, il avait été embobiné, même s’ils n’avaient pas couché ensembles. Il l’ignora quelques secondes pour solliciter les neurones d’informaticiens qui étaient présentes dans la caboche de Sulkan, puis en attendant que celui-ci trouve une meilleure solution que celle qu’il lui avait proposé, se pencha sur le côté pour planter un regard blasé et « cause toujours, tu m’intéresses » dans celui de Phil.
« Dois-je comprendre que toute votre frustration vient d’une jalousie acerbe et mal placée ainsi que de plusieurs refus d’evolves concernant une union charnelle entre ces individus et votre personne ? Ce qui permettrait d’expliquer cette vulgaire envie de « baiser » des evolves. Vous rabaissez vos fonctions en ayant envie de coucher avec de tels individus. » dit-il sans exagérer son dégoût pour l’être d’autorité qu’il essayait d’incarner. De lui balancer ces quelques mots, Esteban se sentait mieux. Il ne l’aurait jamais cru d’ailleurs. « D’ailleurs, vous vous rendez ridicule à agiter ce taser devant un scientifique d’état et un evolve dont le pouvoir, comme vous l’avez dit, n’est pas menaçant. Je suis sûr que vos supérieurs seront ravis du magnifique écart de conduite d’un inconnu et inutile milicien. ». Bon. Maintenant, il devait vraiment s’arrêter de le provoquer. D’une, parce qu’il risquait de le pousser à agir plus héroïquement. De deux, parce que Sulkan venait de lui répondre. Son idée première n’était pas mauvaise, il suffisait juste d’essayer. Esteban se pencha de nouveau pour regarder Phil, sourcils froncés. Ce dernier avait essuyé suffisamment de remarquer pour qu’il reste totalement calme. Il n’était plus que remarques humiliantes sur leur condition et l’avenir de leur virginité anale lorsqu’ils seraient enfermés dans la pire prison du pays. Cependant, le légiste était concentré sur autre chose que ces insultes, à savoir le meilleur moyen de récupérer ce taser, idéalement sans trop de violence. Alors qu’il s’imaginait en train de combattre le milicien, il perçut un changement dans la respiration de Sulkan. Son regard se reporta sur le visage du russe et il le fixa avec curiosité. Il leur faisait quoi là ? Il ne fallut que quelques secondes et un bref regard sur la face de plus en plus déconfite de Phil pour que le légiste percute. Ce que son petit evolve était intelligent ! Il poussa son index et son majeur contre la gorge de Sulkan pour en prendre le pouls avant de se redresser et de se mettre devant lui pour lui soulever les paupières et inspecter ses pupilles.
« Hé ! Il fait quoi là ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi il est comme ça ? J’ai rien fait ! Vous êtes témoin, je ne l’ai pas touché ! – Au contraire. Son pouls bat anormalement vite. Ses pupilles sont dilatées. Il est en train de faire un malaise cardiaque dû à ce coup monté et à votre absence de bienveillance envers un habitant de Madison, indépendamment de la nature de ses gènes. En tant que médecin, s’il décède dans ce van, je témoignerai pour juger de votre agressivité et de votre caractère à refuser d’assister une personne en danger. Vous risquez votre carrière ainsi que votre liberté. Libérer sur le champ cet homme que je puisse le soigner ou je vous jure que vous aurez de très gros problèmes. »
Esteban continua d’inspecter le russe. Ces points de contrôles, outre renforcer leur formidable jeu d’acteur, permettait au biélorusse de juger effectivement de l’état émotionnel de son cobaye. Si jamais ce dernier, en feignant un malaise, se mettait à faire une réelle crise, ça n’allait pas les aider à s’enfuir. D’autant plus que le traitement était resté dans le bureau de son appartement.
« Je vais avoir du mal à bouger étant donné que c’est mon devoir d’assister une personne en danger, contrairement à vous. Par tous les dieux, faite votre travail et amenez-nous à l’hôpital. » répondit le scientifique avec agacement.
Il savait qu’étant donné le grade de Phil, il ne pouvait prendre des décisions tout seul et qu’il était obligé d’avoir l’aval de la petite Hamthrew. Aval qui serait compliqué à obtenir, car les habitants de l’Entre-Deux semblaient continuer à lui mener la vie dure. Le milicien les quitta, le visage pâle et avec le claquement sec de la portière du van. Enfin seuls ! Mais ce n’était pas encore le moment de crier victoire. Il ôta ses mains du corps de Sulkan et commença à fouiller littéralement tous les tiroirs et tous les placards. C’était un bordel monstre là-dedans et il cru ne jamais pouvoir trouver l’objet qu’il cherchait : un taser. Pour sûr, il trouva bien d’autres choses. Une trousse de premiers secours, une mallette de seringues pour endiguer la contamination d’un evolve vers un individu « sain », beaucoup de tranquillisants. Il referma ce tiroir et en ouvrit un autre, exclusivement consacré au stockage de balles en plastiques, visant à tirer pour neutraliser et non pas pour tuer : Esteban hésita à en prendre, se disant que c’est ce que Phear devrait utiliser plutôt que sa méthode barbare. Qui plus est, le résultat était le même, car le fugitif était marqué… Certes moins longtemps… D’un coup de hanche, il referma ce tiroir et ouvrit un placard ou une multitude d’armes étaient rangées, sans pour autant qu’il n’y ait de taser. Le légiste continua sa fouille, perdant de plus en plus espoir de trouver ce sésame.
« A moins de tirer sur les menottes avec des balles ou te ramener menotté avec la chaise, ça ne vient pas, non ! » répondit-il avec le même agacement et la même hâte que Sulkan.
Il claqua un autre tiroir puis revint pour examiner les menottes. C’était écrit si petit qu’il dû presque coller son nez sur les menottes pour pouvoir lire quelque chose. Son visage si près des mains du russe, il aurait pu se sentir mal à l’aise ou même se faire agresser par Sulkan, quand bien même ce n’était pas le meilleur moyen pour lui de s’échapper d’ici. Une référence… Des chiffres… Quelque chose d’écrit… Le ton pressant de son compère composé à un-quart de gènes de chat commençait sérieusement à lui porter sur les nerfs. Déjà, il venait une nouvelle fois de venir à sa rescousse et puis il était en train d’essayer encore une fois de lui sauver les miches… Certes, même si c’était pour mieux l’étudier par la suite.
« Je ne vois rien… Ils écrivent encore plus petit que les composants chimiques des boîtes de médicaments ou les petites lettres en bas des contrats... » dit-il en claquant sa langue sur son palais. Cependant, il continua de chercher et finit par trouver. « Choisis entre un cadenas ou une clé ! C’est toi le professionnel de l'informatique et des trucs comme ça ! Jamais j’ai touché ça ! Je connais pas ces modèles ! » Et pour cause, les seules menottes qu’il avait eu entre les mains avaient été celles de son cousin et ce dernier, dans une volonté vintage ou rétrograde, continuait d’utiliser des modèles vieux de plusieurs siècles. « Ça y est ! C’est une clé. » cria-t-il, à moitié contorsionné, la tête en bas. Les codes avaient été mis vers le sol et ça avait été la croix et la bannière pour les trouver.
Quand bien même ils avaient partagé des moments intenses, aucuns n’avaient été aussi stressant pour le légiste. Leur avenir en dépendant, que ce soit celui de Sulkan qui pouvait être pucé et confié à Phear, ou le sien ou ce serait un choix entre la prison pour une amande très salée et l’interdiction d’exercer. Un long silence suivit sa trouvaille et Esteban patienta pour avoir de nouvelles instructions. Il ne savait pas ce qu’était en train de faire son collaborateur de fortune, mais il mit à profit ce temps pour observer et mémoriser ce modèle de menottes, et avec quels matériaux elles avaient été fabriquées, tout ça pour essayer de mettre au point un agent corrosif qui pourraient faciliter une potentielle situation similaire future, qu’il n’espérait sincèrement pas. Un code retentit enfin, franchissant les lèvres sèches de l’evolve. Avec la pointe d’un stylo qu’il avait trouvé dans un des tiroirs, le biélorusse tapa chaque élément du code. G… E… 7… 0… 2… P… C… Et puis ce fut l’attente. Longue et stressante. Pour la première fois, Esteban douta de ce qu’il venait de faire. Il ne remettait pas en doute le code qui lui avait été donné, mais si la pointe du stylo avait bien prit en compte le symbole… S’il avait appuyé sur les bons… Si il avait appuyé suffisamment fort… Il déglutit et sursauta en entendant un « bip » discret puis en voyant les menottes frôler la monture de ses lunettes. Elles tombèrent par terre, sur le métal du van, et le bruit qu’elles firent eut raison de sa stabilité émotionnelle. Le légiste eut l’impression que c’était très bruyant et que tout le quartier l’avait entendu et avait comprit qu’il venait d’aider un fugitif à échapper à la Milice… Encore. Il se releva et vola de quoi se défendre en sortant : une arme qu’il chargea des balles qu’il avait trouvés dans l’un des tiroirs. Puis il emboîta le pas de Sulkan et sorti dans la pénombre de la rue.
Le légiste était sur ses gardes. Lorsque Phil était sorti, ni lui, ni le russe, ne savaient ce qu’il avait bien pu faire. Le milicien avait très bien pu contacter une autre brigade, contacté Phear, avant d’aller retrouver sa collègue. Sauf que la moitié de la rue les encerclait et ils avaient une peine immense à contenir tout le monde… Phil n’arrivait même pas à atteindre l’agent Hamthrew ; ils avaient un peu de répit pour rentrer et se barricader là-haut. Consciencieux, Esteban remit la capuche de son cobaye sur sa tête, puis, un bras jeté nonchalamment posé autour de ses épaules, ils marchèrent le plus naturellement possible pour se fondre dans la masse. Être décontracté, ne pas trottiner, ne pas montrer qu’ils étaient sur leurs gardes. A quelques reprises, Esteban s’était arrêté et avait échangé quelques mots avec quelques personnes trop ivres ou trop vieilles pour se rappeler d’eux. Mais ce stratagème leur permettait de paraître encore moins suspects.
Pénétrer dans le bâtiment et monter à son étage se révéla plus compliqué qu’il ne l’aurait prévu. Les deux hommes devaient faire sans luminosité, et, les yeux écarquillés pour capter la moindre source de lumière aussi infime soit-elle, ils montèrent à pas d’escargots puis entrèrent dans son salon. Avec lenteur, il referma la porte de chez lui. Ils étaient enfin de retour au bercail dans une sécurité toute relative. Pourtant, le légiste se permit un soupir de soulagement avant de se frotter le visage. Trop de stress. C’était pas bon pour son cœur de scientifique peinard. Il ralluma enfin sa lampe torche qu’il se garda bien d’approcher d’une quelconque fenêtre ; il ne manquait plus qu’ils se fassent une nouvelle fois gauler. C’est ainsi qu’il put voir le visage blême de Sulkan et ses yeux pleins de peur.
« De quoi tu parles ? Tu parles du sourire de qui ? »
Clairement, ce n’était pas la meilleure défense à adopter. Se foutre de sa gueule en feignant de comprendre de qui il parlait, franchement Esteban, y avait mieux. Le russe avait compris. De toute façon, il le savait, ce n’était qu’une question de temps avant que ça fasse écho dans son esprit. Après tout, il ne s’était jamais caché, ni son identité, ni d’où il venait, ni ses intentions. Sulkan ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Il n’avait pas menti. Juste omit quelques détails qui lui paraissait alors sans importance pour la stabilité émotionnelle de l’evolve. Ce dernier commença à reculer doucement, allant dans la cuisine. Et bien évidemment, le scientifique aurait pu rester derrière la porte d’entrée, mais il avait décidé d’avancer aussi lentement pour essayer de l’apaiser. Les mains en avant, à la hauteur de ses hanches, les paumes vers le bas.
« Je n’ai qu’un lien de famille avec lui. Je ne partage pas sa démence, ni sa passion de blesser ou de marquer à vie quelqu’un. »
Est-ce lui dire cela apaiserait Sulkan ou bien attiserait la colère sourde qui était en train de naître dans son petit corps. Avec toute cette tension et cette nervosité, ce n’était bon ni pour son foi, ni pour son cœur. Allons bon, voilà qu’il se souciait de ces choses-là ! Une réflexion traversa son esprit : si le gamin lui tapait une crise et qu’il voulait se barrer, au moins, il ne serait plus dans la merde. Certes, il perdrait un support anatomique de choix, mais entre ça et revivre dans la défiance, le choix pouvait être vite fait… D’autant plus que le couteau qui se trouvait entre eux était un argument parfait pour aller dans ce sens. Il s’arrêta d’avancer et ses bras revinrent le long de son corps. Ce qu’il avait envie d’attraper une sucette à la cerise, de les caler entre ses dents et de la croquer sans ménagement pour calmer l’agacement qui était en train de prendre de plus en plus de place en lui. Un ricanement suivit les charges de Sulkan.
« Eux ? Je fais partie du département d’étude des evolves en tant que légiste. Je reçois les corps des evolves et je les étudie pour déterminer la cause de leur mort, si elle a été provoquée ou non par la Milice, et pour étudier leur gène pour justifier ou non le geste de la personne qui les a tués dans le cas où c’est un meurtre. En ça, je ne t’ai pas menti. Ta présence et les expériences, elles sont réelles. J’ai toujours voulu travailler sur un evolve vivant. Comprendre comment évolue le gène, comment il prend part et en le comprenant voir s’il est possible de le supprimer de l’organisme ou tout du moins de le modifier pour qu’il soit présent mais mort. Et les oreilles, c’est un accident ! Je le jure ! » dit-il avec calme. « En revanche, si en parlant de Lui, tu parles de ce membre de ma famille, alors non. On n’est pas pareil. Je ne souhaite la souffrance ni la mort de personne. ». Curieusement, cette montée dans les aiguës lui fit un peu de peine. « Je ne comptais pas te livrer à lui. On a besoin l’un de l’autre. Je me suis engagé à te soigner, et je compte le faire sans te livrer à lui. Phear ne va que te torturer jusqu’à ce que tu sois au bord de la mort. Jusqu’à ce que tu le supplies de te tuer. Et après il t’abandonnera. Tu es plus en sécurité ici avec moi. Je peux te protéger de lui tout en trouvant une solution de soin pour ton gène. ».
Esteban avait la sensation que peu importe ce qu’il dirait, l’evolve ne le croirait pas. Il était déterminé à partir, à vivre une vie solitaire dans les rues dangereuses et pleine de psychopathes de Madison. Perdre un si bon élément, ça lui crevait le cœur.
« Tu as toujours été libre de partir. Mais je persiste à dire que tu es plus en sécurité ici, sous ma protection. » dit-il avant de se crisper.
Trois grands coups venaient de retentir dans le salon. La porte en avait vibré d’intensité. Était-ce les deux agents de tout à l’heure ? Ils s’étaient enfin débarrassé des habitants ? Impossible. La tension était-elle qu’ils ne pourraient calmer tout le monde qu’avec d’autres brigades… Seraient-ce ces dernières ?! Esteban pesta.
« Sulkan, fait moi confiance. T’ai-je jamais trahi jusqu’à présent ? J’aurais pu te livrer la dernière fois, lorsque la Milice est venue. Je ne l’ai pas fait. Laisse-moi gérer ça en restant ici. On en parlera au calme après. S’il te plaît. »
De nouveaux coups retentirent, plus impatients que les premiers.
« Y a quelqu’un dans ce taudis ?! Esté ?! »
La voix qu’entendit le légiste lui fit fermer les yeux de désespoir. C’était définitivement une soirée de merde. Mais alors vraiment.
« File te planquer Sulkan. Si tu tiens à ta liberté toute relative. » dit-il avec sérieux. | | | Phear I. Rothgrübereraser
18.08.18 15:29 « Y a quelqu’un dans ce taudis ?! Esté ?! »
Tu te met à tambouriner comme un fou à la porte, soldat. T’es qui pour faire ça ? Un Eraser. La crème de la crème. Le plus compétent et le moins apte à ne pas faire couler un peu de sang. Mais pour ce type que t’appelle par un sobriquet ridicule, t’es qui ? Son cousin. Ouais. Vous partagez le même sang. Du sang dilué, mais le même sang. Vos parternels étaient frères. Le tien était le plus jeune et le plus salaud, mais quand t’étais môme, tu l’savais pas. C’que tu savais en revanche, c’était que ce grand dadet silencieux et ténébreux, tu l’adorais en silence. Tu l’respectais. C’est le seul qui était là pour toi. Tes autres cousins, les jumeaux, ils étaient toujours collés l’un à l’autre. De vrais chewing-gums. T’avais envie de les taper, de les séparer et de compter combien de temps ils allaient tenir sans supplier d’être de nouveau unis à son autre. T’es blasé soldat et t’as cet étrange besoin de voir la face d’un visage familier. En l’occurrence celui de ton demi-frère de sang. Faut que t’apaise ta la rage, celle qui rode sous ton épiderme depuis cette putain de journée d’avril. Depuis cette descente dans le métro. Depuis ta chasse à l’evolve. Ce petit con, t’avais plus que jamais envie de lui faire la peau. De le retrouver, de l’enfermer, et de lui faire toutes les misères du monde. T’en a fait une liste. Elle est dans la poche de ta veste. Sur ta gauche. Sur ton cœur.
On rembobine.
Dans la camionnette de ta nouvelle brigade, tu fermes les yeux. Parce que ouais, à cause de ce Sulkan Zaslavski, t’as été officiellement rétrogradé et affecté à une brigade de simples miliciens. Toi. Rétrogradé. Tes supérieurs te l’avaient annoncé avec un sourire défiant toute joie. Ils étaient ravis de te voir quitter leurs rangs, de ne plus avoir à géré tes conneries. Tes collègues ? Ils s’étaient ouvertement foutus de ta gueule alors que tu vidais ton casier minable. D’autre même prenaient un malin plaisir à parler haut et fort de leur mission du jour, de leur descente dans un squatte d’evolve et du carnage qu’ils allaient pouvoir faire. Eux. Pas Toi. Mais c’était pas grave. Tu fourrais toutes tes armes dans un carton miteux en sachant pertinemment qu’officieusement, on t’avait donné une autre tâche. Une tâche bien plus enrichissante et à la hauteur de tes compétences. Et c’était pas ces porcs de chefs qui pourraient aller à l’encontre de ces ordres-là. Le type qui était venu te rencontrer avait le bras long, comme ils disent, et il t’avais donné des accréditations à la pelle ; elles étaient dans les poches de droites de ta veste kaki. Tu sentais leur douce chaleur sur la peau de ton torse. Dans la camionnette de ta nouvelle brigade, t’as les yeux fermés. Tu te refais la liste de toutes les horreurs que tu feras à l’evolve qui officiellement a ruiné ta carrière, mais qui officieusement, t’avais ouvert des portes bien plus intéressantes. Les premières tortures mentales. Les tortures physiques. T’insinuer un peu plus dans son esprit. Pénétrer son âme avant que tes jouets ne pénètrent sa chair. Tu te rappelais de ses cris. De ses insultes. De son regard ardent. De la chaleur de sa peau. De son petit cœur qui jouait les montagnes russes. Et de sa respiration rauque. Un violent frisson te parcours l’échine. T’as envie de le retrouver. De l’enfermer. Et de passer des nuits torrides avec ce rat de métro.
Le van freine brusquement et l’avant du véhicule vient percuter l’arrière d’une bagnole. Ton conducteur avait beau eu freiné, rien n’avait pu empêcher la collision.
« C’est quoi ce délire ?! Tu sais plus conduire ou quoi ?! J-je sais pas. Il fait tout noir ! Mais t’es con ou quoi ? Bien sûr qu’il fait tout noir ! Il est 21h ! » que tu lui craches à la gueule.
Tu sens quelque chose rouler le long de ta tempe et tu pose tes doigts dessus. Tu crois halluciner en sentant le bout de ton index et de ton majeur. C’est une odeur que tu connais bien. Une odeur de fer. Tu saignes. En même temps, t’avais la tête posée contre la fenêtre de la portière et la percussion entre les deux véhicules avaient ouvert ton arcade sourcilière. Le type avait freiné et tu t’étais cogné contre la taule du van. Tu pestes et tu sors de cette boîte de conserve, et là, tu crois que le choc à ta tête était plus violent que ce que tu pensais. Et pourtant, t’as la tête dure. Madison est plongée dans le noir. Pas une lumière n’illumine les rues. Les lampadaires sont K.O. à tel point que tu te demandes soudain à quoi ils servent. Tu lèves la tête et tu vois que dans les appartements, c’est la même. Pas de carrés lumineux… L’obscurité avait gagné la ville. Rapidement, le calme de la rue et le silence surprit se brisent pour des hurlements d’angoisse et des conversations animées. Les gens ont peur. Ils n’ont pas l’habitude de ne pas vivre sans électricité. Ils sont faibles. Tu respires un bon coup et tu souris. L’odeur de la peur et de l’angoisse, l’intensité de la panique vibrant l’air… Ca te stimule et ta petite colère d’il y a quelques secondes s’éteint très vite. Perdus, tes nouveaux collègues viennent te voir. T’es un peu leur phare dans ce merdier. « Phear, qu’est-ce qu’on fait ? Vous, j’sais pas. Mais moi, je vais chasser. –Cha-quoi ?! C’est pas le moment ! T’es plus un Eraser ! Faut que tu nous aides à- »
La radio coupa la chique à celui qui avait réussi à te taper sur les nerfs en moins de deux. Le poste central annonçait à toutes les brigades qui étaient de sortie, la coupure générale d’électricité et ce que chaque brigade devait faire : rassurer les habitants et les empêcher de paniquer. Même les Erasers avaient été mis sur le coup ; et ça, ça te fait claquer ta langue sur le palais. Si même ta race était mobilisée pour ces gueux…
« Allez bosser. Je garde le van. - Mais ? Quoi ?! - Les rebelles vont saisir cette chance pour s’emparer de tout not’matériel pour leur cause minable. Si t’es attaqué par une dizaine d’evolve en furie, tu peux défendre le van ? –Nan. - C’est bien ce que je pensais. Alors va rassurer les toutous du maire. Je garde le van. »
Il n’en fallut pas plus à tes collègues pour abandonner toute conversation ou tout argument et te laisser tout seul. De la poche de ton fut’, tu sors un paquet de clopes et ton briquet. Qu’est-ce que tu peux faire d’autre hormis t’en griller une en attendant que les autres fassent leur travail. Tu portes ta clope aux lèvres et à peine t’arrives au mégot que la radio du van annonce une nouvelle inespérée. D’un bond, tu saute sur le siège passager avant et tu décroches.
« Ici l’agent Rothgrüber. Répétez c’que vous v’nez de dire ? – Un evolve recherché a été arrêté dans l’Entre-Deux. Dans la neuvième rue. Il s’agit de- »
Pas besoin d’en entendre plus. Les poils de tes bras s‘étaient hérissés et tes lèvres étaient devenues sèches. T’as un sourire de gamin le jour de Noël, et pour cause, t’avais retrouvé la trace de cette pourriture. Une simple coupure de courant l’avait fait sortir de sa tanière. L’Entre-Deux était effectivement l’endroit parfait pour lui. Les gens se fichaient bien de qui erraient dans le dédale des rues ou de qui étaient leur voisin. Une solidarité de dingue régnait là-bas. Pas étonnant que t’avais pas réussi à le trouver. Tu choppes ton sac et tout ce que t’avais pu mettre dedans se retrouve dans tes poches, sur tes hanches. Katerina, elle, n’a pas bougé du creux de tes reins. Ton arme vient se lover contre ta cuisse droite tandis que le taser vient squatter à côté d’elle. Et puis tu te casses, en balançant dans la radio que tu vas retrouver la brigade qui détient l’evolve.
T’as mit quoi ? Moins de vingt minutes pour que le cuir de tes rangers foule le sol de ce quartier miteux ? Tu fais craquer ta nuque et tes phalanges. Y a un môme qui te regarde. L’air curieux sur son visage te laisse de marbre. Est-ce que c’est un evolve planqué aussi ? Tu souris et il a peur. En même temps, quand tes lèvres s’étirent de joie, soldat, tu ferais même flipper les officiers de Satan. D’un pas léger, tu cherches le van de la bande d’abrutis qui a eu l’audace de mettre la main sur ton evolve. Tu mets pas bien longtemps à les retrouver : t’as juste à suivre le tas de voix mécontentes, le brouhaha de protestations de ces pauvres en guenilles. Du coin de l’œil, tu vois un grand gaillard dont la face t’es inconnue mais qui ne masque pas sa colère, et une minette qui essaie de se montrer aussi diplomate et compréhensive que jamais. Des guignoles. Ils recrutent vraiment n’importe qui dans cette Milice. Le van est à quelques mètres et tu t’poses même pas la question. Tu te rends à l’arrière et là, t’hallucine. Le van est vide. VIDE. Le rat s’est fait la malle. Ou alors, c’était pas lui. Mais ça, t’y croyais pas. Tu veux en avoir le cœur net et tu fonces vers les deux nuls qui font mumuse avec les pauvres. Hey. soldat, pas la peine de dégager les civils avec autant de rage. Ils vont porter plainte pour agression. Tu t’en branles ? Okay. Continue de les attraper par le col de leurs t-shirts et de les tirer en arrière sans ménagement. Fonce vers l’armoire à glace que tu retournes sèchement. Tes yeux verts se plantent dans ces deux globes qui sortent de leurs cavités.
« Vous branlez quoi là?! » qu’il te dit en posant sa main sur ta gorge et en montrant sa poigne.
T’arque un sourcil. Il est sérieux, là ? Il est vraiment en train de t’attaquer ? Toi ? Tu sens sa poigne se resserrer. Il aime pas la façon dont tu le regardes. Cette manie naturelle que t’as de toiser, de juger, le tout sans rien dire. Tu poses ta main sur son poignet et ton pouce vient appuyer avec force dans le creux de celui-ci. Il grimace et il lâche prise. T’en profite pour lui tordre le bras et l’amener à terre. Les habitants se sont calmés, la minette te regarde avec des yeux de poupée de cire qui vient d’être abandonnée au soleil par 36°c.
« Tu me remets pas, mais je suis ton supérieur, vermine. T’as capturé un evolve. Nom : Sulkan Zaslavski. » Tu l’attrapes pas le col et tu ramènes sa face de looser près de la tienne. « Il n’est plus dans votre van de merde. Où tu l’as mit ? » Silence. « Si t’accouches pas fissa, j’te jure que c’est sur toi que je vais aiguiser Katerina. Magne-toi le derch’. »
Au contraire, Phil te remettait très bien. Ton air de fou, tes yeux de tueur… Le sang qui commence à sécher sur ta tempe renforce même ta réputation de psychopathe. Il bredouille, s’excuse et ne sais plus quoi dire. Tes yeux glissent sur la minette qui essaie tant bien que mal de reprendre ses esprits. Elle t’annonce qu’elle a un nom : Esteban Rothgrüber. Il a été vu avec cet individu qui a été emmené dans le van. Le seul individu à sa connaissance d’ailleurs. Tu fronces les sourcils et tu regardes le bâtiment où vit l’aîné que tu respectes. C’est pas… Possible. Pas lui. Il pouvait pas te faire ça. Tu relâches avec force l’armoire qui était à deux doigts de se pisser dessus et tu dégages, direction l’appart de ton cousin.
Qu’on se le dise, tu galères un peu à monter. Y a de la merde partout dans le hall et dans la cage d’escalier et y a pas une seule lumière. Mais tu montes quand même pour te planter devant chez lui. Tu tapes une fois. Rien. Deux fois. Toujours rien.
« Y a quelqu’un dans ce taudis ?! Esté ?! »
Tu te remets à tambouriner jusqu’à ce que ton poing finisse dans d’un corps, en l’occurrence celui de ton hôte.
« Tu viens de mettre ton poing dans mon épaule. »
La voix d’Esteban venait de briser le silence et tu fais un pas pour rentrer. Mais il bouge pas.
« Tu vas pas m’laisser sur le palier ? - Qu’est-ce que tu fous ici, Phear ? - J’passais dans l’coin et j’viens prendre de tes nouvelles. - Tu passes jamais dans le coin sans avoir besoin de quelque chose. La dernière fois, t’es venu pour des calmants. Qu’est-ce que tu veux ? » Esteban était intraitable. Sa voix posée ne laissait pas trahir qu’il avait été vu avec le rat que tu cherches depuis des mois. « Laisse-moi entrer. A moins que t’ai quelque chose à me cacher? » Et un soupire plus tard, il se pousse et tu peux aller poser ton royal derrière sur le canapé de son salon… Devenu bien crade. « On dirait que tu vis pas tout seul, Esté. Tu t’es trouvé une meuf à la hauteur des standards de la famille ? - J’ai pas mal bossé ces derniers temps et j’ai pas eu le temps de faire le ménage. Nous ne sommes pas aussi psychorigides que dans l’armée. Du moment que mon labo est impeccable, le reste peut attendre. Tu vas me répondre maintenant ? Pourquoi t’es dans l’Entre-Deux ? - Alors que je patrouillais, j’ai reçu un appel radio. La brigade qui est en bas de chez toi ce soir a retrouvé quelqu’un. Que je cherche. Je tiens beaucoup à cette personne et je veux la revoir. Tu sais où elle est ? - Dit-moi son nom pour commencer. - Sulkan Zaslavski. - Jamais vu ou entendu. - Pourtant, l’un des agents -la minette-, elle dit qu’elle t’a vu avec lui. Tu m’expliques ? Ce rat d’evolve m’a humilié et j’ai été rétrogradé. Bien sûr, rétrogradé officiellement. Je dois retrouver cette vermine pour mon honneur. - L’honneur de la Milice tu veux dire ? - Ouais aussi. Même si ce sont des trouffions qui s’humilient sans aide. - Alors c’est pour retrouver un evolve que tu ramènes tes fesses ici ? Tu perds ton temps. »
Tu marques une très longue pause. Puis tu te lèves en passant ta main dans tes reins. La lame de Katerina vient caresser le cuir de son étui en découvrant peu à peu l’obscurité de l’appartement.
« Ne m’oblige pas à le chercher moi-même, Esteban. Je le sens. Il est ici. Tu abrites un criminel. Si tu me le livres, je passerai sous silence que t’es un traître à Madison et que tu as menti à ton propre sang. » | | | 23.09.18 20:40 De longues secondes s’écoulèrent entre eux, comme des gouttes de plomb temporel. En dépit de la pénombre qui régnait dans l’appartement depuis la soudaine coupure de courant générale, Sulkan pouvait se représenter mentalement le visage de son hôte. Cette personne qui l’avait arraché à une mort sordide dans les rues de Madison pour le soigner, en vue d’étudier sa mutation en tant qu’Evolve. Il savait tout ça. Esteban l’avait une nouvelle fois surpris en intervenant en sa faveur dans le van de la Milice, risquant sa carrière par la même occasion. Le légiste n’était même pas certain d’être complètement tiré d’affaires puisque le duo chargé d’enquêter dans leur quartier avait obtenu son nom affilié au sien, un fugitif recherché. Non, son hôte avait risqué bien plus que son poste pour lui porter secours. Et en cela, l’esprit du russe ne parvenait pas à accepter l’horrible réalité. Cette personne ne pouvait pas avoir de lien de parenté avec le malade qui l’avait torturé gratuitement dans le métro. Ce ne pouvait pas être possible. L’espace d’un instant, Sulkan espéra. Il voulut croire qu’il se trompait, que le fruit de ses déductions était une erreur, le même nom de famille, une coïncidence. Il suppliait mentalement Esteban de le contredire sur ce point, le rassurant avec cette même voix dont il aurait reconnu le timbre parmi tant d’autres. Malheureusement pour lui, les premiers mots du légiste ruinèrent tous les espoirs qu’il avait vainement placé en ce dernier. Pire, son hôte se foutait ouvertement de lui en osant lui demander à qui le hacker pouvait bien faire référence. Comme s’il l’ignorait ! Esteban avait pourtant contemplé les dégâts causés par la personne en question. Le russe sentit ses épaules s’affaisser un peu plus. Le goût amer de la trahison. Depuis le début il savait. La colère supplanta doucement la déception. « T’es peut-être pas aussi dément que ce malade mais tu me vois aussi comme un cobaye. Dans le fond, vous êtes pareils ! »Par miracle, sa voix ne trembla pas sur la fin. Plus que la colère, Sulkan eut mal de l’admettre : pour ces deux individus, il n’était pas un simple humain, celui à qui on dirait bonjour en le croisant dans la rue. Il était passé de l’autre côté de la barrière. Celle des Evolves. Si le légiste disait vrai au sujet de son cousin, que Phear se contenterait de le torturer pour tester ses limites physiques et mentales avant de l’abandonner au sort qui était le sien en tant que criminel, Esteban n’était pas en reste, menant ses expériences sur son organisme en toute impunité, parfaitement conscient que son cobaye n’était pas véritablement en position de protester. Les explications de son interlocuteur ne parvinrent pas à le calmer, loin de là. Ce dernier parlait de l’étudier avant de le soigner. Le russe s’en voulut d’avoir été si naïf. Pensait-il vraiment que guérir le gêne Evolve était dans les priorités du scientifique ? Peut-être même qu’un remède avait depuis longtemps été découvert mais que le Gouvernement le gardait sous silence pour mieux entretenir la ségrégation au sein de la population entre les humains considérés normaux et ceux qui ne l’étaient plus. Après tout, il était tellement plus facile de s’octroyer un ennemi commun, une cible à qui l’on attribuerait tous les maux et qui servirait de bouc émissaire à la première occasion pour satisfaire la bestialité propre à l’Homme ? N’était-ce pas ainsi que le Gouvernement maintenant son contrôle sur la ville toute entière ? Ce constat l’écœura au point de lui donner des hauts le cœur. Tout ce vice se matérialisait à présent en la personne d’Esteban. Justifié ou non, le hacker fut pris d’un vif dégoût pour son interlocuteur. Lui faire confiance ? Impossible. Quand bien même le légiste l’avait sauvé à plusieurs reprises, risquant la sienne au passage, cette trahison l’empêchait de penser de manière rationnelle. A cet instant, il voulait mettre le plus de distance entre lui et cet individu. Mais avant qu’il n’ait le temps de faire un pas de plus pour s’éloigner de son interlocuteur, une autre voix s’éleva non loin d’eux. Son sang se glaça dans ses veines, alors même que son cœur se mettait à tambouriner dans sa poitrine sous l’effet de la terreur. Pas lui. Pas lui ! Son regard terrorisé accrocha celui d’Esteban. Même après l’avoir accusé de tous les maux, il cherchait encore la solution dans les iris gris du légiste. Pourquoi ? Pourquoi devait-il dépendre autant de cette personne ?! Contre toutes attentes, ce furent les mots de cette dernière qui le débloquèrent de sa paralysie momentanée. Se planquer ? Oui mais où ?! L’appartement n’était pas bien grand et même plongé dans le noir, le milicien ne tarderait pas à lui mettre la main dessus ! Sulkan ouvrait la bouche mais déjà son interlocuteur tournait les talons pour se diriger vers la porte, ne lui laissant guère le choix. Vite. Il devait bouger. Ses yeux se posèrent simultanément sur chacune des portes donnant sur le salon où ils se trouvaient. Des pièces sans issues pour la plupart. La distance se réduisait entre la silhouette d’Esteban et la porte d’entrée. Il pouvait oublier la salle de bain et le bureau du légiste, des endroits qu’il n’affectionnait pas particulièrement en plus de les savoir entièrement hermétiques. Restait la chambre à coucher. La main de son hôte saisit la poignée. Le russe ne réfléchit plus et fila dans la chambre en veillant à faire le moins de bruit possible. Ce qui se révéla plus difficile que prévu compte tenu de la pénombre environnante et de sa précipitation. Quelle cachette pourrait faire l’affaire ?! Derrière la porte ? Dans le coin le plus éloigné au salon ? Sous le lit ? L’échange entre les deux cousins lui parvint alors et Sulkan ne tergiversa pas plus longtemps. Il tomba à genoux sur le sol avant de ramper pour se glisser sous le lit. La situation ressemblait à une partie de cache-cache comme en font les enfants. Sauf que celle-ci se solderait par sa mort s’il se faisait découvrir. Des bruits de pas. Deux personnes dans l’appartement. Les vaines tentatives du légiste pour calmer son cousin ne fonctionnaient pas. L’autre était déterminé et un frisson de terreur agita le corps frêle du hacker. Il n’osait pas imaginer ce que ce malade lui ferait s’il l’attrapait. Ce qu’il ferait à Esteban. Car à en juger par le ton entre eux, l’animosité était de mise. Quelle était véritablement la relation qui unissait ces deux-là ? Sulkan se dit qu’il aurait tout le loisir d’y réfléchir s’il survivait à cette nuit. Les bruits de pas se rapprochaient. A qui appartenaient-ils ? Au légiste ? Au milicien ? Il n’aurait su le dire. Mais devant l’hésitation du nouveau venu, il en déduisit qu’il s’agissait de Phear. Son hôte connaissait les lieux, en plus d’avoir une lampe de torche. Son cœur se mit à battre plus vite dans sa poitrine à mesure que l’écart se réduisait entre eux. Bien sûr, le militaire n’avait aucune chance de le trouver à moins d’aller chercher sous le lit directement mais… Merde, il allait forcément finir par entendre son cœur cogner à toute vitesse dans sa poitrine ! C’était obligé ! Sulkan se faisait l’effet d’être un animal pris au piège, dont le prédateur se délecterait de la peur grandissante avant la capture. Le hacker plaqua une main devant sa bouche pour étouffer le moindre son. Il était là. Et il ne partirait pas avant de l’avoir trouvé. Le bruit des pas allant et venant le renseignait sur la trajectoire du milicien. Ce dernier n’était pas stupide. Il allait forcément regarder sous le lit non ? C’était la pire cachette au monde ! Les souvenirs refirent surface et les larmes perlèrent au coin de ses yeux. Non ! Non il ne voulait pas revivre ça ! Plus jamais ! « Vas-t’en… Vas-t’en… Par pitié… » Comme si quelqu’un avait entendu sa prière silencieuse, les bruits de pas s’éloignèrent. Etait-ce son imagination ? Une pâle lumière se déversa alors dans la pièce et son regard fut attiré en direction de la fenêtre. De l’autre côté de la vitre, les nuages s’étaient temporairement retirés, permettant à la lune d’envelopper la ville de ses rayons blafards. La fenêtre. Oui il s’en souvenait. La chambre d’Esteban donnait sur une ruelle non passante, presque semblable à une cour privée, seulement empruntée par les riverains. Il n’y avait pas d’escaliers de service de ce côté mais en bas se trouvaient les poubelles. De cette hauteur, une chute ne lui serait pas fatale. Il allait devoir tenter le tout pour le tout. Car rien ne lui permettait d’affirmer que Phear allait revenir. Le russe n’avait pas non plus la certitude qu’il s’agisse bien du militaire mais il ne voulait pas prendre ce risque. L’autre était suffisamment fou et déterminé pour arracher la lampe de torche du légiste et la braquer en direction du moindre recoin de l’appartement jusqu’à le trouver. Non, il devait fuir d’ici. S’échapper du piège qui se refermait doucement sur lui. Lentement mais sûrement, Sulkan rampa pour se dégager de sa cachette improvisé, un œil et une oreille rivés en direction de l’encadrement de la porte, se tenant prêt à ce que quelqu’un surgisse à tout moment des ténèbres. S’il devait se redresser dans la précipitation, il ne manquerait pas de se faire très mal au dos car seul le haut de son corps dépassait du lit. Plus vite. Le hacker s’activa aussi vite qu’il le put. En quelques foulées, il fut au niveau de la fenêtre. Coinçant le couteau entre ses dents, Sulkan la fit coulisser. Il lui semblait que les voix s’éloignaient dans la direction opposée à la chambre. Le légiste était-il finalement parvenu à repousser son cousin ? Il n’avait pas le temps de le vérifier mais cette lueur d’espoir lui valut d’accélérer quelque peu ses manœuvres… et à tirer un couinement métallique à la fenêtre, lequel parut résonner à travers tout l’appartement compte tenu du silence qui y régnait. Le sang du russe ne fit qu’un tour. Il n’aurait pas le temps de s’assurer de la présence des énormes bacs à poubelles en dessous, pas plus que de vérifier la hauteur réelle entre la fenêtre et le sol. D’un mouvement, il enjamba la fenêtre et sauta. Sans se douter que le seul être à accueillir Phear serait Kuro, le chat du légiste, qui feulerait à l’approche du milicien. La chute libre ne dura qu’une fraction de secondes en vérité. Preuve qu’il n’était pas si haut que ça. Par chance, les poubelles n’avaient pas été vidées et sa chute fut amortie par plusieurs sacs de détritus bien gonflés. Malgré cela, le choc lui arracha un hoquet de douleur, rapidement étouffé par les effluves de pourriture qui émanaient de ce matelas improvisé. Pas le temps de crier victoire. Si Phear avait compris son petit manège, alors il allait dévaler les escaliers en moins de deux de l’autre côté de l’immeuble pour se ruer dans sa direction. Dans un gémissement, Sulkan s’extirpa comme il le put des sacs. Ceux-ci après avoir amorti sa chute, semblaient ne plus vouloir le laisser partir. Chaque fois qu’il tentait de prendre appui sur l’un d’eux, le sac se dérobait sous lui et il dut redoubler d’efforts pour parvenir à se saisir du rebord du bac, se hissant finalement hors du tas d’ordures. Quelle joie de retrouver le contact ferme et régulier du sol. Cependant, pas le temps de se réjouir. Il était sorti de l’appartement mais le russe n’était pas encore tiré d’affaires. Puisant dans ces dernières forces, ignorant ses jambes tremblantes de peur à l’idée de tomber nez-à-nez avec le militaire, Sulkan se redressa suffisamment pour se mettre à courir, comme un fou et sans jamais se retourner. Le sang battait tellement fort à ses oreilles qu’il l’empêchait de percevoir un éventuel bruit de course derrière lui. Il ignorait si Phear était à ses trousses ou non. Peut-être même que ce dernier se trouvait encore chez son cousin. Le hacker ne consentit à ralentir l’allure que lorsqu’il approcha d’une rue principale. Capuche rabattue sur la tête, autant pour cacher ses oreilles de chat que son visage, il s’efforça de marcher parmi la foule des curieux que la coupure de courant avait faits sortir de chez eux. Toutefois, le russe ne tarda pas à la quitter pour emprunter de nouveau les petites ruelles, se remettant à courir jusqu’à perdre haleine. Quelle direction prenait-il ? Sulkan n’en avait aucune idée. Il espérait simplement mettre le plus de distance entre lui et le monde entier. Une pensée bien naïve en somme. Sa course le mena dans une rue plus à l’écart encore et pour cause ! L’immense bâtiment qui en constituait la partie droite n’était rien de plus qu’un vieux entrepôt à l’abandon, le genre qui avait dû faire vivre des générations de personnes avant de sombrer dans l’oubli général. Devant la désolation des lieux, le russe pensa sincèrement avoir semé tout danger potentiel. Du moins, jusqu’à ce qu’il entende des voix provenir de l’opposé de la ruelle. Dures et autoritaires. Des miliciens. Bien évidemment ! Phear n’était certainement pas venu seul. D’autres patrouilles devaient quadriller le secteur, à l’image du duo Hamthrew/Phil. Non seulement la coupure de courant était un bon prétexte pour venir remuer l’Entre Deux mais la rumeur de l’arrestation d’un Evolve hors la loi avait dû en appâter plus d’un ! Aux voix s’ajoutèrent des lumières dansantes. Des lampes torches. Sulkan fit un pas en arrière, puis un autre. D’une seconde à l’autre, les miliciens allaient apparaître au coin de la rue, braquant leurs lampes torches dans sa direction, l’aveuglant au passage. La surprise ne serait que temporaire puisque viendraient ensuite les directives propres à une arrestation en bonne et due forme : lever les bras, à genoux ou contre le mur… Et ce serait le game over. La fuite ne serait pas une option, simplement un aveu. Ces interlocuteurs seraient armés et n’hésiteraient pas à se servir de leur équipement, tout comme Phil un peu plus tôt. A cette distance, même une arme non létale serait suffisante pour le neutraliser. Une cachette, vite ! Mais dans ce long couloir de la Mort que symbolisait la ruelle déserte, Sulkan commençait à ressentir le désespoir l’envahir. Son regard accrocha une grille d’aération usagée du côté de l’entrepôt. Sans perdre un instant, le hacker fut sur elle, tirant et grognant pour faire céder les vis rouillées. La grille résista mais finit par lui tomber dans les mains. Il n’en fallut pas plus au russe pour la poser à côté de lui et se glisser dans l’ouverture ainsi dégagée. Etant donné la hauteur, il ne s’agissait pas véritablement d’un conduit d’aération mais plutôt d’un espace grillagé pour permettre la ventilation au sol de l’entrepôt. Si bien que Sulkan se retrouva à l’intérieur même de celui-ci, temporairement en sécurité. Toutefois, il ne prit aucun risque et replaça la grille sur l’entrée de sa cachette. Seul un œil bien avisé aurait remarqué que celle-ci ne tenait plus et qu’aucune vis n’était visible. Et le russe doutait que la patrouille s’arrête à ce genre de détails. Comme il s’y était attendu, il les entendit remonter la ruelle en plaisantant au sujet de l’Entre Deux et de leurs dernières missions concernant des Evolves. Son cœur se remit à battre quand les premières lueurs filtrèrent à travers la grille et il se recula inconsciemment. Heureusement pour lui, les miliciens le dépassèrent sans prêter attention à la grille et leurs voix s’éloignèrent jusqu’à s’éteindre complètement. Le corps encore tremblant, Sulkan ressentit alors le contrecoup de toute l’adrénaline qu’il avait accumulée jusque-là. Genoux repliés contre le torse et les bras serrés autour de lui, il resta de longues heures ainsi prostré, goûtant à une liberté qui n’en était pas véritablement une. Avant même qu’il ne s’en rende compte, le sommeil s’empara de lui. Ce fut la pluie s’écrasant contre la vieille taule formant le toit de l’entrepôt qui le réveilla. Depuis combien de temps était-il ici ? Son ventre gargouillait. Des heures ? Des jours peut-être ? Le russe guetta une accalmie avant de pousser doucement la grille de sa cachette improvisée. L’odeur de la pluie envahit ses narines. L’aube pointait le bout de son nez mais l’averse avait dû en décourager plus d’un de mettre le nez dehors. Sulkan ne perdit pas de temps et arpenta les ruelles alentours, toujours sur le qui-vive. La faim le tiraillait tellement qu’il songea un instant à retourner chez Esteban. Malheureusement, sa fierté l’en empêchait. Et puis, le légiste avait peut-être des ennuis de son côté ? Après tout, il avait décliné son identité avant de porter secours à un fugitif sur le point de se faire pucer. Les prochains jours de son hôte n’allaient certainement pas être de tout repos. L’odeur de détritus à proximité le tira de ses pensées et son regard fatigué se posa sur une benne à ordures. La perspective même de mettre la main dedans le dégoûtait et s’il avait eu quelque chose dans l’estomac à cet instant précis, le hacker l’aurait promptement régurgité sans la moindre élégance. Néanmoins, il n’avait pas le choix. Ce fut donc contraint et écœuré qu’il se mit en quête de quelque chose à grignoter. Et pour ne rien arranger à sa situation, la pluie se remit à tomber. Malgré l’épaisseur du sweat qu’il portait, Sulkan fut trempé jusqu’aux os en quelques minutes à peine. Cela ne le découragea pas dans ses recherches, bien au contraire, l’odeur de la pluie semblant atténuer quelque peu celles des ordures. Quand il se mit à claquer des dents, le russe abandonna. Le pas traînant, il retourna en direction de l’entrepôt. Les jours suivants se révélèrent similaires à celui-ci, à la différence que le hacker s’efforçait de sortir en soirée, quand les rues étaient suffisamment désertes pour ne risquer aucune rencontre délicate avec une patrouille un peu trop zélée. Seulement voilà, il pouvait mettre de côté sa fierté pour faire les poubelles, se sustentant de peu et faisant taire son estomac en essayant de dormir un peu mais il ne pouvait ignorer la maladie. Sulkan avait pris froid et les tremblements fiévreux qui l’agitaient confirmèrent ses craintes. Maudite pluie ! Il ne risquait pas de trouver de médicaments dans les poubelles, ceux-ci étaient déjà rares dans l’Entre Deux en temps normal. Alors quoi ? Il allait mourir ici ? Dans ce vieil entrepôt ? En bon esprit rationnel, le russe tenta de faire la liste des options qui s’offraient à lui. Force était de constater qu’elles étaient bien minces en réalité. Sonner chez des inconnus lui vaudrait un rejet pur et simple dans le meilleur des cas. Se rendre dans ce cas ? Peut-être serait-il soigné, juste ce qu’il fallait pour le maintenir en vie le temps d’être interrogé ou remis à Phear et ensuite ? Non, il ne lui restait que cette option… La route en direction de l’appartement d’Esteban lui parut anormalement longue. Etait-ce à cause de son corps fatigué ? Ou bien était-ce la fierté qui le retenait de mettre un pied devant l’autre ? Sulkan ne voulait pas y penser. Ne plus réfléchir. Simplement goûter à la joie d’avoir un vrai toit au-dessus de la tête. De pouvoir manger à sa faim. Et qui sait, renouer avec la salle de bain ? Ses doigts marquèrent une ultime hésitation face à la sonnette de l’appartement. Faisait-il le bon choix ? Est-ce que le légiste était encore chez lui ? Et si jamais c’était son cousin qui ouvrait la porte ? Aucun éclat de voix ne lui parvenait de l’autre côté de la porte, laissant presque supposer que l’appartement était vide. Ce fut ce constat qui lui fit presser un doigt sur la sonnette. Longuement. La fatigue et la maladie alourdissaient sa tête et ses membres. Son doigt lui donna l’impression d’être collé à la sonnette avant qu’il ne parvienne à le récupérer. Pourquoi était-il revenu déjà ? Alors que cet homme allait encore l’étudier comme un vulgaire cobaye… Oui, pourquoi était-il revenu ici ? Cet appartement serait-il devenu une sorte de foyer ? Pouvait-il seulement le considérer ainsi ? Après tous les problèmes qu’il avait causés ? Tous les différends qui l’avaient opposé au propriétaire des lieux ? Et surtout, qu’allait-il bien pouvoir dire à Esteban ? Les secondes passaient. Puis les minutes. Toujours rien. Impossible de ne pas avoir entendu la pression sur la sonnette de l'appartement pourtant. Un étrange mélange de lassitude et de désespoir l'envahit alors. Se pourrait-il que le légiste ne veuille plus rien à voir avec lui ? Difficile à croire en songeant à toute l'énergie que ce dernier, d'ordinaire si détaché du reste du monde, avait déployé pour lui venir en aide et ce, à maintes reprises. Difficile mais pas impossible compte tenu des conséquences de ses actes. Si le russe avait passé ces derniers jours, fuyant autant la pluie que la milice, Esteban ne devait pas avoir cette chance. Peut-être même que... Un énième frisson lui parcourut l'échine. Était-ce le froid devenu plus mordant encore dans ses vêtements mouillés ? Ou la crainte sourde qu'il ne soit arrivé quelque chose à son hôte ? A cause de lui ? Sulkan ne voulut pas y croire et sonna une nouvelle fois, tout aussi longuement. Une violente toux le prit alors, l'empêchant de se concentrer plus longtemps sur le bouton émettant l'alarme stridente. Merde. Connard de scientifique de médeu. Dire qu'il avait fait l'effort de revenir et maintenant l'autre disparaissait à son tour ?! Maudite soit cette ville ! Le hacker perçut du mouvement sur sa droite et il redressa vivement la tête dans la direction d'où provenait l'éventualité d'une nouvelle menace. Mauvaise idée. La vitesse de ce mouvement lui donna des vertiges. Sa fièvre était plus forte qu'il ne l'aurait cru. Une porte similaire à celle contre laquelle il s'appuyait venait de s’entrouvrir un peu plus loin. Dans l’entrebâillement, ses yeux fatigués crurent distinguer une visage arborant les ravages du temps au travers des rides qui s'étaient creusées au fil des années. Une vieille femme le dévisageait en silence, suffisamment curieuse pour oser lui ouvrir sa porte mais ne se risquant à rien de plus pour le moment. La voisine d'Esteban ? Quelles étaient leurs relations ? S'adressaient-ils régulièrement la parole pour que le russe puisse la considérer comme une alliée potentielle ? Certes, ils se trouvaient dans l'Entre Deux mais après les événements de ces derniers jours... « Vous désirez jeune homme ? »« Et bien... C'est-à-dire que... Hem... »Les mots se bousculaient dans sa tête et jusque contre ses lèvres. Il ne devait pas se faire reconnaître. Avait-elle vu ses oreilles ? Que savait-elle exactement ? « Esteban... Je veux dire... L'homme qui vit ici... »« Ah ça... »Une ombre parut passer sur son visage et les rides se creusèrent un peu plus sous l'effet de la tristesse. Ce seul constat fit battre un peu plus vite le cœur du russe. « Je crois bien que la milice est venu le chercher. Cela fait plusieurs jours qu'il n'est pas rentré. Un garçon charmant qui ne causait pas le moindre problème. Discret et serviable. Mais vous même devez bien le connaître puisque vous connaissez son prénom n'est-ce pas ? »A cela, Sulkan ne put qu'acquiescer d'un léger mouvement de tête. Que connaissait-il de son hôte en fin de comptes ? Pas grand chose. Un nom, un métier et un lien de parenté non assumé. Cependant, il ne voulut pas décevoir le début d'espoir qu'il crut distinguer dans le regard de la vieille femme. Le hacker tira un peu plus sur la capuche de son sweat, remerciant la voisine pour le peu d'informations qu'il avait pu glanées. Esteban. Emmené par la milice. Et ce, depuis plusieurs jours. Depuis cette nuit-là. Etait-il lui aussi interrogé par des hommes semblables à son cousin ? Peut-être pas. Après tout, lui était humain, un véritable citoyen de Madison. Respecté de par sa profession qui plus est. Oui, peut-être que le légiste avait une chance ! Son dos heurta le mur et Sulkan se laissa tomber par terre. Si vraiment son hôte était amené à être relâché alors il n'avait plus qu'une chose à faire : l'attendre. Peu importe le temps que cela prendrait. Genoux repliés contre son torse et bras serrés autour de son corps frêle, le russe attendit patiemment. | | | |
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